F. RÉFORME DE LA LÉGISLATION DU ROYAUME-UNI SUR LES DROITS DE L'HOMME : CONSÉQUENCES POUR LA PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME AU NIVEAU NATIONAL ET EUROPÉEN
1. L'intervention de M. Bernard Fournier, au nom du groupe PPE/DC
Madame la Présidente,
Mes chers collègues,
Notre collègue M. Kamal Jafarov nous présente aujourd'hui un rapport sur un sujet que je trouve particulièrement préoccupant : le projet de charte des droits humains et le projet de loi sur l'immigration illégale présentés par le Gouvernement britannique. De l'avis de plusieurs associations représentant la société civile, ces deux projets pourraient remettre en cause le respect de l'État de droit par le Royaume-Uni.
En juin 2022 déjà, le Gouvernement britannique avait vivement critiqué une décision pourtant provisoire de la Cour européenne des droits de l'homme l'invitant à suspendre l'expulsion des demandeurs d'asile vers le Rwanda. En parallèle, le Gouvernement britannique présentait au Parlement une nouvelle législation qui modifie la manière dont le Royaume-Uni applique la Convention européenne des droits de l'homme aux migrants et aux demandeurs d'asile.
Notre commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées s'est vivement inquiétée des dispositions de ce texte. Celui-ci vise notamment à organiser des demandes d'asile depuis les pays d'origine, ne permettant pas ainsi aux demandeurs d'effectuer une demande depuis le Royaume-Uni.
Si le Gouvernement britannique a justifié ce choix en exprimant son inquiétude face au nombre important de personnes qui décèdent en mer dans des embarcations de fortune, et c'est un point que je peux évidemment comprendre, il doit néanmoins garantir le droit aux migrants à un recours effectif et appliquer le principe de non-refoulement. Il s'agit là d'obligations internationales que le Royaume-Uni a lui-même contribué à élaborer.
Certes, l'immigration illégale et incontrôlée soulève des enjeux politiques importants dans de nombreux États d'Europe. En France également, le Parlement sera amené à examiner de nouvelles mesures en matière d'immigration et d'intégration.
Mais il me semble que le Royaume-Uni, qui a historiquement constitué une référence en matière d'État de droit et de droits humains, ne doit pas perdre sa boussole. Le Royaume-Uni ne doit pas s'engager dans une voie qui le conduirait à violer ses obligations internationales et les engagements auxquels il a souscrits. C'est la crédibilité de l'État britannique qui est ici en jeu, mais c'est aussi la défense des valeurs démocratiques que nous avons en partage. Or, dans la période troublée que nous connaissons, adopter des mesures conduisant à affaiblir le système de la Convention européenne des droits de l'homme et le Conseil de l'Europe m'apparaîtrait être un très mauvais signal politique.
Je voterai donc le projet de résolution qui nous est soumis, en formant le voeu que le Parlement britannique en tienne compte dans ses réflexions.
Je vous remercie.
2. L'intervention de M. Bertrand Bouyx
Merci, Madame la Présidente.
Madame la Présidente,
Mes chers collègues,
L'État de droit repose sur un principe simple : un édifice juridique bâti sur une stricte hiérarchie des normes au sommet desquelles se trouvent la Constitution nationale et les conventions internationales.
Concernant la Convention européenne des droits de l'homme, conformément au principe de subsidiarité, les États membres du Conseil de l'Europe sont responsables au premier chef de la mise en oeuvre et de l'application effectives des normes internationales auxquelles ils ont souscrit en matière de droits humains. Nous avons eu, en avril dernier, un débat sur les arrêts non exécutés dans les différents pays de notre institution, le Royaume-Uni ne figurant pas dans la liste des pays ayant une faible mise en oeuvre.
Cela tient à une organisation efficace, à savoir un système d'application de la Convention européenne des droits de l'homme par le biais de la Loi sur les droits de l'homme. Ce système garantit le respect et la pleine mise en oeuvre des droits protégés par la Convention au niveau national.
« Mal nommer les choses c'est ajouter au malheur du monde », disait Camus. Pour le dire clairement, c'est ce système qui est aujourd'hui menacé par le projet de Charte des droits humains et le projet de loi sur l'immigration illégale. La résolution est très claire sur ce point : je ne développerai pas plus avant.
Je souhaite simplement revenir sur l'évolution politique du Royaume-Uni qui l'a conduit à sortir de l'Union européenne : c'est un choix souverain du peuple britannique qu'il ne m'appartient pas de juger ici, et qui pourrait aujourd'hui le mettre sur la voie d'une sortie de l'instrument phare de notre institution. Cette évolution repose sur une seule et même logique, retrouver de la souveraineté dans tous les domaines, principalement économiques en ce qui concerne l'Union européenne, juridiques concernant la CEDH.
Je respecte, à défaut de comprendre toujours, ce mouvement vers une relocalisation du pouvoir à Londres. Toutefois, je le redis : respecter les arrêts et décisions de la CEDH, c'est pour nous tous une garantie que l'État de droit et les valeurs démocratiques seront respectés. Nous ne pouvons laisser les juridictions nationales seules face à des gouvernements qui se raidissent partout dans le monde, y compris au sein de notre continent, face aux menaces extérieures mais également aux forces centrifuges qui minent la cohésion de nos nations.
Je ne fais pas ce procès au Gouvernement britannique mais celui-ci, en enlevant une garantie supranationale, fragilise l'État de droit, non seulement chez lui mais également pour nous tous. En effet, si le pays qui a pour ainsi dire inventé la démocratie parlementaire se lance dans cette voie, qui pourra reprocher à d'autres pays de le faire ? Et probablement avec des conséquences bien plus graves du fait d'une tradition démocratique parfois beaucoup moins ancrée au sein de la population.
Pour toutes ces raisons, nous soutenons sans réserve cette résolution.
Je vous remercie.
3. L'intervention de M. André Gattolin
(Discours non prononcé mais annexé au compte rendu officiel)
Le Royaume-Uni est l'une des plus anciennes démocraties au monde et s'il a quitté l'Union européenne, il reste membre du Conseil de l'Europe, qui doit beaucoup aux idées de Sir Winston Churchill.
En 1998, la loi sur les droits de l'Homme adoptée par le Parlement britannique visait à garantir que les droits fondamentaux énoncés dans la Convention européenne des droits de l'Homme sont respectés et protégés au Royaume-Uni.
Mais en juin 2022, le gouvernement britannique a présenté un projet de Charte des droits humains modifiant la loi de 1998, pour ne pas dire qu'elle en prend le contrepied. Dans l'intervalle, le Brexit est passé par là.
Cette réforme a fait l'objet de vives critiques au Royaume-Uni de la part de l'opposition et des organisations de la société civile. Selon elles, ce projet aboutit à une régression des droits humains. Je partage cette opinion.
En effet, ce projet de loi abrogerait l'article 3 de la loi de 1998 qui exigeait, dans la mesure du possible, des tribunaux et des pouvoirs publics une interprétation de la législation compatible avec les droits consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme. En outre, certaines dispositions visent à limiter l'accès au recours aux réparations et aux dommages et intérêts pour ceux qui intentent des actions en justice fondées sur des violations des droits humains.
Enfin, ce projet de loi supprimerait la possibilité, pour les victimes de violations des droits humains commises lors d'une opération militaire à l'étranger, de faire valoir leurs droits en vertu de la Convention européenne des droits de l'homme.
Même si je pense que le Royaume-Uni ne tournera pas le dos à son histoire et à ses traditions juridiques, il est inquiétant de voir une grande démocratie remettre en cause, de fait, la Convention européenne des droits de l'homme et son application. Bien sûr, les États membres du Conseil de l'Europe sont responsables au premier chef des conditions d'exercice des droits fondamentaux. Mais, à la suite du Brexit, le Royaume-Uni accepte-t-il encore de prendre des engagements internationaux et de les respecter ? C'est la question fondamentale.
Le Premier ministre britannique a participé au Sommet de Reykjavik. Il est donc lié par les engagements qui y ont été pris. Quel impact cela aura-t-il sur ce projet de loi ? C'est une question que je pose à nos collègues britanniques et j'espère que notre débat d'aujourd'hui sera pris en compte à Londres.