B. DES PERFORMANCES TOUJOURS INSUFFISANTES AU REGARD DES OBJECTIFS ASSIGNÉS EN MATIÈRE DE GREFFE ET DE PRÉLÈVEMENT
Après des résultats très en deçà des objectifs fixés par le plan ministériel 2017-2021, le COP 2022-2026 fixe à nouveau des objectifs qui apparaissent extrêmement ambitieux à l'horizon 2026, conduisant la Cour à exprimer des doutes sérieux sur la capacité de l'ABM à les atteindre.
Il faut évidemment tenir compte de ce que la dégradation de la situation hospitalière ces dernières années, particulièrement depuis la survenue de la crise de la covid-19, impacte négativement l'activité des CHPOT dans les établissements. On ne peut en revanche admettre qu'avec peine que le ministère de la santé n'ait pas intégré ces contraintes dans la détermination des objectifs fixés au COP.
Alors que l'agence n'a pas les moyens d'agir sur les difficultés liées à cet environnement, l'égarement du ministère sur ce point met inévitablement l'ABM en situation d'échec13(*).
Plusieurs constats inquiétants sont ainsi dressés par la Cour des comptes.
Les besoins en greffes d'organes ont plus que triplé en 25 ans. En 2022, 28 538 donneurs étaient inscrits sur la liste d'attente pour une activité de 5 495 greffes réalisées. En 2022, le nombre de greffes réalisées reste toujours inférieur à l'activité de 2017.
Ce déséquilibre croissant entre l'activité de greffe et le nombre de patients en attente de greffe a des conséquences inévitables sur la mortalité des patients14(*). On observe néanmoins une tendance encourageante avec une remontée d'activité très progressive depuis 2021 +6,8 % de greffes d'organes entre 2021 et 2023).
Source : Agence de la biomédecine
En matière de greffe de tissus, la dépendance de la France à l'égard des greffons étrangers n'a cessé d'augmenter ces dernières années. Elle atteint aujourd'hui 93,5 %, soit une dépendance quasi totale. Alors que le COP 2022-2026 fixe un objectif de 25 %15(*) de greffons provenant de donneurs nationaux à l'horizon 2026, cette ambition, louable, n'en apparaît pas moins illusoire au regard de la trajectoire enregistrée depuis plus de 20 ans.
Sur ce point, la Cour recommande que le pilotage des banques de tissus, dont l'autorisation dépend de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)16(*), soit confié à l'ABM (Recommandation n° 4). Ce rapprochement contribuerait à une meilleure connaissance par l'ABM de l'état des besoins recensés. L'ABM a exprimé sur ce point sa position favorable.
Par ailleurs, la définition de seuils d'autorisation d'activités pour certaines greffes d'organes (Recommandation n° 5) constitue une recommandation réitérée de la Cour, guidée par une préoccupation de qualité et de sécurité des soins, mais aussi d'efficience dans la gestion des moyens consacrés à ces activités. Sa mise en oeuvre emporterait toutefois la suppression d'un nombre non évalué d'autorisations d'activités, avec de potentiels effets sur le volume d'activité des greffes qu'il conviendrait de mesurer.
Enfin, la recommandation de l'utilisation de techniques
de typages HLA plus efficientes pour augmenter le nombre de donneurs
volontaires inscrits sur le registre France greffe de moelle
(Recommandation n° 6) prolonge des réflexions de
la Cour exposées dans son rapport de 2019. Si l'enjeu est
celui de l'optimisation du coût des analyses réalisées,
l'ABM relève toutefois qu'une augmentation substantielle du nombre de
donneurs inscrits s'accompagnerait de coûts non
négligeables
- mais non chiffrés par la Cour des
comptes - de gestion et de suivi des donneurs par les centres, et que le
bénéfice financier est loin d'être certain.
Un modèle financier qui interroge
Au-delà du nécessaire accompagnement renforcé des équipes des coordinations hospitalières préconisé par la Cour des comptes, la question du modèle financier des activités de prélèvement et de greffe en établissement de santé, non développée dans le présent rapport, doit être posée.
Le plan ministériel pour le prélèvement et la greffe d'organes et de tissus 2022-2026 l'esquisse à peine. S'il évoque « l'harmonisation de la rémunération des astreintes chirurgicales, la refonte des modalités de détermination des forfaits « prélèvement d'organes » (PO) et la redéfinition du tarif des prélèvements de rein sur donneur vivant pour mieux valoriser le coût de l'occupation des blocs opératoires », il ne contient cependant aucun engagement précis en la matière.
Les activités de prélèvement et de greffe mobilisent des moyens conséquents et coûteux. Elles exigent de pouvoir disposer en urgence des blocs opératoires, de professionnels de santé formés et en nombre suffisant pour assurer les astreintes de nuit et de week-end... Après avoir été durement éprouvés par la crise sanitaire de la covid-19, les établissements de santé demeurent confrontés à d'importantes difficultés en matière de ressources humaines, qui se répercutent sur leur capacité à assurer pleinement l'ensemble de leurs activités. Les activités de prélèvement et de greffe en pâtissent inévitablement.
L'enjeu est donc d'assurer l'attractivité d'une filière et la soutenabilité d'un modèle pour en garantir la pérennité. Cette ambition, source d'attentes, a été exprimée lors des dernières assises de la Société Francophone de Transplantation (SFT) en septembre 2023. Elle est en effet déterminante pour redynamiser la filière à long terme et soutenir l'ABM dans l'atteinte des objectifs fixés par le COP.
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L'action de l'ABM implique une grande diversité d'acteurs aux compétences variées. L'animation de cet écosystème, où les préoccupations de sécurité et de qualité des soins sont cardinales, doit conduire l'ABM à rendre accessible au plus grand nombre les enjeux essentiels qui guident l'accomplissement de ses missions, pour inscrire les questions éthiques dans le débat citoyen et pour faciliter leur appropriation par tous.
Le constat que dresse la Cour des comptes s'inscrit dans la continuité de ses observations formulées en 2019. Il exige une réaction rapide des autorités de tutelle de l'ABM pour lui permettre d'assurer ses missions dans les meilleures conditions possibles, en tenant compte d'un contexte hospitalier dégradé, qui pèse inévitablement sur l'activité de l'agence. À mi-chemin du COP 2022-2026, la question d'une mise à jour des objectifs de l'agence mérite d'être posée.
* 13 On relèvera par ailleurs que la direction du prélèvement et de la greffe d'organes et de tissus de l'ABM a enregistré une diminution substantielle de ses effectifs entre 2010 et 2019, la hausse de près de 4 % des effectifs de l'ABM depuis 2021 étant principalement liée à l'élargissement de ses missions dans le champ de l'AMP.
* 14 Le nombre de patients décédés en attente de greffe serait supérieur à 1 000 selon la Cour des comptes.
* 15 Le plan greffe 2012-2016 fixait un objectif de 35 % des besoins à couvrir par des greffons français.
* 16 L'activité de conservation des tissus fait l'objet d'une autorisation délivrée pour une durée de 5 ans par l'ANSM.