- AVANT-PROPOS
- LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
- LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS
SPÉCIAUX
- I. DES MONTANTS EN JEU CONSIDÉRABLES POUR LES
INDUSTRIES CULTURELLES ET CRÉATIVES
- II. UNE GESTION MANQUANT DE LISIBILITÉ ET
POUVANT ÊTRE AMÉLIORÉE
- III. DÉPASSER LES EFFETS D'ANNONCE :
UNE INDISPENSABLE AMÉLIORATION À GARANTIR DANS LE CADRE DU PLAN
FRANCE 2030
- I. DES MONTANTS EN JEU CONSIDÉRABLES POUR LES
INDUSTRIES CULTURELLES ET CRÉATIVES
- TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITIONS POUR SUITE À DONNER
- ANNEXE
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES
À LA COMMISSION DES FINANCES
N° 437
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 mars 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives : des moyens considérables, une logique de guichet, un contrôle insatisfaisant 2017-2023,
Par MM. Jean-Raymond HUGONET, Vincent
ÉBLÉ
et Didier RAMBAUD,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Par courrier daté du 22 décembre 2022, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes la réalisation, au titre du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, d'une enquête relative aux crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives.
Cette étude fait suite aux constats récurrents formulés par les rapporteurs spéciaux d'une croissance des dispositifs de soutien au secteur culturel extérieurs aux missions budgétaires « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles ». Depuis le premier programme d'investissement d'avenir (PIA) jusqu'au plan France 2030, la part de ces crédits dits exceptionnels n'a cessé d'augmenter, jusqu'à atteindre plus de 3 milliards d'euros cumulés au cours des cinq dernières années. Cela représente près de l'équivalent des crédits annuels de la mission « Culture ».
Par construction, les rapporteurs spéciaux ont une vision limitée de ces crédits, dont la gestion se veut avant tout interministérielle, et a fortiori de leur exécution. Le rôle du Parlement dans cette procédure se borne bien souvent à l'adoption d'enveloppes globales d'autorisations d'engagement, sur lesquelles il est ensuite bien difficile d'avoir un contrôle alors même que les montants concernés, loin d'être anodins, financent parfois des projets culturels ou patrimoniaux emblématiques. La commande de cette enquête à la Cour des comptes doit donc permettre de combler ces lacunes et de dresser un panorama de l'emploi des crédits et de la pertinence du soutien exceptionnel apporté par l'État aux industries culturelles et créatives.
Les constats dressés par la Cour impliquent de s'interroger : absence de réel pilotage et d'évaluation ; opacité des moyens consacrés, pourtant importants ; soutien allant parfois à l'encontre des objectifs d'évolution des filières culturelles ; absence de lisibilité des dispositifs et contournement du rôle du Parlement. Si la Cour met en avant l'impact positif qu'a pu avoir la relance du secteur culturel pendant la crise sanitaire, le panorama d'ensemble est alarmant. Cette enquête doit donc permettre de tirer la sonnette d'alarme afin d'éviter que la suite du plan France 2030 ne continue de reproduire ces erreurs.
Plus largement, au-delà du seul secteur culturel, ces constats doivent conduire à interroger les modalités de gestion et de contrôle des grands plans d'investissement et ne peuvent qu'inciter à davantage y associer le Parlement.
Pour donner suite à la remise de l'enquête par la Cour des comptes, la commission des finances a entendu le Premier président de la Cour des comptes le 20 mars 2024. Elle a organisé le même jour une audition réunissant M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement, Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles et Mme Sophie Zeller, adjointe au directeur général de la création artistique.
LES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
Recommandation n°1 : dans le cadre d'une évaluation systématique des dispositifs préalable à toute prolongation ou pérennisation, prévoir la mise en place de clauses de revoyure afin d'améliorer la récupération des financements indus (ministère de la culture, ministère du budget)
Recommandation n°2 : veiller à intégrer davantage les réseaux déconcentrés du ministère de la culture afin d'améliorer l'équilibre territorial des projets soutenus (Secrétariat général pour l'investissement - SGPI, ministère de la culture)
Recommandation n°3 : limiter le recours aux modes exceptionnels de financement (programmes d'investissement et plan de relance) aux projets les plus innovants pour lesquels un réel pilotage interministériel est nécessaire (SGPI, ministère des comptes publics)
Recommandation n°4 : améliorer l'information du Parlement sur l'exécution des crédits France 2030, impliquant au préalable la formalisation d'un suivi budgétaire rigoureux (SGPI, ministère des comptes publics)
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
I. DES MONTANTS EN JEU CONSIDÉRABLES POUR LES INDUSTRIES CULTURELLES ET CRÉATIVES
Les crédits qualifiés ici « d'exceptionnels » recoupent des financements ayant des objectifs différents dans des cadres budgétaires spécifiques. Entrent ainsi dans cette catégorie des dispositifs ponctuels de soutien tout comme des investissements de grande ampleur destinés à encourager la transformation et la modernisation du secteur culturel. Ces crédits ont pu prendre la forme de subventions ou d'appels à manifestation d'intérêt. Dans la quasi-totalité des cas, à l'exception des crédits mobilisés dans le cadre du plan de relance, la gestion de ces moyens a été déléguée par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI) à des autorités indépendantes (centre national du livre ou centre national du cinéma par exemple) ou à d'autres opérateurs (Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance en premier lieu).
Les montants totaux s'élèvent à près de 3 milliards d'euros. Ces plans sont construits de manière pluriannuelle : si les crédits du plan de relance ont été presque intégralement consommés, il reste encore des crédits des programmes d'investissement d'avenir non engagés. Le plan France 2030 n'en est quant à lui qu'aux premières années d'exécution.
Montant total de crédits exceptionnels
ouverts au titre des crédits exceptionnels
à la culture et
aux industries créatrices
(en milliards d'euros)
Montant prévu |
Montant consommé (à mi-2023) |
|
Programmes d'investissement d'avenir - PIA 1 et 3 |
0,508 |
0,187 |
dont PIA 1 |
0,315 |
0,130 |
dont PIA 3 |
0,193 |
0,056 |
Plan de relance |
1,569 |
1,439 |
France 2030 dont PIA 4 |
0,9001(*) |
0,743 |
Total |
2,968 |
2,686 |
Source : commission des finances d'après l'enquête de la Cour des comptes
Ces crédits correspondent en premier lieu aux reliquats du premier plan d'investissement d'avenir (PIA 1) et à ceux du troisième (PIA 3). S'agissant du PIA 1, son volet « culture » a essentiellement ciblé depuis 2017 le soutien aux projets numériques d'établissements publics culturels ou de start-up culturelles.
Les deux principaux dispositifs financés depuis 2017 sont l'appel à manifestation d'intérêts « Culture, Patrimoine et Numérique » doté de 140 millions d'euros et géré par la caisse des dépôts, et le fonds « Industries culturelles et créatives - Tech and Touch » géré quant à lui par Bpifrance et s'élevant à 125 millions d'euros. Les crédits « culture » du PIA 3 ont essentiellement servi à financer les travaux de la Cité de la francophonie au sein du château de Villers-Cotterêts et des travaux de rénovation du Grand Palais, à hauteur de 190 millions d'euros.
Les crédits exceptionnels incluent également les moyens accordés au secteur culturel dans le cadre du plan de relance. Le plan de relance contient 4 volets « culture », eux-mêmes recoupant d'une part un soutien sectoriel aux filières en difficulté (plan presse, mais aussi filière du livre et de la musique) et d'autre part un soutien aux grands opérateurs du patrimoine et du spectacle vivant. Au-delà de la logique d'urgence et d'attribution de subventions, qui concernent la majorité des montants accordés dans le cadre du plan de relance, on peut noter la création du programme « Mondes nouveaux », doté de 30 millions d'euros et destiné aux jeunes créateurs. Les rapporteurs spéciaux relèvent que les crédits du plan de relance ont également financé la réalisation de grands travaux, en particulier du fait d'un dépassement de budget pour la réalisation du projet de Villers-Cotterêts (124 millions d'euros financés par le plan de relance).
Enfin, le secteur de la création bénéficie d'importants montants dans le cadre du volet culturel de France 2030, dont 350 millions d'euros pour la « Grande fabrique de l'image », qui finance la création de studios de cinéma, ou le plan « Culture immersive et métavers », doté de 150 millions d'euros. S'y ajoutent 400 millions d'euros dans le cadre de la stratégie d'accélération des industries culturelles et créatives consécutive aux États généraux des industries culturelles et créatives engagés avant 2020. Ces investissements passent notamment par différents appels à manifestation d'intérêts (« Compétences et métiers d'avenir » ; « Accélérateurs » ; « Pôles territoriaux d'industries culturelles et créatives »), gérés pour certains par la Caisse des dépôts. S'y ajoutent des actions spécifiques (développement d'une offre de billetterie innovante par exemple).
La stratification des programmes et des actions, ainsi que la multiplicité des objectifs, certains gérés directement par le ministère de la Culture ou le SGPI, d'autres confiée à des opérateurs, rendent extrêmement complexe l'établissement d'un panorama global de ces crédits, en dépit de l'importance des montants. La Cour note ainsi des difficultés de périmètre : 19 millions d'euros à destination des industries culturelles et créatives sont identifiés à la fois dans le cadre du plan France 2030 et dans celui du plan de relance. Autre exemple, deux mesures dotées de 80 millions d'euros présentées par le ministère de la Culture comme déployées dans le cadre de France 2030 sont en réalité financées à partir de reliquats du PIA 1.
Enfin, une partie des crédits du plan de relance devait faire l'objet d'un remboursement par l'Union européenne (UE). Ce montant, initialement conséquent (702 millions d'euros, soit près de 4/5e du volet « Culture » du plan) a été fortement diminué du fait du retrait des plans de filières « Presse », « Livre » et « Cinéma » de la demande de remboursement auprès de l'UE. Le montant maximal potentiellement remboursé à la France ne serait donc désormais que de 393 millions d'euros.
Ensemble des crédits exceptionnels concernés par l'enquête
Source : enquête de la Cour des comptes
II. UNE GESTION MANQUANT DE LISIBILITÉ ET POUVANT ÊTRE AMÉLIORÉE
Le point commun à l'ensemble des plans d'investissement ou de relance est le manque de lisibilité des dispositifs et des moyens correspondants. Il en découle un suivi parcellaire, éclaté entre différents acteurs et sans réel contrôle. En parallèle, la Cour des comptes souligne les défauts de conception préalable de ces plans, dont la logique semble davantage relever d'un « pilotage par la dépense », pour lesquels le lien avec les besoins réels du secteur culturel n'est pas toujours évident et dont l'effet levier est en définitive très décevant. La Cour l'indique clairement : « ainsi, le secteur culturel constitue-t-il un cas d'école des faiblesses de la gestion budgétaire et financière des PIA ».
A. UN CONTRÔLE LACUNAIRE ET UN PROCESSUS DE SUIVI INEFFICACE
L'écheveau des mesures de soutien au secteur culturel, complexe en lui-même, l'est d'autant plus que le suivi des dispositifs est éclaté entre un nombre important d'acteurs. À titre d'exemple, 14 des 36 mesures « Culture » du plan de relance étaient gérées par des grands opérateurs (Centre national de la musique, Centre national du livre, Centre des monuments nationaux, centre national du cinéma, etc.) et 6 co-gérées entre le ministère de la culture et d'autres opérateurs, dont des cabinets de conseil (Deloitte Conseil), et des structures privées exerçant des missions d'intérêt général (Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles - IFCIC et Société des auteurs et compositeurs dramatiques - SACD notamment). Deux mesures étaient gérées intégralement par d'autres ministères que celui de la Culture. Les rapporteurs spéciaux notent à cet égard que la multiplication des intermédiaires a pu entraîner un accroissement important des frais de gestion. Ainsi, la Cour estime que la rémunération des artistes en phase de production ne représenterait que 11 % du total des moyens prévus pour le programme « Mondes nouveaux », alors même que le principal objectif du dispositif est le soutien à la création.
En outre, si le plan de relance a été en grande partie piloté par le ministère de la culture lui-même, le SGPI est en charge du pilotage des PIA et de France 2030.
La Cour des comptes déplore le manque d'association du ministère de la culture, meilleur connaisseur sur le fond des filières culturelles : « le pilotage des PIA et de France 2030 par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) contribue à dessaisir le ministère de la culture de ses missions de pilotage stratégique, d'allocation des financements et de contrôle sur l'équivalent d'une part significative de son budget annuel ».
Sur ce point, l'analyse des rapporteurs spéciaux peut diverger de celle de la Cour. Il n'est pas certain que confier la gestion et le pilotage des plans d'investissement au ministère de la culture ait été un choix davantage stratégique. Ainsi, concernant le plan de relance, il a été déployé au prix d'une certaine tension dans les effectifs des directions régionales des affaires culturelles (DRAC), alors même qu'il s'agissait d'une logique classique d'attribution de subventions. Il est possible de douter des capacités d'ingénierie et de gestion du ministère de la culture, au moins dans les services déconcentrés, pour la mise en place des dispositifs France 2030. La Cour, tout en déplorant la faible place du ministère de la Culture dans le déploiement des crédits exceptionnels, l'indique elle-même : « le recours massif à des opérateurs pour la mise en oeuvre du plan de relance est d'abord une réponse pragmatique à l'impossibilité humaine et matérielle du ministère de le faire lui-même », reconnaissant par là les moyens limités du ministère.
En revanche, il est certain que le volet culture et industrie culturelles des PIA comme de France 2030 n'a que faiblement un caractère interministériel. Par conséquent, il est permis de douter de la plus-value des PIA en termes de souplesse de gestion et de décision, d'autant plus que, comme l'indique la Cour des comptes, « le plan « France 2030 » se caractérise par une grande lourdeur des processus décisionnels et par un éparpillement de l'information, qui rendent complexe un suivi rigoureux ».
Au-delà de l'enjeu de difficulté de suivi, la Cour relève que la complexification de la chaîne de décision entre SGPI, ministère de la Culture et opérateurs est un facteur de « déresponsabilisation ». Il est certain que la faiblesse des procédures de contrôle formalisées par le SGPI a pu entraîner des anomalies de gestion. La conclusion de la Cour des comptes est sans appel : les PIA « apparaissent cependant globalement inadaptés à ce secteur. [...} pour les industries culturelles et créatives, le gain initial attendu du montage interministériel au plus haut niveau est limité en termes d'agilité faute d'une construction stratégique et budgétaire suffisamment robuste ».
B. UNE PERTINENCE LIMITÉE DES INTERVENTIONS AU REGARD DES BESOINS DU SECTEUR
1. Une conception des dispositifs parfois peu stratégique
La Cour des comptes met en avant les lacunes de la conception des plans, faute d'une gouvernance adaptée. Ainsi, elle souligne « l'imprécision » de la définition des montants mobilisés dans le cadre des plans, ce qui découle d'un manque de réflexion préalable : « la stratégie des investissements dans les industries culturelles et créatives des PIA 1 et 3 est ainsi peu écrite. Il n'existe pas de stratégie cadre ni d'exposé des objectifs qu'il serait légitime de poursuivre, hormis, en filigrane, la nécessité de soutenir la transformation numérique de ces industries ».
En conséquence, faute d'une conception suffisamment stratégique en amont, le soutien apportés par les divers plans s'est parfois avéré inadapté. Ainsi, s'agissant du plan de relance, le soutien massif apporté aux industries culturelles a pu entrer en conflit avec les évolutions structurelles de certaines filières, voire avec certaines politiques historiques du ministère de la Culture.
Un cas spécifique qui interroge : les
aides à la presse
dans le cadre du plan de relance
Le secteur de la presse a bénéficié de 58 millions d'euros de crédits du plan de relance, s'ajoutant à 5 millions d'euros votés en loi de finances rectificative pour 20202(*). À noter que les crédits non consommés dans le cadre du plan de relance ont été utilisés en 2023 pour financer les aides à la presse dans le contexte inflationniste.
Ces aides s'ajoutent aux aides à la presse de droit commun. La Cour des comptes relève que les crédits distribués aux entreprises de presse dans le cadre du plan de relance s'avèrent très concentrées, à la fois géographiquement et par bénéficiaires. Ce constat s'explique d'autant plus facilement que la Cour indique qu'aucun « critère relatif à la concentration des médias ni à la répartition géographique des bénéficiaires du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) ne figure dans les critères d'éligibilité ou d'évaluation prévus » par décret.
Si cette aide ponctuelle a pu être indispensable pour certains titres de presse, elle ne saurait éluder les difficultés de long terme du secteur, nécessitant une réforme d'ampleur. Dans la mesure où la crise du secteur de la presse écrite est bien antérieure à la crise sanitaire, les mesures contracycliques dans le cadre du plan de relance peuvent s'apparenter à un emplâtre sur une jambe de bois. Le chiffre d'affaires global du secteur a reculé de 6 % entre 2019 et 2022, et cette tendance est amenée à durer.
L'aide à la presse doit aujourd'hui être conçue comme une aide à l'investissement et non plus comme un soutien à des titres fragiles, n'ayant pas pu ou su procéder à une révision de leurs modèles ou comme un appui à des messageries (France Messagerie en premier lieu) qui ne peuvent rien face à la diminution inexorable du lectorat « papier ».
Source : commission des finances
Les rapporteurs spéciaux ne peuvent sur ce point que reprendre les constats de la Cour des comptes, qui relève que « l'occasion semble avoir été manquée d'aborder les enjeux pourtant identifiés de transformation véritablement nécessaires pour l'avenir (presse, livre, musique), mais trop complexes pour que les dispositifs adéquats puissent être élaborés en quelques semaines », le plan de relance ayant été mis en place dans l'urgence.
Si le plan de relance a bénéficié à l'ensemble des industries culturelles, la Cour des comptes relève également que les plans d'investissement ont été massivement orientés vers quelques filières : « le cinéma, l'audiovisuel, l'image animée ou le numérique sont clairement privilégiés » car celles-ci étaient davantage « proactives ». L'exemple le plus frappant est l'appel à projet « La grande fabrique de l'image », géré par la Caisse des dépôts et dont l'angle phare est l'aménagement ou la modernisation d'une dizaine de grands studios de tournage, se voulant compétitifs avec les plus grands studios internationaux (153 000 m² de plateaux de tournage et 187 000 m² de décors extérieurs permanents devant être construits d'après le ministère). La conception du programme se basait pour compléter l'analyse du ministère notamment sur une étude des besoins confiée par le CNC au cabinet McKinsey. Si ce programme représente selon la Cour des comptes un « “passage à l'échelle" significatif », les rapporteurs spéciaux s'interrogent cependant sur le dimensionnement du projet au regard du volume actuel des tournages sur le territoire français. En outre, la Cour note que « bien que le CNC ait indiqué dans sa réponse à la Cour que l'appel à projets ne s'adressait pas à des projets reposant à plus de 30 % sur une subvention de France 2030, 27 projets [sur 68] ne respectent pas cette condition », ce qui doit interroger sur la viabilité à terme de certains d'entre eux.
En outre, les 350 millions d'euros de France 2030 s'ajoutent aux crédits et réductions d'impôt devant accroître la relocalisation des tournages en France, alors que le montant record de 591 millions d'euros de dépenses éligibles a été atteint en 2022. Ce sont 346 millions d'euros de dépenses supplémentaires par rapport au niveau de 2019, soit une progression de 141 %. Le montant total de la dépense fiscale a été chiffré à 472 millions d'euros en 2023, soit un niveau à peu près équivalent à celui constaté en 2022. Les montants prévisionnels pour 2024 dénotent une nette progression (+ 55 millions d'euros) atteignant des niveaux inédits. En conséquence, il est légitime de s'interroger sur le caractère massif des financements apportés dans le cadre de la Grande fabrique de l'image, s'ajoutant aux divers soutiens publics au cinéma, comme l'a indiqué à plusieurs reprise la commission des finances3(*).
Enfin, les rapporteurs spéciaux s'interrogent sur les moyens considérables déployés dans le cadre de l'appel à projet Culture immersive et métavers à hauteur de 150 millions d'euros géré par Bpifrance, s'ajoutant aux 50 millions d'euros destinés à financer les technologies du métavers hors champ de la culture. Dans le contexte de tensions sur les finances publiques, il n'est pas certain que consacrer 200 millions d'euros au métavers fasse partie des investissements prioritaires, y compris dans le seul domaine culturel.
2. Les investissements de la Caisse des dépôts et de Bpifrance : une prise de risque élevée pour des investissements dont la pertinence reste à démontrer
Une part importante de la gestion des PIA et certains dispositifs de France 2030 ont été confiés aux deux opérateurs généralistes que sont la Caisse des dépôts et Bpifrance. La Cour des comptes a une vision très critique de certains appels à manifestation d'intérêt gérés par ces opérateurs.
Ainsi, l'appel à manifestation d'intérêt « Culture, patrimoine, numérique » géré par la Caisse des dépôts depuis 2017 dans le cadre du PIA 1 avait pour but de financer des projets innovants mêlant culture et numérique. Il concentre nombre des limites soulevées par la Cour. L'appel est doté de 140 millions d'euros jusqu'à fin 2024. Au printemps 2023, cinq des quatorze sociétés lauréates étaient placées en procédure collective, soit un taux de sinistralité de 35 %, largement supérieur à la moyenne. Cette proportion de défaillance découle d'un défaut d'évaluation du risque par la Caisse des dépôts : « le suivi étroit de ces souscriptions en capital a fait défaut, ainsi que l'évaluation de [la] performance réelle » des entreprises, qui, souffrent « d'une absence de modèle économique viable ». En outre, selon la Cour, les projets financés n'ont parfois qu'un lien distant, pour ne pas dire inexistant dans certains cas, avec le secteur culturel.
Le fonds ICC/Tech and Touch, géré par Bpifrance mais dont les parts sont souscrites par la Caisse des dépôts, pour un montant total de 125 millions d'euros, fait l'objet d'une analyse détaillée par la Cour des comptes. Ce fonds a procédé par des prises de participation dans 13 entreprises, par la souscription à un fonds de fonds et par des placements en organismes de placements collectifs (OPC). S'agissant du fonds de fonds, qui représente un engagement de 10 millions d'euros, il semble n'avoir aucun lien avec les industries culturelles4(*).
S'agissant des entreprises, pour la plupart des start-up, concernées par la prise de participation, leur examen révèle d'autres difficultés : le fonds ICC/Tech and Touch a investi dans une start-up dont la maison mère est domiciliée dans le Delaware ; une autre propose des jetons non fongibles (NFT) dans le secteur de la mode, activité hautement spéculative et sans lien direct avec le secteur culturel ; une troisième est une société de podcasts connaissant des problèmes de droits d'auteurs et dont la valeur s'est considérablement dégradée après la prise de participation de Bpifrance (d'après la Cour, d'une valeur d'1,6 million d'euros lors de leur souscription, les actions détenues par Bpifrance ne représentaient ainsi plus que 179 000 euros lors de la revente de la start-up en juillet 2022).
D'autre part, l'effet levier sur les industries culturelles semble extrêmement faible, rapportés aux 14 millions d'euros d'ores et déjà décaissés dans le cadre de prise de participation dans des start-up : Bpifrance évoque une progression de seulement 115 emplois dans la totalité des 13 entreprises bénéficiaires entre 2021 et 2023, ce que les rapporteurs spéciaux considèrent comme particulièrement alarmant.
Si la Cour met donc en avant un « bilan très mitigé » de ces opérations, les rapporteurs spéciaux considèrent quant à eux qu'une telle gestion, s'agissant d'argent public, n'est pas tolérable de la part d'opérateurs expérimentés.
C. L'ABSENCE D'ANALYSE PRÉALABLE DES BESOINS A ENTRAÎNÉ UNE CONSOMMATION DES CRÉDITS À GÉOMÉTRIE VARIABLE
Il est certain que la faiblesse des résultats obtenus par la Caisse des dépôts et Bpifrance découle d'un nombre d'entreprises innovantes dans le secteur culturel trop faible par rapport aux montants en jeu, contraignant les opérateurs à s'éloigner toujours davantage des industries culturelles et créatives. Ce constat soulève la problématique plus générale du pilotage par la dépense des programmes d'investissement comme du plan de relance, le principal objectif semblant n'être pas tant la performance du résultat obtenu que la consommation de l'ensemble des crédits alloués.
1. Le PIA 1 : une sous-consommation importante des crédits
Il est vrai que dans le cadre du PIA 1, le problème réside plutôt dans une sous-exécution des crédits prévus. Ainsi, les crédits réellement consommés ne représentent qu'à peine moins d'un quart des crédits issus du PIA 1 activés depuis 2017. Les crédits engagés en représentent quant à eux à peine plus des deux-tiers.
Consommation des crédits activés
depuis 2017 dans le cadre
du volet « culture » du PIA
1 à mi- 2023
(en millions d'euros et en %)
Montants (en millions d'euros) |
Part des crédits mobilisés par rapports aux crédits annoncés (en %) |
|
Crédits annoncés |
315 |
|
- Crédits engagés |
120 |
38,1 % |
Crédits consommés |
78 |
24,8 % |
Source : commission des finances d'après l'enquête de la Cour des comptes
Cette sous-consommation remet en cause, comme le souligne la Cour, l'argument selon lequel le PIA, qui est un instrument souple et libéré d'un certain nombre de contraintes budgétaires, permet d'engager des financements plus rapidement que des crédits classiques.
Notons par ailleurs que les deux dispositifs précédemment mentionnés gérés par la Caisse des dépôts et Bpifrance ont tous les deux été aménagés afin de tenir compte d'une inadaptation des moyens ouverts aux besoins : l'appel à manifestation d'intérêt Culture, Patrimoine et Numérique a été prolongé jusqu'en décembre 2024 tandis que le fonds ICC/Tech and Touch a vu son montant quasiment divisé par deux (225 millions d'euros étant initialement prévus).
2. Le plan de relance et France 2030 : un pilotage par la dépense
Dans le cas du plan de relance, l'urgence du soutien à apporter à des filières en difficulté a justifié un pilotage davantage quantitatif que qualitatif des crédits. Celui-ci a certes abouti à une consommation satisfaisante des crédits, mais avec deux conséquences : d'une part, une baisse de la sélectivité des projets financés ; d'autre part, le financement par le plan de relance de dispositifs sans lien avec la crise sanitaire. Le financement de la Cité de la francophonie à Villers-Cotterêts est un exemple emblématique du deuxième cas : s'ils ne remettent pas en cause l'intérêt du projet en lui-même, les rapporteurs spéciaux se sont déjà interrogés par le passé sur la pertinence du plan de relance comme vecteur de financement de ces travaux.
Concernant la sélectivité des projets, le ministère de la Culture, en particulier la direction générale des patrimoines, a modulé à plusieurs reprises la liste des monuments bénéficiant de crédits « relance », afin de cibler davantage non pas les opérations les plus indispensables, mais celles dont les travaux pouvaient commencer le plus rapidement afin d'améliorer le taux de consommation des crédits.
Plus généralement, si les crédits ont été correctement consommés, la qualité des dispositifs a pu en souffrir. Ainsi, si la Cour souligne l'intérêt qu'a pu représenter le programme « Mondes nouveaux », elle indique que celui-ci « a souffert d'un défaut de visibilité et de médiation », se privant notamment de l'expertise des réseaux traditionnels de soutien à la création culturelle (fonds régionaux d'art contemporain - FRAC - notamment).
Concernant France 2030, tout comme pour le PIA 1, l'insuffisante analyse des besoins réels du secteur débouche sur une sous-consommation de certains volets du plan. Ainsi, seuls 193 millions d'euros sont d'ores et déjà engagés pour 553,4 millions d'euros prévus.
III. DÉPASSER LES EFFETS D'ANNONCE : UNE INDISPENSABLE AMÉLIORATION À GARANTIR DANS LE CADRE DU PLAN FRANCE 2030
Ce panorama de l'emploi des crédits soulève donc un nombre conséquent d'interrogations. Les rapporteurs spéciaux insistent sur le fait que ces constats doivent, au-delà du passé, nourrir la réflexion collective sur la suite de la mise en place de France 2030 et sur d'éventuels futurs plans d'investissement.
A. METTRE UN ACCENT NÉCESSAIRE SUR L'ÉVALUATION
Conséquence de la faiblesse du pilotage, la Cour relève que le dispositif d'évaluation de la performance de ces plans laisse largement à désirer. Ainsi, sur un plan purement formel, il semble que la communication du SGPI et celle du ministère de la Culture autour de la stratégie d'accélération des industries culturelles et créatives et de sa traduction dans France 2030 présente d'importantes divergences, notamment autour du nombre d'objectifs. Il semble difficile, dans ces conditions, d'élaborer un dispositif de performance solide : « il en résulte que l'articulation entre les mesures et les objectifs d'ensemble ainsi que la logique de priorisation dans la mise en oeuvre ne sont pas compréhensibles. Cette superposition d'objectifs, d'indicateurs et de cibles rend toute évaluation très délicate ».
Plus largement, il semble à première vue que l'effet levier de ces plans soit inférieur à celui espéré. Les rapporteurs spéciaux renvoient à l'analyse présentée plus haut des créations d'emplois sur les dispositifs pilotés par la Caisse des dépôts et Bpifrance. En outre, le SGPI a calculé en janvier 2023 un effet levier de 1,16 sur le volet « culture » de France 2030, nettement plus faible que d'autres dispositifs. La Cour cite notamment la comparaison avec les pôles de compétitivité, pour lesquels l'effet levier est de 2,8.
Les rapporteurs spéciaux ne sauraient trop le mettre en avant : une évaluation des dispositifs doit constituer un préalable indispensable à leur prorogation. Pourtant, alors même qu'il n'existe pas de réelle évaluation du programme « Mondes nouveaux », un acte II a été prévu en 2023. Les rapporteurs spéciaux rejoignent donc la recommandation de la Cour d'éviter toute prorogation sans évaluation préalable.
En outre, il convient également de davantage tenir compte des évaluations lorsqu'elles existent. Ainsi, dans le cadre du plan de relance, alors même que le ministère a pu avoir connaissance de crédits alloués à des acteurs ne remplissant pas les conditions d'attribution, il n'existe pas de mécanisme de récupération des indus. La Cour relève deux cas seulement où le Centre national du livre et le Centre national du cinéma ont émis des titres de recouvrement auprès de bénéficiaires d'aides du plan de relance. Comme l'indique la Cour, « le faible empressement tant du ministère que des opérateurs à recouvrer les crédits non consommés du Plan de relance ou dont l'usage ne remplit pas les conditions initialement fixées est une source d'étonnement ».
En conséquence, les rapporteurs spéciaux partagent la recommandation de la Cour des comptes de prévoir la mise en place systématique, dans le cadre de crédits de soutien, de clauses de revoyure et de retour à meilleure fortune.
Recommandation n°1 : dans le cadre d'une évaluation systématique des dispositifs préalable à toute prolongation ou pérennisation, prévoir la mise en place de clauses de revoyure afin d'améliorer la récupération des financements indus (ministère de la Culture, ministère du Budget)
B. CLARIFIER LE PILOTAGE, NOTAMMENT POUR PRENDRE DAVANTAGE EN COMPTE L'ENSEMBLE DES TERRITOIRES
Si la Cour des comptes l'indique en filigrane (« l'équilibre territorial n'est pas forcément recherché »), on note une concentration très importante des bénéficiaires d'aides des PIA et de France 2030 en Île-de-France en premier lieu et dans le sud de la France en second lieu (essentiellement du fait de la localisation des grands studios de tournage de la « grande fabrique de l'image »). Ainsi, certaines régions n'accueillent aucun projet financé par France 2030 - c'est le cas de la région Grand Est et du Centre-Val de Loire, mais aussi de la Corse ou de Mayotte et la Guyane - quand d'autres, bien que bénéficiaires, ne reçoivent qu'un montant très faible (Normandie ou Bourgogne-Franche Comté notamment, ainsi que les autres départements ultramarins). Près de la moitié des lauréats de financements « France 2030 » sont situés en région parisienne (47 %).
Répartition territoriale des projets
financés
par le volet « culture » de France
2030
Source : enquête de la Cour des comptes
Ce déséquilibre s'explique par deux facteurs principaux. D'une part, les start-up répondant à des appels à projets innovants sont essentiellement situées en Île-de-France. D'autre part, le SGPI a conservé un pilotage très centralisé, d'autant plus qu'il ne bénéficie pas du réseau déconcentré du ministère de la Culture (directions régionales des affaires culturelles - DRAC et FRAC). Pour cette raison, il aurait été préférable d'opter pour une logique « bottom-up », c'est-à-dire la remontée de projets innovants des territoires vers le SGPI, contrairement à la logique descendante d'appels à projets qui a été mise en oeuvre. La Cour suggère également la participation d'un représentant des DRAC au comité de pilotage du ministère de la Culture et la tenue de réunions régulières des correspondants France 2030 dans les DRAC. Les rapporteurs spéciaux s'associent à cette recommandation, qui doit contribuer à une répartition territoriale plus équitable.
Recommandation n°2 : veiller à intégrer davantage les réseaux déconcentrés du ministère de la Culture afin d'améliorer l'équilibre territorial des projets soutenus (SGPI, ministère de la Culture)
Plus largement, il convient aussi de veiller à une meilleure répartition des soutiens financiers entre les filières et les industries culturelles, de manière à moins favoriser les industries de l'image. En conséquence, le ministère de la Culture doit être davantage associé par le SGPI au stade non du déploiement, dans la mesure où il n'est pas certain que le ministère de la Culture ait les moyens de ses ambitions sur ce point, mais à celui de la conception et de la sélection des projets. La connaissance fine des industries culturelles du ministère et de ses très nombreux opérateurs doit pouvoir permettre d'élargir le spectre des projets soutenus.
C. REDONNER AU PARLEMENT SON RÔLE AU-DELÀ DES LIMITES DE LA PROCÉDURE DES GRANDS PLANS D'INVESTISSEMENT
Les rapporteurs spéciaux ont eu fréquemment l'occasion de l'indiquer dans leurs rapports budgétaires respectifs : le recours au véhicule spécifique des plans et programmes d'investissement ne doit en aucun cas constituer un contournement du Parlement et de l'autorisation budgétaire annuelle votée par le Parlement.
Ainsi, la Cour des comptes relève que le choix des plans d'investissement a pu être surprenant pour des projets bénéficiant de financements s'apparentant à des subventions classiques (ainsi des projets patrimoniaux notamment, en particulier dans le cadre du PIA 3). Les rapporteurs spéciaux voient donc échapper à leur champ de compétence et d'information des crédits dont le contrôle devrait relever de la mission « Culture » ou de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
Recommandation n°3 : limiter le recours aux modes exceptionnels de financement (programmes d'investissement et plan de relance) aux projets les plus innovants pour lesquels un réel pilotage interministériel est nécessaire (SGPI, ministère des comptes publics)
En outre, la complexité de la présentation budgétaire a pu nuire à l'information du Parlement : « l'information destinée à la représentation parlementaire est lacunaire et le suivi de l'exécution difficile, cela d'autant plus que les programmes budgétaires correspondants ont été supprimés, que les montants ont évolué et que les fonds spécifiques ont été utilisés sur d'autres procédures que celles annoncées publiquement ». Par conséquent, les rapporteurs spéciaux souhaitent que les documents budgétaires soient davantage explicites sur l'emploi des crédits exceptionnels, d'autant plus que certains dispositifs financés initialement par ces crédits ont pu ensuite être rapatriés au sein des missions budgétaires afin d'être utilisés à l'instar de crédits classiques.
Recommandation n°4 : améliorer l'information du Parlement sur l'exécution des crédits France 2030, impliquant au préalable la formalisation d'un suivi budgétaire rigoureux (SGPI, ministère des comptes publics)
TRAVAUX DE LA
COMMISSION :
AUDITIONS POUR SUITE À DONNER
I. AUDITION DU PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES
Réunie le mercredi 20 mars 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives : des moyens considérables, une logique de guichet, un contrôle insatisfaisant 2017-2023.
M. Claude Raynal, président. - Nous procédons ce matin à deux auditions pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application du deuxième alinéa de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives.
Nous recevons tout d'abord le Premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici, qui nous présentera les principales conclusions de cette enquête.
Le Premier président est notamment accompagné par M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre, ainsi que par les magistrats ayant travaillé sur cette enquête. Il y a de la matière dans votre rapport, c'est le moins que l'on puisse dire !
Nous avons souvent, dans cette commission, déploré la faible place laissée au Parlement pour l'attribution et le contrôle des moyens dans le cadre des plans et programmes d'investissement. Le rôle du Parlement dans cette procédure ne doit pas être réduit à l'adoption d'enveloppes globales d'autorisations d'engagement, sur lesquelles il est ensuite bien difficile d'avoir des informations précises. Les montants concernés, loin d'être anodins, financent parfois des projets culturels ou patrimoniaux emblématiques. Je me félicite donc la demande d'une enquête sur ces sujets formulée auprès de la Cour des comptes par la commission des finances et suivie par les rapporteurs spéciaux de la mission « Culture », MM. Vincent Éblé et Didier Rambaud, ainsi que par le rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles », M. Jean-Raymond Hugonet.
Les rapporteurs spéciaux poseront les premières questions. Je laisserai ensuite la parole à ceux de nos collègues qui souhaiteraient vous interroger.
À l'issue de cette audition, nous enchaînerons avec un panel d'intervenants qui pourront répondre aux constats dressés par la Cour dans son enquête. Cela permettra d'approfondir auprès du Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et du ministère de la culture certaines questions qui pourraient venir à l'esprit de nos collègues en écoutant la présentation de la Cour des comptes.
Cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. - Je suis très heureux de vous présenter le rapport de la Cour des comptes sur les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives.
Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre invitation. C''est toujours un grand plaisir pour moi de me rendre au Sénat, et tout particulièrement devant votre commission, pour vous présenter les travaux de la Cour. La Cour répond à votre demande, monsieur le président, sur le fondement de l'article 58 de la Lolf, de réaliser une enquête portant sur les crédits dits « exceptionnels » à la culture et aux industries créatives. L'enquête a ainsi été confiée à la troisième chambre de la Cour et a été inscrite au programme 2023 de la juridiction.
Je suis ravi de vous présenter aujourd'hui cette enquête. J'ai déjà pu l'exprimer devant votre commission : je suis extrêmement attaché à la mission d'assistance au Parlement que la Constitution a confiée à la Cour. Elle est pour moi essentielle. D'abord, il est vrai que ma sensibilité d'ancien parlementaire et d'ancien élu local m'y incline. Ensuite, veiller à l'équilibre des relations de la Cour avec le Parlement et le Gouvernement fait partie de mes fonctions et de mes devoirs. Soyez donc assurés, que je continuerai à attacher à la relation privilégiée qui nous unit un soin tout particulier.
M. Nacer Meddah, président de la troisième chambre de la Cour des comptes est présent à mes côtés. Je salue également la présence dans la salle des rapporteurs de cette enquête, Angélique Sloan, conseillère référendaire, et Anne Le Lagadec, conseillère référendaire en service extraordinaire, ainsi que Christine de Mazières, conseillère maître, présidente de la section culture et communication. Je souhaite les remercier chaleureusement, ainsi que Vincent Peillon, contre-rapporteur, pour leur implication et pour leur travail approfondi, que je crois profondément d'actualité.
Le rapport sur les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives que nous vous présentons aujourd'hui est riche d'enseignements à plusieurs égards : pour le Parlement, pour le Gouvernement et pour les citoyens. En effet, la culture est, nous en sommes tous convaincus, loin d'être un luxe ; elle est un ferment essentiel de l'émancipation et de l'épanouissement de chacun, « la seule force que nous ayons en face de l'élément de la nuit », pour reprendre une citation d'André Malraux. La culture est aussi un élément essentiel de la cohésion dans nos territoires, les collectivités territoriales assurant les trois quarts des dépenses publiques en faveur de la culture.
Avant d'en dévoiler les principaux messages, j'aimerais préciser l'origine de ce travail et son périmètre.
La Cour a été saisie par votre commission, en application du deuxième alinéa de l'article 58 de la Lolf, à la demande de MM. Vincent Éblé, sénateur de Seine-et-Marne, Didier Rambaud, sénateur de l'Isère, Roger Karoutchi, sénateur des Hauts-de-Seine, depuis remplacé par M. Jean-Raymond Hugonet, sénateur de l'Essonne. Je tiens à les remercier pour la qualité de leurs échanges avec l'équipe de la Cour.
Les contours de la mission ont été précisés par un échange de lettres entre nos deux institutions, et l'essentiel de l'instruction s'est déroulé entre juin et septembre 2023.
L'enquête de la Cour a porté sur les crédits dits « exceptionnels » alloués en faveur de la culture et des industries créatives, c'est-à-dire les crédits qui se sont ajoutés aux crédits budgétaires ordinaires du ministère de la culture. Entre 2017 et mi-2023, plus de 3 milliards d'euros - ce n'est pas négligeable - de crédits de l'État ont été engagés pour le secteur culturel en dehors du budget du ministère de la culture, soit presque l'équivalent d'une année des crédits de la mission « Culture » de ce ministère. Il convient de distinguer : d'une part, les crédits du plan de relance pour 1,6 milliard d'euros, délégués par le ministère des finances au ministère de la culture pour accompagner la sortie de crise du covid ; d'autre part, à hauteur de 1,5 milliard d'euros au total, les programmes d'investissements d'avenir (PIA) - 500 millions d'euros des PIA 1 et 3 ont été ouverts en faveur de la culture, et ils ont été prolongés par le plan France 2030 avec 1 milliard d'euros destinés à la culture. Ces crédits s'inscrivent dans une logique d'investissement à long terme : ils sont gérés au niveau interministériel et délégués pour l'essentiel à des opérateurs généralistes comme Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
Notre enquête s'inscrit dans le prolongement de travaux de la Cour déjà publiés sur ces procédures inédites. Elle examine la mise en oeuvre de ces crédits exceptionnels, ainsi que leur articulation avec les crédits ordinaires du ministère de la culture, les possibles effets sur la politique culturelle, la place et le rôle du ministère. Elle propose une analyse détaillée d'un certain nombre de dispositifs. En revanche, notre lettre de mission spécifiait bien que n'entraient pas dans le périmètre de l'analyse demandée à la Cour les crédits d'urgence qui ont précédé le plan de relance, l'année blanche des intermittents du spectacle et les dépenses fiscales relatives à la culture.
Le décor étant planté, entrons maintenant dans le vif du sujet.
Le rapport livre quatre principaux messages que je souhaite partager avec vous.
Le premier porte sur le plan de relance : la Cour souligne qu'il a davantage contribué à la sauvegarde des revenus du secteur culturel qu'à sa transformation structurelle.
Les trois autres messages du rapport portent sur les PIA et le plan France 2030.
D'abord, nous relevons que les crédits issus des PIA 1 et 3 ont été utilisés pour des opérations patrimoniales et des opérations risquées. Ensuite, notre rapport relève qu'en dépit de moyens considérables, le plan France 2030 a une stratégie trop peu lisible. Enfin, nous analysons que le mode de pilotage de ces fonds est largement déconnecté des objectifs de la politique culturelle du pays.
Le rapport de la Cour est critique et met en exergue des pratiques de dépenses exceptionnelles qui se sont pérennisées, en 2023, au-delà du seul domaine de la culture et des industries créatives - j'ai d'ailleurs eu l'occasion de revenir sur ce sujet la semaine dernière en séance publique devant votre assemblée lors de la présentation de notre rapport public annuel.
Notre premier constat, donc, est le suivant : le plan de relance a davantage contribué à la sauvegarde des revenus du secteur culturel, qu'à sa transformation structurelle.
Les crédits du plan de relance ont certes été utiles pour sauvegarder le secteur culturel frappé par la crise du covid, mais sa mise en oeuvre a été guidée par une logique de dépense plus que par une analyse des besoins réels.
Doté de 1,6 milliard d'euros pour la culture, le plan de relance adopté dans la loi de finances pour 2021 est, en raison du contexte sanitaire, en grande partie constitué de mesures relevant de l'urgence ou amplifiant des dispositifs de droit commun. Elles ont bénéficié en priorité au secteur du patrimoine, pour près de 600 millions d'euros, et au spectacle vivant à hauteur de plus de 400 millions d'euros. Le plan de relance avait deux objectifs, pour ce qui concerne la culture : un soutien aux revenus du secteur, selon une logique keynésienne, d'une part, et une accélération des transformations structurelles identifiées comme nécessaires, d'autre part.
Le plan a incontestablement permis de stabiliser la situation budgétaire et financière de nombreux acteurs, selon le premier objectif du plan. Il a aussi permis de financer des travaux urgents de restauration de monuments, notamment via le plan « Cathédrales ». Plus globalement, il a conduit à la sauvegarde des revenus des acteurs culturels. Tout cela relève du paysage global du « quoi qu'il en coûte » que la Cour avait eu l'occasion d'analyser dans son rapport public annuel d'il y a deux ans, et a assurément eu un impact significatif et positif.
Dans ce cadre, les administrations et leurs agents ont été largement mobilisés, à moyens humains constants, tout comme les opérateurs chargés de répartir une grande partie des crédits.
En revanche, le second objectif du plan - accélérer les transformations économiques, industrielles et sociales du secteur - n'a été que marginalement engagé. Ainsi, l'occasion semble avoir été manquée d'accompagner les mutations des industries culturelles, notamment de la presse, pourtant fortement dotée en crédits du plan de relance, ou encore de la musique et du livre.
Plusieurs éléments nous ont semblé problématiques dans le déploiement du plan de relance pour le secteur de la culture.
D'abord, l'impératif de mise en oeuvre rapide du plan, qui a été fixé au plus haut niveau de l'État et suivi de près, a entraîné un pilotage par la dépense, parfois au détriment des objectifs de politique publique. Cet objectif de dépenser le plus vite possible les crédits de l'État a eu un effet inflationniste dans certains secteurs ; il a même conduit à privilégier les secteurs culturels déjà les plus aidés, comme le cinéma et la presse, au détriment du livre, par exemple.
Par ailleurs, une partie des crédits du plan de relance a été utilisée pour boucler les plans de financement de grands travaux des opérateurs culturels ou même pour anticiper des travaux, à rebours des objectifs fixés. Ainsi, le château de Versailles a vu, grâce au plan de relance, sa subvention d'investissement quadrupler en 2021. L'établissement a même pu financer des travaux qui auraient pu être effectués à échéance de vingt ans ! La Cour mentionnait déjà cet élément quelque peu surprenant dans son rapport sur le château de Versailles, publié en 2023.
Ensuite, certains dispositifs créés dans le cadre du plan de relance se sont surajoutés aux institutions et procédures existantes, sans être in fine évalués. Par exemple, l'appel à manifestation d'intérêt « Mondes nouveaux » a conduit à choisir et à financer, dans de brefs délais, 264 projets artistiques à hauteur de 30 millions d'euros. Je souligne que ce montant est sans commune mesure avec le budget annuel d'acquisition des vingt-deux fonds régionaux d'art contemporain (Frac), qui s'élève à 4 millions d'euros. Une part significative de ce dispositif a été attribuée à des intermédiaires et non aux créateurs. Or, faute de médiation, certaines oeuvres financées ont manqué de visibilité. C'est pourquoi la Cour recommande, avant toute nouvelle consommation de crédits, de procéder à une évaluation indépendante du dispositif « Mondes nouveaux », notamment du point de vue de la rémunération des artistes et de l'articulation avec les dispositifs et institutions préexistants.
Enfin, les crédits restants n'ont pas toujours été réalloués selon les besoins effectivement constatés. Pour les crédits de relance gérés par l'administration, la réallocation s'est opérée grâce à certains fonds moins sollicités que prévu ; ce fut le cas de l'aide aux pigistes, par exemple. En revanche, faute de clauses de retour à meilleure fortune, les crédits confiés à des opérateurs au titre de la relance ne sont pas restitués au budget de l'État, quand bien même leur situation à la sortie de la crise sanitaire le permettrait. De même, les contrôles visant à récupérer des indus auprès de certains bénéficiaires d'aides demeurent marginaux, et le risque de pérennisation de certains dispositifs financés sur crédits exceptionnels n'est pas totalement écarté. La Cour préconise donc de prévoir une procédure explicite de restitution, ou de réallocation, des crédits exceptionnels non utilisés.
Vous l'aurez compris, la Cour salue l'atteinte du premier objectif du plan de relance, soit la sauvegarde des revenus de nombreux acteurs culturels. En revanche, nous soulignons que ces fonds n'ont permis ni d'accélérer ni même d'initier des transformations dans le secteur, tant leur conception ne s'y prêtait pas.
J'en viens aux PIA et à leur prolongement, le plan France 2030, sur lesquels portent les trois autres messages de notre rapport. Il convient, dans cette deuxième catégorie, de distinguer les PIA 1 et 3, d'une part, du PIA 4 prolongé par France 2030, d'autre part.
D'abord, nous relevons que les crédits issus des PIA 1 et 3 ont été utilisés pour des objets éloignés de leur objectif premier de soutien à l'innovation, ou qu'ils ont été accordés sans prise en compte suffisante du risque.
Les P1A 1 et 3, qui ont représenté 500 millions d'euros ouverts pour la culture, ne semblent pas suivre une stratégie d'ensemble pour le secteur. Après la première vague de numérisation du patrimoine financée par le grand plan d'investissement 2012-2016, les PIA 1 et 3 ont faiblement investi le champ culturel et celui des industries culturelles et créatives. Depuis 2017, ce sont 278 millions d'euros qui ont été consommés dans ce domaine.
Surtout, les PIA 1 et 3 ont contribué à financer des opérations patrimoniales importantes ; à rebours, donc, de leurs objectifs de soutien à l'innovation. Ainsi, le PIA 3 a financé deux grandes opérations de restauration patrimoniale à hauteur de 190 millions d'euros, pour le château de Villers-Cotterêts, qui accueille désormais la Cité internationale de la langue française, et le Grand Palais. Je vous laisse juger si patrimoine et innovation vont dans ce cas-ci de pair.
Par ailleurs, les objets financés relèvent parfois d'une conception que je qualifierai de « très extensive » des industries culturelles et créatives, ou n'en font clairement pas partie. C'est le cas pour le financement de produits de consommation « éthique » ou de l'industrie de la confection, voire pour des produits relevant carrément d'un champ spéculatif comme des actifs virtuels sur le marché de la mode. C'est la raison pour laquelle nous préconisons d'appliquer strictement la doctrine des investissements d'avenir et de réserver les financements des PIA à des projets répondant à des critères d'innovation préétablis.
S'agissant des industries culturelles et créatives, quelques projets culturels innovants, comme la Philharmonie des enfants, ont été financés ; mais globalement, les premières stratégies d'investissement dans les industries culturelles et créatives de la part de la CDC ou de Bpifrance se sont révélées particulièrement risquées.
Des entreprises au modèle économique fragile ont été soutenues et ont connu depuis lors de graves difficultés. La prise de risque a été incontestablement trop élevée, en manquement au principe de l'investisseur avisé. Cette stratégie s'est soldée par des échecs nombreux, annulant la portée de l'investissement public. À titre d'exemple, le taux de sinistralité pour l'appel à manifestation d'intérêt « Culture, patrimoine et numérique », lancé par la CDC, a été de 35 %, un taux bien supérieur à celui admis en général par la Caisse ou Bpifrance. Le suivi étroit de ces souscriptions en capital a fait défaut, ainsi que l'évaluation de leur performance réelle.
Ces premières expériences d'investissement dans le secteur culturel ont souffert d'une absence de stratégie formalisée avec le ministère de la culture. Nous observons un manque de réflexion sur les outils mobilisés, sur la typologie des projets structurants et sur les effets d'accélération recherchés. A contrario, le soutien apporté à l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic), par exemple, est apparu plus cohérent avec l'ambition des PIA et plus respectueux des finances publiques. Ainsi, les 60 millions d'euros de crédits ouverts et les 25,1 millions d'euros de crédits consommés dans le cadre de ce fonds ont permis de tirer profit de l'excellente connaissance des entreprises culturelles de l'Institut, et de ses liens anciens avec les financeurs de la place.
Ainsi, la Cour préconise de déterminer de façon concertée les objectifs poursuivis par les investissements d'avenir, et de délimiter plus nettement le périmètre d'intervention des PIA dans le secteur des industries culturelles et créatives.
Ensuite, notre rapport relève qu'en dépit de moyens considérables, le plan France 2030 a, lui aussi, une stratégie trop peu lisible.
Après le plan de relance, l'État a décidé d'engager 400 millions d'euros fin 2020, dans le cadre du PIA 4, pour mettre en oeuvre la stratégie d'accélération des industries culturelles et créatives (ICC). Puis, à l'automne 2021, ont été annoncés 600 millions d'euros destinés aux industries de l'image et du numérique, dans le cadre du plan France 2030. À la faveur d'un amendement, fin 2022, le PIA 4 a été rattaché à France 2030. Cela porte l'effort, pour le seul volet culturel de France 2030, à 1 milliard d'euros au total. Là encore, la stratégie poursuivie pour le déploiement des fonds a été trop peu lisible.
D'abord, la Cour a observé un manque de transparence dans les objectifs et les moyens alloués à la stratégie d'accélération des industries culturelles et créatives. Cette stratégie a été formalisée à l'issue d'États généraux des ICC fin 2019-début 2020, mais ces dix-neuf mesures n'ont pas été rendues publiques. La consolidation des volets successifs d'enveloppes budgétaires au sein du plan France 2030 n'est pas davantage été publiée.
Il en résulte que l'articulation entre les objectifs d'ensemble et les mesures financées est difficilement compréhensible. Leur évaluation à terme sera dès lors complexe, d'autant que les indicateurs d'impact et de résultats des appels à manifestation d'intérêt et des appels à projets ne sont pas encore complètement arrêtés. Par ailleurs, France 2030 montre une grande lourdeur des processus décisionnels et un éparpillement de l'information. Jusqu'à présent, seules les mesures permettant de lancer rapidement des appels à concurrence ont été mises en oeuvre, au risque parfois de ne pas aborder des sujets d'infrastructure, plus centraux, et de ne pas mobiliser le levier réglementaire.
Si les mutations structurelles du secteur culturel peuvent justifier un accompagnement par l'État, les PIA apparaissent cependant globalement inadaptés à ce secteur. De plus, la logique de mise en oeuvre rapide d'appels à concurrence peut créer des effets d'aubaine et dispenser les pouvoirs publics de recourir à des outils de régulation.
Enfin, si le principe originel des PIA consistait à utiliser des avances remboursables pour inciter le secteur privé à investir, cette logique s'est progressivement effacée au profit d'une logique de subventions. Dès lors, la Caisse des dépôts et Bpifrance se retrouvent dans la situation paradoxale d'être les pourvoyeurs majoritaires de subventions dans ce secteur, sans avoir l'expertise du ministère de la culture.
En définitive, nous constatons que le mode de pilotage de ces fonds a largement dessaisi le ministère de la culture de la conception, de la mise en oeuvre et de l'évaluation de la politique culturelle.
Le pilotage des PIA et de France 2030 par le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) contribue à dessaisir le ministère de la culture. Ses missions de pilotage stratégique, d'allocation des financements et de contrôle lui sont retirées, sur un montant équivalent à une part significative de son budget annuel.
En effet, le ministère de la culture n'est pas formellement décisionnaire dans ces opérations, même s'il a été à l'origine de la conception de la stratégie. Il est généralement rédacteur des cahiers des charges, et associé aux étapes d'instruction, mais siège souvent comme observateur uniquement dans les comités constitués de professionnels, qui désignent les lauréats des financements.
Le ministère n'est donc pas pleinement en situation de garantir la cohérence de ces financements avec les objectifs de la politique culturelle : préserver et mettre en valeur le patrimoine historique, soutenir la création artistique, contribuer à l'éducation artistique et à la transmission des savoirs, développer l'économie de la culture et les industries culturelles.
Plus généralement, la segmentation de la prise de décision entre le SGPI, les grands opérateurs généralistes et le ministère de la culture est facteur de déresponsabilisation. Cela induit un manque de rigueur dans l'analyse des besoins. Par exemple, au sein des crédits alloués à France 2030, une priorité a été donnée de facto aux industries de l'image, au travers du seul projet de « Grande Fabrique de l'image » pour un montant de 350 millions d'euros. Celui-ci consiste notamment en la construction de nouveaux studios de tournage, de studios numériques et d'écoles de formation aux technologies audiovisuelles, sans que les études de besoins soient suffisamment étayées. Par ailleurs, le recours aux financements de start-up pour des projets culturels innovants d'établissements publics plutôt que l'octroi de subventions directes suscite de nombreuses interrogations. À cet égard, nous recommandons d'accorder dès à présent au ministère de la culture une place plus importante dans les processus décisionnels de France 2030, ce qui lui permettrait d'assurer son rôle de chef de file de la politique culturelle.
Enfin, La Cour regrette l'absence d'évaluation des crédits exceptionnels accordés à la culture.
Les premiers résultats de la stratégie d'accélération sont globalement méconnus, du fait d'un suivi évaluatif insuffisant. Si l'on ne veut pas courir le risque de priver durablement le ministère des moyens de remplir ses missions, celui-ci doit reprendre le pilotage des dispositifs mis en place dans le cadre de France 2030 et en renforcer significativement le suivi. Il pourrait ainsi conforter ses compétences sur les enjeux liés au numérique et mener une action efficace auprès des entreprises culturelles.
Par ailleurs, en lien avec la direction générale des entreprises (DGE), le ministère de la culture doit engager une réflexion sur les grands enjeux technologiques et culturels, et sur les outils pour susciter un terreau favorable à l'innovation et des effets d'accélération à haute valeur culturelle. Le ministère devrait être le garant de cette stratégie sur le long terme et décisionnaire dans les crédits affectés. La Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance pourraient plutôt être mobilisés sur des projets innovants pour leur expertise entrepreneuriale et financière. La Cour recommande, dans ce contexte, d'instaurer une procédure de suivi et d'évaluation des crédits des PIA et de France 2030, afin de permettre le contrôle parlementaire.
Les PIA et France 2030 ont fait l'objet, ces dernières années, d'un mode de pilotage particulier : il s'est traduit par des annonces de montants globaux de financements publics, sans stratégie bien établie, dans une logique d'urgence, une absence de clause de restitution au budget de l'État des crédits non utilisés et avec le passage d'une logique d'avances remboursables à des subventions majoritaires.
En fin de compte, cette situation amène la Cour à émettre un message d'alerte. Ce pilotage conduit en effet à déroger au cadre général de gestion des finances publiques, à minimiser le rôle du ministère et à mettre à l'écart le Parlement, ce qui n'est pas de bonne gouvernance politique et démocratique. Un retour des crédits exceptionnels dans le périmètre ministériel serait de nature à améliorer l'exercice du contrôle parlementaire.
Dans le contexte actuel de revue des dépenses de l'État, ce rapport semble particulièrement utile et d'actualité. Dans la mesure où les PIA et France 2030 sont épargnés par le plan d'économies acté par le dernier décret d'annulation, il convient d'être encore plus vigilants à leur égard. Autant pouvait-on comprendre la nécessité d'engager rapidement des dépenses dans le cadre des plans d'urgence et de relance, autant la Cour s'étonne qu'au vu de la masse de dépenses engagées par les PIA et France 2030, toujours aussi peu d'attention ait été portée au suivi et à l'évaluation de ces dépenses.
Pour agir en investisseur avisé, il est absolument nécessaire de développer davantage une culture d'évaluation, d'autant plus qu'une part significative des crédits est d'origine européenne. Or, et je fus bien placé pour l'affirmer, la Commission européenne est très attentive à la notion d'investisseur avisé et souhaite, en l'occurrence légitimement puisqu'elle joue un rôle essentiel en tant que financeur, qu'on lui rende des comptes.
M. Vincent Éblé, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Je m'associe à mes collègues rapporteurs spéciaux pour saluer le travail de la Cour et la clarté de la présentation qui nous a été faite.
La demande de cette étude à la Cour des comptes fait suite aux constats récurrents d'une croissance des dispositifs de soutien au secteur culturel extérieurs aux missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles ». Depuis le premier PIA jusqu'au plan France 2030, la part de ces crédits dits exceptionnels n'a cessé d'augmenter, jusqu'à représenter plus de 3 milliards d'euros cumulés au cours des cinq dernières années. Cela représente près de l'équivalent des crédits annuels de la mission « Culture ». En tant que rapporteurs spéciaux de cette mission, il nous paraissait nécessaire de ne pas nous priver d'un droit de regard sur de tels montants, qui financent parfois des dispositifs structurants.
Concernant la sévérité du diagnostic émis par la Cour, je voudrais reprendre un bref passage : « Ainsi, le secteur culturel constitue-t-il un cas d'école des faiblesses de la gestion budgétaire et financière des PIA. » Il semble que cela dit tout des lacunes qui ont pu être constatées et de la gestion, parfois discutable, de ces financements. Plus largement, je pense que cette enquête doit servir de support à l'édification des prochains plans d'investissement et surtout à la poursuite du plan France 2030, pour lequel j'ose espérer que tout n'est pas perdu.
Je voudrais revenir sur le fait que les crédits du plan de relance et de France 2030 ont également financé la réalisation de grands travaux. Nous l'avons indiqué à plusieurs reprises à cette commission : on voit mal ce qui justifie de financer la restauration du château de Villers-Cotterêts par le biais de crédits France 2030 plutôt qu'au travers de la mission « Culture ». Plus largement, monsieur le Premier président, considérez-vous que ces grands plans d'investissement constituent un instrument pertinent pour des projets liés à la restauration du patrimoine ?
En outre, l'enquête indique que le ministère de la culture, en particulier la direction générale des patrimoines, a modulé à plusieurs reprises la liste des monuments bénéficiant de crédits du plan de relance, afin de cibler davantage non les opérations les plus indispensables, mais celles dont les travaux pouvaient commencer le plus rapidement afin d'améliorer le taux de consommation des crédits. Pensez-vous que cela ait été dommageable à la qualité des projets sélectionnés ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». - La présentation que vous venez de nous faire, monsieur le Premier président, est édifiante. À l'heure où le ministre des finances vient ici nous annoncer qu'il est impératif de faire 10 milliards d'euros d'économies - nous lui avions pourtant fait une proposition d'économies à hauteur de 7 milliards d'euros lors de l'examen du projet de loi de finances -, voilà 3 milliards d'euros sur lesquels nous étions curieux d'avoir des renseignements. Nous sommes désormais parfaitement informés ! Je remercie donc la Cour des comptes pour cette enquête, qui nous dessillera sans doute les yeux sur la réalité concrète de la gestion de ces grands plans d'investissement. Je cite pêle-mêle : l'absence de réel pilotage et d'évaluation, un soutien financier allant parfois à l'encontre des objectifs d'évolution des filières culturelles, une absence de lisibilité des dispositifs et enfin un contournement du rôle du Parlement.
Je ne reviendrai pas plus longuement sur les constats effarants qui viennent de nous être présentés, d'autant que nous pourrons interroger les principaux concernés au cours de l'audition suivante. Je souhaite néanmoins poser quelques questions.
La Cour déplore à de nombreuses reprises le manque d'association du ministère de la culture à la construction des différents programmes d'investissements. Permettez-moi, à titre personnel, de douter que le ministère ait fait les choses bien mieux que le SGPI. Pensez-vous réellement qu'il ait une capacité de gestion suffisante ?
Je souhaite revenir sur un point spécifique de votre enquête sur les aides au secteur de la presse. Cela fait des années que nous appelons de nos voeux une réforme de ces dernières. Or, pendant la crise sanitaire, le déblocage d'aides massives à la presse écrite a remis en cause tous les objectifs de rationalisation des financements. Les mesures contracycliques dans le cadre du plan de relance peuvent à ce titre s'apparenter à un cautère sur une jambe de bois. Quelle est votre analyse du soutien à la filière presse par les crédits exceptionnels ?
M. Didier Rambaud, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Je remercie la Cour des comptes pour cette enquête approfondie. En tant que rapporteurs spéciaux, il nous est difficile d'avoir une vision sur des financements publics qui, par construction et bien qu'à destination des secteurs culturels, ne sont pas inscrits au sein des missions que nous suivons. Le travail de la Cour nous permet d'avoir un vaste panorama ; il est donc précieux à cet égard.
Nous pouvons nous féliciter que le monde de la culture et des industries créatives n'ait pas été oublié dans le cadre des programmes d'investissements d'avenir. Les financements publics à destination des industries culturelles que vous étudiez dans votre rapport sont importants, et c'est là une reconnaissance de la contribution de ce secteur à l'innovation.
Le plan de relance a les qualités de ses défauts ou, pour le dire autrement, les défauts de ses qualités. Je rappelle qu'il a été déployé dans des délais très courts à la sortie du pic de la crise sanitaire, avec un objectif clair : empêcher l'effondrement du secteur culturel. En ce sens, il me semble que le but est atteint. Il ne s'agit pas cependant de sous-estimer les remarques de la Cour des comptes, s'agissant notamment de la faiblesse de l'évaluation des dispositifs. C'est d'ailleurs précisément dans le cadre d'une logique d'évaluation que nous avons demandé à la Cour de réaliser cette enquête. Je partage à cet égard sa recommandation visant à améliorer l'information du Parlement sur l'exécution des crédits France 2030, en particulier sur le volet culturel.
Monsieur le Premier président, avez-vous mené des analyses comparatives à l'échelle européenne ? Comment la France se positionne-t-elle en matière d'aides aux industries culturelles et créatives ?
Quel regard portez-vous sur l'action des différents opérateurs du ministère de la culture ? La Cour formule une recommandation visant à renforcer la place laissée au ministère, ce qui peut d'ailleurs susciter des interrogations. Qu'en est-il des divers opérateurs qui jouent un rôle fondamental dans l'animation et le financement du secteur culturel ?
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce rapport montre que la France est dans une situation d'une particulière gravité et que les prochains mois, voire les prochaines années, seront difficiles. Le verdict est sans appel : vous déplorez, monsieur le Premier président, un certain mélange des genres et le flou entourant ces dépenses, qui nuisent à la lisibilité d'engagements financiers issus de politiques publiques partiellement conduites en dehors des circuits ministériels traditionnels. On nous disait que ces circuits étaient source de lourdeur et d'inefficacité ; le fait de les contourner s'avère encore plus inefficace.
Je déplore et condamne ces pratiques qui ne sont pas à la hauteur de celles et ceux qui portent les politiques publiques. C'est d'autant plus préjudiciable que, lors des débats budgétaires, un bloc transpartisan défend l'exception culturelle en soutenant les crédits alloués à la culture.
Votre enquête est un véritable signal d'alerte envoyé à tous les responsables publics. Le ministère de la culture est en partie dépossédé de ses prérogatives et implicitement mis en cause. Cette pluie de milliards ne produit pas de bons effets ! L'urgence étant là, le Gouvernement doit se reprendre. L'efficacité de la dépense publique doit être mieux contrôlée et contrôlable.
Lors de l'élaboration de ce travail, avez-vous eu des difficultés pour obtenir certaines informations et constaté l'existence de zones d'ombre ? Si nous en avions connaissance, nous pourrions mieux mener à bien notre mission en vue d'établir davantage de transparence.
Ce gouvernement ne cesse d'invoquer l'esprit de responsabilité qui doit inspirer les décisions de dépense publique. Ce rapport est un camouflet à son encontre !
M. Pierre Moscovici. - Vous pouvez tout à fait mettre vos propres mots sur les faits établis dans ce rapport... Pour notre part, nous établissons un constat.
Il est certain, monsieur Éblé, que le déséquilibre en faveur des grands travaux de restauration a été accentué par la mise en oeuvre du plan de relance et des PIA. Durant la crise du covid, les décisions du Gouvernement ont visé à maintenir le revenu de nos concitoyens, ce qui était salutaire ; à défaut, il se serait effondré. Pour autant, les transformations structurelles n'ont pas été suffisantes. En l'occurrence, la restauration du patrimoine ne saurait relever des PIA, qui doivent servir, je le rappelle, à réaliser des investissements d'avenir.
Monsieur Hugonet, nous avions préconisé, dans une récente note thématique relative au ministère de la culture, des modifications structurelles. On peut s'interroger, comme vous le faites, sur la capacité de gestion du ministère de la culture, mais on ne saurait remettre en cause sa légitimité. En effet, il connaît les acteurs concernés et le terrain culturel ; l'exemple de l'Ifcic que j'ai donné est à cet égard parlant. Par ailleurs, il existe un contrôle parlementaire.
L'enjeu est de renforcer le ministère de la culture, dont l'expertise est réelle mais qui manque de moyens de pilotage. Il doit aussi travailler davantage avec le ministère des finances, entre autres, et rétablir des procédures normales. La connaissance de l'écosystème culturel est un point névralgique.
Le sujet des aides à la presse sera prochainement traité par la Cour. Une revue d'ensemble sera nécessaire.
Non, monsieur le rapporteur général, nous n'avons pas rencontré d'obstacles au cours de ce travail. Vous avez évoqué le problème d'ensemble ; la période actuelle est en effet difficile et il faut changer la culture de la dépense publique. Nous avons dépensé à l'excès, et nous le payons. À cet égard, le cas de ces crédits exceptionnels est intéressant.
M. Grégory Blanc. - Vous dénoncez dans ce rapport un éparpillement des crédits, sans stratégie claire, et soulignez que les objectifs visés ne sont pas suffisamment interministériels. Quant au manque de transformations structurelles, il se traduit par un défaut de consolidation et de développement des filières culturelles.
Une attention particulière a été portée aux mutations économiques ; qu'en est-il des mutations environnementales ? Quid de la culture dans un contexte de réchauffement climatique qui pourrait s'élever jusqu'à + 4 degrés ?
Vous indiquez que les territoires bénéficient assez peu des crédits mobilisés et préconisez une meilleure association entre les réseaux déconcentrés du ministère de la culture. Ne faudrait-il pas également mieux associer aux projets les préfets de région et les chambres régionales consulaires, tout en conservant le rôle décisionnaire du ministère de la culture ?
M. Olivier Paccaud. - Ces crédits exceptionnels ont bénéficié aux « diadèmes » que sont Versailles, Villers-Cotterêts et le Grand Palais, notamment ; vous avez aussi évoqué le plan « Cathédrales ». Le patrimoine est un élément clef de l'attractivité de notre pays. Or nombre d'églises et de chapelles classées et inscrites ont été totalement oubliées. Ce sont pourtant des joyaux...
M. Michel Canévet. - Le maintien de la redevance audiovisuelle, même durant une seule année, n'aurait-il pas permis de financer ces 3 milliards d'euros ? Le groupe de l'Union Centriste avait proposé son maintien lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023.
On assiste à un démembrement de l'action du ministère de la culture. Ne faudrait-t-il pas rattacher tous les crédits épars relevant de l'action culturelle à son budget ?
La moitié de ces projets culturels sont concentrés dans la région Île-de-France. Quelle est votre analyse sur ce point ?
Mme Marie-Claire Carrère-Gée. - La situation s'est-elle dégradée depuis le dernier rapport établi par la Cour sur la question des investissements d'avenir ? Il faudrait réfléchir à la pertinence de ce mode de gestion, qui fait peu de cas du contrôle parlementaire.
M. Laurent Somon. - Ce rapport est décapant ! La discussion est tronquée entre le Gouvernement et les parlementaires sur la politique culturelle, laquelle fait intervenir des organismes intermédiaires échappant à notre contrôle et à notre évaluation. Les agences se substituent de plus en plus aux ministères, ce qui est inefficace et coûteux. Ne trouvez-vous pas cette pratique contreproductive, voire corporatiste ? Est-il nécessaire de multiplier les missions de contrôle ? Faut-il réarmer le ministère de la culture en prévoyant des orientations stratégiques plus claires et mieux ciblées ?
M. Claude Raynal, président. - Ce rapport, dérangeant par certains aspects, met les choses à plat. Avec France 2030, l'objectif était de mener une action rapide, efficace et significative en dehors des structures existantes, et ce dans tous les domaines - par exemple le secteur spatial -, dès lors qu'il s'agissait d'investissements à risque.
En matière culturelle, la notion de risque est pourtant encore plus confuse, car si l'on sait où démarre l'industrie créative, on ne sait jamais trop où elle s'arrête. La France a une tradition culturelle et bénéficie d'une reconnaissance internationale en la matière, de sorte que l'innovation culturelle ne dérange personne.
Le plan France 2030, tel que l'a présenté le Président de la République, fait le pari d'aller plus vite, d'explorer des terrains nouveaux pour la puissance publique et de favoriser l'ouverture. Je ne suis pas étonné qu'il donne lieu à un taux d'échecs plus important que ne le ferait un système structuré inscrit dans un champ connu, repéré et budgété. L'enjeu est donc de trouver un équilibre entre la volonté d'innover et la nécessité de contrôler, car une formule innovante ne peut justifier la suppression de tout contrôle. En l'occurrence, la Cour des comptes a exercé son contrôle à notre demande.
Par conséquent, il me semble que l'innovation est encore plus complexe dans les industries culturelles que dans d'autres secteurs, où son champ est plus cadré et plus visible, grâce à des perspectives clairement affichées. Même si je comprends bien les propositions qui tendent à favoriser une expertise du ministère de la culture en prévoyant pour cela un renforcement de ses moyens, il me semble qu'elles sont antinomiques avec l'objet même du plan France 2030, tel qu'il nous a été présenté.
M. Pierre Moscovici. - Monsieur le sénateur Blanc, le secteur culturel ne sera pas plus épargné que les autres dans un monde où les températures seront supérieures de 4 degrés. Le rapport public annuel que la Cour des comptes vient de publier sur les politiques d'adaptation au changement climatique montre éloquemment que la vie ne sera pas la même dans un tel monde. Certes, le sujet culturel n'est pas traité dans ledit rapport, et il l'est d'ailleurs peu en général. Dans le cadre du PIA, des autorisations de programmes « Alternatives vertes » ont été prévues et dotées de 35 millions d'euros, dont seuls 9,3 millions ont été engagés. Des réflexions sont en cours au sein du ministère. Le secteur doit s'approprier le sujet en dehors du PIA.
Concernant la mobilisation de l'échelon territorial, rien n'est prévu dans le cadre du plan de relance. Le Centre national du cinéma (CNC) a lancé le projet de « La Grande fabrique de l'image », mais c'est à peu près tout. En réalité, il faudrait mobiliser et davantage mettre en réseau tous les acteurs, que ce soit l'État, les collectivités locales ou les chambres consulaires.
Pour ce qui est du patrimoine, j'ai apprécié la métaphore sur les joyaux et les diadèmes, mais ce n'est pas là l'objet du rapport. Je ne conteste pas la nécessité de protéger le patrimoine et je comprends parfaitement l'attachement que l'on peut avoir pour Villers-Cotterêts, Versailles, le Grand Palais, Notre-Dame de Paris ou telle ou telle église. Mais la question pour nous était de savoir si cela relevait du PIA. Or, pour être clair, net et précis, la réponse est non.
Par ailleurs, il faut que nous soyons capables de financer le patrimoine, de manière intelligente et équilibrée. Le programme « Patrimoines » a fait l'objet d'une annulation de crédits de près de 100 millions d'euros, le 21 février 2024. Par conséquent, d'un côté l'on réduit les crédits budgétaires de droit commun, et de l'autre, le PIA et France 2030 sont préservés, de sorte que, face aux besoins de financement du patrimoine culturel - tout type de joyaux et de diadèmes -, la tentation sera forte d'aller puiser sans arrêt dans des crédits exceptionnels et non dans ceux du ministère, qui auront été réduits. Il y a là un signal d'alerte de portée générale.
Sur la répartition géographique des crédits, nous disposons d'assez peu d'éléments, mais nous constatons une certaine concentration des crédits en Ile-de-France, ce qui pose des problèmes comparables à ceux qu'évoquait le sénateur Blanc.
Vous m'avez également posé des questions d'ordre plus général, mais je ne peux ni ne souhaite porter de jugement général sur les PIA ou sur les pratiques de l'État à partir de l'exemple du secteur culturel. Celui-ci est à la fois assez particulier et assez typique.
En effet, la culture a un statut particulier : si elle ne bénéficie pas d'un grand ministère, elle a depuis toujours dans notre pays retenu l'attention des princes. Elle appelle donc un regard particulier, de sorte que même si les enjeux sont financièrement assez modestes, le pilotage tend à s'écarter un peu de la norme. C'est un fait historique, même si la tendance a été poussée à l'extrême dans certaines circonstances.
Mais il s'agit aussi d'un secteur assez typique. En effet, le PIA a été créé après la crise financière, sous la présidence Sarkozy. Il s'agissait donc initialement de réagir de manière agile à la crise. Puis, le système a grossi et l'on s'est petit à petit écarté d'une gestion ordinaire. M. Canévet a prononcé le mot de « démembrement » pour caractériser le ministère de la culture, terme que la Cour des comptes aurait pu employer en d'autres temps. En effet, il y a une forme de démembrement dès lors que les procédures normales sont contournées, que le ministère reste uniquement dans un rôle consultatif et que le Parlement est mis à l'écart. Par conséquent, le PIA a beaucoup grossi et la question est de savoir si la créature est encore sous le contrôle du créateur. En réalité, la situation est plus nuancée. C'est du moins ce qui ressort du rapport récemment publié par le comité d'évaluation du PIA auquel la Cour des comptes se réfère à plusieurs reprises.
De manière générale, comme l'a souligné le sénateur Hugonet, il faut toujours regarder comment se déroule la gestion ministérielle, mais il faut aussi tirer profit de la connaissance des acteurs et respecter un certain nombre de circuits, quand bien même on les trouverait parfois trop lents.
M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions pour cette présentation.
La commission a adopté les recommandations des rapporteurs spéciaux Jean Raymond Hugonet, Vincent Éblé et Didier Rambaud et autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes, ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information des rapporteurs spéciaux.
II. AUDITION DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL POUR L'INVESTISSEMENT ET DES REPRÉSENTANTS DU MINISTÈRE DE LA CULTURE
Réunie le mercredi 20 mars 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'audition de M. Bruno BONNELL, secrétaire général pour l'investissement, Mme Florence PHILBERT, directrice générale des médias et des industries culturelles, et Mme Sophie ZELLER, cheffe de service, adjointe au directeur général de la création artistique, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives : des moyens considérables, une logique de guichet, un contrôle insatisfaisant 2017-2023.
M. Claude Raynal, président. - Le Premier président de la Cour des comptes vient de nous présenter les principales conclusions de l'enquête réalisée à la demande de notre commission, en application du deuxième alinéa de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur les crédits exceptionnels à la culture et aux industries créatives. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la Cour est assez sévère.
Il est donc particulièrement intéressant d'entendre dans un second temps ce qu'auront à dire nos invités pour cette table ronde, à savoir M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement, que nous avons reçu il y a peu de temps, Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles, ainsi que Mme Sophie Zeller, adjointe au directeur général de la création artistique.
Les rapporteurs spéciaux vont s'exprimer brièvement dans un premier temps. Je donnerai ensuite la parole aux intervenants, puis à nos collègues pour un temps d'échange.
Je rappelle enfin que cette audition est retransmise sur le site internet du Sénat.
M. Vincent Éblé, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Comme le président Raynal vient de le rappeler, nous avons demandé à la Cour des comptes, au titre du deuxième alinéa de l'article 58 de la Lolf, la réalisation d'une enquête relative aux crédits dits exceptionnels. En effet, la Cour a montré dans son enquête le caractère exceptionnel non pas tant de ces crédits que de leur exécution. Les programmes d'investissements d'avenir (PIA) sont généralement présentés comme des outils souples et agiles, ce qui justifie leur gestion dérogatoire, notamment le faible contrôle que le Parlement exerce sur ces financements.
Mais, nous l'avons déjà dit devant cette commission, il existe plusieurs cas où les moyens mobilisés dans le cadre des PIA ou du programme France 2030 ont pu davantage combler des besoins de financement sur des projets déjà identifiés que favoriser des dispositifs réellement innovants. L'exemple typique à cet égard est celui du financement des travaux de Villers-Cotterêts et du Grand Palais par des crédits du PIA 3. Pourquoi avoir fait le choix de rattacher ces montants au PIA et non pas tout simplement à la mission « Culture » ?
Je voudrais m'attarder sur un autre aspect. Dans le cadre du plan de relance, alors même que le ministère a pu avoir connaissance de crédits alloués à des acteurs ne remplissant pas les conditions d'attribution, il n'existe pas de mécanisme de récupération des indus. La Cour relève deux cas seulement où le Centre national du livre (CNL) et le Centre national du cinéma (CNC) ont émis des titres de recouvrement auprès de bénéficiaires d'aides du plan de relance.
La Cour indique que « le faible empressement tant du ministère que des opérateurs à recouvrer les crédits non consommés du Plan de relance ou dont l'usage ne remplit pas les conditions initialement fixées est une source d'étonnement ». Nous partageons cet étonnement, je dois bien l'avouer.
Ma question s'adresse donc aux représentants du ministère de la culture : pouvez-vous nous préciser si le ministère dispose d'une évaluation des sommes qui auraient dû être restituées ? Pourquoi ne pas avoir davantage cherché à les récupérer ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». - Le Premier président de la Cour des comptes vient de nous dresser un tableau assez sombre de la gestion des PIA, du plan de relance et de France 2030. Vous avez eu cette enquête et vos services ont vraisemblablement participé à sa phase contradictoire. Je ne vais donc pas m'appesantir.
Je voudrais revenir sur une expression utilisée régulièrement par la Cour et qui me semble au coeur de la réflexion que nous devons avoir, celle de « pilotage par la dépense ».
Je vais ainsi donner l'exemple de deux appels à projets gérés respectivement par la Caisse des dépôts et consignations et par Bpifrance. La Cour souligne que les investissements n'ont parfois qu'un lien distant, pour ne pas dire inexistant dans certains cas, avec le secteur culturel.
Sur le premier appel à projets, plus d'un tiers des entreprises ayant bénéficié de financements ont d'ores et déjà fait faillite, moins de cinq ans plus tard. Sur le second, parmi les prises de participation, l'une concernait une entreprise dans le Delaware et une autre a perdu depuis lors la quasi-totalité de sa valeur. En outre, Bpifrance a également investi dans un fonds spécialisé, entre autres choses, dans les aliments pour chiens et chats, le foie gras de synthèse et la fabrication robotisée de pizzas. Nous sommes loin du monde de la culture...
Comment des opérateurs pourtant expérimentés peuvent-ils afficher un bilan aussi catastrophique ? C'est tout simplement parce que les financements alloués l'ont été sans analyse préalable des besoins. L'enjeu pour les opérateurs est de pouvoir afficher des investissements importants, dont le déblocage s'inscrit bien souvent dans le cadre de grandes annonces présidentielles. Peu importe si l'intendance ne suit pas, c'est-à-dire si le besoin n'existe pas...
Prenons l'exemple de « La Grande fabrique de l'image », qui finance la création de grands studios de cinéma. La Cour des comptes indique au sujet de ce dispositif, doté d'un budget de 350 millions d'euros dans le cadre du plan France 2030, que « le cinéma, l'audiovisuel, l'image animée ou le numérique sont clairement privilégiés » par rapport aux autres industries culturelles. Pourriez-vous nous le confirmer ? Comment rééquilibrer les efforts demandés entre les différentes filières culturelles ? Sur la base de quels critères les financements accordés à la filière cinématographique, qui ne manque pourtant pas de subsides publics, c'est le moins que l'on puisse dire, ont-ils été fixés ?
La Cour nous indique également que la conception de l'appel à projets « La Grande fabrique de l'image » reposait notamment sur une analyse des besoins confiée par le Centre national du cinéma et de l'image animée au cabinet McKinsey. Pensez-vous aujourd'hui que le dimensionnement du projet est pertinent au regard du nombre de tournages réalisés en France ?
Étant intéressé par la plupart des dispositifs cités par la Cour des comptes en ma qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », je pourrais continuer longtemps, mais je préfère céder la parole et laisser la discussion suivre son cours.
M. Didier Rambaud, rapporteur spécial de la mission « Culture ». - Une chose est sûre : certains des constats que dresse la Cour des comptes doivent nous permettre d'améliorer le pilotage des programmes 'd'investissements d'avenir.
Cela étant, je note que la Cour met en avant les « effets positifs indéniables » qu'ont pu avoir certains dispositifs mis en oeuvre dans le cadre du plan de relance. Les financements accordés aux filières culturelles, pour la plupart en grande difficulté du fait de la crise sanitaire, ont permis à de nombreux acteurs de survivre. Concernant le spectacle vivant, Vincent Éblé et moi-même avons entendu les professionnels de nombreux théâtres et opéras tout au long des travaux que nous avons menés : nos auditions ont permis de mettre en lumière la nécessité de ces crédits pour soutenir ces projets.
Je tiens à revenir sur la question de la sous-consommation persistante de crédits alloués à un certain nombre de dispositifs des PIA 1 et 3. En réalité, les crédits réellement consommés représentent moins d'un quart des crédits issus du PIA 1, activés depuis 2017. Ces données tendent donc à relativiser le chiffre de 3 milliards d'euros de crédits exceptionnels. Pourriez-vous toutefois, monsieur Bonnell, nous donner les raisons de cette sous-consommation ?
Au-delà des principaux motifs pour lesquels la majorité des crédits sont accordés dans le cadre du plan de relance - urgence, attribution de subventions, etc. -, il faut noter la création du programme « Mondes nouveaux », doté de 30 millions d'euros, et destiné aux jeunes créateurs. Si la Cour des comptes souligne l'intérêt de ce programme de commandes artistiques, elle indique aussi que l'opération « a souffert d'un défaut de visibilité et de médiation », notamment parce qu'elle a été menée sans l'expertise des réseaux traditionnels de soutien à la création culturelle que sont les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et les fonds régionaux d'art contemporain (Frac).
Madame Zeller, quel bilan dressez-vous du dispositif « Mondes nouveaux » et que répondez-vous aux critiques de la Cour ? Qu'en est-il du deuxième volet du programme, qui devrait débuter prochainement ?
M. Michel Canévet. - Je vous poserai deux questions, monsieur le secrétaire général pour 'l'investissement.
Dans son rapport, la Cour des comptes indique que « le plan "France 2030" se caractérise par une grande lourdeur des processus décisionnels et par un éparpillement de l'information, qui rendent complexe un suivi rigoureux. » Ce constat s'applique-t-il exclusivement aux industries culturelles et créatives ou cela vaut-il également pour l'ensemble des politiques pilotées par le secrétariat général pour 'l'investissement ?
Ma seconde question porte sur la recommandation n° 6 de la Cour, qui considère qu'il convient de « prévoir une procédure explicite de restitution ou de réallocation des crédits exceptionnels non utilisés ». Qu'en est-il dans les faits, puisqu'il semblerait, selon nos rapporteurs spéciaux, qu'il existe une sous-consommation notable des crédits ? Des dispositions particulières ont-elles été prises pour récupérer et réaffecter ces crédits à d'autres programmes, ou sont-ils tout bonnement supprimés ?
M. Marc Laménie. - Permettez-moi tout d'abord de saluer le travail de la Cour et de nos trois rapporteurs spéciaux.
Les dispositifs dont il est question aujourd'hui sont extrêmement complexes, 'au point que l'on a parfois du mal à s'y retrouver.
Rappelons-nous que les différents plans de relance ont été engagés à compter de 2020 ; à cet égard, il faut reconnaître que la vie culturelle et associative, au sens large, a été durement frappée par la crise.
La semaine dernière, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à soutenir l'engagement bénévole - une large part des bénévoles travaillent dans le secteur culturel - et à simplifier la vie associative. Alors que, pour tenter d'obtenir quelques subsides ou subventions, les petites associations ont bien du mal à constituer leurs dossiers de financement, on observe, en comparaison, que plusieurs millions, voire plusieurs milliards d'euros sont injectés dans les secteurs de la culture et des industries créatives.
Ce tableau s'obscurcit davantage encore quand on s'aperçoit qu'il existe une sous-consommation des crédits des PIA. Il est en outre très difficile de s'y retrouver dans le maquis des divers opérateurs et interlocuteurs : Caisse des dépôts et consignations, Bpifrance, n'en jetons plus !
Voici mes questions : quelle place occupent les Drac, ces représentants du ministère de la culture dans les territoires, au service des élus, des habitants et des associations, dans le panorama général ? Que faire pour améliorer la lisibilité et simplifier les financements consacrés au secteur culturel ?
Mme Christine Lavarde. - Nous venons d'entendre une analyse que je qualifierais de très à charge de la Cour des comptes sur la gestion de la politique culturelle décentralisée.
Qui est le vrai pilote des programmes d'investissements d'avenir sur le volet culturel ? Est-ce le ministère de la culture ou le SGPI ? Il serait intéressant d'avoir une réponse à cette question, car la Cour s'est montrée très critique et a mis en exergue un défaut de gouvernance stratégique.
J'attire votre attention sur un exemple précis, celui des 150 millions d'euros consacrés à l'appel à projets « Culture immersive et métavers » dans le cadre du plan France 2030.
Estimez-vous qu'il existe un véritable lien entre les industries culturelles et le métavers ? Pour avoir étudié quelque peu la question, il me semble pourtant que le métavers relève davantage de la sphère numérique.
Alors que le Gouvernement doit être attentif au moindre euro dépensé, considérez-vous que le métavers soit un poste de dépenses prioritaire pour l'État, d'autant plus que le secteur privé a déjà beaucoup investi dans ce domaine ?
Estimez-vous qu'un budget de 150 millions d'euros soit proportionné aux capacités du marché ? Autrement dit, existe-t-il un nombre suffisant de start-up en mesure de se porter candidates à cet appel à projets ?
Enfin, quels sont les objectifs que la sphère publique cherche à atteindre au travers de cet appel à projets ?
M. Thierry Cozic. - Comme vient de l'indiquer notre collègue, la Cour des comptes dresse un bilan sans appel de la stratégie conduite par l'État au travers des crédits exceptionnels alloués à la culture et aux industries créatives.
Cela fait plusieurs années que la Cour des comptes nous alerte à ce sujet. Est-il prévu de puiser dans les recommandations du rapport pour avancer et repenser les aspects budgétaires de notre politique culturelle ?
M. Bruno Bonnell, secrétaire général pour l'investissement. - Monsieur le président, messieurs les rapporteurs spéciaux, mesdames, messieurs les sénateurs, je précise, à titre liminaire, que j'aurais préféré que la première chambre de la Cour des comptes soit associée à ce rapport réalisé par la troisième chambre, compte tenu de l'aspect interministériel du plan France 2030.
Pour rappel, je n'exerce la fonction de secrétaire général pour 'l'investissement que depuis deux ans et demi. Par conséquent, je peux vous donner quelques indications sur les crédits consommés au titre des PIA 1 et 3, mais je ne pourrai en aucun cas entrer dans le détail. Si vous l'acceptez, certaines de mes réponses pourront vous être transmises ultérieurement par écrit.
Ma première remarque concerne l'intitulé même du rapport de la Cour : les crédits qui font l'objet de cette étude ne sont en rien « exceptionnels ». Il s'agit de crédits d'investissement, qui ont été votés par le Parlement dans le cadre du plan France 2030 et, plus particulièrement, dans le cadre d'un volet consacré aux industries culturelles et créatives.
Ma deuxième remarque concerne le plan de relance : je n'étais pas chargé du pilotage de ce plan, qui était, à ma connaissance, géré à l'époque directement par Bercy.
N'ayons pas la mémoire courte : il semblerait qu'un voile trop pudique ait recouvert le problème posé par l'état catastrophique du secteur de la culture durant la crise de la covid-19. Souvenons-nous qu'à ce moment-là certains professionnels du spectacle n'avaient plus les moyens de se nourrir et d'exercer leur métier. Il y avait urgence !
Je reconnais bien volontiers que, dans cette période, il est possible que l'on ait commis des bêtises et que vous constatiez tout un tas de manquements - ayant moi-même été chef d'entreprise durant quarante ans, je sais mieux que quiconque que chacun, en situation d'urgence, peut faire des erreurs. Ce qui compte, selon moi, c'est le bénéfice que le secteur culturel a tiré de ces investissements. Ne devait-on rien faire au motif que tout euro dépensé devait faire l'objet d'un contrôle sourcilleux ? Je ne le pense pas ; à cette époque, nous avons aidé des centaines de milliers de personnes dans le besoin.
Fermons la parenthèse et revenons-en à France 2030. Je partage l'analyse que Mme Lavarde et M. Cozic ont faite du rapport de la Cour : c'est un rapport à charge. J'ajoute - c'est ma troisième remarque préalable - qu'il est de surcroît inexact.
Ainsi, je déplore que le travail colossal que nous avons réalisé, avec soin - je le précise -, soit jugé imprécis et vague, et qu'il soulève des questions. Je peux pourtant vous certifier que, depuis le premier jour, je travaille main dans la main avec le ministère de la culture sur ces questions. Ce dernier a été associé à toutes les initiatives qui ont été prises. Il préside d'ailleurs le comité de pilotage opérationnel qui alloue les budgets dans le secteur de la culture. Aussi, il est pour le moins erroné d'affirmer que le ministère n'est pas impliqué dans les décisions d'investir dans tel ou tel secteur de la culture et des industries créatives.
Vous me demandez ce que les industries culturelles et créatives (ICC) viennent faire au sein d'un programme d'investissements d'avenir. Je conçois parfaitement que vous vous posiez cette question : doit-on allouer des moyens technologiques innovants aux professionnels du secteur de la culture pour développer l'expression artistique ? Pour ma part, je considère que l'artiste précède l'innovateur, qu'il voit plus loin. Il est donc tout à fait normal que l'on soutienne les artistes en investissant dans le numérique, le métavers et l'intelligence artificielle : ces technologies ou secteurs innovants permettront de faire émerger de nouvelles formes d'expression culturelle fondamentales, qui contribueront demain au rayonnement de notre pays.
Dans cette logique, il importe de créer et, donc, de financer des infrastructures. Quand je parle d'infrastructures, je ne vise évidemment pas les routes et les bâtiments, qui n'apportent rien en termes d'innovation, mais plutôt, pour citer cet exemple, les studios de cinéma que nous finançons à Martigues grâce à « La Grande fabrique de l'image ». Ces studios très modernes contribuent à financer à moindre coût des séries et des films français. Nous cherchons ainsi à éviter que notre industrie ne soit frappée par la même crise que celle dont le cinéma italien et Cinecittà ont souffert autrefois.
Nous accordons des moyens importants aux professionnels du cinéma - je l'admets - en vue de créer un véritable effet de levier : sachez que, aujourd'hui, s'ajoutent aux 125 millions d'euros du dispositif « La Grande fabrique de 'l'image » plus de 1,1 milliard d'euros de financements privés. Pour 1 euro d'argent public investi, 8 euros d'argent privé sont dépensés : il me semble qu'il est sain pour l'État de poursuivre dans cette voie. Ainsi, nous « dérisquons » les investissements, nous encourageons l'innovation, au profit des territoires.
J'en profite pour souligner que plus de 50 % des crédits du plan France 2030 sont investis, à date, hors Île-de-France, alors que la région francilienne concentre plus de la moitié des sociétés travaillant dans les industries culturelles et créatives.
Si je vous semble sur la défensive, c'est parce que je ne voudrais pas que vous croyiez que nous sommes responsables d'une gabegie d'argent public. Contrairement à ce qu'affirme la Cour, notre stratégie est publique : vous en trouverez le détail sur les différents sites gouvernementaux.
Un document, dit « jaune budgétaire », que vous connaissez tous, est communiqué au Parlement. La page 70 est consacrée dans le détail à la culture. Il existe donc bel et bien un reporting. Un reporting permanent est en outre effectué auprès du Comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA), notamment composé de huit parlementaires : quatre sénateurs et quatre députés. Si je suis prêt à reconnaître des erreurs ou des ratés, je ne peux laisser dire qu'aucun suivi précis n'est assuré et que tout cela n'est pas sous contrôle.
Est-ce le bon moment pour investir dans le métavers ? Je rappelle que l'intelligence artificielle générative est apparue il y a un an et demi. Or nous voyons bien quelle révolution cette technologie représente, tant dans l'écriture que dans la musique, l'image animée et la création d'images fixes. Je ne pilote pas le progrès, mais un décrochage par rapport à ces technologies nous exposerait à des risques.
Ce sont non pas 150 millions d'euros qui ont été mobilisés sur le métavers, mais une première tranche de 50 millions d'euros. L'enjeu est de voir si nous disposons de la ressource nécessaire sur le territoire pour poursuivre l'investissement. À défaut, nous réallouerons les budgets comme la Cour des comptes le recommande et comme nous l'avons déjà fait par le passé, en retravaillant avec le ministère de la culture.
L'intelligence artificielle ne figure pas dans notre plan sur les ICC, car il s'agit d'une nouveauté, mais nous devrons en parler.
Le plan France 2030 a commencé sous mon autorité en octobre 2021. Fixer un délai de dix-huit mois pour les projets que nous finançons me paraissait légitime pour assurer un bon suivi des dossiers, en accord avec nos opérateurs. Cette mission de suivi a deux objectifs : veiller à ce que les engagements pris par les bénéficiaires du plan - en matière de financements complémentaires et d'avancement des projets - soient tenus et voir si la dynamique est restée la même ou si les projets ont évolué conformément au plan. Pour rappel, le plan France 2030 est tourné vers la décarbonation du quotidien et le respect de nos valeurs sociétales.
Pour répondre à la question sur les entreprises sociales et solidaires, nous aidons de très nombreuses associations, y compris en matière d'ingénierie, par l'intermédiaire du plan France 2030 régionalisé auquel elles ont droit, placé sous l'autorité des territoires, préfectures et présidences de région. En revanche, nous ne proposons pas de crédits de fonctionnement. Les associations ne peuvent donc pas se tourner vers nous pour financer un recrutement. En revanche, une association souhaitant monter un projet de spectacle vivant innovant peut candidater à l'un de nos appels à projets.
Ce suivi s'effectue dans un dialogue permanent avec nos opérateurs. Nous pouvons aller jusqu'à décider de l'arrêt du soutien financier au bénéficiaire. Cette décision a été prise dans d'autres domaines que la culture, mais il n'y a aucune raison pour que les ICC ne soient pas traitées comme les autres.
La Corée du Sud intègre les ICC comme un élément fondamental de son rayonnement international pour vendre d'autres technologies. Penser un plan qui se limiterait à la technologie et à la technicité sans intégrer la dimension culturelle unique de notre pays serait une erreur grave. Nous devons exprimer notre différence et notre éthique. Associer les ICC à nos réflexions sur le numérique, sur la réindustrialisation et sur nos processus, est indispensable.
Le rapport de la Cour des comptes soulève également la question des délais. Or nous les avons réduits à six à huit mois. Lorsque l'on donne de l'argent public en visant une expertise garantie par des jurés indépendants, une telle durée n'est pas ridicule. Elle est plutôt sage. C'est un équilibre, que l'on retrouve ailleurs dans France 2030. Le délai était double avant mon arrivée.
Une autre remarque du rapport porte sur les continuums de financement. La totalité de l'arsenal d'interventions dont nous disposons dans le cadre de France 2030 - subventions, avances remboursables, fonds propres, prêts - doit être mobilisée intelligemment dans chaque dossier. Le bateau est donc clairement piloté. Le ministère, en liaison interministérielle avec nous, est chargé des stratégies ; nous sommes chargés de l'exécution, notamment financière.
La situation est donc sous contrôle. Je refuse de lire le contraire. Ce système fait partie de l'interministérialité. Il fonctionne sous l'autorité du Premier ministre, qui signe les engagements supérieurs à 15 millions d'euros, tout en étant piloté par un comité de pilotage ministériel opérationnel (CPMO) présidé par le ministère de la culture, mais incluant également le ministère de l'Europe et des affaires étrangères. En effet, les ICC oeuvrent au rayonnement de la France. Ce sont les industries qui présentent la plus forte croissante. Elles représentent autant dans le PIB français que l'industrie agroalimentaire. Il faut les regarder sous l'angle industriel, non sous le seul angle uniquement « culture ».
Le plan France 2030 a été voté par le Parlement pour une durée longue. Pour rappel, le rapport « Investir pour l'avenir » de MM. Alain Juppé et Michel Rocard, à l'origine des programmes d'investissements d'avenir, parlait de la « tyrannie du court terme ». Nous avons réussi à nous en affranchir. Ne revenons pas à cette tyrannie, même pour des raisons parfaitement légitimes. Des réformes sont certes à mener et des précautions doivent être prises pour nos dépenses, mais je continuerai jusqu'au bout à défendre l'investissement d'avenir dans la culture française tel qu'il a été conçu dans le plan France 2030.
Concernant la musique, plusieurs dossiers sont en présentation, notamment dans le domaine immersif.
Enfin, je suis prêt à soutenir des projets d'innovation dans les secteurs du livre ou de la presse, mais aucun n'a été présenté depuis le lancement de France 2030.
Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles. - La stratégie déployée en faveur des industries culturelles et créatives se trouve au croisement entre la politique culturelle et la politique industrielle, entre financements publics et financements privés. Cette stratégie a été pensée en quatre étapes.
À partir des années 2016-2017, un constat a été dressé en lien avec la Commission européenne, dans le cadre de la préparation du programme Europe créative 2021-2027, qui soulignait une difficulté d'accès aux financements des acteurs culturels.
Rappelons au préalable qu'il n'est pas question ici d'industrie classique, mais d'économie de prototype. On ne fabrique pas des produits à la chaîne, on crée une oeuvre, un actif immatériel dont la gestion est plus complexe que celle d'une industrie classique. Cela se traduit par des bilans et des comptes de résultats difficilement lisibles pour les financeurs privés. Les réseaux bancaires et fonds d'investissement traditionnels sont moins accessibles aux industries culturelles qu'aux autres industries pour cette raison. La contribution des crédits bancaires au secteur culturel est moindre que pour l'ensemble de l'économie. On constate donc une faible structuration capitalistique des industries culturelles, en particulier une faiblesse de leurs fonds propres qui les empêche de se développer comme des entreprises classiques.
En 2017, la France a conçu une stratégie en faveur des industries culturelles avec le Secrétariat général pour l'investissement, la Caisse des dépôts et consignations, Bpifrance et l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic), dans une logique de continuum de financement. L'enjeu était de voir comment la puissance publique pouvait, en sus des subventions, faire levier sur des fonds propres privés et faire en sorte que ces entreprises obtiennent des prêts. C'est tout l'enjeu des PIA et de France 2030.
En mai 2019, plusieurs fonds ont été créés, notamment le fonds Tech & Touch de Bpifrance ou le fonds de prêts à l'innovation (Fpinnov) de l'Ifcic. D'autres fonds ont été créés par la Caisse des dépôts et consignations pour accompagner ces acteurs privés.
Les états généraux des industries culturelles et créatives ont été lancés ensuite en 2019 dans le but de structurer une politique de filière. L'enjeu était de construire un diagnostic partagé sur les besoins, pour dépasser les silos que sont le livre, la musique, le spectacle vivant, la presse, le patrimoine, etc., et dégager des enjeux prioritaires communs. Quelque 700 personnes ont été consultées individuellement, au cours d'ateliers collectifs, ou en consultation publique. Cette démarche a été lancée à Saint-Ouen en novembre 2019 par le ministre des affaires étrangères, le ministre de l'économie et des finances et le ministre de la culture, preuve de la dimension interministérielle du sujet et de la volonté de faire rayonner ces entreprises sur le plan international.
Plusieurs axes d'intervention ont été mis en évidence au cours de ces travaux, autour des besoins de structuration financière des entreprises, de leurs besoins de formation, de professionnalisation, d'accompagnement des stratégies écologiques et numériques, de leur développement à l'export et de leur développement dans les territoires.
Notre logique demeure inchangée : ne pas se substituer aux investisseurs privés, accompagner les entreprises les plus innovantes, essayer, dans une logique partenariale public-privé, d'accompagner les entreprises pour provoquer des effets de levier, et positionner l'État là où les risques sont les plus grands et où la rentabilité n'est pas encore établie. Cette politique est très risquée, mais c'est le rôle de la puissance publique que de prendre ces risques qui expliquent les taux de sinistralité bien supérieurs à ce que l'on pourrait trouver dans une banque privée, par exemple.
La réflexion s'est poursuivie par la construction d'un PIA 4, qui s'efforçait de retracer les grandes orientations issues des états généraux. Puis est survenue, en 2020, la crise sanitaire. Les bouleversements qui se sont opérés alors et les modifications des usages ont confirmé nos constats précédents. Le plan de relance comportait un chapitre relatif aux investissements d'avenir, doté de 400 millions d'euros pour les ICC.
La stratégie est claire. Les objectifs restent les mêmes : continuum de financement, effets levier, logique d'investisseurs avisés et travail d'investisseurs publics. Le ministère de la culture a besoin de ses partenaires investisseurs pour agir, car il n'est pas outillé pour ce faire.
Nous accompagnons les entreprises privées et parfois des opérateurs publics, dans des logiques d'investissement de moyen terme. Nous raisonnons sur la base de la pluriannualité budgétaire, pour des projets s'étalant sur deux à cinq ans. Mobiliser ainsi des crédits sur des programmes ad hoc n'est pas propre aux ICC. Cette démarche est interministérielle et répond à un besoin de différenciation entre une logique de long terme et d'investissement et la logique d'annualité budgétaire qui s'applique sur chaque politique publique.
Enfin, le plan France 2030 a été lancé en octobre 2021, marque d'une accélération du soutien aux ICC par la mobilisation de 600 millions d'euros de nouveaux crédits. Pour lancer ce nouveau bloc culturel dans France 2030, nous avons affiné nos besoins, dans un dialogue constant avec Bpifrance et la Caisse des dépôts et consignations ainsi qu'avec l'ensemble des secteurs professionnels et la Commission européenne, pour comparer nos pratiques avec celles des autres pays européens.
Le lancement du volet culturel du plan France 2030 s'appuyait sur une étude du CNC sur les capacités de production française en studio et en formation et sur le volet immersif. Notre réflexion a été complétée par le lancement d'un rapport sur le développement des métavers commandé par le Gouvernement, contenant une réflexion sur les applications des métavers dans le secteur culturel : musique, spectacle vivant, cinéma.
Les grandes lignes de notre stratégie en faveur des ICC ont toujours été claires et n'ont cessé de s'affiner. Au fil des réunions que nous avons avec les directions régionales des affaires culturelles et les autres administrations centrales du ministère, cette stratégie évolue et s'adapte aux transformations des acteurs internationaux du numérique, de l'intelligence artificielle, etc. Nous avons besoin de nous positionner pour faire rayonner nos industries culturelles dans un contexte de concurrence accrue.
Dans ce cadre, le rôle du ministère de la culture est de penser la stratégie, de rédiger des appels à projets, en lien avec les équipes de Bruno Bonnell, et d'organiser le dialogue et la concertation pour piloter cette stratégie. Toutefois, ce ne sont pas les cinq personnes de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) qui étudient ensuite les dossiers. Ce sont les banques publiques qui sont chargées d'en examiner la robustesse, le ministère de la culture n'étant pas outillé pour mener ce travail.
Nous avons reçu plus de 1 300 candidatures pour la stratégie ICC. Pas moins de 500 projets lauréats sont recensés à ce stade, dans les treize régions françaises et dans quatre territoires ultramarins. Quelque 50 % des lauréats sont situés hors Île-de-France, alors même que les industries culturelles ont tendance à s'y concentrer. Les taux de subvention moyens sont de 850 000 euros, et en croissance. Aucun saupoudrage ne s'opère, contrairement à la critique récurrente de la Cour des comptes. Par ces investissements interministériels, l'enjeu est bien de structurer la profession. Cela vient compléter les politiques subventionnelles. Il s'agit de deux logiques différentes qui s'entremêlent : la politique culturelle traditionnelle du ministère et la politique d'investissement dans des industries.
M. Claude Raynal, président. - Quelle est votre réaction face à la recommandation suivante de la Cour des comptes : « Accorder dès à présent un rôle central au ministère de la culture dans les processus décisionnels d'affectation des crédits de France 2030 » ?
Mme Florence Philbert. - Comme nous avons essayé de vous l'expliquer à deux voix, cette politique ne peut pas être centrée sur le ministère de la culture, elle est partenariale. La recommandation que vous citez me semble donc en décalage par rapport à nos pratiques actuelles.
Mme Sophie Zeller, cheffe de service adjointe au directeur général de la création artistique. - Le dispositif « Mondes nouveaux », doté de 30 millions d'euros, avait vocation à répondre à la situation difficile dans laquelle se trouvaient les artistes pendant la crise sanitaire. Le dispositif a été particulièrement adapté aux plasticiens, qui ne pouvaient - n'étant pas salariés - bénéficier des autres dispositifs mis en place, comme l'année blanche instaurée pour les intermittents du spectacle. Ce dispositif se distinguait des pratiques habituelles des commandes publiques par la très grande liberté laissée à l'artiste, à qui aucune oeuvre spécifique n'était commandée, et par le fait qu'il demeurait propriétaire de son oeuvre.
La Cour des comptes pointe dans son rapport le très grand élan créateur que cela a suscité : 3 200 projets ont été déposés et 264 projets soutenus, portés par 430 artistes. La rémunération versée aux artistes s'élève à un peu moins de 6 millions d'euros, somme à laquelle il faudra ajouter toutes les retombées futures en matière de vente ou de présentation de ces oeuvres ou de droits d'auteur découlant de publications ou de réalisations.
Comme l'a relevé la Cour des comptes, le dispositif manque, il est vrai, de visibilité. Ces 264 projets n'ayant pas été réalisés en même temps, tous n'ont pas été livrés au même moment. Si la presse quotidienne régionale a beaucoup relayé l'installation des oeuvres, que nous avions pensée en lien avec le Centre des monuments nationaux et le Conservatoire du littoral pour qu'elles soient vues par un large public, la répartition « pointilliste » des projets sur l'ensemble du territoire a complexifié les opérations de communication associées. En avril 2023, une présentation de l'ensemble des projets a été organisée à l'École nationale des Beaux-Arts pour tenter de redonner de la visibilité à ce programme.
Nous établissons le bilan du dispositif. Nous avons l'intention de lancer un nouvel appel à projets, mais cela ne se fera pas avant la fin de l'année 2024. Nous voulons aussi nouer un lien plus étroit entre les fonds régionaux d'art contemporain et l'ensemble de l'écosystème existant sur le territoire. N'étant plus dans une phase d'urgence, nous avons plus de temps pour nouer des partenariats plus horizontaux avec les structures culturelles des territoires. C'est ce que nous nous attachons à faire en vue de ce prochain appel à projets.
M. Claude Raynal, président. - Plusieurs sujets n'ont pas été traités, notamment la politique patrimoniale'. Nous souhaiterions malgré tout obtenir une réponse écrite sur ces points.
M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. - Quelles sont les raisons de la sous-consommation de certains crédits ?
M. Bruno Bonnell. - Ces raisons sont multiples. Comme je l'ai indiqué, ces appels à projets sont un appel au peuple. L'enjeu est de voir s'il y a de l'appétence pour le domaine ciblé et si des projets susceptibles de répondre à nos critères d'excellence seront présentés. Par ailleurs, les projets étant pluriannuels, une partie de cette sous-consommation tient peut-être à un décalage dans le temps. Je ferai une réponse écrite à ce sujet.
En outre, le rapport de la Cour des comptes ne souligne pas un élément fondamental de la stratégie relative aux ICC, qui repose sur une autre ligne de crédits, « Compétences et métiers d'avenir ». Il existe des formations aux ICC, notamment les campus des métiers et des qualifications (CMQ) de Versailles, sur les métiers traditionnels. Nous soutenons l'école des Gobelins pour renforcer son attractivité et son développement. Il est important de pouvoir mobiliser des crédits dans un cadre interministériel pour les protéger, conformément à l'esprit du rapport Rocard-Juppé, de la tyrannie du court terme.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial. - Nous avons montré à M. le ministre de l'économie et des finances, pendant toute la durée de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, combien la situation financière de notre pays était dégradée. Vous êtes assez critique à l'égard de la Cour des comptes...
M. Bruno Bonnell. - Je ne me le permettrais pas !
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial. - Les gouvernements n'écoutent pas la Cour des comptes, et ce depuis bien longtemps.
M. Bruno Bonnell. - Ce n'est pas vrai !
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur spécial. - Mais vous permettrez aux sénateurs membres de la commission des finances du Sénat d'avoir pour elle non seulement du respect, mais de l'écoute. Ce que vous essayez de défendre est assez difficile à faire entendre au vu de l'état des finances de la Nation. Par ailleurs, n'oublions pas que l'essentiel de la culture est financé par les territoires. Au' moment où l'État doit se concentrer sur ses pouvoirs régaliens et leur donner des moyens financiers, il est difficile de dire qu'il faut financer le métavers.
Le président de la commission l'a dit voilà quelques instants : nous comprenons la stratégie du risque. Le milieu artistique et culturel est risqué. Or, si les banquiers sont habituellement frileux, Bpifrance ne l'est visiblement pas. Ainsi, le taux de sinistralité de 35 % est nettement supérieur aux autres appels à projets lancés par les mêmes opérateurs et nous observons que la valorisation de la start-up spécialisée dans les podcasts dans laquelle Bpifrance a investi est passée de 1,6 million d'euros à 179 000 euros !
Vous dites qu'il y a un contrôle. En ce qui me concerne, je n'en vois pas. Il n'est pas exercé au niveau où il devrait l'être. La multiplication des comités compromet la bonne lecture de l'ensemble. Le CSIA ne se réunit plus depuis janvier 2024 et le Premier ministre n'a même pas encore nommé les personnalités qualifiées qui y siègent. Il y a assurément une volonté de bien faire, mais le résultat ne trompe personne.
Monsieur Bonnell, personne ne conteste qu'au moment du covid-19 le monde de la culture a été légitimement bien traité, car des signaux d'alerte ont été remontés rapidement. Mais nous sommes passés à autre chose. Comment expliquer l'investissement de Bpifrance dans un fonds spécialisé notamment dans le foie gras de synthèse ? C'est inexplicable ! Nous comprenons votre fougue, mais ce que note la Cour des comptes est inexplicable et inexcusable dans le contexte que connaît aujourd'hui notre pays. Enfin, vous avez dit que l'artiste allait plus loin que l'innovateur. Il faudrait peut-être plus d'artistes à Bercy...
M. Bruno Bonnell. - J'ai le plus grand respect pour la Cour des comptes. Je ne balaie pas son rapport d'un revers de la main. En revanche, s'il contient des éléments inexacts, je les corrige. En tant que directeur d'administration centrale, je suis tenu par ailleurs à un devoir de réserve qui m'empêche de répondre sur un terrain plus politique que mon cadre de travail.
C'est précisément parce que nous sommes dans le contexte que nous savons qu'il faut faire des investissements d'avenir. Les investissements d'avenir ont perduré depuis le lancement des PIA, car la Nation française a eu conscience de l'importance qu'il y avait à aller plus loin et à se projeter.
M. Claude Raynal, président. - L'avenir des investissements d'avenir n'est pas en question.
M. Bruno Bonnell. - Pour autant, est-ce le moment de freiner leur déploiement ?
M. Claude Raynal, président. - Je ne le crois pas.
M. Bruno Bonnell. - J'ai essayé de vous apporter des réponses sur la question du contrôle. Nous allons nous améliorer. Cependant, la situation n'est pas aussi catastrophique que celle qui est décrite dans cette enquête.
M. Claude Raynal, président. - Cette audition avait précisément pour objet de vous permettre de répondre à ce rapport.
ANNEXE
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES
À
LA COMMISSION DES FINANCES
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* 1 Compte tenu de la décision postérieure au lancement de France 2030 de créer un fonds de dotation consacré aux innovations de rupture, abondé en partie par les crédits initialement destinés aux industries culturelles à hauteur de 100 millions d'euros.
* 2 Loi n° 2020-935 du 30 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.
* 3 Itinéraire d'un art gâté : le financement public du cinéma, Roger KAROUTCHI, rapport n° 610 au nom de la commission des finances, mai 2023.
* 4 L'inventaire des prises de participation du fonds de fonds dressé par la Cour est à cet égard éloquent : ameublement, vins, jouets, confection « durable » de vêtements, foie gras de synthèse, alimentation premium pour chats et chiens, fabrication robotisée de pizzas, produits cosmétiques, service de réparation électroménager à domicile...