III. DES PROGRÈS SONT POSSIBLES À TRAITÉS CONSTANTS
1. Les réformes institutionnelles envisageables à traités constants
Le traité de Lisbonne a prévu que certaines règles relatives aux institutions puissent être modifiées sans révision des traités.
Il en est ainsi :
- du nombre des membres de la Commission ; le Conseil européen statuant à l'unanimité peut retenir un autre nombre que celui retenu par les traités (à savoir deux tiers du nombre des États membres) ;
- de la répartition des sièges au Parlement européen entre les États membres : elle est désormais fixée par accord entre le Parlement européen et le Conseil européen statuant à l'unanimité ;
- des règles de composition du Comité des régions et du Comité économique et social, désormais fixées par une décision du Conseil statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission.
Ainsi, le traité de Lisbonne a prévu la possibilité de plafonner le nombre de commissaires européens, avec un système de rotation égalitaire. Les États membres y ont renoncé en raison du referendum négatif irlandais, pour revenir à la règle d'un commissaire par État, mais en théorie il est possible de plafonner ce nombre sans réviser les traités.
D'autres réformes institutionnelles seraient également envisageables à traités constants.
Par exemple, sans le prévoir explicitement, le traité de Lisbonne n'interdit pas d'instaurer une présidence unique, en désignant la même personnalité au poste de Président du Conseil européen et de Président de la Commission européenne. Une telle réforme d'ampleur permettrait sans doute de mieux incarner l'Union européenne aux yeux des citoyens mais ses conséquences sur les équilibres institutionnels doivent être bien mesurées.
Enfin, de nombreuses pistes de réflexion existent pour renforcer le rôle des parlements nationaux au sein de l'UE sans qu'il soit nécessaire de modifier les traités.
2. Le potentiel des articles 122 et 352 du traité sur le fonctionnement de l'UE
Deux articles des traités jouent un rôle non négligeable pour renforcer l'intégration européenne.
Le premier est l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'UE. Aux termes de cet article, lorsque, dans le cadre d'une des politiques prévues par les traités, une mesure paraît nécessaire pour atteindre l'un des objectifs visés par les traités mais que ceux-ci ne prévoient pas les « pouvoirs d'action » requis à cet effet, le Conseil statuant à l'unanimité peut prendre cette mesure en accord avec le Parlement européen.
Une clause de ce type a toujours figuré dans les traités européens, mais son objet était limité aux « mesures nécessaires pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté ».
Le recours à cette clause a été très fréquent par le passé. Il a permis par exemple la création de l'Agence européenne des droits fondamentaux.
Avec un objet élargi, cet article 352 représente aujourd'hui un levier puissant d'extension potentielle du champ d'action européen.
ARTICLE 352 DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT DE L'UE 1. Si une action de l'Union paraît nécessaire, dans le cadre des politiques définies par les traités, pour atteindre l'un des objectifs visés par les traités, sans que ceux-ci n'aient prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen, adopte les dispositions appropriées. Lorsque les dispositions en question sont adoptées par le Conseil conformément à une procédure législative spéciale, il statue également à l'unanimité, sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen. 2. La Commission, dans le cadre de la procédure de contrôle du principe de subsidiarité visée à l'article 5, paragraphe 3, du traité sur l'Union européenne, attire l'attention des parlements nationaux sur les propositions fondées sur le présent article. 3. Les mesures fondées sur le présent article ne peuvent pas comporter d'harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres dans les cas où les traités excluent une telle harmonisation. 4. Le présent article ne peut servir de fondement pour atteindre un objectif relevant de la politique étrangère et de sécurité commune et tout acte adopté conformément au présent article respecte les limites fixées par l'article 40, second alinéa, du traité sur l'Union européenne. |
Second article à fort impact possible : l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (UE). Celui-ci permet à l'Union européenne de prendre des mesures temporaires en cas de crise.
Ses conditions d'utilisation sont décrites dans deux petits paragraphes. Le premier évoque « de graves difficultés (...) dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie », le second se réfère à la circonstance où un État membre subit « des catastrophes naturelles ou des événements exceptionnels échappant à son contrôle ».
Cet article permet aux États membres de prendre une décision à la majorité qualifiée - et d'échapper à l'unanimité qui est parfois requise, notamment en matière de fiscalité - et, surtout, sans que le Parlement européen soit associé, ce qui peut soulever une question démocratique (en ce sens, cela peut être comparé à une ordonnance ou à une mesure liée à l'État d'urgence dans l'ordre juridique français).
Cet article a permis à la Commission européenne, depuis trois ans, de faire adopter, dans des délais record, des propositions législatives comme l'achat en commun de vaccins contre le Covid-19, la mise en place d'un instrument communautaire pour aider les gouvernements à financer leur régime de chômage partiel durant la pandémie, la création d'un prélèvement sur les superprofits des producteurs d'énergie, le plafonnement du prix du gaz, l'accélération de la délivrance de permis pour les fermes solaires et éoliennes, la réduction de la consommation de gaz et d'électricité sur le Vieux Continent ou encore l'achat en commun de gaz.
Le recours à cet instrument est toutefois contesté par le Parlement européen qui y voit un déni de démocratie. En effet, dans cette procédure, le Parlement européen est simplement informé, alors que la procédure de codécision le place sur un pied d'égalité avec le Conseil.
ARTICLE 122 DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT DE L'UE 1. Sans préjudice des autres procédures prévues par les traités, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut décider, dans un esprit de solidarité entre les États membres, des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie. 2. Lorsqu'un État membre connaît des difficultés ou une menace sérieuse de graves difficultés, en raison de catastrophes naturelles ou d'événements exceptionnels échappant à son contrôle, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut accorder, sous certaines conditions, une assistance financière de l'Union à l'État membre concerné. Le président du Conseil informe le Parlement européen de la décision prise. |
3. Les possibilités de coopérations renforcées et autres formes de géométrie variable
Enfin, les rapporteurs soulignent la possibilité de recourir, dans le cadre des traités ou en dehors, à des formes de géométrie variable, permettant à ceux des États qui le souhaitent de progresser dans la voie de l'intégration dans un domaine déterminé sans en être empêchés par d'autres.
On peut distinguer plusieurs formes :
- les formes de géométrie variable en dehors des traités (par exemple le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance - TSCG de 2012) ;
- les formes à géométrie variable prévues par les traités eux-mêmes (espace Schengen, zone euro) ;
- les coopérations renforcées prévues dans le cadre des traités et avec certaines conditions (utilisées par exemple pour la création du Parquet européen ou du brevet communautaire).
ARTICLE 20 DU TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE 1. Les États membres qui souhaitent instaurer entre eux une coopération renforcée dans le cadre des compétences non exclusives de l'Union peuvent recourir aux institutions de celle-ci et exercer ces compétences en appliquant les dispositions appropriées des traités, dans les limites et selon les modalités prévues au présent article, ainsi qu'aux articles 326 à 334 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les coopérations renforcées visent à favoriser la réalisation des objectifs de l'Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d'intégration. Elles sont ouvertes à tout moment à tous les États membres, conformément à l'article 328 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. 2. La décision autorisant une coopération renforcée est adoptée par le Conseil en dernier ressort, lorsqu'il établit que les objectifs recherchés par cette coopération ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l'Union dans son ensemble, et à condition qu'au moins neuf États membres y participent. Le Conseil statue conformément à la procédure prévue à l'article 329 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. 3. Tous les membres du Conseil peuvent participer à ses délibérations, mais seuls les membres du Conseil représentant les États membres participant à une coopération renforcée prennent part au vote. Les modalités de vote sont prévues à l'article 330 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. 4. Les actes adoptés dans le cadre d'une coopération renforcée ne lient que les États membres participants. Ils ne sont pas considérés comme un acquis devant être accepté par les États candidats à l'adhésion à l'Union. |
Les « coopérations renforcées » sont une forme particulière de géométrie variable, prévue par les traités, consistant en l'utilisation des institutions de l'Union par une partie des États membres qui prennent des décisions applicables à eux seuls.
Selon le traité de Lisbonne, les coopérations renforcées ne peuvent être lancées qu'en dernier ressort et doivent associer au moins neuf des États membres.
L'autorisation de lancer la coopération renforcée est accordée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée ; la Commission et le Parlement ont un droit de veto et participent au fonctionnement de la coopération renforcée avec tous les membres qui s'y sont associés.
Toutefois, dans le cas de la politique extérieure et de sécurité commune, le Parlement et la Commission sont simplement consultés et l'autorisation est accordée par le Conseil statuant à l'unanimité.
Par ailleurs, un mécanisme de « frein/accélérateur » facilite le recours aux coopérations renforcées en matière de justice et d'affaires intérieures.
Selon ce mécanisme, dans le domaine de la coopération pénale, si une proposition ou un projet reste bloqué pendant un certain délai, le traité facilite le déclenchement d'une coopération renforcée pour mettre en oeuvre cette proposition ou ce projet, dès lors que le seuil de neuf États membres est atteint. Dans cette hypothèse, l'autorisation de lancer une coopération renforcée est réputée accordée sans qu'une proposition de la Commission, ni l'accord du Parlement européen ou un vote du Conseil ne soient nécessaires12(*).
Une formule particulière et plus souple est prévue aussi pour la défense, sous le nom de « coopération structurée permanente », permettant aux pays qui le souhaitent de progresser en matière de défense. Peuvent participer tous les États membres acceptant les engagements précisés dans un protocole annexé aux traités.
Ainsi, la « coopération renforcée » est un mécanisme qui permet à certains pays volontaires d'aller plus vite et plus loin dans la voie de l'intégration, de constituer une sorte d' « avant-garde ».
D'ores et déjà, le recours à la « coopération renforcée » a permis de surmonter le droit de veto de certains pays et d'établir de nouveaux instruments, tels que le brevet communautaire ou le Parquet européen ou encore en matière de divorce.
À la différence des formes de géométrie variable « hors traités », la « coopération renforcée » préserve le cadre institutionnel de l'Union et permet de recourir aux institutions communautaires.
Il convient de souligner en outre que les États membres participant à une coopération renforcée peuvent, à l'unanimité, décider de recourir aux « clauses passerelles », pour passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au sein de leur coopération13(*).
Dans une Europe à vingt-sept pays aujourd'hui, peut être trente ou plus encore demain, la géométrie variable peut « sembler inévitable pour concilier élargissement et approfondissement », pour reprendre les mots de M. Alain Lamassoure, ancien ministre et ancien député français et européen.
* 12 C'est ce mécanisme qui a été utilisé pour la mise en place du Parquet européen.
* 13 Article 333 du TFUE.