B. LA LUTTE CONTRE LES FINANCEMENTS ÉTRANGERS
La loi CRPR a mis en place un dispositif de contrôle renforcé des financements en provenance de l'étranger, qui s'applique à la fois :
- à certaines associations fondées sous le régime de la loi de 1901 (article 21) ainsi qu'à certains fonds de dotation (article 22) : le nouvel article 4-2 de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat impose aux associations et fonds de dotation recevant plus de 153 000 euros de dons de tenir un état comptable séparé des avantages et ressources lorsqu'ils bénéficient, directement ou indirectement, de ressources en provenance de l'étranger74(*). Le non-respect de cette obligation est passible d'une amende de 3 750 euros, dont le montant peut être porté au quart de la somme des avantages et ressources provenant de l'étranger non-inscrits à l'état séparé. Les fiducies ou personnes morales de droit français concourant à ces financements étrangers peuvent par ailleurs être soumis à une obligation de certification de leurs comptes75(*) ;
- aux associations cultuelles fondées sous le régime de la loi de 1905 (articles 75 et 77)76(*) : le nouvel article 19-3 de la loi du 9 décembre 1905 impose aux associations cultuelles de déclarer à l'autorité administrative les financements qu'elles perçoivent directement ou indirectement en provenance de l'étranger lorsque leur montant ou valorisation dépasse 15 300 euros. Le non-respect de cette obligation est également passible d'une amende de 3 750 euros, dont le montant peut être porté au quart de la somme sur laquelle a porté l'infraction. Par ailleurs, l'autorité administrative dispose d'un droit d'opposition lorsque « les agissements de l'association bénéficiaire ou de l'un de ses dirigeants ou administrateurs établissent l'existence d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société ». Enfin, l'article 75 de la loi CRPR soumet les associations cultuelles à une obligation de certification de leurs comptes lorsque le montant total des ressources et avantages provenant de l'étranger excède 50 000 euros ainsi qu'à une obligation de tenue d'un état comptable séparé desdites ressources ;
- aux associations mixtes (article 73) : l'article 19-3 de la loi du 9 décembre 1905 relatif au financement étranger est applicable aux associations mixtes77(*).
Le Sénat s'était montré favorable à la mise en place d'un régime de contrôle des financements en provenance de l'étranger, en particulier s'agissant des associations cultuelles. Lors de l'examen de la loi CRPR, la commission des lois avait ainsi relevé que « certaines organisations, y compris étatiques ou paraétatiques, [utilisaient] leurs capacités de financement comme le levier de la poursuite d'objectifs politiques, qui peuvent être discutables » et que « ces financements [pouvaient] ainsi constituer l'instrument de stratégies d'influence ou d'ingérence, justifiant un contrôle légitime des pouvoirs publics »78(*). Elle estimait même que l'instauration d'un dispositif de contrôle revêtait l'importance d'un enjeu de souveraineté.
Selon les éléments transmis par la DLPAJ, « les obligations relatives aux financements étrangers ont été plutôt bien comprises ». En termes quantitatifs, 418 déclarations ont été traitées entre le 25 avril et le 31 décembre 2022 (comprenant 2 359 financements pour un montant total de 25 millions d'euros) et 397 au premier trimestre 2023 (comprenant 1 766 financements pour un montant de 28 millions d'euros). Les principales associations bénéficiaires sont celles des cultes musulman, protestant et mormon. Selon les éléments portés à la connaissance de la mission d'information, l'administration n'a jamais fait usage de son droit d'opposition et aucune amende n'a jamais été prononcée. L'administration ne s'est pas non plus opposée à la perception de libéralités par des associations cultuelles, comme lelui autorise le nouvel article 910-1 du code civil introduit par l'article 78 de la loi CRPR.
Les représentants des cultes auditionnés ont en revanche fait état de certaines difficultés matérielles pour procéder aux déclarations, en raison notamment de la complexité du formulaire. L'obligation de certification des comptes a également pu être source de difficultés ponctuelles pour les plus petites associations cultuelles, mais qui semblent pour l'essentiel résorbées.
Le contrôle des financements étrangers représente l'un des points de satisfaction de la loi CRPR. Le service de renseignement financier Tracfin a ainsi indiqué aux rapporteures avoir observé un « effet signal » qui se traduit par une nette diminution des flux de financements, désormais résiduels. Dans l'ensemble, les représentants de Tracfin auditionnés ont souligné que « dans leur quasi-totalité, les associations au sujet desquelles [le service avait] été saisi n'avaient pas été destinataires de flux financiers directs non déclarés provenant d'organismes étrangers ». Si Tracfin a reçu 21 650 déclarations de soupçons portant sur la thématique cultuelle au sens large entre 2019 et octobre 2023, une nette décroissance a été observée à partir de l'entrée en vigueur de la loi CRPR (- 30 %). Par ailleurs, ces chiffres doivent être analysés avec précaution dans la mesure où ils regroupent l'ensemble des déclarations de soupçon portant sur la thématique cultuelle et où leur qualité est extrêmement disparate.
Si les rapporteures soulignent la réussite de ce pan de la loi CRPR, elles appellent toutefois à ne pas relâcher la vigilance au cours des prochaines années. Selon les informations communiquées par Tracfin, cette réduction des flux en provenance de l'étranger est en effet moins le résultat d'un tarissement stricto sensu que d'une réorientation vers d'autres États, en particulier africains. Dans un contexte d'intrication croissante des économies, ce constat est préoccupant et incite au maintien d'une surveillance active en matière de financements étrangers.
* 74 Les ressources ou avantages peuvent être consenties par « un État étranger, par une personne morale étrangère, par tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou par une personne physique non résidente en France ».
* 75 Lorsqu'elles bénéficient qu'elles bénéficient d'avantages et de ressources mentionnés en provenance de l'étranger dont le total annuel des montants et des valorisations dépasse 15 300 euros (article 15 du décret n° 2022-619 du 22 avril 2022).
* 76 Les différents seuils fixés dans cette section ont également été fixés par le décret n° 2022-619 du 22 avril 2022.
* 77 Par renvoi de l'article 4 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes.
* 78 Voir le rapport n° 454, tome I (2020-2021) de Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien sur le projet de loi n° 3649 confortant le respect des principes de la République.