COMPTE-RENDU DE
L'AUDITION
DE MME SONIA BACKÈS, SECRÉTAIRE D'ÉTAT
AUPRÈS
DU MINISTRE DE L'INTÉRIEUR ET DES OUTRE-MER,
CHARGÉE DE LA CITOYENNETÉ
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MERCREDI 5 JUILLET 2023
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois -
M. François-Noël Buffet, président. - Madame la Ministre, nous nous situons dans le cadre d'une mission que la commission des lois a créée pour évaluer l'application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (CRPR). Les rapporteurs de ce texte étaient Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien. Dans le cadre de leurs prérogatives de contrôle, elles sont aujourd'hui chargées du travail d'évaluation pour les besoins duquel nous vous entendons aujourd'hui.
- Présidence de Catherine Di Folco, vice-président -
Mme Sonia Backès, secrétaire d'État chargée de la citoyenneté. - Mesdames les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, j'adresse mes remerciements sincères à la commission des lois pour me permettre de présenter ce point d'étape de la mise en oeuvre de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République et pour avoir maintenu cette réunion de commission malgré l'actualité chargée.
Au cours de ces vingt dernières années, nous avons été confrontés en France à des pratiques séparatistes de plus en plus affirmées. Ce travail de sape se déploie le plus souvent de façon insidieuse et dans toutes les sphères de la société : dans nos quartiers populaires, dans les services publics, dans le tissu associatif, dans les pratiques sportives et au sein même de l'école de la République.
Le principe de laïcité, qui est au coeur de notre pacte républicain, subit de plus en plus d'entorses, de contestations et d'attaques. Ce fait est aujourd'hui appuyé par des éléments tangibles.
Lutter contre le séparatisme revient à lutter contre un mouvement qui considère qu'au nom de convictions religieuses ou politiques, au nom d'une cause dont on considère qu'elle transcende toutes les autres, certaines règles deviennent supérieures à celles de la République et doivent prévaloir sur ces dernières. Le séparatisme correspond à la volonté de sortir, y compris par la violence, de la communauté de valeurs qui nous réunit autour de la liberté, de l'égalité, de la fraternité et de la laïcité.
Il faut avoir conscience de ce qui se joue aujourd'hui et le regarder en face. De tels comportements mettent profondément en danger le fonctionnement d'une démocratie et peuvent mener, à terme, à la désintégration de l'idée même de communauté nationale. Le Président de la République a évoqué récemment la lutte contre un processus de « décivilisation », et c'est bien de cela dont nous parlons.
Dans le même temps, des groupuscules se radicalisent de plus en plus et décident que la défense de leur cause justifie la violence, parfois extrême.
L'ex-mouvement « Les Soulèvements de la Terre » a été dissous en Conseil des ministres le 21 juin dernier. Notre position est qu'aucune cause, aussi légitime soit-elle, ne justifie une telle violence dans un pays démocratique comme la France, où la liberté d'expression est la règle.
Notre pays a subi ces derniers jours une vague de violence inacceptable. Nous n'avons pas encore le recul nécessaire pour comprendre et qualifier ces événements de la manière la plus juste. Mais ce travail d'analyse sera indispensable pour déterminer s'il s'agit d'une nouvelle forme de séparatisme et si les outils dont nous disposons sont adaptés ou doivent évoluer.
Ce rappel nous ramène très naturellement vers l'objet de nos échanges : pourquoi cette loi et quels en sont les premiers résultats ?
Lors de son discours aux Mureaux du 2 octobre 2020, le Président de la République a appelé à défendre avec force les valeurs de la République et à nous opposer au développement du repli communautaire et du séparatisme sous toutes ses formes. Une stratégie globale de lutte contre le séparatisme en a découlé, qui poursuivait trois objectifs : entraver toutes les initiatives contraires aux fondements de notre République, amplifier l'ensemble des actions permettant de donner corps à l'égalité des chances sur notre territoire et accompagner la structuration d'un islam de France face aux dérives des extrémistes de l'islamisme.
Jusqu'alors, dans le triangle séparatisme-radicalisation-terrorisme, nos forces étaient principalement concentrées sur le haut du spectre : la lutte contre le terrorisme et la radicalisation.
Avec la loi du 24 août 2021, l'État s'est donné les moyens de s'attaquer au bas du spectre et à la racine du problème : le séparatisme, lequel nourrit les individus radicalisés, qui eux-mêmes nourrissent le terrorisme, sans qu'évidemment tous les individus séparatistes ne deviennent des terroristes. Mais tous ceux qui arrivent en haut de la pyramide sont souvent issus du bas du spectre.
Au travers de la réglementation des cultes, de l'éducation, du sport et de la lutte contre la haine en ligne, cette loi nous a permis de changer d'échelle et de donner à l'administration des outils pour nous attaquer à tout ce qui peut donner de l'air au séparatisme : le financement des associations, l'instruction en famille et les écoles privées hors contrat.
Il s'agit néanmoins d'un point d'étape et non d'un bilan. En effet, nous manquons encore de recul sur un certain nombre d'éléments. Les outils mis en place par cette loi sont extrêmement puissants, mais tous n'ont pas encore été mis en oeuvre pour des raisons diverses.
Nous disposons désormais du résultat du contentieux sur le contrat d'engagement républicain (CER). Nous avons obtenu une décision favorable du Conseil d'État pour sa mise en place.
Toute une partie de la loi est déjà en train d'être mise en oeuvre. Les associations avaient jusqu'au 30 juin pour déclarer leur qualité cultuelle. Les déclarations de financements provenant de l'étranger sont en train de monter en puissance.
Le premier acquis de la loi CRPR réside dans l'évolution des mentalités. Nous assumons publiquement de combattre celles et ceux qui veulent s'en prendre à notre bien le plus sacré. Nous les combattons avec les armes du droit, avec détermination et sans naïveté.
À l'issue de cette première année, l'ensemble des textes d'application de la loi ont été publiés. Leur mise en oeuvre est encore inégale entre les territoires, même si la situation s'améliore. Ce ne sont pas forcément les territoires qui ont le plus de problématiques de séparatisme qui sont le plus en avance et ceux qui en ont le moins qui sont le plus en retard.
Dans la sphère éducative, la cible principale des réseaux est notre jeunesse. S'agissant de l'instruction en famille, grâce au passage d'un régime de déclaration à un régime d'autorisation, le nombre total d'enfants instruits en famille sur le plan national a baissé de 30 % par rapport à l'année scolaire précédente. Les instances départementales chargées de la prévention de l'évitement scolaire sont désormais toutes opérationnelles. C'est un élément important qui nous permet de ne plus avoir de trous dans la raquette. Nous sommes capables aujourd'hui, grâce au lien qui est fait dans chaque département entre les caisses d'allocations familiales, les communes et les rectorats, de connaître exactement tous les enfants concernés et de savoir s'ils ne sont pas scolarisés.
La possibilité pour un préfet de fermer administrativement un établissement privé hors contrat porte déjà ses fruits, puisque sur 47 établissements ciblés, cinq ont fermé. De plus, quatre écoles clandestines ont été fermées par arrêté préfectoral grâce à la loi CRPR.
Depuis l'adoption de la loi, onze dissolutions administratives ont été prononcées à l'encontre d'associations ou de groupements de faits adhérents à l'idéologie islamiste radicale ou à une idéologie extrémiste provoquant ou organisant des activités violentes, grâce à la refonte par cette loi des motifs permettant de prononcer une telle mesure de police administrative.
À travers la loi CRPR, nous avons également souhaité accroître la transparence de la vie associative, des cultes et de leur financement. Je citerai ici trois dispositions importantes :
- l'instauration du CER, préalable à toute subvention publique : nous manquons un peu de recul, puisque nous n'avons eu la décision du Conseil d'État qu'il y a quelques jours. Il était difficile d'être pleinement impliqué dans la mise en place de ce dispositif alors que nous étions dans l'attente d'une décision juridictionnelle qui aurait pu le remettre en cause ;
- les préfets disposent désormais d'un pouvoir de contrôle et de dissolution des fonds de dotation qui sont l'un des principaux vecteurs des mouvances islamistes. En 2022, quatre fonds de dotation ont fait l'objet d'une mesure de suspension et quatre procédures de dissolution sont également engagées. Néanmoins, après 18 mois de pratique, nous constatons déjà des axes d'amélioration pour donner aux préfets des moyens d'action renforcés sur les fonds de dotation ;
- l'obligation de déclarer pour toute association exerçant un culte les financements qu'elle reçoit directement ou indirectement de l'étranger. Nous avons aussi commencé à effectuer des contrôles sur les associations qui n'ont pas déclaré de financements étrangers. Cela nous permet de déclencher des procédures et d'obtenir des informations précieuses. Cette mesure est entrée en vigueur le 25 avril 2022.
La loi CRPR a par ailleurs conforté le principe de laïcité, notamment dans les services publics. Le déféré-laïcité nous a permis d'éviter que les piscines municipales de Grenoble deviennent de hauts lieux de la baignade en burkini. Plus de 2 000 référents laïcité ont été nommés dans les différentes administrations. Nous continuons de les déployer dans les trois fonctions publiques. Nous nous sommes donné l'objectif d'arriver à 100 % d'agents publics formés au principe de laïcité d'ici 2025 ; 130 000 agents de l'Éducation nationale ont déjà été formés et 40 000 dans les autres administrations.
Contrairement à ce qui a été souvent dit, la loi CRPR n'est pas un texte contre les cultes, ni contre un culte en particulier ou contre la liberté d'association. C'est avant tout une loi de protection de nos concitoyens, de nos valeurs, de nos principes républicains, de notre cohésion nationale, des cultes contre les ingérences, de l'idéal associatif contre tout dévoiement et de la dignité de la personne humaine.
Le législateur a introduit le déféré-laïcité pour renforcer le principe de laïcité et de neutralité dans les services publics locaux. Il a institué le CER pour éviter que des structures séparatistes ne bénéficient d'argent public. Il a instauré le délit de séparatisme pour protéger les élus et les agents publics contre les menaces ou les violences. L'instruction en famille est mieux encadrée pour éviter les dérives et protéger les enfants. C'est pourquoi, avec le ministre de l'intérieur et des outre-mer, notre objectif est que l'ensemble du territoire se mobilise de manière égale pour donner toute leur effectivité aux nouveaux outils qui ont été mis en place par la loi CRPR et c'est le message que nous avons délivré par circulaire et à l'oral à l'ensemble des préfets.
Du territoire d'où je viens, j'ai craint dans les dernières années de perdre mon appartenance à la République. Nous avons intérêt à continuer à transmettre la fierté d'appartenir à la République et à la défendre. Cette loi nous donne des outils particulièrement précieux pour cela. Quand nous aurons mis en oeuvre l'ensemble de ses dispositions, nous disposerons d'outils extrêmement puissants.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Madame la ministre, je voulais à titre personnel vous remercier pour votre engagement, bien que je sois généralement assez critique envers le gouvernement sur le combat qu'il mène sur ces sujets.
La loi CRPR n'a pas été votée au Sénat car ce texte n'allait pas aussi loin que nous l'aurions souhaité. Nous avons récemment parlé de sujets qui n'auraient pas eu lieu d'être si le gouvernement de l'époque avait retenu un certain nombre d'éléments que nous y avions introduits. Je suis convaincue que cela aurait davantage protégé la République.
Ce texte est venu juste après une commission d'enquête que le Sénat a portée au sujet de l'islamisme et de la manière de le combattre. Nous avions émis une quarantaine de propositions dont certaines ont été reprises. Ce n'est pas un parti pris de dire « il y a les bons et les méchants », nous sommes convaincus que notre République est en danger quand nous ne combattons pas. Je suis élue de banlieue depuis longtemps et j'ai vu la situation tristement évoluer. C'est pourquoi j'essaye de parfois bousculer les lignes sur ce sujet.
Nous sommes assez inquiets de voir ce qu'il se passe depuis quelques mois, dans les écoles notamment. Si nous ne réussissons pas à préserver l'école et le sport, nous ne préserverons pas les enfants de la République. Ces enfants n'ont pas de couleur de peau et n'ont pas de religion à l'école, ce sont les enfants de la République.
Le CER a fait débat. Il ne me posait évidemment pas de souci. La question est de savoir si toutes les associations qui bénéficient d'argent public ont signé ce contrat. Si elles n'ont pas toutes signé le CER, quelle est la proportion des signataires parmi les associations bénéficiant de subventions publiques ? Il faut également savoir si le CER a placé certaines associations, telles que les scouts, en difficulté. De plus, si le CER est juste une case à cocher sur un formulaire CERFA, je m'interroge sur son efficacité. Peut-être faudra-t-il le définir autrement, car cocher une case sur un CERFA engage à peu de chose selon moi.
Combien d'associations ont été dissoutes ? Des procédures sont-elles en cours ? Quels outils ont permis d'aboutir à la dissolution de ces associations ?
Les préfets se sont-ils emparés de l'instrument du déféré préfectoral ? Ils ont un rôle crucial à jouer et pourtant je ne suis pas sûre qu'ils travaillent étroitement avec les élus sur ce sujet. En effet, certains élus sont acteurs de la lutte contre ces phénomènes de séparatisme, et d'autres le sont moins, quelle que soit leur orientation politique. Notre pays doit avoir des exigences envers certains élus et cette loi doit pouvoir le permettre.
Avons-nous une idée de la manière dont sont vraiment contrôlés les lieux de culte ? Nous avons observé que certains lieux de culte étaient fermés trois ou six mois. En effet, ils ne sont pas fermés définitivement, mais de manière temporaire car l'objectif est parfois de faire partir de la mosquée un imam tenant des propos remettant en cause les valeurs de la République. Avons-nous réussi à avoir une analyse objective de ce qui s'y passe ? Les connaissons-nous tous ?
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'un des objectifs affichés de la loi du 24 août 2021 était d'amener les associations du culte musulman dans leur diversité à adopter le cadre de la loi de 1905 et de limiter le recours soit aux associations créées sur le fondement de la loi de 1901, soit aux associations mixtes créées sur le fondement de la loi de 1907. Comment la situation a-t-elle évolué au cours des deux dernières années ? Beaucoup de nouveaux cultes se sont-ils inscrits pour pouvoir bénéficier de défiscalisation ?
Pour éviter l'entrisme, la loi a mis en place un contrôle renforcé des associations, tant au niveau de leur financement que de leur activité. Cela avait suscité d'importants débats. Quels résultats ont été obtenus ? Qu'en est-il notamment du dispositif dit « anti-putsch » pour éviter qu'une association éventuellement culturelle, mais en réalité cultuelle, ne puisse être prise d'assaut et voir son objet détourné ?
La loi « Avia » ayant été en partie censurée, le sujet de la lutte contre la haine en ligne était revenu lors de l'examen de la loi de 2021, particulièrement au sujet de la lutte contre la divulgation d'informations personnelles, le harcèlement et les menaces émises pour des motifs notamment religieux. Cette lutte a-t-elle pu être renforcée ? Avez-vous pu mener des actions supplémentaires ?
Existe-t-il pour vous des menaces émergentes en matière d'atteinte aux principes de la République, particulièrement du côté des dérives sectaires ou de nouvelles spiritualités ? Le cadre légal et réglementaire actuel est-il suffisant pour y faire face ?
Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - Ce point d'étape permettra le cas échéant au Gouvernement ou aux parlementaires de proposer des évolutions. Nous devons être pragmatiques et humbles sur ces sujets.
Le succès du CER est lié à sa bonne appropriation par les collectivités locales et nous devons entreprendre deux démarches sur cette question. D'une part, les collectivités locales doivent être formées et accompagnées par les services de l'État. D'autre part, nous devons établir un bilan que je m'engage à dresser à la fin de l'année avec les associations d'élus pour étudier la mise en oeuvre du CER et évoquer les problématiques rencontrées.
Nous nous interrogeons sur l'évolution du CERFA que vous avez évoqué. Nous pourrions éventuellement répéter dans le CERFA les sept obligations établies par le CER pour que chacun sache exactement ce qu'il signe. Par ailleurs, toutes les associations qui ont touché de l'argent public ont signé, sinon elles ne pourraient plus bénéficier d'argent public.
La laïcité n'est pas directement en lien avec la loi CRPR. Les jurisprudences sur la question de l'école sont sans ambiguïté. Par exemple, le Conseil d'État a jugé que le port systématique d'une longue jupe noire couvrant son pantalon et d'un large bandeau masquant une grande partie de ses cheveux pouvait justifier la non-réintégration d'une élève. Toutes les jurisprudences vont dans ce sens. Aujourd'hui, les chefs d'établissement concernés sont totalement fondés à exclure ou à ne pas réintégrer les intéressées. C'est l'application de la loi qu'il nous faut améliorer ou renforcer. Il en est de même de l'accompagnement des chefs d'établissement et des enseignants qui parfois ont peur parce qu'ils sont menacés. Un sondage récent prouve que près de 50 % des enseignants ne signalent pas les atteintes à la laïcité.
Pour le sport, la jurisprudence - et je m'en félicite - du Conseil d'État sur les « Hijabeuses » est extrêmement importante. Aujourd'hui, nous avons la possibilité, pour des raisons de vivre ensemble, d'empêcher dans les règlements intérieurs des fédérations sportives le port de signes religieux. Dans l'école et dans le sport, nous disposons d'outils juridiques. La question concerne donc la mise en oeuvre.
Par ailleurs, cinq associations ont été dissoutes en 2021, quatre en 2022 et trois en 2023. Elles ont été dissoutes à l'issue d'une procédure contradictoire.
Légalement, nous pouvons fermer un lieu de culte uniquement pendant six mois pour des raisons de terrorisme ou pour une durée de trois mois lorsque des discours de haine y sont tenus. Cette période de suspension permet d'écarter l'individu auteur des propos haineux ou en lien avec le terrorisme. Par exemple, pour certaines mosquées, la fermeture est liée à un imam qui tient des discours haineux et séparatistes. L'idée n'est donc pas de fermer définitivement le lieu de culte, car ce n'est pas la mosquée dans son ensemble qui pose un problème, mais d'écarter un individu.
De plus en plus d'associations régies par la loi de 1901 basculent vers le régime des associations de la loi de 1905, mais cela reste insuffisant. Nous devrons ainsi davantage accompagner les associations.
Au sujet de la disposition « anti-putsch », toutes les associations qui ont basculé vers une structure régie par la loi de 1905 se satisfont de ce dispositif qui les sécurise. Il s'agit d'un des éléments qui les encourage à basculer vers le régime de la loi de 1905.
En ce qui concerne le renforcement des moyens de lutte contre la haine en ligne, plus de 50 ETP ont été créés. S'ajoute la plateforme Pharos qui présente une efficacité assez remarquable dans le traitement de ces sujets. En outre, le ministre de l'intérieur a donné des consignes très claires au sujet des menaces sur les policiers dans le cadre des événements récents et cela a été réellement utile.
À propos des dérives sectaires, nous sommes parfois à la limite sur ces sujets. Un certain nombre d'organisations, d'ultra-gauche ou d'ultra-droite, finissent parfois par ressembler à des organisations à caractère sectaire. Certaines de ces organisations sont suivies par la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Plusieurs organisations sont concernées par des dérives sectaires, par exemple certaines associations évangéliques. Nous manquons d'outils. Nous avons organisé les assises de lutte contre les dérives sectaires en mars dernier. Le plan global de lutte contre les dérives sectaires sera présenté dans les prochains jours. Il est en cours de finalisation.
Un projet de loi sera présenté dans les prochaines semaines sur la partie pénale, car nous manquons d'outils dans ce domaine en matière de dérives sectaires. Le projet de loi sera assez court, avec sept articles. Néanmoins, il permettra de combler les trous dans la raquette qui subsistent.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - L'État s'est doté d'outils techniques qui à court, moyen et long termes porteront leurs fruits. Cette loi ne règlera probablement pas le problème de fond.
C'est une prise de conscience collective de ce que nous « subissons », nous, républicains. Des outils et des règles sont mis en place, mais ils ne suffiront malheureusement pas, car nous avons observé depuis la parution de ce texte que certaines situations avaient empiré. Ce n'est pas une critique vis-à-vis de vous ou des services. Notre pays doit prendre ce sujet en main sur d'autres volets et avec d'autres outils.
Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - En effet, une loi ne règle pas les problèmes de société fondamentaux. J'en discutais avec le ministre de l'intérieur et je l'ai notamment dit lors de mon audition sur le fonds Marianne, nous avons parfois l'impression de vider l'océan à la petite cuillère. Mais si nous nous arrêtons, la situation s'aggravera.
J'ai assisté dans des préfectures à des réunions de cellules locales de lutte contre l'islam radical. Nous avons désormais des outils extrêmement puissants. Nous sommes capables de représenter sur un écran un schéma de l'ensemble des structures, écoles, associations et financements pour brosser un état des lieux. Nous sommes capables d'entraver chacune de ces parties, notamment grâce à cette loi. Quand elle est utilisée pleinement, comme le font certains préfets, elle est d'une efficacité remarquable. Aujourd'hui, nous n'avons pas tout pris en main, et cela demande encore à être à être amélioré.
La loi ne suffit pas. Des actions doivent être engagées à l'école pour encourager l'évolution des mentalités et l'adhésion aux valeurs de la République.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Les associations sont également le coeur du sujet. Sur un écran, il est possible d'étudier tous les réseaux entre les associations qui ont trait au caritatif, au voyage, etc. Une économie parallèle est institutionnalisée par des associations dans certains départements et dans certaines villes. Nous devons traiter cet aspect. En effet, des associations maillent totalement une commune sur tous les secteurs de la vie de la société : école, soutien scolaire, soutien caritatif, voyage, etc. Elles créent un système parallèle au nom d'une religion. Ce constat est très inquiétant.
Nous devrons aussi être très actifs sur la question des écoles hors contrat. Ces établissements forment des enfants qui seront les adultes de demain. Dans certains établissements, les petites filles en école maternelle sont entièrement voilées. Ces écoles sont hors de la République. Je parle du devenir de petites filles et des garçons élevés dans l'idée que la fille est impure ou n'existe pas. S'ils sont dix ou cent, ce seront toujours dix ou cent de trop. Nous sommes responsables collectivement de ce constat et il ne date pas d'hier.
Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - La marge de progrès la plus importante concerne certainement les associations, tout en gardant la richesse de notre dispositif associatif et en préservant la liberté d'association. Il s'agit toujours d'un équilibre difficile à trouver.
Les contrôles sont de plus en plus importants dans les écoles hors contrat. L'instruction en famille suscite également de nombreuses polémiques. La très grande majorité des enfants qui suivent une instruction en famille ne pose pas de problème. D'ailleurs, 100 % des enfants qui suivent une instruction en famille ont été contrôlés. Cependant, certains enfants apprennent avec des supports de cours où les enfants sont sans visage ou voilés. Ces supports sont établis par un organisme d'enseignement à distance lui-même lié à un réseau séparatiste. Ces contrôles nous permettent de mettre en place un dispositif d'entrave avec des outils financiers et administratifs. Même s'il ne s'agit que de 1 % des enfants, nous pouvons ainsi les repérer. Les caisses d'allocations familiales (CAF) et les mairies disposent d'une visibilité sur la scolarisation des enfants. Nous sommes aujourd'hui également capables de visualiser des personnes qui sont complètement hors système. Avec le tissu associatif, scolaire et financier, ces personnes sont complètement en dehors de la République. Néanmoins, ces dernières touchent souvent des allocations familiales, ce que nous pouvons savoir grâce au lien avec les CAF.
Mme Françoise Gatel. - J'ai beaucoup travaillé sur les écoles privées hors contrat avec Jean-Michel Blanquer. La loi prévoyait, avant même de nouvelles dispositions sur les écoles privées hors contrat, qu'un deuxième contrôle serait effectué si le premier était considéré comme insuffisant. Comme ces écoles sont souvent sous un statut associatif, l'association concernée devait apporter des réponses argumentées aux remarques effectuées. Si le deuxième contrôle était jugé insatisfaisant, il était possible alors de prendre des mesures « disciplinaires ». J'aimerais que le ministre de l'Éducation nationale nous fournisse le nombre de contrôles effectués dans l'année, le nombre d'avis d'insuffisance émis à l'issue de ce premier contrôle et le nombre de deuxièmes contrôles. Nous avions constaté que si les premiers contrôles étaient réalisés, les deuxièmes n'étaient jamais effectués.
Un problème de formation à ces contrôles est à relever pour les inspecteurs, y compris pour l'éducation en famille. En effet, il existe une appréhension des contrôles très forte de la part de l'école privée hors contrat ou des parents. De fait, elles ont parfois l'impression que le contrôle est à charge, même si ce n'est pas le cas. Dans la mesure où la pédagogie des écoles privées est libre, un corps d'enseignant est-il formé à ce sujet ? L'académie de Versailles avait notamment un guide du contrôle. Les inspecteurs doivent par ailleurs être sécurisés.
La décision sur les « hijabeuses » me réjouit, mais je pense qu'elle est fragile. Son argumentation juridique aboutit à un résultat qui peut souffrir d'une contestation qui ne nous met pas à l'abri d'un jugement qui le contredirait.
L'interprétation de la loi à l'école est soumise à l'appréciation de l'enseignant et du directeur. Nous ne pouvons pas laisser un enseignant, un directeur ou un proviseur seul pour l'apprécier. Il est en contact avec les parents. De même, un maire qui doit gérer une séquence de violence seul se trouve confronté à une situation de domination. Le libre arbitre de l'enseignant ou du directeur, la peur et le politiquement correct les poussent à abandonner l'affaire. Non pas que les gens soient lâches, mais nous ne pouvons pas demander à une personne seule de porter l'application des lois de la République alors qu'elle est déjà dans un contexte de grande faiblesse.
Au Sénat, j'ai longtemps voté pour autoriser des mères de famille à porter le voile lors des sorties scolaires, car c'était une manière de ne pas les éloigner de la République que de considérer qu'elles pouvaient s'intégrer aux activités à l'école.
Aujourd'hui, ma position est totalement différente. En effet, des enseignants me demandent : « Comment expliquer à des enfants qu'une mère de famille, qui est venue sans voile pour un atelier de peinture dans les locaux de l'école, porte le voile une demi-heure plus tard pour aller au musée ? » Il n'y a aucun ostracisme ni aucune condamnation. La loi de la République doit être efficace et, pour cela, elle doit être simple et pas simpliste.
Je réinterroge le gouvernement sur ces deux dispositions. Comment considère-t-on à l'école une tenue religieuse et une tenue qui ne l'est pas ? Nous observons des évolutions, du grand voile aux abayas par exemple. Il y aurait des abayas ou des maillots de bain républicains, mais à connotation fortement religieuse. Nous ne pouvons plus être dans la subtilité ni la finesse, parce que nous mettons en danger des personnes. Ainsi, nous entravons l'application de la loi de la République. J'ai conscience de la gravité de mon propos.
Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - Au sujet des établissements privés hors contrat, je n'ai pas les réponses aux questions que vous posez. Je pense qu'une présentation spécifique de l'Éducation nationale pourrait être judicieuse. J'en parlerai à mon collègue pour qu'il fasse un point précis sur les dispositifs et les contrôles mis en oeuvre, à la commission de la culture le cas échéant.
Nous ne laissons pas seuls les enseignants et les chefs d'établissement. Une circulaire a été envoyée par le ministre de l'intérieur et moi-même. Le ministre de l'Éducation nationale en a envoyé une autre en garantissant l'octroi de la protection fonctionnelle à chacun des acteurs concernés. C'est sans doute parfois insuffisant. Nous ne mettrons toutefois pas un policier à côté de chaque enseignant, ce n'est pas non plus la solution.
La loi sur la question de la laïcité à l'école est extrêmement claire en plus des différentes jurisprudences. Aujourd'hui, les chefs d'établissement qui font le choix d'exclure une élève qui porte l'abaya sont dans leur droit. La question n'est pas d'ordre juridique, mais elle relève de la peur et de la manière dont nous accompagnons les chefs d'établissement. C'est donc plus une question d'organisation de l'école et de la manière dont elle évolue.
Les accompagnatrices scolaires sont un sujet. Le gouvernement applique la loi et elle ne prévoit pas aujourd'hui cette obligation pour les accompagnatrices scolaires.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Le parent confie son enfant à l'école de 8 heures 30 à 16 heures 30 hors temps de cantine et, que les activités soient dans les murs ou hors des murs, il s'agit de l'école de la République. Cet argument est simple à utiliser et serait très facilitateur. C'est un sujet dont nous avons débattu deux fois et voté deux fois. Avec ce qui se passe aujourd'hui, le gouvernement ferait bien d'écouter ce que dit le Sénat depuis 2017. Je suis élue de banlieue et j'aime ma banlieue. Il faut cesser de dire que les enfants ne participent plus aux sorties scolaires si les mamans voilées n'y vont pas. Il n'y a aucune école où 100 % des mamans sont voilées. Par ailleurs, les papas peuvent également participer à des sorties scolaires. Lorsque les digues sont ouvertes, trois ou quatre ans après les débats que nous avons eus au Sénat, la situation est pire.
Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - Nous sommes tous en phase sur le fait que la situation a évolué et que nous devons nous adapter, imaginer des évolutions à cette loi et à d'autres. Je crois qu'il ne faut fermer aucune porte. Ce n'est pas moi, qui ai mis en place la tenue commune à l'école dans la collectivité que je préside, qui vais vous dire le contraire. Je crois que certains éléments doivent être appréhendés différemment.
Nous sommes dans le cadre d'un combat où ceux qui combattent la laïcité sont en permanence en train de chercher des failles. C'est à nous aussi d'avoir la capacité de nous adapter, voire de prendre les devants sur un certain nombre de sujets.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Ceux qui représentent l'État dans nos départements doivent tenir un discours très clair sur la laïcité. Par exemple, la nouvelle préfète à l'égalité des chances de mon département, qui ne connaît pas les combats que je mène depuis longtemps, m'a dit que dans certaines de nos villes, il faut faire accepter la laïcité par des « moyens détournés ». La laïcité ne s'imposerait donc pas en tant que laïcité. Je n'ai pas osé lui demander ce qu'étaient des « moyens détournés », mais de la part d'un préfet à l'égalité des chances, ce discours me choque.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Certaines familles craignaient que dans certains départements où l'Éducation nationale n'aurait pas les moyens de procéder à la totalité des contrôles, l'enseignement en famille y soit davantage refusé. Avez-vous eu des remontées ? Disposez-vous des taux d'enseignement en famille ? Cela permettrait de calmer certaines inquiétudes de personnes qui n'étaient pas visées initialement par ce texte.
Des pressions exercées sur les enseignants vous ont-elles été remontées au sujet du contenu des cours ? Je pense notamment au problème de l'éducation sexuelle. Nous savons que pour lutter contre les violences intrafamiliales, il est nécessaire d'expliquer la notion de consentement et d'égalité entre filles et garçons aux enfants. Cet enseignement peut être refusé par un certain nombre de personnes pour des raisons philosophiques ou religieuses. J'inclus cet aspect de façon assez large, puisque je ne m'intéresse pas qu'à la religion musulmane, mais également à des religions évangéliques qui peuvent exercer des pressions tout aussi fortes sur l'éducation. J'ai entendu récemment que certains demandent à ne pas enseigner la préhistoire, en raison du mythe d'Adam et Ève. Pour pouvoir accompagner l'Éducation nationale et sécuriser ces professeurs, avez-vous mis en place des actions ? En effet, certains enseignants ne dispensent pas les cours d'éducation sexuelle, car ils ne se sentent pas à l'aise ou bien ils craignent d'avoir des problèmes avec les parents.
Mme Sonia Backès, secrétaire d'État - Les enfants qui suivaient une instruction en famille étaient auparavant au nombre de 67 000, ils sont aujourd'hui 53 000, soit 27 % de moins. Environ 10 % des demandes ont été refusées sur la base des dispositions de la loi CRPR. Nous vous fournirons des détails plus précis si vous le souhaitez.
L'Éducation nationale dispose de l'ensemble du spectre des atteintes à la laïcité. Toutes les disciplines sont concernées par ces atteintes. La musique peut également être concernée par exemple. Les cours sur les religions ou la philosophie ne sont donc pas les seuls concernés. C'est la raison pour laquelle notre rôle au ministère de l'intérieur concerne la formation et l'accompagnement des enseignants pour faire face au refus d'un élève d'assister à une partie d'un enseignement ou pour déterminer ce qui mérite un signalement. Le reste relève de l'Éducation nationale. Dans le travail que vous mènerez avec la commission de la culture, ce sujet mérite peut-être d'être creusé. Notre rôle s'arrête en effet à la question de la formation et au suivi des atteintes.
Mme Catherine Di Folco, président. - Merci Madame la Ministre pour ce point d'étape.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.