III. LES INTERVENTIONS DES PARLEMENTAIRES FRANÇAIS DANS LES DÉBATS
Les interventions qui suivent sont présentées selon l'ordre chronologique dans lequel elles ont été prononcées, en fonction de l'ordre du jour adopté et des listes d'orateurs établies par la direction de la séance de l'APCE.
A. OBSERVATION DE L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE ET DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES EN TURQUIE
1. L'intervention de Mme Mireille Clapot, au nom du groupe ADLE
Merci, Monsieur le Président.
Chers collègues,
Au nom du groupe ADLE, j'ai d'abord une pensée pour nos collègues d'Ukraine et le peuple ukrainien, alors que la guerre d'agression russe se poursuit inlassablement depuis maintenant près d'un an et demi.
Je voudrais mentionner aussi le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan : nous devons appliquer les mesures d'urgence décidées par la Cour - l'ordonnance de libre circulation - pour améliorer la situation humanitaire dans le Haut-Karabakh due au blocus dans le corridor de Latchine. Notre débat d'urgence lors de cette session permettra, je l'espère, d'avancer sur ce sujet.
Le Sommet de Reykjavik a été une étape très constructive, vous l'avez dit, avec des livrables importants ; en particulier, la création d'un registre international des dommages causés par l'agression de la Russie. Quarante-trois pays y ont souscrit : espérons qu'il y en aura d'autres et que cet outil sera opérationnel dès que possible.
Au titre du processus de Reykjavik sur « Droits de l'homme et environnement », citons également notre résolution sur l'impact environnemental et les conflits armés. Les terribles conséquences humaines et environnementales de la destruction du barrage de Kakhovka ont démontré l'urgence d'agir également sur ces aspects, comme l'a souligné le président M. Iulian Bulai.
Permettez-moi cependant de me focaliser sur les scrutins observés par notre Assemblée, et en particulier sur les élections présidentielle et législative en Turquie, puisque j'ai eu l'honneur de m'y rendre trois fois en qualité d'observatrice pour le groupe ADLE dans la délégation présidée par M. Frank Schwabe.
De façon générale, les élections sont restées équitables et ont été relativement bien gérées, et ce malgré de terribles défis logistiques et sociaux posés par les séismes de février dernier. J'ai pu en être directement témoin le 14 mai lorsque je me trouvais à Gaziantep et à Islahiye, cette ville dite « des containers », une des plus touchées. La mobilisation des assesseurs dans les bureaux de vote, tôt le matin, tout au long de la journée, et le taux de participation proche de 90 % témoignent de la vitalité démocratique du peuple turc.
Néanmoins, c'est bien en amont de l'échéance électorale que les irrégularités et restrictions des droits fondamentaux ont impacté la régularité du scrutin. D'abord, la presse - il faut le dire - a largement favorisé le président sortant Erdogan. Ensuite, les campagnes ont été extrêmement polarisées et marquées par des déclarations incendiaires et provocatrices, en particulier dans l'entre-deux-tours. Aussi, il semble que le pouvoir aurait fait un usage illégitime de ressources publiques en offrant des « cadeaux » électoraux à la population. Enfin, la Commission suprême électorale manque d'indépendance par rapport au pouvoir et a refusé de rencontrer notre délégation.
Pour finir, ces élections qui se sont conclues par la reconduction du président Erdogan contre son concurrent Kiliçdaroglu et la victoire du parti au pouvoir ont été reconnues régulières et justes, autant par l'APCE que l'OSCE. Malgré nos inquiétudes, espérons pour le peuple et la démocratie turque que ce nouveau mandat soit placé sous le signe d'une véritable séparation des pouvoirs et d'un respect des oppositions : la Turquie pourrait déjà appliquer les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme pour ouvrir une nouvelle ère sous de meilleurs auspices.
2. L'intervention de Mme Marie-Christine Dalloz
Merci, Monsieur le Président.
Messieurs les rapporteurs,
Chers collègues,
Mon propos se limitera au rapport de M. Frank Schwabe, que je remercie pour la qualité de son travail.
Les élections législatives et présidentielles qui ont eu lieu en Turquie en mai dernier, quelques mois seulement après les séismes très meurtriers ayant touché le sud du pays et le nord de la Syrie, ont suscité un grand intérêt dans l'opinion internationale car les sondages laissaient envisager une possible alternance politique alors que ce pays est dirigé depuis vingt ans par M. Erdogan.
J'ai eu l'opportunité de me rendre à Ankara pour observer ces élections, pour le premier tour des élections législatives et présidentielles.
Il faut saluer tout d'abord la très forte implication des électeurs avec un taux de participation de 87 % pour les élections législatives et le premier tour de l'élection présidentielle, et 84 % pour le second tour de l'élection présidentielle.
L'accès aux bureaux de vote s'est fait dans le calme et la sérénité. Il n'y a eu aucune tension à déplorer. La polarisation et les invectives qui avaient pu marquer la campagne électorale n'ont pas engendré de perturbations le jour du vote. Les citoyens ont souhaité exercer leur droit dans un contexte respectueux des règles démocratiques et il faut s'en réjouir.
D'un point de vue organisationnel, tous les électeurs ont été soumis aux mêmes procédures, quel que soit le bureau de vote dont ils dépendaient.
Le processus électoral était très clair et la seule difficulté à laquelle les électeurs ont été confrontés était d'ordre pratique. La taille des bulletins de vote pour les élections législatives - un mètre de long - rendait le pliage complexe et la mise sous enveloppe compliquée.
Enfin, j'ai pu constater que le dépouillement a été effectué dans le respect des procédures électorales. De fait, les résultats n'ont pas été contestés.
Les séismes de février dernier avaient engendré des réactions de désarroi et de crispation face à l'inertie des secours. La campagne électorale parfois agressive avait laissé craindre une exacerbation des tensions.
Malgré ce contexte qui semblait incertain, la Turquie a franchi cette double étape électorale de manière parfaitement régulière dans le processus électoral. À l'heure où certains États membres font face à un désintérêt durable d'une grande partie de leurs citoyens pour les élections, l'attachement de la société turque aux règles démocratiques électorales est à saluer.
Je vous remercie.
3. L'intervention de Mme Nicole Duranton
(Discours non prononcé mais annexé au compte rendu officiel)
J'ai pu participer à la mission d'observation électorale lors du premier tour des élections présidentielle et législatives en Turquie, âprement disputées, tant elles conditionnaient l'avenir du pays.
Les électeurs turcs ne s'y sont pas trompés puisqu'ils sont près de 89 % à s'être rendus aux urnes, ce dont on peut se féliciter. C'est le signe d'une réelle vitalité démocratique !
Sur le plan technique, ces élections ont été gérées avec efficacité. Toutefois, on ne peut que regretter les restrictions aux libertés fondamentales qui ont touché certains partis d'opposition ou la société civile durant la campagne. Les dispositions juridiques de la loi contre le terrorisme et celles relatives à la diffamation et l'injure ont permis au pouvoir en place d'exercer une pression constante sur le HDP, menacé de dissolution, et d'empêcher la candidature à l'élection présidentielle de M. Ekrem Imamoglu, le maire d'Istanbul.
C'est précisément dans le sud-est du pays, où le HDP fait les scores les plus importants, que se trouvent une grande partie des 861 bureaux de vote déplacés moins d'une semaine avant le jour du scrutin, à la suite du tragique séisme qui a fait plus de 50 000 morts en Turquie et en Syrie. On peut regretter les efforts limités des autorités pour permettre aux personnes déplacées de voter.
Je voudrais également évoquer la situation des journalistes en Turquie. Bien que la liberté d'expression et la liberté des médias soient inscrites dans la constitution, les dispositions du code pénal, et notamment celles de la loi contre le terrorisme, empêchent les journalistes de travailler sereinement. Les risques d'arrestation et de poursuites les poussent à l'autocensure. On peut également regretter la forte polarisation des médias. Les médias publics ont affiché un parti pris évident en faveur de M. Erdogan, alors que les médias privés ont fait preuve de partialité dans le reportage, en assurant une couverture majoritairement négative de celui-ci.
Les difficultés observées lors de ces élections ne sont que le reflet de la dérive autoritaire du régime que nous observons depuis plusieurs années. Je souhaite que nous puissions continuer à travailler avec la Turquie et la société civile turque pour préserver la démocratie, l'État de droit et des libertés fondamentales dans ce pays. Nous fêtons cette année les 100 ans de la République de Turquie. Je forme donc le voeu qu'à cette occasion, le président Erdogan travaille à rassembler son peuple autour des valeurs qui sont les nôtres.
4. L'intervention de M. Didier Marie
(Discours non prononcé mais annexé au compte rendu officiel)
Les élections présidentielle et législatives des 14 et 28 mai 2023 ont été marquées par les suites du séisme qui a touché la Turquie et la Syrie. Je voudrais ici saluer la mémoire des victimes.
Ces élections marquent l'attachement des électeurs turcs à la démocratie qui se sont massivement rendus aux urnes. L'abaissement du seuil électoral de 10 à 7 % a été un des points positifs de ces élections législatives.
La campagne électorale a été marquée par des débats intenses sur des questions cruciales pour la société turque, tant les deux principaux candidats à l'élection présidentielle présentaient deux projets de société bien différents.
Depuis 2015, la dérive autoritaire du régime est marquée par une répression constante que subissent les membres de l'opposition, notamment les membres du HDP. La liberté de la presse est également limitée, les médias publics étant majoritairement favorables au parti au pouvoir.
À cet égard, j'appelle le gouvernement turc à respecter les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme et, en particulier, à libérer Osman Kavala. Les engagements pris par les chefs d'État et de gouvernement à Reykjavik doivent avoir des effets concrets !
Le financement des campagnes électorales est peu réglementé, et ce malgré les recommandations du GRECO.
Le plafonnement des dépenses, le renforcement de la transparence et une amélioration du mécanisme de surveillance sont autant de mesures qui devraient être mises en oeuvre pour les prochaines élections.
Après le retrait de la Turquie de la Convention d'Istanbul, la situation des femmes dans le pays inquiète. Alors que certaines candidates ont signalé avoir subi ou craint un harcèlement fondé sur le genre durant la campagne, leur sous-représentation en politique montre que de nombreux efforts restent à faire.
Par ailleurs, je constate qu'avec la dégradation de la situation économique en Turquie, le sort des réfugiés syriens a, pour la première fois, été au coeur des débats durant la campagne électorale. Sur ce sujet, la Turquie devra continuer d'honorer ses engagements envers le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.
Enfin, cette élection doit permettre d'ouvrir une nouvelle ère, qui passe en particulier par un apaisement durable des relations avec la Grèce et avec Chypre. Cet apaisement est essentiel pour la paix, la sécurité et la prospérité dans la région.
Je forme le voeu que le nouveau gouvernement turc s'engage réellement dans cette voie, au bénéfice de nos valeurs communes et de l'ensemble de l'Europe.