EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, nous allons examiner le rapport d'information sur l'application de la loi confortant le respect des principes de la République.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Dominique Vérien et moi-même vous proposons aujourd'hui de nous pencher sur l'application d'un texte que le Sénat n'a pas adopté : la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Ce texte, et c'est significatif, est connu sous plusieurs noms : on parle de loi confortant le respect des principes de la République, plus souvent de loi séparatisme, parfois de loi laïcité. C'est le résultat des incertitudes sur l'objet du texte.
Nous avions salué le fait qu'il marquait une prise de conscience nécessaire du péril que fait peser la radicalisation islamiste sur notre pays. Mais nous avons rapidement pris conscience du fait que ce texte, même s'il comporte des dispositions intéressantes, est bien trop technique et trop peu ambitieux pour changer la situation. Presque trois ans après l'adoption en lecture définitive du texte par l'Assemblée nationale, nous constatons, à regret, que nos réserves étaient fondées et que tout reste à faire.
Le texte, il faut le dire, a été largement conforté par la jurisprudence, que ce soit par le Conseil constitutionnel ou le Conseil d'État. Certaines de ses dispositions ont trouvé à s'appliquer, mais souvent d'une manière totalement différente de celle qui était envisagée par les auteurs de la loi : je pense à la dissolution des associations ou aux retraits de subventions ; je pense aussi, de manière plus large, à la lutte contre la haine en ligne.
Pour notre part, nous nous sommes intéressées à l'impact de ce texte sur la préservation des valeurs de la République au travers des quatre thématiques relevant de la commission des lois : la fonction publique, les collectivités territoriales, les relations avec les associations et les cultes. Nous ne pouvions pas nous pencher sur les domaines qui relèvent de la commission de la culture, soit l'éducation et le sport. Là aussi, il y aurait beaucoup à dire.
J'aborderai d'abord la question de la laïcité dans la fonction publique.
Peu innovante en matière de laïcité dans l'administration, la loi du 24 août 2021 a opéré des rappels s'agissant de l'action et de la déontologie des fonctionnaires et a tenté de redynamiser, en lui donnant un statut législatif, la fonction de référent laïcité, qui existait déjà, mais n'était pas mise en oeuvre partout. L'article 3 prévoit ainsi l'obligation pour toute administration de nommer un référent laïcité, notamment chargé d'apporter tout conseil utile au respect du principe de laïcité à tout fonctionnaire ou chef de service qui le consulte et d'organiser la journée de la laïcité du 9 décembre.
Toutefois, le déploiement de ce dispositif, censé être la cheville ouvrière de la laïcité dans l'administration, se heurte à de nombreuses difficultés. La première, que nous avions pointée en 2021, est de trouver les profils et les compétences requises pour cette fonction. N'est pas expert en matière de laïcité et de valeurs de la République qui veut, surtout pour exercer des fonctions impliquant notamment de dresser annuellement « un état des lieux de l'application du principe de laïcité et, le cas échéant, des manquements constatés ».
Par ailleurs, pour ne pas multiplier les fonctions, la fusion des postes de référent laïcité et de référent déontologue a été préconisée. Elle a d'ailleurs été présentée comme une opportunité de disposer d'une vision d'ensemble des obligations déontologiques des fonctionnaires.
Cependant, certains ministères au sein desquels les déontologues s'occupent principalement des questions relatives aux mobilités et aux liens avec le secteur privé, à l'instar des établissements hospitaliers, se trouvent confrontés à des difficultés pour accomplir véritablement les deux missions. Les administrations centrales craignent donc que des postes de référent laïcité au sein de certains établissements ne constituent en fait qu'une mise en conformité nominale, sans mise en oeuvre réelle des missions prévues par la loi.
Sans demander des référents laïcité dédiés à ce seul sujet, ce qui ne se justifie pas toujours, nous préconisons donc que la formation de ces référents à leur mission spécifique soit garantie.
Le réseau des référents laïcité se construit progressivement : 17 000 référents ont été nommés dans les ministères, dont 14 000 au ministère de l'éducation nationale. L'appropriation de cette obligation par les collectivités territoriales semble toutefois plus laborieuse. À titre d'exemple, seules 3 communes iséroises sur 512 s'y étaient conformées fin 2022.
Sur le fond, les bénéfices de ce dispositif sont encore peu perceptibles. Le rapport annuel d'activité sera établi pour la première fois au titre de l'année 2023 et devrait permettre de disposer à terme d'une photographie du nombre et du type d'atteintes à la laïcité et au principe de neutralité religieuse signalées indépendamment d'une procédure disciplinaire. Nous attendons donc impatiemment que le ministère de l'intérieur mène à bien ce lourd travail de collecte et de compilation.
Nous pensons que, pour connaître la situation dans les administrations et aider réellement les agents, il faut nous fonder sur ce qui fonctionne. Nous proposons de créer dans chaque fonction publique un collège sur le modèle du collège des sages de la laïcité constitué au sein de l'éducation nationale. Ce collège sera chargé d'animer le réseau des référents laïcité, de suivre l'organisation des formations et de centraliser la remontée du nombre de saisines et des éventuelles questions posées.
L'article 3 de la loi prévoyait également que tous les agents publics soient formés à la laïcité. Avant l'adoption du projet de loi, le gouvernement d'alors avait annoncé sa volonté de former l'ensemble des agents publics au respect du principe de laïcité d'ici à 2025. Une stratégie de formation interministérielle a été mise en place au niveau de l'État, qui conjugue une formation « socle » à distance de deux heures pour l'ensemble des agents et des formations en présentiel pour les agents identifiés comme prioritaires, en particulier ceux qui sont en relation avec le public. Selon les données disponibles, 505 000 agents publics ont aujourd'hui été formés à la laïcité, dont 380 000 au ministère de l'éducation nationale. Il n'existe toutefois pas de données agrégées au niveau des collectivités territoriales. Rappelons quand même qu'il y a plus de 5 millions d'agents publics en France...
Concrètement, l'objectif de formation de 100 % des agents d'ici à décembre 2025 est hors de portée. Cela ne veut pas dire qu'il faut relâcher l'effort. Des comportements d'agents publics contraires à la laïcité existent, comme le rapport de Patrick Pelloux l'a montré pour l'hôpital, et nous savons tous qu'il faut les aider à faire face aux atteintes à la laïcité auxquelles ils sont confrontés.
Afin de mieux protéger les agents, l'article 9 de la loi a créé un nouveau délit de séparatisme. Force est de constater que ces faits sont aujourd'hui relativement peu, voire très peu poursuivis. Le préfet de la Seine-Saint-Denis nous a indiqué avoir identifié uniquement trois dossiers.
La direction générale de la fonction publique a pointé, pour sa part, le périmètre beaucoup trop restrictif du dispositif. Nous proposons d'étudier cette question.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - J'aborderai maintenant les dispositions de la loi qui sont relatives aux associations, ainsi qu'aux collectivités territoriales. Autant le dire tout de suite, le bilan n'est guère plus reluisant que celui que Jacqueline Eustache-Brinio vient de vous présenter au sujet de la fonction publique.
Commençons par le sujet qui fâche : le contrat d'engagement républicain. Celui-ci avait alors été défendu d'arrache-pied par le Gouvernement comme un instrument potentiellement décisif pour lutter contre le séparatisme dans la sphère associative. Je rappelle que ce dispositif, qui figure à l'article 6 de la loi précitée, conditionne l'octroi de subventions publiques aux associations ou fondations à la signature d'un contrat. La subvention peut être refusée aux organismes qui n'en remplissent pas les critères ou retirée lorsque l'activité de l'association est contraire à ces principes.
L'enjeu était grand puisque l'on dénombre plus de 1,5 million d'associations actives en France et que près de 61 % d'entre elles perçoivent des subventions publiques. Bien entendu, la plupart sont irréprochables au regard des valeurs de la République : il est impératif de le souligner aujourd'hui, comme nous l'avions d'ailleurs fait en 2021. Mais gardons-nous de toute naïveté : il existait et il existe encore des associations en délicatesse avec nos valeurs, et c'est précisément pour combattre celles-ci que le contrat d'engagement républicain a été imaginé.
Ne nous voilons pas la face : l'éléphant a accouché d'une souris. Le contrat d'engagement républicain est très loin de s'être imposé comme l'instrument de référence qu'il était censé devenir dans la lutte contre le séparatisme.
M. Philippe Bas. - C'était prévisible !
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - La faute en revient tout d'abord aux choix réalisés par l'administration dans la mise en oeuvre concrète du dispositif. Force est de constater que la signature du document relève aujourd'hui davantage d'une formalité administrative que d'un quelconque engagement. Pour remplir cette obligation, il suffit de cocher une case qui se situe à la septième des dix pages du formulaire Cerfa de demande de subvention. La portée de cet engagement n'est même pas explicitée : pour connaître le contenu concret du contrat, il faut se référer à l'annexe du décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021. Autant dire que personne ne regarde vraiment ce qu'il recouvre...
Il nous paraît donc indispensable de redonner du sens à ce contrat. Pour cela, nous appelons l'exécutif à en faire un document indépendant du formulaire de subvention. La signature du contrat d'engagement républicain n'est pas une formalité comme les autres, et il est crucial que les associations en soient conscientes. Il est donc impératif de rendre cet engagement à la fois plus éclairé et plus solennel !
Au-delà de ces questions de forme, nous regrettons vivement que les services de l'État ne se soient pas emparés plus avant de cet outil. Je ne m'étendrai pas sur le fait qu'il n'existe aucun canal centralisé de remontée des données, ce qui est une nouvelle illustration de l'absence de culture de l'évaluation dans notre pays. Les quelques chiffres que nous avons pu collecter au cours de nos travaux se suffisent toutefois à eux-mêmes : le contrat d'engagement républicain n'a jamais donné lieu à aucun refus de subvention. Quant au nombre de retraits de subvention pour manquement à ses stipulations, nous en avons recensé quatre en deux ans et demi : un groupuscule d'extrême droite en Isère, l'association de protection, d'information et d'études de l'eau et de son environnement (APIEEE) dans les Deux-Sèvres, l'association Alternatiba dans le Rhône ainsi que l'association Canal Ti Zef dans le Finistère.
Le ministère de l'intérieur se défend en indiquant que la validation du décret d'application par le Conseil d'État n'est intervenue que très récemment. Dont acte. Mais tout de même, nous sommes en droit d'attendre mieux.
L'analyse de la liste des retraits de subvention laisse par ailleurs perplexe. La plupart d'entre eux concernent plus des associations militantes que séparatistes. Sans se prononcer sur le bien-fondé de leurs actions, qui peut être contestable, force est de constater que la loi a raté son objectif. Comme nous l'ont dit tous nos interlocuteurs, il suffit finalement à une association réellement séparatiste de ne pas solliciter de subventions pour passer sous les radars...
Sans surprise, la philosophie de notre ministère de l'intérieur - « gentil avec les gentils, méchant avec les méchants » - s'est finalement traduite par une nouvelle obligation administrative pour les gentils et une remarquable liberté pour les méchants. Tout cela a eu un prix : une dégradation nette des relations avec le monde associatif qui, à tort ou à raison, s'est senti stigmatisé par le dispositif, voire, le craint.
Là aussi, un sursaut s'impose ! Pour ce faire, nous recommandons de nous inspirer de l'action des préfets qui ont pris des initiatives intéressantes et que nous appelons à généraliser. C'est le cas du préfet de la Seine-Saint-Denis, qui a donné instruction aux collectivités de lui faire remonter l'ensemble des demandes de subvention formulées par les associations cultuelles dites « mixtes » afin de les soumettre à un contrôle approfondi.
J'en viens maintenant à l'autre instrument majeur intéressant le monde associatif : la modernisation du régime des dissolutions.
Le bilan est plutôt positif sur ce point puisque l'article 16 de la loi a indéniablement favorisé le recours à la dissolution. Sur les six dissolutions décrétées en 2023 et 2024, quatre étaient partiellement fondées sur le nouveau motif de « provocation à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ». Certes la dissolution des Soulèvements de la terre a été annulée, mais nous disposons désormais d'une définition large et précise de la notion de « provocation ». Sur l'initiative de Marc-Philippe Daubresse, nous avions d'ailleurs entrepris de la consacrer dans la loi lors de l'examen de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste. Nous avions également voté la création d'un nouveau régime de dévolution des biens des associations dissoutes. Il serait donc de bon ton que la navette reprenne au plus vite.
Les autres dispositions applicables aux associations étaient essentiellement techniques et ont eu pour la plupart une portée limitée. Seules deux amendes ont été prononcées pour une émission irrégulière de reçus fiscaux tandis que la législation sur les fonds de dotation semble faire l'objet d'une application très disparate selon les territoires. Le préfet d'Isère nous a notamment alertés sur ce dernier point lors de son audition.
Je serai plus brève sur les dispositions applicables aux collectivités territoriales. Malheureusement, le bilan est toujours aussi terne de ce côté-là.
De l'avis général, les collectivités ne se sont pas encore pleinement approprié leurs nouvelles obligations. Nos travaux ont mis en évidence d'importantes disparités dans l'application de cette loi par les élus. Au-delà de la question des référents laïcité que Jacqueline Eustache-Brinio a évoquée, il est notamment possible de citer l'avis obligatoire du préfet sur les projets relatifs à des constructions de lieu de culte ou l'information du même préfet de la garantie d'un emprunt contracté à cette fin. Dans un cas comme dans l'autre, les collectivités ne semblent pas encore avoir pleinement intégré l'évolution des normes applicables. Cela est d'autant plus préoccupant que l'État ne s'est pas saisi des outils de contrôle que le législateur lui a pourtant offerts. Vous l'avez deviné, je parle bien du désormais célèbre référé laïcité qui, à notre connaissance, a été utilisé en tout et pour tout à deux reprises : une fois en Isère, pour suspendre l'application du règlement intérieur des piscines de Grenoble, et une autre fois, sans succès, en Seine-Saint-Denis. Au fond, le référé laïcité a bien plus alimenté les copies de contentieux administratif que la lutte contre les atteintes à la laïcité...
Nous appelons donc à intégrer pleinement les atteintes à la laïcité dans les priorités prises en compte dans le contrôle de légalité et à systématiser l'usage du déféré laïcité.
De manière générale, nous pensons que l'importance de cette loi justifie que les services de l'État puissent adapter leur organisation en conséquence, lorsque les circonstances locales le justifient. Nous plaidons donc pour la désignation dans chaque département d'un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles. Un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche pourrait par ailleurs être nommé dans les territoires les plus sensibles sur ce sujet.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - J'en viens à ce qui devait être le point central de la loi de 2021, à savoir la réforme du régime des cultes et de la loi de 1905.
Là encore, le résultat est décevant. Les cultes les plus favorables à la loi s'estiment aujourd'hui inutilement remis en cause alors que les plus éloignés du régime de 1905 n'y sont pas véritablement rentrés.
L'article 69 de la loi constitue, je le rappelle, une évolution majeure des relations entre l'État et les cultes en imposant une reconnaissance préalable obligatoire du caractère cultuel des associations qui souhaitent relever du statut d'association loi de 1905. Il entraînait l'obligation de remplir une déclaration de qualité cultuelle avant le 30 juin 2023 pour les associations constituées avant le 25 août 2021.
Cette mesure avait un double objectif. Le premier concernait la police administrative : s'assurer que les avantages fiscaux et financiers liés au statut d'association cultuelle ne bénéficient pas à des officines séparatistes. Le second, plus essentiel, était de favoriser la restructuration du culte en France pour inciter à la transformation des associations mixtes, privilégiées par les nouvelles spiritualités et le culte musulman, en associations loi de 1905.
Les chiffres qui nous ont été communiqués font état de plus de 3 000 associations actuellement reconnues ou dont le dossier est en cours d'instruction, dont 300 relèvent du culte musulman. Or il existait préalablement à la loi de 2021 environ 5 000 associations cultuelles et 2 600 mosquées.
Nous avons pu constater le traitement très disparate selon les préfectures des procédures de déclaration préalable et une multitude d'obstacles administratifs liés à l'impréparation des préfectures, sans doute faute d'information, de formation et de personnel dédié.
Cela a abouti à des demandes non conformes à la loi, comme la convocation de ministres des cultes par la police ou la demande de signature des contrats d'engagement républicain, ce qui n'était pas prévu.
La méconnaissance des spécificités des associations cultuelles a aussi pu entraîner des incompréhensions, comme la demande de modification par certaines préfectures du statut des associations diocésaines, alors que celui-ci est défini par un accord international.
La charge administrative pesant sur les membres des associations, qui sont souvent des bénévoles, s'est donc révélée particulièrement pesante, ainsi que l'avait anticipé le Sénat lors de la discussion du texte. La difficulté pour les bureaux en charge des cultes au sein des préfectures de faire face à l'afflux des demandes s'est traduite dans de nombreuses instances, partout sur le territoire, par des délais particulièrement longs pour obtenir l'attestation de qualité cultuelle.
Ainsi que le Sénat l'avait voté en 2021, nous souhaitons donc que le renouvellement de la reconnaissance du statut cultuel des associations puisse se faire par tacite reconduction à la réception des demandes, les préfectures conservant la possibilité de soumettre à nouveau l'association à la procédure de déclaration.
La nouvelle procédure a également entraîné un effet paradoxal, mais sans doute inévitable : l'obligation faite à des associations bénéficiant depuis parfois plusieurs décennies du statut d'association loi de 1905 de se séparer d'une partie de leurs activités considérées comme sociales ou culturelles et dont la nature ou l'ampleur faisaient qu'elles ne pouvaient être considérées comme accessoires à l'activité cultuelle.
Des associations relevant de la loi de 1905 se sont donc trouvées face à l'obligation de créer des structures relevant de la loi de 1901 pour ne pas se voir refuser le caractère cultuel. C'est sous cette seule forme qu'elles pourront continuer à conduire des activités qu'elles assumaient historiquement. Ces cas, auxquels s'ajoute l'incertitude liée à la notion d'activité annexe, susceptible d'être interprétée différemment selon les préfectures, ont renforcé le sentiment de nombreuses associations cultuelles de se trouver soumises à des contraintes disproportionnées au regard de l'ancienneté de leur engagement républicain.
Au regard des difficultés rencontrées par les associations, il est également important que le ministre de l'intérieur puisse envisager avec les cultes des solutions aux difficultés liées à l'utilisation des dons pour la rénovation des bâtiments - la synagogue de Verdun en est un exemple frappant -, à la location des immeubles et aux activités sociales historiques des associations cultuelles.
Il nous apparaît également particulièrement important que le travail engagé avec le bureau des cultes du ministère de l'intérieur se poursuive pour publier au plus vite les textes réglementaires et les fiches pédagogiques nécessaires à la bonne appropriation par les associations cultuelles de leurs nouvelles obligations.
L'accompagnement des associations mixtes vers le statut de 1905 doit être une mission prioritaire mobilisant l'action des préfectures. Les exemples de la Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise, où les préfets ont mené une politique active d'incitation, parfois de sanction avec le prononcé d'astreintes en cas d'absence de mise en conformité des statuts, mais aussi d'accompagnement, montrent que des actions de ce type sont efficaces. Cela exige la mobilisation des services de l'État sur l'ensemble du territoire.
On peut noter que les nouvelles obligations imposées aux associations cultuelles en matière de déclaration des financements étrangers semblent avoir produit leurs effets. Le service de renseignement Tracfin nous a ainsi indiqué avoir observé un « effet signal » qui se traduit par une nette diminution des flux de financements, désormais résiduels. Il ne faudra pas cependant relâcher la vigilance.
La loi de 2021 devait aussi, et nous y étions attachés, rénover la police des cultes, qui a pour objet de garantir le respect de l'ordre public dans le cadre des pratiques religieuses. Or toutes les mesures relatives à la police des cultes n'ont pas été appliquées de la même manière ni avec la même efficacité sur tout le territoire.
L'article 87 a donné au préfet la possibilité de prononcer la fermeture temporaire des lieux de culte dans lesquels les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent incitent à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes, tendent à justifier ou à encourager cette haine ou cette violence, ou remettent en cause les valeurs de la République.
Le 27 février dernier, lors de son audition, le ministre a fait état de sa satisfaction sur le fonctionnement de la mesure, ce qui nous étonne, au vu du faible nombre - seulement trois - de lieux de culte fermés depuis la promulgation de la loi.
D'autres mesures paraissent moins efficaces, comme la clause « anti-putsch » prévue par l'article 68. Il est donc proposé de réfléchir à une évolution de cette disposition afin de clarifier la possibilité pour le préfet de refuser l'enregistrement des actes problématiques.
Nous estimons enfin que certaines mesures sont trop peu investies par la justice. Dès 1905, la loi a réprimé les comportements séparatistes des ministres des cultes et d'individus prétendant imposer des pratiques religieuses.
Notre assemblée avait donc augmenté les peines applicables aux ministres des cultes incitant publiquement, dans les lieux où s'exerce le culte, à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, au soulèvement ou à la guerre civile. Philippe Bas, notamment, avait fait des propositions efficaces en ce sens. Mais la justice est très peu saisie des questions relatives à la police des cultes et les mesures prises ne trouvent quasiment pas à s'appliquer.
Nous souhaitons donc que ces dispositions soient mieux appliquées et complétées, comme le souhaitait le Sénat.
J'en viens pour conclure à un point qui me semble particulièrement important même s'il ne figure pas dans la loi elle-même. En effet, parallèlement à la loi du 24 août 2021, le Président de la République a souhaité relancer le dialogue avec le culte musulman et rompre avec une « personnalisation trop forte » des structures précédentes, dans l'« objectif de faire aboutir concrètement des projets portés par des acteurs de terrain et de faciliter la structuration d'un islam de France, émancipé des ingérences étrangères et de l'entrisme de ceux qui s'opposent à la République et sont des propagateurs de haine ».
Lancé en février 2022 au palais d'Iéna, réuni au palais de l'Élysée en février 2023 et au ministère de l'intérieur en février 2024, le Forum de l'islam de France (Forif) est une structure dont le devenir nous interroge. Constitué de groupes de travail, le Forif se voit appelé par l'État à se pencher sur des sujets d'une particulière importance, comme le statut des imams et leur formation. Il doit même être le porteur d'un projet de fédération des associations musulmanes, selon le souhait du ministre de l'intérieur formulé lors de son discours du 26 février dernier, auquel j'ai assisté en compagnie de Dominique Vérien.
Pourtant, comme l'indique le ministre, le Forif est une méthode et non une structure ; ni sa composition ni les modalités de participation de ses membres ne sont connues, malgré nos demandes répétées. Sans minimiser l'intérêt des travaux qui peuvent être conduits par les groupes de travail, la transition d'une méthode fluide vers une fédération solide est un défi qui appelle plus de transparence de la part de l'État. Nous souhaitons donc que la composition du Forif et le nombre de groupes de travail soient rendus publics dans les meilleurs délais.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Vous l'aurez compris, trois ans plus tard, nous ne pouvons nous satisfaire de si peu, même si nous ne négligeons pas les difficultés ni l'importance des travaux en cours. Nous vous soumettons donc seize recommandations pour essayer de rendre les dispositions plus opérationnelles.
M. André Reichardt. - Plusieurs dispositions de la loi étaient consacrées à son application au droit local d'Alsace-Moselle. Avez-vous étudié ce cas particulier ? Si vous ne l'avez pas fait, c'est peut-être une bonne nouvelle : moins on s'en occupera, mieux cela fonctionnera !
Dans un océan de difficultés, vous relevez néanmoins un succès : le tarissement des financements étrangers. Avez-vous vérifié que ce tarissement n'était pas compensé par d'autres voies ? Il y a quelques années, dans le cadre de la mission d'information « De l'Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés » menée avec Corinne Féret et Nathalie Goulet, nous avions révélé un nombre important de graves dysfonctionnements liés à l'opacité totale des flux relatifs au hajj, à la redevance sur l'abattage halal ou encore à la zakat. Dès lors qu'une loi interdit le financement étranger, il existe pour les acteurs impliqués d'autres façons d'intervenir en faveur de la cause défendue...
Les travaux du Forif ont abouti à une demande envers les communautés musulmanes de se mettre d'accord sur un statut de l'imam et sur un niveau de qualification. En effet, aucune formation n'est actuellement requise pour devenir imam, les ministres du culte musulman étant généralement choisis selon d'autres critères tels, par exemple, que la parentalité.
Il y a quelques années, j'ai commis une proposition de loi visant à exiger des ministres du culte une qualification minimale dont le niveau serait fixé par les religions, et non par l'État. Or cela fait des années que les communautés musulmanes travaillent sur cette question sans parvenir à se mettre d'accord. Selon vous, est-il possible que ces travaux aboutissent dans les six mois à venir ?
Mme Audrey Linkenheld. - Nous n'étions pas favorables à ce texte au moment de son adoption. Son application ne suscite pas davantage notre adhésion. Cette loi a été très peu ou mal appliquée : ainsi, aucun refus de subvention n'a été observé.
Dans le département du Nord, les tentatives d'application de cette loi, notamment avec le contrat d'engagement républicain, n'ont pas visé de militants radicalisés ; elles ont ciblé des associations environnementales menant des actions pacifiques, qui ont pignon sur rue et qui sont soutenues par différentes collectivités locales de tous bords, ou des associations d'insertion qui proposent elles-mêmes un dispositif de lutte contre la radicalisation, unique dans le département, mais qui ne convenait pas au pouvoir d'État local.
Cette situation inquiète les associations et les collectivités locales qui les soutenaient. Cette loi a fait la preuve de son inutilité à tous points de vue. Je doute que vos propositions permettent de l'améliorer, tant en théorie qu'en pratique. Ce texte complique le travail quotidien des associations, mais aussi celui des collectivités à l'origine de ces subventions, qui doivent désormais prendre connaissance du contrat d'engagement républicain.
Nous restons donc opposés à cette loi.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Mayotte est le département français qui compte le plus de musulmans, devant d'autres territoires ultramarins comme La Réunion. Nonobstant, l'importante proportion de Français pratiquant ce culte ne suscite pas, à ce jour, de problème de coexistence entre les préceptes de cette religion et les principes de la République. Néanmoins, au vu des difficultés qui touchent ce département, il n'est pas impossible que nous assistions un jour à un phénomène similaire à ceux que l'on observe dans certaines cités de la métropole. Il serait donc intéressant d'étudier le cas de Mayotte, non seulement à titre préventif, mais aussi pour en tirer des recommandations.
Mme Corinne Narassiguin. - Prenons garde à ne pas aggraver le problème initial avec les recommandations de ce rapport, à savoir le manque d'utilité et d'efficacité des mesures que cette loi contient, au-delà de son seul effet d'annonce.
La recommandation n° 16 vise ainsi à aggraver les peines qui sont prévues à l'article 31 de la loi de 1905, et que la loi de 2021 avait déjà modifiées, à juste titre puisqu'il s'agissait d'actualiser le montant des amendes.
L'excellent article 31 de la loi 1905 est le pendant de l'article 1er. Il permet de poursuivre les personnes qui voudraient contraindre d'autres individus à croire ou ne pas croire, ce qui est contraire au principe de laïcité. C'est ce qui rend effective l'application du principe de laïcité. Néanmoins, cet article est très peu utilisé, et je suis convaincue qu'aggraver les peines n'y changera rien.
M. Philippe Bas. - L'investissement des rapporteures pour améliorer, dans la mesure du possible, cette loi dont elles tirent un bilan mitigé est révélateur de l'ampleur de leur déception.
Ce bilan mitigé est non pas dû à un manque de mobilisation des services de l'État ou des collectivités territoriales, mais au contenu de la loi elle-même, qui relève essentiellement du droit mou : un catalogue de bonnes intentions et de procédures censées favoriser une évolution des pratiques. Certes, le texte inclut quelques dispositions de droit dur, mais celles-ci figuraient dans la loi de 1905. Rappelez-vous que le garde des sceaux s'était étonné d'apprendre que la loi de 1905 permettait déjà de poursuivre des ministres du culte qui portaient atteinte aux principes de la République ! Par ailleurs, la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure comporte des mesures répressives : à ce sujet, notons que davantage de mosquées ont été fermées sur le fondement de ses dispositions que sur celles de la loi de 2021.
Changeons de paradigme, et arrêtons de considérer que l'islamisme radical et le djihadisme relèvent de la police des cultes ! Il s'agit d'idéologies politiques subversives portant des atteintes fondamentales aux valeurs de la République.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Bien sûr.
M. Philippe Bas. - N'entraînons pas le catholicisme, le protestantisme ou le judaïsme dans la mise en oeuvre de législations qui ne leur sont pas destinées.
Mme Audrey Linkenheld. - L'islam non plus !
M. Philippe Bas. - Nous luttons contre l'islamisme radical, et cela n'est pas la même chose que le respect par les cultes, y compris l'islam, des valeurs de la République, qui sont suffisamment bien défendues par la loi de 1905.
Cessons de renforcer des réglementations inutilement contraignantes ou tatillonnes, qui font émerger la bureaucratie dans la gestion des diocèses, des temples et des synagogues, pour des motifs complètement étrangers à la pratique de ces cultes.
Nous avons récemment voté une révision constitutionnelle. Il serait temps de la voter à nouveau. Il suffirait d'en modifier une virgule pour justifier que le Sénat en soit de nouveau saisi : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune. » Que chacun, dans les ateliers, les centres de loisirs et culturels ou les mairies, sache à quoi s'en tenir, quand les revendications communautaristes sont présentées. On y cède encore trop souvent, et la loi de 2021 n'y a rien changé.
Dès la discussion de cette loi, nous en avions perçu les faiblesses. Nous avons essayé de l'améliorer, car nous étions globalement favorables à la direction qu'elle prenait. Désormais, il faut remettre l'ouvrage sur le métier avec une nouvelle approche.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Monsieur Reichardt, nous n'avons pas auditionné les représentants des cultes d'Alsace-Moselle. Votre voeu est donc exaucé !
Lors de son audition, le ministre de l'intérieur nous a appris que le Forif avait pour objectif de proposer au Gouvernement un statut d'imam de France d'ici au mois de septembre. Nous verrons ce qu'il en est, notamment s'agissant de la question de la formation - à titre personnel, je m'interroge sur ce point. En effet, l'Institut européen des sciences humaines (IESH) aurait été par le passé missionné pour assurer cette formation, alors que l'un de ses professeurs a récemment été expulsé par le préfet du Val-d'Oise.
Monsieur Mohamed Soilihi, vous avez raison de dire qu'il n'existe pas de problème à Mayotte « à ce jour » : il y a quelques années, nous n'étions pas non plus confrontés à ces questions en métropole...
Monsieur Bas, une idéologie ne se combat pas par un texte. Certes, l'État doit se doter des outils nécessaires, mais la lutte contre l'idéologie relève davantage d'une question de volonté. L'islam n'est pas l'islamisme : l'islam est une religion comme les autres, quand l'islamisme est un projet politique, qui met en cause notre unité. Ce n'est pas un texte comme cette loi qui réglera ce problème. C'est la raison pour laquelle nous avions rejeté ce texte technique, qui ne correspond ni aux aspirations ni à notre volonté de répondre à un grave défi. Les auditions ont montré que cette loi a bousculé des pratiques qui ne posaient pas de problème, sans apporter de réponse pour celles qui en posaient.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - S'agissant du tarissement des financements étrangers, les flux ont bien été réorientés, vers l'Afrique, ce qui n'est pas une bonne nouvelle.
La loi de 1905 nous empêche d'imposer un statut de l'imam. Je suis étonnée que le problème puisse se poser en Alsace-Moselle, où il est possible d'imposer des mesures aux cultes.
Monsieur Mohamed Soilihi, l'islamisme est un projet politique, qui pourrait, à terme, représenter un risque à Mayotte. Il serait surprenant que les acteurs de ce projet politique, qui avancent masqués derrière une religion, ne se servent pas de ce levier, en prenant en otages les musulmans. Nous devrions nous tenir aux côtés de ceux-ci pour lutter contre ces dérives.
Madame Narassiguin, la recommandation n° 16 vise à faire de la participation forcée à un culte dans le cadre intrafamilial une circonstance aggravante pour les peines prévues à l'article 31. Néanmoins, l'objectif est bien d'inciter les magistrats à se saisir de cet article.
Mme Cécile Cukierman. - Faire respecter les principes de la République, ce n'est pas interdire les religions, puisque le droit de croire, ou de ne pas croire, en fait partie. La difficulté est précisément d'entraver l'action de ceux qui portent atteinte à ces principes. Ne nous trompons donc pas de cible.
Nous devrions en effet parfois faire preuve de plus de volontarisme, voire d'intransigeance. Adoptons, en outre, une vision plus large que celle de notre seul territoire national.
En effet, si l'on peut se satisfaire de la réorientation des flux financiers, ceux-ci ne se sont pas interrompus : le combat de ceux qui défendent un modèle politique contraire aux nôtres se poursuit dans d'autres pays, et finira par toucher la France par d'autres biais.
Nous devons donc faire preuve d'une vigilance permanente.
Le débat sur la formation des imams avait été abordé lors de l'audition des différents cultes avant l'examen de ce texte.
Il est plus facile à notre République de faire avec certaines religions, en raison de leur organisation et de leur histoire. Ma vision apparaîtra sans doute caricaturale, mais je ne veux heurter personne. Pour dire les choses de façon schématique, l'organisation de l'église catholique apostolique et romaine est hiérarchique, ce qui facilite ses rapports avec l'État. Au surplus, dans l'histoire, notre pays a su s'affranchir de Rome, pensons au gallicanisme et à la déclaration des Quatre Articles au temps de Louis XIV. L'organisation de l'Église, compatible avec notre modèle politique, a rendu possible son contrôle, si bien que, en 1905, nous étions déjà prêts.
Ce n'est pas le cas d'autres églises, à l'instar des évangéliques - elles n'ont rien à voir avec les églises protestantes - qui entraînent également des dérives sectaires.
Je le répète, il faut aborder cette question avec force et intransigeance, mais aussi avec humilité, car la République a pour principe de n'exclure personne.
Le rapport d'information est un point d'étape ; il faudra aborder de nouveau ce sujet dans quelques années, car les risques évoluent. Le modèle républicain dérange certains qui veulent asseoir leur pouvoir.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Le nombre d'églises évangéliques continue de progresser. Aujourd'hui, les megachurches peuvent rassemblent jusqu'à 4 000 fidèles.
D'ailleurs, je précise que le protestantisme - je pense notamment aux églises évangéliques - est la religion qui reçoit le plus de financements extérieurs, qu'ils viennent des États-Unis, du Brésil ou d'Afrique. Cela est parfois en lien avec un véritable risque de dérives sectaires.
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous indique que le rapport de la mission d'information s'intitule : « Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : tout reste à faire. » Pour paraphraser Churchill, nous leur donnons les outils, qu'ils fassent le travail !
Les recommandations sont adoptées.
La mission d'information adopte le rapport d'information et en autorise la publication.