III. LES ÉLUS LOCAUX EXPRIMENT UNE TRIPLE ATTENTE
À chaque audition, vos rapporteurs ont questionné les élus et les techniciens sur leurs attentes, notamment vis-à-vis de la Représentation nationale, pour leur faciliter la tâche dans la conduite d'une politique de transition environnementale pour leur collectivité.
Si les collectivités jouent un rôle important en matière de transition, elles ne peuvent intervenir que dans le cadre des objectifs et des règles déterminés par l'État. Par exemple, comme cela a été mis en évidence lors d'une audition du Sénat110(*) les collectivités sont réduites au rôle d'opérateur pour le compte de l'État, que ce soit avec le fonds chaleur, où les régions ont l'obligation de respecter les règles fixées par l'Ademe, ou avec les aides à la pierre, contraintes de suivre les règles fixées par l'Anah. La collectivité ne pourra pas décider, par exemple, de cibler exclusivement les aides sur les bâtiments les moins performants, ou de privilégier des bouquets de travaux plus ambitieux mais moins nombreux...
Étant entendu que les collectivités inscrivent leurs actions dans les cadres normatifs nationaux et les engagements internationaux, il est logique que les élus locaux fassent part des difficultés liées à ces cadres.
Lever ces freins est essentiel pour passer de la logique des pionniers à de la massification des actions.
À ce titre, il faut souligner le lancement par la BdT du programme EduRénov afin de « massifier » la rénovation énergétique des écoles, collèges et lycées. Ce programme repose sur deux grands piliers : la mobilisation de l'ensemble des moyens de la Banque des Territoires pour financer 2 millions d'euros de travaux et un apport de 50 millions d'euros de crédit d'ingénierie d'ici à 2027, ainsi qu'un dispositif national destiné à fédérer l'écosystème territorial autour du partage de données, d'informations et de bonnes pratiques. Ces deux axes complémentaires ont vocation à mobiliser et accompagner davantage les élus pour rénover 10 000 établissements d'ici 2027, et réaliser au minimum 40 % d'économie d'énergie.
A. LA 1ÈRE ATTENTE DES ÉLUS LOCAUX : L'ÉTAT DOIT CHANGER DE MÉTHODE
Le travail de cette mission confirme une forte attente de changement de méthode et d'évolution de la relation entre l'État et les collectivités. Déjà entrevu dans plusieurs rapports de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, notamment le rapport « ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! » de Céline BRULIN et Charles GUENÉ, du 29 septembre 2022, il y a un besoin de renouveler radicalement l'approche d'intervention des services de l'État.
Paroles d'élus et contribution écrite
« La seule mesure nationale qui vaille est celle de la confiance ». Un maire.
« Il faut prendre conscience qu'il ne pourra pas y avoir de massification si l'État n'accepte pas de se poser réellement en accompagnateur ». AMF
« Les services de l'État ne déclinent pas avec autant de conviction et d'intérêt que ce que disent les politiques. Il n'est pas normal dans ce pays que l'on soit tributaire de cet état profond ! Ils n'appliquent que leurs règles sans pour autant voir la vision globale d'un projet ». Un maire.
1. Les attentes générales des élus vis-à-vis de l'État
Plus précisément en matière de transition environnementale, les élus attendent plusieurs choses de l'État :
a) L'État doit assumer son rôle de stratège
Paroles d'élu et contribution écrite
« Ce que l'on attend du législateur c'est la clarification des objectifs, il faut renvoyer à l'intelligence territoriale la question du comment. » Un maire
« Les collectivités, comme les filières économiques, ont besoin d'une vision politique nationale claire de transition écologique et énergétique pour pouvoir la décliner et l'adapter aux spécificités territoriales. En ce sens, l'État doit savoir faire confiance aux élus locaux, ancrés dans les réalités locales, dans le déploiement d'une transition de proximité et dans l'intérêt des territoires. Pour être efficace et acceptable, la transition écologique et énergétique ne peut qu'être décentralisée. » Contribution écrite de la Vendée
Cette attente d'un cadre national clair et cohérent était citée comme premier résultat d'une enquête du CGET auprès de 278 communes et 257 intercommunalités de villes moyennes111(*). La lisibilité permet de s'engager dans des efforts pérennes. Les élus attendent que l'État fixe les grands objectifs (les objectifs d'une stratégie nationale d'adaptation, les objectifs d'une stratégie nationale de réduction de GES voire d'artificialisation...) et renvoie à une contractualisation locale les moyens d'y parvenir. Les élus dénoncent le fait que la conception de la loi intègre trop souvent une solution procédurale générale, par définition inadaptée à tous les contextes locaux. L'État doit être stratège plutôt que « prescripteur du comment ».
Il faut signaler que cette attente d'une stratégie nationale résonne avec les remarques identiques, formulées par le Haut Conseil pour le Climat (HCC) dans son dernier rapport annuel 2022 intitulé Dépasser les constats, mettre en oeuvre les solutions. Il y exprime assez clairement les insuffisances de la stratégie actuelle au niveau national112(*).
b) L'État doit faire preuve de cohérence générale dans son action locale
Parole d'élus
« Certaines lois m'emmènent dans une direction en matière de transition, d'autres dans une autre produisant des injonctions contradictoires. Sans approche contractuelle sur les objectifs, on ne résoudra pas les injonctions contradictoires au niveau national ».
«Entre les lois biodiversité, zéro artificialisation et développement des ENR, réindustrialisation des territoires, l'État est schizophrénique ».
Cette incohérence se ressent au niveau des lois sectorielles, mais se reporte au niveau des services déconcentrés. Si les problématiques sont globales, les réponses des services de l'État sont souvent fragmentées. Un maire a, par exemple, signalé la situation où plusieurs collectivités travaillent sur la réouverture d'une rivière en zone urbaine. Les services de l'État formulent des demandes très fortes, perçues comme excessives par une partie des élus, pour renforcer la qualité environnementale des projets. Et d'autres services déconcentrés signalent aux collectivités leur refus de financer un projet devenu aussi coûteux et demandent aux élus d'en réduire l'ambition. De même, pour ouvrir cette rivière, élargir ses berges en créant une pente douce, il a fallu que la commune engage des travaux pour réduire une voirie existante à une seule voie. Or, les travaux de voirie ne sont pas subventionnables dans le cadre du projet environnemental, alors même qu'ils sont indispensables à la réalisation du projet.
Cette cohérence rime aussi avec constance dans le temps plutôt que de fonctionner par à-coups. L'État invente régulièrement de nouveaux cadres, de nouveaux dispositifs, de nouvelles modalités d'action, de nouveaux contrats, de nouveaux appels à projets, de nouveaux fonds... au détriment d'une certaine constance. La transition demande un engagement dans la durée et non pas une multiplication des initiatives.
c) L'État doit être dans l'accompagnement et la simplification
Paroles d'élus et contribution écrite
« Nous sommes bridés par l'État dans notre capacité de déploiement ». Un maire
« Les freins à la transition ? Une histoire jacobine de la décentralisation où les collectivités ne sont pas responsabilisées dans leurs obligations de résultats et doivent additionner des plans à répétition sans avoir les moyens pérennes et prévisibles dans le temps de leur transition. » Fabrique des transitions
« On ne dépose pas de dossier auprès des services de l'État, parce que 14 pages pour 1 500 € : les petites communes n'y vont pas ». Un maire
Les élus réclament une approche d'accompagnement permettant l'expérimentation et l'innovation plutôt qu'une posture de censeur. Trop souvent, parfois le préfet, parfois ses équipes, parfois les agences de l'État, sont dans une position d'application des règles ou de contrôle alors qu'une posture de conseil est attendue.
Plusieurs exemples ont été donnés en audition : utilisation des eaux de pluie et des eaux grises (disparités fortes d'appréciation entre les Autorités Régionales de Santé), règlementation sur le photovoltaïque en toiture plutôt qu'en zone artificialisée (refus des Architectes des bâtiments de France (ABF)), installation de points d'apports volontaires sur l'espace public (refus des ABF)...
L'attente de simplification en matière de transition s'exprime fortement. Un maire d'une commune rurale nous a signalé que, pour remplir un dossier de financement destiné à financer son plan de transformation de l'éclairage public, il a dû répondre à des séries de questions de cette nature : « quelle est la réduction de la densité surfacique moyenne du flux lumineux installé sur la surface du projet ? », ce qui nécessitait une ingénierie qu'il n'avait pas. Une autre collectivité signale les procédures « hyper technocratiques » de soutien à l'agriculture de montagne via les mesures agro-environnementales climatiques (MAEC), qui privilégient une rémunération « qui ne va pas souvent dans le sens de l'agro-écologie mais plutôt dans le sens d'une approche « tableur Excel » de gestion comptable depuis des bureaux ». Il a aussi cité « l'extrême complexité » et le caractère inapplicable des procédures de mise en oeuvre des démarches de sylvo-pastoralisme en zone de montagne, qui ont « littéralement stoppé la dynamique portée par les collectivités locales en compromettant le développement de jeunes élevages de montagne ».
À ce sujet, notre délégation a été à l'initiative de la signature historique par le Sénat et le Gouvernement d'engagements communs pour la simplification des normes applicables aux collectivités locales. Cette signature, intervenue en clôture des États généraux de la simplification, marque une étape décisive pour améliorer la qualité des normes. La Charte reprend les recommandations les plus significatives du rapport Normes applicables aux collectivités territoriales : face à l'addiction, osons une thérapie de choc ! de Françoise Gatel et Rémy Pointereau, au nom de la délégation aux collectivités territoriales.
Les collectivités ont aussi leur part à prendre dans une forme d'harmonisation des pratiques, de construction d'un discours global, simple et lisible, pour les citoyens. La Métropole de Lyon souligne, par exemple, qu'il existe une recommandation nationale en termes de couleur de bacs à déchets113(*). En dépit de cela, certaines collectivités déploient ces couleurs de façon différentes, voire le déploiement d'autres couleurs, ou encore les couleurs de la commune.
d) L'État doit être dans la différenciation
Paroles d'élus
« Les élus et les préfets passent leur temps à tordre les réglementations nationales pour les adapter aux territoires ».
« la transition environnementale est complexe, aussi il est primordial de l'adapter à chaque territoire, notamment sur les territoires ruraux. Il faut faire confiance aux acteurs locaux pour qu'ils puissent la mettre en oeuvre en fonction de chaque contexte local et, de fait, se voir imposer des recettes ou des solutions souvent « rur-baines » ne sont pas acceptables et surtout pas appropriés ni durables dans le temps par les élus et les acteurs locaux ».
« le Gouvernement veut du descendant mais on ne peut construire cette transition qu'avec des citoyens, grâce à de l'animation territoriale ».
Les élus locaux demandent de la différenciation. La réglementation nationale « uniforme », sans tenir compte d'une possibilité de différenciation territoriale, peut aller à l'encontre des objectifs de transition souhaitée. Quelques exemples : l'application d'un plan de prévention des risques littoraux sur le territoire de polders vise à exclure de la densification des zones pourtant déjà fortement urbanisées ; l'application de la ZFE sur un territoire alors que les principaux émetteurs ne sont pas les véhicules en centre-ville mais l'industrie ... Il y a aussi un besoin de territorialiser les cadres normatifs aux enjeux locaux du climat. Par exemple, la règlementation thermique (RT 2012, RE 2020...) est un modèle transposé de pays du nord de l'Europe, qui vise principalement le confort d'hiver mais qui néglige le confort d'été.
En résumé, la formule de la Fabrique des transitions reflète bien ce que les élus attendent de l'État : « qu'il ne cherche pas à contrôler mais plutôt à encapaciter les collectivités dans leur pouvoir d'agir. »
Pour améliorer cet accompagnement, cette mise en cohérence entre annonces nationales et mise en oeuvre locale, cette simplification, il pourrait être recommandé que, en déclinaison d'un cadrage national à préciser, les représentants de l'État territorial -préfets de région- coordonnent et suivent la mise en oeuvre d'une feuille de route transversale de la transition environnementale rassemblant les services déconcentrés de l'État, les représentations régionales de ses opérateurs, et associant les divers établissements publics (ARS...). Cette feuille de route pourrait être un outil intéressant pour renforcer la cohérence et la visibilité de l'action régionale de l'Etat.
Recommandation n° 6 : Mettre en place une feuille de route transversale de la transition environnementale des services, opérateurs et structures de l'État territorial, coordonnée et suivie par le préfet de région.
En contrepoint, cependant, vos rapporteurs doivent signaler que parfois, à travers certains dispositifs, l'État répond à ces attentes pour les élus locaux. Le programme territoire à énergie positive pour la croissance verte a été souvent cité comme très positif pour la transition. De nombreux acteurs estiment en effet que ce programme a permis à des territoires parfois novices de s'engager dans les sujets de transition et de développer, avec le temps, un intérêt pour le sujet, au-delà de la thématique initiale relative à l'énergie. Il a contribué à « embarquer dans ces problématiques des élus qui étaient très loin de ces sujets et qui par ce biais sont devenus des convaincus » résume un président d'intercommunalité. Le programme soulève aussi certaines critiques, car il a pu financer des actions sans articulation les unes avec les autres au détriment d'une stratégie globale efficiente et parce que les projets n'étaient pas toujours solides. Mais de nombreux acteurs, sur tout le territoire, estiment qu'il avait un bilan positif grâce aux points suivants :
- un engagement financier clair, lisible et conséquent jusqu'à 2 millions d'euros ;
- un niveau élevé de cofinancement des projets, laissant un reste à charge faible aux collectivités ;
- un financement pouvant concerner le fonctionnement et en particulier l'animation territoriale et la recherche de partenariats qui, elle-même, contribue à susciter l'engagement de nouveaux partenaires qui apportent leur cofinancement. Des dépenses d'étude, de communication et de prestation de services étaient aussi finançables par le programme ;
- une liberté donnée aux acteurs de choisir les thèmes et les actions concrètes et un grand panel de possibilités. Les acteurs ont le sentiment que ce programme était basé sur la confiance et qu'il a donné les moyens de faire, sans prescrire ;
- une grande souplesse dans le déclenchement des financements avec des fiches actions de description des actions simples.
Le programme territoire à énergie positive pour la croissance verte
Ce programme était un appel à initiatives lancé par le ministère de l'environnement en 2014. Il visait à accompagner des collectivités à réduire les besoins en énergie de ses habitants, des constructions, des activités économiques, des transports et des loisirs par une approche globale qui reposait sur six domaines d'action (réduction de la consommation d'énergie et production d'énergie renouvelables, transports, biodiversité, réduction des déchets et éducation à l'environnement). Il visait la création d'emplois non délocalisables et les économies d'énergie. Parmi les 528 territoires volontaires, 212 ont été désignés « Territoires à énergie positive ». Ils ont bénéficié d'une aide plancher de 500 000 € pouvant monter jusqu'à 2 millions d'euros en fonction de la qualité des projets. Le programme a été complété par des formules intermédiaires et a été élargi à un nombre croissant de bénéficiaires.
2. Attentes des élus en matière de soutien financier
Paroles d'élus
« On nous demande de fabriquer les territoires du 22ème siècle avec les outils du 20ème ».
« Le Fonds vert et la part verte de la DSIL sont des premiers pas. Toutefois, cela tient plutôt du registre du tâtonnement et du commencement. Il y a quelque chose de beaucoup plus structurant à penser pour aider les collectivités à doubler leur investissement ».
« Nous constatons que les objectifs affichés au niveau national ne sont pas accompagnés des moyens réglementaires et financiers pour être mis en oeuvre ».
a) À niveau de financement constant, la revendication essentielle concerne la méthode de financement actuelle
Plus que le niveau de financement, les élus attendent un changement dans la méthode de financement de la transition. Le constat réalisé par le Shift Project permet de mesurer le maquis auquel ils doivent se confronter : « chaque agence a son dispositif ou son appel à projets, chacun a sa procédure, chacun sa gouvernance impliquant les mêmes acteurs locaux sans souci de cohérence entre tous ces dispositifs. Le résultat est sans appel : illisibilité, complexité du montage des dossiers, manque d'engagement financier dans la durée fragilisant les projets, des financements rares pour les coûts d'animation, des délais d'instruction et d'engagement des financements incompatibles avec le temps des projets, une logique de guichet thématique défavorable aux projets transversaux... ».
Les élus attendent visibilité, souplesse et responsabilisation. Ils attendent, au niveau global, une loi de programmation pluriannuelle des finances locales qui donne sécurité et visibilité.
Ils expriment :
- un rejet des appels à projets qui sont à l'antithèse d'une démarche de transition environnementale structurée. Ils conduisent à des visions fragmentées, opportunistes, construites dans l'urgence et peu documentées, perturbant parfois les stratégies élaborées collectivement ;
- à l'inverse, le besoin d'un engagement des financeurs sur une liste prévisionnelle de projets retenus en commun entre l'État et le territoire ;
- le besoin d'une logique de financement reposant sur un cadre contractuel global, centré sur des objectifs clairs, différenciés et réalistes, avec une évaluation simple mais solide. Ce cadre global doit permettre de la souplesse d'ajustement sur le financement des projets114(*). Comme le résume un maire, « les financements en silos engendrent du fonctionnement en silos ». Les financements doivent pouvoir basculer d'un projet à l'autre en fonction de leur état d'avancement ;
- une attente de visibilité sur une enveloppe pluriannuelle, même simplement prévisionnelle ;
- une demande de révision des règles de participation minimale à un projet par la maîtrise d'ouvrage pour les communes aux moyens très faibles, dès lors que l'investissement permet d'accompagner la transition avec des impacts positifs à moyen terme sur les coûts de fonctionnement ;
- un volet incitatif pour toutes les démarches de mutualisation et d'alliance (projets, financement, ingénierie...) pour favoriser les jeux coopératifs, même au-delà des échelles CRTE ;
- un appel à la coordination des financeurs en matière de formats de demande (même dossier), de calendriers d'instructions (même cycle), d'arbitrages (coordination au sein de comités locaux des financeurs).
Boite à outils pratique : la recherche de financements
La plateforme Aides-territoires facilite la recherche d'aides des collectivités territoriales et de leurs partenaires locaux (associations, établissements publics, entreprises, agriculteurs) en rendant visibles et accessibles tous les dispositifs financiers et d'ingénierie auxquels ils peuvent prétendre.
L'association « Une Fonction publique pour la transition écologique » a fait le relevé des aides et subventions que les collectivités peuvent solliciter dans un document intitulé « dégager des crédits pour la transition écologique dans les collectivités territoriales »115(*).
Recommandation n°8 : Faire des CRTE le support d'une programmation pluriannuelle des financements (État, opérateurs, voire partenaires)
b) Un bonus aux projets vertueux est attendu
Le principe d'éco-conditionnalité consiste à conditionner le versement d'aides publiques, ou, tout du moins, à moduler leur intensité, au respect de critères environnementaux.
De façon plus générale, les auditions font apparaitre que pour plusieurs financeurs, l'éco-conditionnalité est un moyen de renforcer l'exigence des projets et d'écarter des projets qui n'ont pas été conçus en tenant compte des enjeux d'adaptation ou d'atténuation. De l'autre côté du spectre, l'éco-conditionnalité est réclamée par certaines collectivités qui font l'effort de déployer des politiques publiques respectueuses de l'environnement.
Paroles d'élus
« Si je réussis mes objectifs, l'État me donne plus, voilà l'État, la « puissance publique » que j'attends ».
« Beaucoup trop souvent, la non atteinte des objectifs ne génère aucune contrainte sur les collectivités, et à l'inverse, l'excellence environnementale n'octroie aucun bonus sur les subventions par exemple, favorisant les comportements de passager clandestin ».
Il existe plusieurs exemples d'éco-conditionnalité :
- Parmi les collectivités auditionnées, des départements et des régions considèrent que leur politique contractuelle, notamment envers les communes et les intercommunalités, est le levier privilégié pour faire rentrer la politique environnementale dans le fonctionnement et l'aménagement du territoire des collectivités les moins allantes. Les dispositifs varient du « bonus aux projets plus vertueux » à un refus de financement pour des projets « considérés comme à l'envers de la transition environnementale », conformément à un terme utilisé par un département. À titre d'exemple, le conseil départemental de la Seine-Maritime avait mis en place une bonification dite « bonus énergie » dans le cadre des aides à l'investissement des communes et groupements de communes sur certains projets116(*). Cette bonification s'élevait à 40 % du montant de la subvention. Avec la mise en application de la règlementation environnementale 2020 (RE 2020), le Département a revu son dispositif. La nouvelle « bonification environnementale » a une portée plus générale. Pour les projets de construction, la bonification grimpe toujours à 40 % du montant de la subvention pour les projets obtenant le label « bâtiment biosourcé ». La bonification est versée au moment du solde de la subvention, sur présentation d'une attestation d'obtention du label. Pour les projets de réhabilitation, la bonification peut osciller entre 20 % du montant de la subvention si le projet comporte à minima deux opérations d'économie d'énergie en matière de chauffage, d'isolation ou de ventilation. Cette bonification souple permet de répondre au souhait des communes de réaliser des travaux de manière échelonnée, dans la mesure de leurs capacités budgétaires. La bonification monte à 40 % pour les projets plus exigeants qui permettent de réduire au moins de 30 % les consommations d'énergie.
- La métropole lyonnaise a mis en place, pour toutes les entreprises qui sollicitent une aide, un outil « maison » Kelimpact. Ce questionnaire permet aux entreprises de mesurer leur performance en matière environnementale, d'identifier ses axes d'amélioration et repérer des solutions concrètes et personnalisées, tout en suivant sa progression. Les résultats peuvent rester confidentiels, la collectivité ayant accès à des informations agrégées. C'est un premier pas pour une politique éco-incitative où les aides seraient bonifiées en fonction des efforts faits par les entreprises.
- L'éco-conditionnalité est aussi pratiquée par les opérateurs de l'État. L'Ademe pratique de fait l'éco-conditionnalité, car l'Agence ne finance que des projets allant dans le sens de la transition. L'Ademe pratique aussi la logique de financements croissants sur résultats avec le Contrat d'Objectifs Territorial (COT). Le COT est une contractualisation financière sur objectif proposée par l'Ademe au périmètre des CRTE, sur 4 ans et en 2 phases. Le but est d'accélérer les changements de pratiques internes des collectivités et la qualité environnementale de leurs politiques publiques. L'objectif est de réduire leur impact environnemental et d'impulser ou d'accompagner les autres acteurs du territoire dans cette même voie. Ce contrat repose sur un financement indexé à la progression de la qualité environnementale de leurs politiques, sur la base d'évaluations par les référentiels du programme TETE117(*).
- L'État peut pratiquer l'éco-conditionnalité. Elle est prévue réglementairement par le décret du 16 juillet 2014 relatif au dispositif d'éco-conditionnalité pour les aides destinées aux travaux d'amélioration de la performance énergétique. En outre, le récent article 198 de la loi de finances 2023 modifie le code général des collectivités territoriales en précisant que le préfet « tient compte du caractère écologique des projets pour la fixation des taux de subvention ». Pour la DSIL et la DETR, une méthodologie de classification des projets a été établie dans le cadre du budget vert. Cette méthode est présentée dans l'instruction du 8 février 2023118(*).
* 110 https://videos.senat.fr/video.3472119_645c7a66d2472?timecode=1297000
* 111 https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2020-09/En%20d%C3%A9tail%20Synthese%20TE%20%26%20VM_mai%202019.pdf
* 112 Voir Pages 132 : https://www.hautconseilclimat.fr/publications/rapport-annuel-2022-depasser-les-constats-mettre-en-oeuvre-les-solutions/
* 113 https://dechets-infos.com/wp-content/uploads/2016/06/Fiche-ademe-schemas-tri-couleurs-bacs.pdf
* 114 À titre d'exemple, il nous a été rapporté le travail réalisé dans le département de la Manche de développement de la biodiversité. En cohérence, le département voulait parallèlement renforcer la prévention de destruction de cette biodiversité en utilisant une partie du cofinancement de l'État pour augmenter les capacités d'intervention du service départemental d'incendie et de secours, ce qui n'a pas été possible.
* 115 http://fpte.fr/wp-content/uploads/2023/04/FPTE-Financement-TE.pdf
* 116 Les projets relevant des dispositifs suivants étaient concernés : « bâtiments administratifs et techniques » ; « établissements scolaires publics du premier degré, locaux périscolaires et accueils de loisirs » ; « locaux d'animation polyvalents » ; « bibliothèques et médiathèques publiques » ; « locaux à vocation culturelle » ; « équipements sportifs » et « commerce rural de proximité ».
* 117 La collectivité volontaire peut percevoir un forfait de 75 000 euros pour cette première phase structurante qui peut durer 18 mois. Cette phase lui permet de s'organiser et de financer le démarrage de sa démarche : un recrutement, des études, de l'animation, de la formation, de la communication... Au terme de cette phase 1, la collectivité aura complété ou réalisé un diagnostic territorial et mis en place une gouvernance interne lui permettant de définir ou de renforcer un premier plan d'actions. Passé cette phase, elle poursuit son contrat de 4 ans pour mettre en oeuvre ses actions. Selon sa progression dans le score des référentiels du programme TETE, elle recevra une part variable allant jusqu'à 275 000 euros (à la fin des 4 ans). À titre d'exemple, après avoir reçu les 75000 € de la phase 1, une collectivité recevra 50 % de la somme maximale possible (275 000 euros) pour l'accompagner dans cette progression, soit 137 500€, si elle réalise 50 % de la progression définie avec l'Ademe au bout des 4 ans.
* 118 Voir : https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/45410