RAPPORT
I. APRÈS L'ABANDON DU PROJET DE NOTRE-DAME-DES-LANDES, DE NOMBREUX ENGAGEMENTS NON TENUS
A. À LA SUITE DU RENONCEMENT À CONSTRUIRE UN AÉROPORT À NOTRE-DAME-DES-LANDES, DES COMPENSATIONS ANNONCÉES PAR LE GOUVERNEMENT
1. L'abandon unilatéral du projet de Notre-Dame-des-Landes : le fait générateur des difficultés actuelles
Le projet de modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique trouve ses origines dans l'abandon, en 2018, de la construction d'un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes - ou « aéroport du Grand Ouest » - qui était envisagée depuis près de soixante ans.
Retour sur l'historique du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes
La construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes a été envisagée dès les années 1960, dans l'objectif d'améliorer la desserte aérienne des régions Bretagne et Pays de la Loire. Ce projet vise aussi à permettre le transfert de l'aéroport de Nantes Atlantique - alors dénommé aéroport de Nantes Château-Bougon2(*) - vers une infrastructure plus capacitaire, compte tenu de la hausse attendue du trafic aérien sur cette plateforme.
Projet de transfert de l'aéroport de Nantes Atlantique à Notre-Dame-des-Landes
Source : site internet de la Commission nationale du débat public.
En 1963, la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) lance le projet des « métropoles d'équilibre » dans l'objectif de favoriser le développement de centres de pouvoir au niveau régional, en contrepoids à l'hypercentralisation parisienne ; Nantes-Saint-Nazaire fait partie des premières métropoles d'équilibre identifiées par le Gouvernement. Le projet de construction d'un grand aéroport intervient dans ce contexte, et afin de répondre aux besoins croissants du territoire en matière de transport aérien.
Le site de Notre-Dame-des-Landes est sélectionné en 1968 ; il est situé à environ 20 kilomètres au nord-ouest de Nantes et à 50 kilomètres au nord-est de Saint-Nazaire. En 1974, une « zone d'aménagement différé » (ZAD) est créée par arrêté préfectoral, sur une zone d'environ 1 650 hectares constituée de bocage humide utilisé notamment pour des activités de pâturage. La ZAD est une procédure permettant aux collectivités territoriales, à travers l'exercice d'un droit de préemption, d'acquérir progressivement des réserves foncières en vue d'un projet d'aménagement futur.
Des premières contestations émergent et, à la suite notamment des « chocs pétroliers », le projet est mis en suspens au cours des années 1970.
Le projet est relancé au début des années 2000, dans quatre objectifs :
- répondre à la saturation de l'aéroport de Nantes Atlantique qui fait face à un essor de son trafic ;
- améliorer la desserte du Grand Ouest vis-à-vis des principales villes de France, mais aussi de l'Europe et de destinations à l'international ;
- réduire la dépendance du territoire aux infrastructures aériennes parisiennes ;
- contribuer au développement économique du territoire.
En 2006, à la suite d'un débat public de deux ans mené sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), l'enquête publique est lancée. La déclaration d'utilité publique du projet est publiée par décret le 10 février 2008. Le groupe Aéroports du grand ouest (AGO) remporte l'appel d'offres en 2010.
La procédure et le lancement des travaux sont toutefois entravés par la vive contestation suscitée par le projet et, en pratique, par l'occupation de la ZAD par des opposants à la construction de l'aéroport. Cependant, en dépit des très nombreux recours contentieux menés contre le projet - ils ont donné lieu à plus d'une centaine de décisions - la légalité de celui-ci a été confirmée par les différentes juridictions saisies.
Le 26 juin 2016, un peu moins de dix ans après la publication de la déclaration d'utilité publique sur le projet d'aéroport du Grand Ouest, une consultation locale a été organisée en application de l'article L. 123-20 du code de l'environnement3(*) et d'un décret4(*) publié au mois d'avril. Les habitants de Loire-Atlantique ont été invités à répondre à la question suivante : « Êtes-vous favorable au projet de transfert de l'aéroport de Nantes Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? ».
Avec un taux de participation de l'ordre de 51 %, la majorité des votants (55,17 %) a répondu de manière affirmative à cette question.
Si cette consultation n'était pas contraignante d'un point de vue juridique, Manuel Valls, alors Premier ministre, s'était engagé à ce que les travaux de construction de l'aéroport soient engagés en cas de victoire du « oui ».
Extrait des questions au Gouvernement du 21 juin 2016 - Assemblée nationale (Propos de Manuel Valls, Premier ministre)
« Le Conseil d'État a rejeté hier le recours formé contre le décret relatif à la consultation des électeurs des communes de la Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l'aéroport de Nantes Atlantique vers la commune de Notre-Dame-des-Landes. À quelques jours de ce référendum, il me paraît important de rappeler que la juridiction a validé le périmètre de la consultation, ainsi que la question posée aux électeurs. Pour ceux qui pouvaient en douter, la consultation aura donc bien lieu dimanche prochain, sur la base du projet déclaré d'utilité publique en 2008. Je me réjouis bien sûr de cette décision. Je veux en tout cas assurer que l'État met tout en oeuvre pour que cette consultation se déroule dans les meilleures conditions et dans le respect des principes du droit et de la démocratie. [...]
Cette consultation constitue en effet une innovation démocratique majeure. Je ne doute pas que c'est en donnant la parole aux citoyens les plus concernés par le projet que nous pourrons sortir par le haut des blocages actuels [...].
J'invite donc les forces citoyennes à se mobiliser pour que la participation soit la plus élevée possible dimanche [...] et que cette consultation soit non seulement une expérience civique qui fera honneur à notre démocratie, mais aussi un moment de vérité sur ce projet [...].
Le Gouvernement tiendra compte, bien sûr, du résultat de la consultation. Si le « non » l'emporte, le projet sera abandonné. Si le « oui » l'emporte, le projet sera engagé [...].
Quel que soit le résultat, les personnes qui occupent illégalement des propriétés devront partir. L'État de droit s'appliquera à Notre-Dame-des-Landes comme partout ailleurs dans notre pays. »
Pourtant, en 2017, le Gouvernement lance une mission de médiation afin de comparer les avantages et inconvénients des deux options en présence : la construction de l'aéroport du Grand Ouest et la modernisation de l'aéroport de Nantes Atlantique.
Le 17 janvier 2018, le Premier ministre Édouard Philippe annonce l'abandon du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes, « après cinquante années d'hésitation », au profit du réaménagement de l'aéroport de Nantes Atlantique.
Extrait de la déclaration du Premier ministre, Édouard Philippe, annonçant l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes - 17 janvier 2018
« [...] Cette décision est une décision d'apaisement. Elle doit aussi être l'occasion d'un nouveau départ, l'occasion de construire différemment, intelligemment. Le Grand Ouest a besoin de solutions pour croître. C'est une région puissante. Sa démographie et son économie sont dynamiques. Elle a besoin pour son développement d'être connectée au reste de la France et au reste de l'Europe. Mais précisément cette connexion ne peut plus s'envisager aujourd'hui comme elle était pensée il y a cinquante ans ou même il y a vingt ans. Il y a cinquante ans, le modèle pour Notre-Dame-des-Landes c'était de bâtir le troisième aéroport français et d'accueillir le Concorde pour rejoindre la vitesse supersonique le plus vite possible. Il y a vingt ans, le projet a été redéfini pour réaliser une plateforme aéroportuaire régionale permettant de développer des vols internationaux. Ce projet ne répond plus aux objectifs actuels, aux réalités actuelles de l'organisation aéroportuaire qui réservent à quelques grands aéroports nationaux les vols long-courriers.
Ce dont le Grand Ouest a besoin, ce à quoi le Gouvernement s'engage, c'est de garantir que Brest, que Nantes, que Rennes, disposent de liaisons faciles avec les autres métropoles européennes et de mettre en place des liaisons rapides avec les hubs long-courriers internationaux. Le récent rapport de médiation a montré qu'il n'y a pas de solution idéale, mais qu'il existe une alternative crédible au transfert de l'aéroport.
Cette solution, c'est le réaménagement de l'aéroport de Nantes Atlantique. Les études ont aussi montré qu'il était possible de prendre des mesures limitant la hausse des nuisances sonores pour la population. Dans un premier temps, l'aérogare de Nantes Atlantique sera modernisée et les abords de pistes seront aménagés pour permettre à l'aéroport d'accueillir plus de passagers.
Ces premières mesures peuvent être réalisées sur l'emprise actuelle de l'aéroport dans des délais rapides. En parallèle, la procédure pour l'allongement de la piste sera engagée. Elle permettra de réduire les nuisances sonores à Nantes. Nous ferons tout pour réduire ces nuisances pour le village de Saint-Aignan-Grandlieu et si techniquement cela n'était pas possible, elles feraient l'objet de compensations exemplaires [...] ».
Cette décision, qui allait à l'encontre de la volonté exprimée par la population de Loire-Atlantique lors de la consultation locale de 2016, est à l'origine des difficultés rencontrées aujourd'hui à l'aéroport de Nantes Atlantique.
Elle a suscité une lourde incompréhension dans le pays nantais. De nombreux acteurs ont évoqué un Gouvernement « revenant sur sa parole » et un sentiment de « trahison ». Dès le début de ses travaux, le rapporteur a tenu à aller à la rencontre des acteurs locaux (élus, riverains et acteurs économiques) pour recueillir leur point de vue. Lors d'un déplacement à Nantes le 13 novembre 2023, nombre d'entre eux ont évoqué un « un coup de canif dans un contrat de confiance », « une forte déception » ou encore « un sentiment d'amertume » par rapport à la décision du Gouvernement.
De manière plus grave encore, le choix du Gouvernement de ne pas tenir compte des résultats de la consultation publique a pu alimenter un sentiment de défiance vis-à-vis de la puissance publique, voire de suspicion, en particulier parmi les riverains et élus locaux des communes voisines de l'aéroport de Nantes Atlantique qui sont les plus touchées par les nuisances sonores aériennes.
L'Association contre le survol de l'agglomération nantaise (Acsan) a ainsi souligné auprès du rapporteur que les habitants ont vécu ces « revirements » et « atermoiements » de l'État comme un « déni de démocratie ». Elle a rappelé que la décision d'abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes « a entraîné des conséquences désastreuses sur la confiance que les citoyens pouvaient avoir dans l'État et les institutions républicaines ».
2. Le contrat d'avenir entre l'État et les Pays de la Loire : de nouveaux engagements gouvernementaux pour compenser l'enterrement du projet de Notre-Dame-des-Landes
L'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes par le Gouvernement a induit une rupture du lien de confiance avec le territoire nantais.
Dans ce contexte, et compte tenu des conséquences néfastes de la décision unilatérale du Gouvernement pour la santé des populations riveraines de l'aéroport de Nantes Atlantique d'une part et le développement du territoire d'autre part, un ensemble de mesures compensatoires a été prévu pour la région Pays de la Loire.
Le 8 février 2019, le Premier ministre, Édouard Philippe, a ainsi signé à Nantes un Contrat d'avenir des Pays de la Loire avec la présidente de la région, Christelle Morançais, répondant à deux objectifs : « renforcer l'attractivité et l'accessibilité de la Région en développant les mobilités et les infrastructures de transport » et « rebondir en se projetant vers l'avenir ». Ce contrat comporte 37 projets, répartis selon quatre axes :
- améliorer les mobilités ;
- accélérer le déploiement du numérique sur tous les territoires ;
- développer l'économie de la connaissance ;
- accompagner le défi de la transition écologique.
La majorité de ces projets (21 sur 37) concernent l'amélioration des mobilités dans la région.
· Le premier engagement tire les conséquences de l'abandon de la construction d'un nouvel aéroport pour le Grand Ouest : il prévoit le réaménagement de l'aéroport de Nantes Atlantique « pour répondre à l'augmentation du trafic observée et à venir ».
Présentation succincte de l'aéroport de Nantes Atlantique
Anciennement dénommé « aéroport de Nantes-Château-Bougon », l'aéroport de Nantes atlantique est situé sur le territoire des communes de Bouguenais et de Saint-Aignan-Grandlieu, au sud-ouest de la ville de Nantes.
Héritier d'un camp d'aviation créé dès les années 1920, l'aéroport a vu ses activités commerciales et de tourisme se développer véritablement à partir des années 1950. La capacité d'accueil de l'aéroport augmente sensiblement au cours des années 1980, période à laquelle il est renommé « aéroport de Nantes Atlantique ». Tout comme l'aéroport de Saint-Nazaire Montoir, il est la propriété de l'État et est géré par le concessionnaire « Aéroports du Grand Ouest » (AGO), une filiale du groupe Vinci.
L'aéroport actuel dispose d'une emprise au sol de 340 hectares et d'une piste de 2 900 mètres. L'aérogare dispose d'un terminal unique d'une superficie de 43 000 m2.
Il accueille aujourd'hui une vingtaine de compagnies aériennes. Toutefois, seules quatre compagnies sont « basées » à Nantes Atlantique (c'est-à-dire qu'elles y hébergent des flottes d'avions) : Air France, sa filiale à bas coûts Transavia, Volotea et Easy Jet.
Selon les données transmises par AGO, en 2019, l'aéroport générait environ 3 250 emplois directs et 4 900 emplois indirects. Sa contribution au produit intérieur brut (PIB) s'élevait à près de 1,5 milliard d'euros au niveau national et à 0,9 milliard d'euros pour la région (soit 60 % du PIB généré dans la région Pays de la Loire).
En 2022, l'aéroport a accueilli 5,78 millions de passagers et plus de 44 000 vols. Entre janvier et octobre 2023, ces chiffres s'élèvent respectivement à 5,66 millions de passagers et plus de 41 000 vols. Après deux années de baisse du trafic en 2020 et 2021, le trafic est donc reparti à la hausse, même s'il demeure à un niveau inférieur à celui de 2019 (7,19 millions de passagers et plus de 63 000 vols).
Source : Ouest France.
Il était prévu que ce premier projet soit conduit « en concertation avec les collectivités locales » et qu'un appel d'offres en vue de choisir un nouveau concessionnaire soit lancé en 2021.
À court terme, il était également prévu que des travaux de mise à niveau soient engagés par le concessionnaire actuel de l'aéroport, à travers la « réfection du balisage du taxiway, la libération de l'aérogare des fonctions annexes pour la réserver aux passagers et la création de nouvelles lignes de postes d'inspection et de filtrage ». Le concessionnaire devait également augmenter la capacité du stationnement automobile dès 2019 et moderniser les équipements de détection d'explosifs dans les bagages en soute.
· Le deuxième engagement vise à améliorer la desserte de l'aéroport via les transports en commun.
Le contrat indique en effet que l'« une des conséquences majeures du maintien de l'aéroport à Nantes Atlantique est la nécessité d'améliorer et fluidifier l'accessibilité à la plate-forme aéroportuaire actuelle ». Il était prévu qu'une étude soit lancée pour améliorer cette desserte depuis l'ensemble de la région et le centre de la métropole, par voie de transport public ferré ou routier, et que l'État concoure au financement de cette étude.
Le contenu de ces mesures a été précisé en octobre 2019, à travers la publication de 31 engagements de l'État.
· Le contrat d'avenir affichait en outre une nouvelle ambition en faveur du transport ferroviaire dans la région Pays de la Loire. Deux engagements ont suscité des attentes particulières à cet égard.
D'une part, l'objectif de développer, à long terme, l'accès ferroviaire à Paris et à ses aéroports, à travers plusieurs mesures, dont la plus emblématique est la mise en place du nouveau mode de signalisation répondant aux standards européens « ERTMS 2 » sur la ligne à grande vitesse (LGV) reliant Nantes et Paris. Un déploiement était prévu entre 2023 et 2027 sur la section Sablé-Angers-Nantes, particulièrement saturée aux heures de pointe. La création d'une voie supplémentaire dédiée à cette LGV entre Massy et Valenton était également prévue, pour améliorer la capacité de cette ligne sur laquelle circule par ailleurs le RER C.
D'autre part, à court terme, améliorer la qualité de service de la liaison ferroviaire vers Paris. Était notamment prévue l'accélération de la mise aux standards de protection de la portion de la LGV située entre Nantes, Angers et Sablé, à travers la pose de clôtures le long de certains tronçons concernés par des heurts d'animaux (une des premières causes des retards de train aujourd'hui), de maîtriser la végétation de manière à éviter les chutes d'arbres lors d'évènements climatiques violents et, enfin, de mettre en place un système de télédétection de l'état du réseau et de multiplier les accès aux voies depuis la route pour les engins de réparation. Ainsi, plus de 70 km de voies devaient bénéficier de cette protection renforcée avant la fin 2022.
Enfin, l'amélioration des liaisons ferroviaires entre Nantes, la Loire-Atlantique et la Bretagne constituait également un engagement important du contrat d'avenir. Était aussi envisagée la réalisation d'études en vue de la création d'une ligne nouvelle entre Rennes et Redon et la modernisation du réseau existant entre Nantes et Redon (par exemple à travers la modernisation de la signalisation).
* 2 L'aéroport de Nantes a été rebaptisé « aéroport de Nantes Atlantique » en 1988.
* 3 Cet article prévoit que l'État peut consulter les électeurs d'une aire territoriale déterminée afin de recueillir leur avis sur un projet d'infrastructure ou d'équipement susceptible d'avoir une incidence sur l'environnement dont la réalisation est subordonnée à la délivrance d'une autorisation relevant de sa compétence, y compris après une déclaration d'utilité publique.
* 4 Décret n° 2016-503 du 23 avril 2016 relatif à la consultation des électeurs des communes de la Loire-Atlantique sur le projet de transfert de l'aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes.