EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 12 juillet 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport d'information de Mme Catherine Deroche sur les données de santé.
Mme Catherine Deroche, présidente, rapporteure. - Mes chers collègues, le Bureau de notre commission a décidé, en 2021, d'inscrire à son programme de travail une mission relative aux données de santé.
En raison d'un programme de contrôle particulièrement chargé en 2022 dans le champ de la santé, avec notamment deux commissions d'enquête - sur l'hôpital et sur l'opportunité de lever le passe vaccinal -, cette mission avait dû être reportée. C'est finalement depuis janvier 2023 que le groupe de travail ouvert à l'ensemble des groupes politiques a pu mener ses travaux.
La thématique du numérique en santé étant immense, la mission n'ambitionnait pas d'en analyser tous les aspects avec le même degré de profondeur.
Il a été décidé l'an dernier de concentrer ce travail, comme nous y invitaient d'ailleurs les préconisations relatives aux travaux de contrôle de la présidente Pascale Gruny, sur l'évaluation des principales dispositions des deux dernières lois Santé en la matière, particulièrement la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (OTSS), notamment son titre III qui appelait à « développer l'ambition numérique en santé ».
Les travaux ont donc principalement porté sur deux aspects : d'une part, la mise à disposition des données de santé, autour du système national des données de santé et de la plateforme des données de santé ; d'autre part, la mise en oeuvre de l'espace numérique de santé.
Nous avons ainsi été contraints d'écarter des sujets importants et d'actualité, mais qui ne pouvaient être traités à cette occasion, comme la télémédecine ou la e-santé au sens large, mais aussi les sujets de cybersécurité, d'intelligence artificielle (IA) ou encore la question des nombreuses plateformes privées intervenant dans le champ de la santé.
Les auditions se sont parfois révélées très techniques, et je constate que le format de groupe de travail retenu pour cette mission n'a malheureusement pas suscité d'adhésion particulière. Je remercie toutefois Annie Le Houerou et Philippe Mouiller, ainsi que ceux de nos collègues qui ont pu participer à ces travaux.
Avec le seul champ d'études que je viens d'énoncer, la mission a réalisé 17 auditions et 3 déplacements, permettant d'entendre 34 organismes et 90 personnes.
J'aborderai trois éléments principaux qui me semblent déterminants sur le cadre français que nous avons évalué, avant de vous présenter les enjeux européens dans le cadre de l'examen de la proposition de résolution européenne qui nous est transmise.
Le premier a trait à la gouvernance et fournira le prétexte à une brève présentation du paysage existant.
La France a fait partie des pionniers en matière de constitution de bases de données de santé. Le système national interrégimes retraçant les actes des professionnels, qui deviendra le système national d'information interrégimes de l'assurance maladie (Sniiram), a été lancé par l'assurance maladie en 1977, et l'informatisation des actes hospitaliers, qui deviendra le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), a été entreprise en 1982.
La réutilisation des données ne remonte pas plus loin qu'au tournant du millénaire. À l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) s'est ajouté un premier organe de pilotage de l'accès aux données, l'institut des données de santé (IDS), créé en 2004. La loi de 2016, qui a créé le système national des données de santé (SNDS) en regroupant notamment le PMSI et le Sniiram, a par ailleurs rendu le pilotage stratégique des données un peu plus politique, mais la gestion opérationnelle des accès plus complexe - l'IDS devenant l'Institut national des données de santé (INDS).
Le contexte de la loi de 2019 avait ceci de nouveau que, depuis le rapport Villani sur l'intelligence artificielle, il s'agissait non plus seulement de mettre les données existantes à la disposition des acteurs du système de santé, mais encore de se doter d'une politique de production et d'exploitation de très grandes masses de données à des fins d'encouragement de l'innovation. Le Health Data Hub (HDH) a ainsi remplacé l'Institut national des données de santé pour agir comme offreur de données à part entière. Mais sa gouvernance est lourde : les 56 parties prenantes de la plateforme portent le nombre de membres de son conseil d'administration à près d'une centaine. Son pouvoir opérationnel est faible puisque le contrôle des accès a été maintenu dans les mains de la Cnil et d'une commission éthique spécialisée. Il ne pèse pas davantage sur la gouvernance stratégique de la politique relative aux données de santé. Concernant sa capacité d'action compte tenu de la solution technologique choisie, j'y reviendrai.
La gouvernance stratégique de cette politique est devenue plus difficile à identifier. Depuis 2016, c'est au ministère de la santé, au sein de ce qui s'appelle maintenant le comité stratégique des données de santé, que se décident les grandes orientations du développement du SNDS. Ce comité est présidé par le directeur des études et des statistiques du ministère. Il réunit de nombreux acteurs, mais, d'une part, il suscite les réserves de certaines directions « métier » de l'avenue de Ségur, et, d'autre part, il coexiste avec d'autres formes de gouvernance de bases de données d'intérêt national : le dossier pharmaceutique, les registres épidémiologiques, les cohortes, la récente plateforme de données en cancérologie de l'Institut national du cancer (INCa), etc., restent autonomes, et les entrepôts hospitaliers poussent comme des champignons après la pluie.
Surtout, l'apparition d'un nouvel acteur a un peu brouillé les responsabilités : la délégation du numérique en santé, créée fin 2019 pour mettre en oeuvre la feuille de route pour l'innovation numérique. Son efficacité lors de la crise covid a conduit cette structure sans base juridique solide et ses équipes de jeunes « en mode start-up » à obtenir beaucoup en peu de temps : l'autorité de délégation des crédits du volet numérique du Ségur - 2 milliards d'euros tout de même -, une seconde feuille de route du numérique en santé promettant de poursuivre la transformation de l'État en plateforme, et la coordination de la position française dans la négociation de la directive sur l'espace européen des données de santé, qui concerne pourtant principalement les usages secondaires sur lesquels la DNS n'est pas compétente...
D'une manière générale, l'impression tirée de nos auditions est que le portage ministériel de ces questions est faible. Le ministère de la santé fait manifestement confiance à la DNS pour la stratégie de déploiement du numérique et à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) pour les aspects techniques de la gestion des bases. Or la politique des données à l'ère du numérique est bien plus qu'une vague de dématérialisation, elle touche à l'organisation des soins. Il appartient au ministre, sous le contrôle du Parlement, de prendre les décisions qui s'imposent, qui impliqueraient de redonner du poids aux directions métiers du ministère.
Deuxième aspect, auquel je suis particulièrement attachée : l'exploitation dite « secondaire » des données de santé, à savoir l'utilisation des données à des fins de recherche médicale ou d'amélioration des politiques de santé.
L'utilisation secondaire repose d'abord sur le matériau lui-même, la donnée, qu'il s'agit d'utiliser.
Le système national des données de santé semble bien être le « coeur du réacteur ». La loi de 2016 de modernisation de notre système de santé a créé le SNDS à partir de bases existantes ou en cours de constitution. La base dite « historique » ou aujourd'hui « principale » comprend les données liées aux remboursements de l'assurance maladie, le Sniiram, les données de facturation hospitalière, le PMSI, la base des causes de décès gérée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et les données des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), qui devraient être effectivement versées en 2023 ou 2024.
La loi de 2019 a considérablement élargi le champ du SNDS avec un postulat simple d'universalisation : tous les actes et prestations financés par la collectivité ont vocation à relever du SNDS. La mise en oeuvre de ce principe est toutefois variable : si les données relèvent du SNDS, elles n'intègrent pas toutes une base consolidée. Par exemple, les actes d'imagerie, les résultats d'analyses biologiques ou les dossiers cliniques des patients ne constituent pas de fichiers accessibles au niveau national.
La principale lacune identifiée par l'ensemble des acteurs est la nature « médico-administrative » de la base historique du SNDS. Pour combler celle-ci, les entrepôts de données de santé semblent être une nécessité. Si certains entrepôts de données de ville sont à l'étude, à partir des données collectées dans les logiciels des praticiens, l'enjeu principal est aujourd'hui celui des entrepôts hospitaliers.
Ceux-ci ne sont pas nouveaux sur le papier. Ils correspondent à la structuration et à une valorisation très opérationnelle des données recueillies dans les systèmes d'information des établissements, qui sont une mine de données cliniques. Nous nous sommes rendus sur le « campus numérique » de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), à l'hôpital Rothschild. L'entrepôt de l'AP-HP couvre plus de 14 millions de patients et 260 projets de recherche ont déjà été déposés.
Cependant, comme la Haute Autorité de santé (HAS) l'a montré dans son rapport de 2022, cette structuration des entrepôts hospitaliers est extrêmement difficile et hétérogène. Les standards ne sont pas établis en matière de systèmes et d'interopérabilité, ce qui grève les capacités d'entrepôts « multicentriques » et les compétences comme les moyens manquent. Si un appel à projets a été lancé dans le cadre de France 2030 pour la structuration des entrepôts, le risque est bien, comme souvent, au saupoudrage. Je vous proposerai une recommandation tendant à prioriser la structuration et la consolidation d'entrepôts prioritaires, principalement autour des centres hospitaliers universitaires (CHU), et à donner à ces derniers les moyens adéquats. Il s'agit notamment d'ouvrir clairement la possibilité d'une dotation « MERRI » (mission d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation) pour le financement des entrepôts hospitaliers, avant que ne soit creusé le sujet des redevances d'utilisations futures.
Quant aux données issues des parcours de soins, elles sont extrêmement précieuses, mais pour l'heure encore assez peu exploitées. Je songe d'abord aux données des registres et cohortes, qui sont très convoitées par la recherche en raison de leur richesse et de leur précision. Nous avons déjà eu l'occasion de discuter des registres des cancers : la complémentarité de ces données épidémiologiques, exhaustives dans leur domaine, avec les données médico-administratives du SNDS est très grande et nourrit de grandes promesses de recherche.
Il en va de même pour les données de certaines banques spécialisées : si celles de la Banque nationale de données des maladies rares ont rejoint le « catalogue » du Hub, comme celle de la cohorte Memento, qui suit des patients atteints de troubles cognitifs, ce n'est toutefois pas le cas de celles de la banque nationale Alzheimer, ni des grandes cohortes comme Constances.
Le rapport de préfiguration de la plateforme évoquait d'autres sources de données encore, qui ne sont toujours pas au catalogue : le dossier pharmaceutique, ouvert par défaut depuis la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap), dont le décret n'est paru qu'en avril dernier ; les données de cabinet et d'imagerie de ville, les données génomiques, ou encore les données issues de la télémédecine et des objets connectés.
Je crois surtout que les données utiles sont celles qui répondront aux questions que l'on ne se pose pas encore, ce qui justifie de stimuler la production, par les chercheurs, des données que leur dictent leurs recherches. Autrement dit, n'oublions pas que la meilleure politique en la matière est celle du soutien à la recherche par son financement et par le recrutement de compétences techniques qui permettront d'entretenir et exploiter ces bases de données.
Le second aspect est celui de l'accès aux données. C'est sans doute sur ce point que nos travaux ont mis en évidence les problèmes les plus structurels dans la mise en oeuvre de la loi. Celle de 2019 n'a pas fondamentalement changé les différents régimes d'accès aux données issus de la loi de 2016 et de la transposition du règlement général sur la protection des données (RGPD).
Le principal problème réside dans le délai d'obtention des données. Si le comité éthique et la Cnil parviennent à peu près à respecter les délais qui leur sont impartis, la mise à disposition, par la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), de ses données peut prendre entre dix et douze mois, ce qui porte le délai total de la procédure à dix-huit mois en moyenne ! En conséquence, certains projets ne se font tout simplement pas, et certains doctorants perdent le bénéfice de leur bourse sans avoir achevé leurs travaux, faute d'avoir pu obtenir le matériau nécessaire.
La Cnam prétend que la cause est à rechercher dans la hausse du nombre de demandes que les déboires du Health Data Hub ont reportés vers elle, et dans la complexification des demandes, que ses moyens humains ne lui permettent pas de satisfaire dans les meilleurs délais. Sans doute les moyens de la Cnil et du Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé (Cesrees) devraient-ils être soutenus eux aussi, dans un contexte où l'on souhaite voir le nombre de projets soutenus augmenter significativement.
Le rapport fait encore à cet égard quelques propositions visant à désengorger la Cnam en priorisant certaines demandes, à faciliter les appariements entre les bases de données en assouplissant le décret relatif aux professionnels autorisés à utiliser le numéro de sécurité sociale, et en clarifiant les modalités de recueil du consentement des patients.
Une partie importante de nos travaux s'est portée sur la plateforme des données de santé, aussi appelée dans sa communication Health Data Hub - une appellation sans doute plus vendeuse à l'étranger, mais imprononçable et que le juge administratif a d'ailleurs enjoint au Gouvernement de retirer de ses supports de communication. Nous avons rencontré la directrice de la plateforme à deux reprises au cours de nos travaux.
La loi de 2019 a créé la plateforme des données de santé, sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP). Celle-ci se voit confier pour première mission la gestion et de la mise à disposition du SNDS. La plateforme a également vocation à assurer le secrétariat des demandes de traitement utilisant le SNDS ainsi que du comité éthique d'accès aux données. Enfin, elle exerce une compétence d'appui aux acteurs, par l'élaboration de référentiels et de méthodologies.
Le Health Data Hub accompagne 97 projets de recherche et a appuyé 192 extractions de données en 2022 et 89 depuis le début de l'année.
Si la plateforme occupe désormais une place incontournable dans le système d'accès aux données de santé et semble montrer une structuration réussie, sa principale faiblesse est aujourd'hui le fait de ne pouvoir exercer l'une de ses missions principales : l'hébergement du SNDS.
Je ne reviendrai pas ici en détail sur la question lourde et le parcours chaotique de la demande d'autorisation auprès de la Cnil relative à l'hébergement du SNDS, demande finalement retirée par la plateforme en janvier 2022 compte tenu de l'état du bras de fer juridique engagé sur les conséquences d'une solution d'hébergement étatsunienne.
Je partage naturellement les préoccupations relatives à la souveraineté numérique de notre pays et suis pleinement consciente de l'extrême vigilance qui doit être la nôtre face aux risques de fuites de données en cas de transferts.
Je note cependant que cette décision est en dernière instance politique, puisque le Conseil d'État avait émis des réserves sur la solution retenue de la suite Microsoft Azure, sans pour autant la rejeter. Dans le débat sur le « cloud de confiance », il faut en effet verser le constat que les offres disponibles, que le HDH a fait comparer pour le ministère du numérique, ne permettent pas d'offrir l'ensemble des fonctionnalités nécessaires d'exploitation et de valorisation des bases, mais aussi de sécurité et de fiabilité.
Des prestataires européens vantent régulièrement leurs solutions, sous l'angle également de la souveraineté, sans que leurs offres ne semblent aujourd'hui en mesure de concurrencer le géant américain. Nous avons tenté d'auditionner le ministre délégué chargé de la transition numérique à ce sujet, mais il nous a répondu que cela ne le concernait pas. Cherchez l'erreur... Le ministère chargé du numérique a lancé une mission pour appuyer les opérateurs français à combler certaines de leurs lacunes et arriver à terme à satisfaire les besoins identifiés. Mais quand ? Ce dossier cristallise les difficultés de la plateforme, mais il nuit surtout à sa montée en puissance et donc à la bonne utilisation des données pour la recherche. Bref, les exigences de souveraineté ne doivent pas conduire à l'immobilisme et à reléguer notre pays dans la course à l'innovation scientifique. Comme l'indiquait d'ailleurs le professeur Ségolène Aymé, présidente du conseil scientifique consultatif du Health Data Hub, on pose souvent à raison la question éthique de l'utilisation des données, mais la non-utilisation des données aussi pose une question éthique.
Il ne nous appartient pas, en tant que législateur, de réaliser l'analyse du cahier des charges produit par le HDH ni d'apprécier quelle solution d'hébergement est la plus à même de répondre aux besoins. C'est à la tutelle qu'il revient d'assurer ce travail opérationnel. Or, force est de constater que celle-ci est inerte, tant du côté du ministère de la santé que de celui qui est chargé du numérique.
Ainsi, l'une des principales recommandations que je vous propose de porter est d'appeler à un arbitrage politique rapide et une solution transitoire à court terme permettant à la plateforme d'assurer pleinement sa mission de mise à disposition du SNDS. Le choix est clair : ou bien le Gouvernement assume de recourir à une solution offrant le panel maximal de fonctionnalités, qui ne serait sans doute pas européennes, ou bien, pour privilégier des aspects de souveraineté, il assume de revoir le niveau d'exigences et de services que la plateforme doit poursuivre, et désigne au plus vite une solution européenne appropriée.
Pour ses autres missions que sont le secrétariat du comité éthique, la promotion du SNDS ou l'appui aux acteurs, il semble que la plateforme trouve un accueil favorable des parties prenantes. Le souhait partagé par le plus grand nombre, et principalement les établissements de santé, est que la plateforme devienne une structure fédératrice et coordinatrice, mais ne prétende pas tout centraliser et gérer à la place des autres.
C'est pourquoi je vous propose de recommander le recentrage de la plateforme sur ses missions premières que sont la valorisation et la gestion de la base principale, ainsi qu'un accompagnement des acteurs, notamment sur la constitution des entrepôts de données. La structuration progressive du catalogue doit enfin être une mission prioritaire, en sécurisant la qualité, la pertinence et la disponibilité de bases utiles. La volonté de la plateforme de constituer des jeux de données préparés par thématiques, par exemple sur le diabète, est à cet égard remarquable.
En résumé, la plateforme doit pouvoir trouver une place d'organisme de référence, de guichet unique d'accès aux données et d'appui des projets de recherche fédérant des bases de données décentralisées, en s'écartant peut-être un peu des ambitions centralisatrices des discours ministériels de 2019 qui en faisaient un hébergeur unique.
Le dernier point concerne l'utilisation dite « primaire » des données de santé dans la prise en charge et le parcours du patient lui-même.
La loi de 2019 portait sur ce point un projet important : l'espace numérique de santé (ENS), plus communément appelé Mon espace santé. De grands bénéfices sont attendus de la mise en place de ce type d'outils dans la prise en charge et le parcours des patients : permettre aux usagers de gérer directement leurs données personnelles de santé, améliorer leur suivi médical et la coordination de l'équipe de soins, réduire les actes redondants et les risques iatrogéniques.
Or, sur ce chantier, il faut rappeler d'emblée que la France accusait un retard de quinze ans. Le dossier médical partagé (DMP), lancé en 2004, n'est jamais parvenu à s'imposer dans les usages. D'abord fondé sur des objectifs irréalistes et contre-productifs, le projet a été relancé en 2008 puis en 2016, sans succès. La Cour des comptes décomptait, huit ans après son déploiement, seulement 156 000 DMP ouverts, contenant chacun deux documents en moyenne.
C'est la raison pour laquelle, dès 2018, le Gouvernement a confié à Dominique Pon et Annelore Coury une mission visant à « accélérer le virage numérique en santé ». Le constat tiré était sans appel : l'usager est resté trop longtemps oublié dans le développement du numérique en santé, les professionnels sont confrontés à une offre morcelée et peu interopérable et il n'existe pas de services « socles » ou « de premier niveau » partagés par tous et susceptibles de faciliter l'usage des outils numériques dans la pratique quotidienne des professionnels.
Le rapport de Dominique Pon et d'Annelore Coury prévoyait la mise en place d'un espace numérique de santé fondé sur plusieurs outils complémentaires : un dossier de santé comprenant, notamment, le fameux DMP, un agenda de santé permettant la gestion des rendez-vous et la génération de rappels, une messagerie de santé sécurisée permettant à l'usager d'échanger des informations avec les professionnels comme avec les établissements et enfin un catalogue d'applications et de services référencés susceptibles d'échanger des données avec l'application.
Reprenant largement les conclusions de ce rapport, la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé (OTSS) de 2019 a créé l'ENS et fixé le lancement du dispositif au 1er janvier 2022. Pour faciliter son déploiement, et contrairement à l'ancien DMP, il a été choisi de ne plus conditionner la création des ENS à l'accord exprès et préalable des patients : au contraire, les ENS sont créés automatiquement après information des usagers, sauf en cas d'opposition de ces derniers.
Une attention particulière a été portée à la gestion, par l'usager lui-même, de ses données de santé : le titulaire de l'espace ou son représentant légal est son seul gestionnaire, et peut à tout moment proposer un accès temporaire ou permanent à son ENS à un établissement ou à un professionnel de santé, consulter les traces de connexion sur son espace et, le cas échéant, interdire l'accès à ses données. De la même manière, si des services et outils référencés, après avis d'une commission de référencement comprenant notamment des représentants des usagers, sont susceptibles d'échanger des données avec les ENS, ceux-ci ne pourront le faire qu'après accord exprès du titulaire, qui doit être informé des modalités et des finalités de cet échange.
Les délais fixés par la loi ont été globalement tenus et l'ENS lancé en janvier 2022. En novembre dernier, 69 millions d'assurés avaient été informés de la création automatique et prochaine de leur ENS. Seuls 2 % d'entre eux s'y étant opposés, le nombre d'ENS créés dépassait 65 millions.
Ces chiffres doivent toutefois être relativisés, puisqu'ils ne disent rien de l'utilisation de l'espace par les patients.
Sur ce point, il faut signaler d'abord qu'une partie seulement des services attendus ont pour l'heure été déployés. Le catalogue de services certifiés n'a été lancé qu'en novembre 2022 et ne permet pas encore d'échange de données entre l'espace numérique de santé et les applications référencées. Le nombre d'applications demeure faible : vingt seulement étaient disponibles en avril dernier. De la même manière, l'agenda médical devant permettre de centraliser les rendez-vous médicaux et de bénéficier de rappels n'a pas encore été ouvert. L'Agence du numérique en santé (ANS) prévoit le lancement de ces deux services dans le courant de l'année 2023.
Surtout, et toujours sur le front des usages, la plateforme demeure insuffisamment utilisée. Un an après le lancement de l'outil, au début de l'année 2023, seulement 11 % des ENS créés avaient été activés par leurs titulaires. Si le rythme de versement de documents par les professionnels de santé augmente de manière constante et atteint désormais environ 150 millions de documents par an, ce chiffre demeure insuffisant : l'ANS vise 250 millions de documents à la fin de l'année. Il est surtout très inégal selon les secteurs : la biologie et l'hôpital représentent à eux seuls plus des trois quarts des documents versés, quand l'utilisation de l'outil en ville demeure décevante.
Alors que la prise en main de l'outil par les professionnels demeure fortement dépendante des évolutions logicielles permettant d'automatiser le versement et de simplifier l'accès, ces écarts entre secteurs sont largement dus à l'effet important du Ségur du numérique sur l'équipement hospitalier. La ville, pour laquelle l'investissement a été plus tardif, rencontre encore des difficultés : vous avez entendu le conseil de l'ordre des médecins et des infirmiers.
Le rapport formule quatre recommandations devant permettre de lever les derniers obstacles à l'utilisation de l'outil par les patients comme par les professionnels de santé.
En ce qui concerne les patients, il prévoit d'abord d'intensifier les efforts de communication en les faisant porter prioritairement sur les usages possibles de Mon espace santé. Les associations de patients auditionnées ont souligné que de nombreux publics avaient encore une connaissance imprécise de Mon espace santé et ignorent, par exemple, l'existence d'une messagerie sécurisée. Le déploiement prochain du carnet de santé dématérialisé des enfants, comme des échanges de données avec les applications référencées du catalogue et de l'agenda de santé, devraient constituer l'occasion d'une campagne massive, mettant en valeur les nouvelles fonctionnalités offertes par la plateforme et la manière dont elles peuvent améliorer le parcours de soins.
Pour accompagner les patients les plus fragiles dans l'utilisation de l'outil, nous recommandons par ailleurs d'évaluer les outils existants de lutte contre la fracture numérique et de les renforcer partout où cela apparaît nécessaire. Si l'ANS a mis en place un réseau de dix-huit coordinateurs régionaux Mon espace santé, chargés d'animer un réseau de plusieurs centaines d'ambassadeurs bénévoles, et s'appuie sur les structures d'inclusion numérique et les maisons France services, ces initiatives sont encore décrites comme insuffisantes par les associations de patients. Surtout, leur qualité dépend pour beaucoup de l'engagement des acteurs de terrain et s'avère inégale sur le territoire.
S'agissant des professionnels, le rapport propose d'abord de renforcer en ville les incitations conventionnelles à l'utilisation de Mon espace santé. Si la convention médicale de 2016, reprise sur ce point par le récent règlement arbitral, et la convention nationale des pharmaciens d'officine valorisent désormais l'alimentation du DMP, ce n'est pas encore le cas pour d'autres professionnels libéraux. Or l'utilisation de l'espace numérique de santé est désormais présentée comme un élément essentiel de la prise en charge et du suivi du patient, en coordination avec les autres professionnels de santé. Elle doit être, en conséquence, justement valorisée dans la tarification des actes ou dans les différents dispositifs de rémunération sur objectifs.
Enfin, le rapport suggère d'accélérer le déploiement du bouquet de services aux professionnels de santé, pour faciliter l'accès à l'ENS, ainsi que de renforcer leur formation initiale et continue aux outils numériques. Prévu par la première feuille de route, le bouquet de services devait être déployé à la fin de l'année 2022, mais, reporté à 2024, il n'a toujours pas été lancé. Il doit pourtant permettre aux professionnels d'accéder aux différents outils sans reconnexions intempestives et sans avoir à saisir une seconde fois des données déjà renseignées. La formation des professionnels aux outils apparaît du reste inégale, selon les générations comme les professions. Lors de son audition, le Conseil national de l'ordre a insisté sur la nécessité de mieux préparer les infirmiers à l'utilisation de l'ENS ; d'autres professions sont dans la même situation.
Voilà, mes chers collègues, les conclusions que je souhaitais partager avec vous et les recommandations que je vous propose de porter au nom de notre commission.
Mme Annie Le Houerou. - Je vous remercie de cette synthèse : le sujet était ardu, et il est rendu plus limpide par la présentation du rapport. Ce qu'il en ressort, c'est une complexité et une divergence des points de vue, ainsi que le manque de pilotage du ministère. Il y a des affirmations claires, mais, dans la pratique, les moyens mis en oeuvre restent en deçà des ambitions. Pourtant, le problème ne concerne pas que le manque de moyens : nous n'avons pas abordé cette question de près, mais des sommes très importantes ont été engagées pour aboutir à une base de données fiable, pour que ces dernières puissent être utilisées de manière efficiente, afin de faire de la prévention ou de la recherche. Le résultat est plutôt maigre, disons-le, y compris sur les systèmes informatiques disparates dans les hôpitaux, malgré des cahiers des charges imposés pour aller vers l'interopérabilité des systèmes informatiques. Mais on est encore loin de la collecte généralisée des données au sein des groupements hospitaliers de territoire en proximité, même si de grosses structures comme l'AP-HP ont mis en place leurs propres systèmes, disposant d'une masse de données importantes, mais non complètes.
D'énormes progrès sont encore à faire sur la collecte des données. Mon espace santé commence à être connu, mais, par défaut, il demande une inscription ; l'utilisation et l'intérêt de cet outil laissent beaucoup à désirer. Les professionnels de santé estiment que les objectifs ne sont pas atteints, et peu de patients ou de professionnels utilisent ces bases de données. La complexité des modalités de l'entrée des informations a été pointée, renforcée par la situation catastrophique de la démographie médicale. Alors que les médecins se plaignent déjà de l'importance du temps occupé par des tâches administratives, ces tâches sont encore complexifiées, et on ajoute encore du temps administratif pour enregistrer les données de santé des patients.
Beaucoup de chemin reste à parcourir pour aboutir à un système opérationnel et efficient, dont on puisse tirer tous les bénéfices tant sur le plan de la prévention et du suivi des patients que sur celui de l'utilisation industrielle de ces données.
M. Philippe Mouiller. - La complexité, on la doit à l'accumulation de projets dans le temps et à un manque de stratégie nationale. Nous l'avons vu lors des auditions : le Gouvernement propose un mode de stockage des données alimenté et exploité pour la santé publique, en donnant des moyens financiers importants. Mais en pratique, les choses sont bien différentes parce que la grande majorité des acteurs de la santé n'adhèrent pas à cette stratégie nationale. Pour certains, il s'agit une surcharge de tâches administratives, quand d'autres disposent déjà de leurs propres outils, de leurs propres bases de données, qui leur permettent de valoriser le travail de leurs équipes, sans volonté d'un mélange national des données ; pour d'autres enfin, un problème d'interopérabilité ou de technique se pose : après avoir investi des centaines de millions d'euros dans d'autres outils, ils ne veulent pas revoir toute leur organisation.
Si l'on y rajoute la complexité administrative propre à notre savoir-faire national, le projet devient en fin de compte assez poussif. Il aurait peut-être mieux valu mieux utiliser les outils qui existaient déjà.
La liste de recommandations me semble nécessaire, mais le principal réside avant tout dans l'adhésion des acteurs. Sans elle, sans leur donner les moyens et les amener à respecter leurs obligations, nous aurons du mal à développer cet outil nécessaire, déjà exploité dans nombre de grands pays.
Mme Florence Lassarade. - Je prendrai le contrepied des propos de Philippe Mouiller : le numérique a été présent tout au long de mon exercice hospitalier. Dès les années 1980, nous passions des journées entières à coder des dossiers, pour mieux cerner le coût de la santé.
Annie Le Houerou a bien parlé de l'hétérogénéité des logiciels de santé ; dans ma maternité, nous disposions d'un logiciel bricolé en Bretagne, qui comportait un risque d'erreur de prescriptions. Le syndicat des pédiatres a mis au point un excellent logiciel, qui permet l'extraction et l'exploitation de formidables données, y compris sur les lots de vaccins. La pédiatrie est prête à l'arrêt du carnet de santé papier, qui présente néanmoins l'intérêt de la simplicité, et qui constitue un suivi que l'on peut conserver tout au long de la vie.
J'ai essayé de me connecter à Mon espace santé. Le fiasco a été total : j'avais fait une faute d'orthographe sur mon adresse mail, et la seule solution a été de me retirer la possibilité de constituer un dossier pour vingt ans ! Le numérique devrait simplifier la vie, mais il complexifie incroyablement les choses. Les médecins ne sont pas hostiles à ce système, car « Paaco-Globule » fonctionne par exemple très bien, en proposant différents niveaux d'entrée selon le personnel de santé concerné. Les médecins seraient ravis de disposer d'un outil de simplification, mais il me semble qu'il s'agit avant tout d'un outil de complexification : on marche sur la tête !
Lors des travaux du groupe de travail sur les maladies neurodégénératives de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), nous avons vu que, pour la maladie de Charcot, dont certaines formes génétiques sont extrêmement rares, il n'est pas possible de partager des données avec d'autres pays européens. Non seulement la vie des médecins est complexifiée, mais en plus lorsqu'il serait vraiment utile de partager les données de santé, il y a dans notre pays de tels freins que même la recherche s'en retrouve pénalisée.
M. René-Paul Savary. - Il existe déjà des données de santé, notamment auprès des grands hôpitaux ; il s'agit non pas de les centraliser, mais d'améliorer la communication. Dans notre rapport préconisant un Crisis Data Hub, Véronique Guillotin et moi-même avions recommandé d'aller dans ce sens.
J'ai retenu des auditions qu'on s'est essoufflé à chercher un hébergeur européen face à l'hébergeur américain. Peut-être qu'à un moment il vaut mieux capituler, sachant que nombre de nos concitoyens donnent allègrement leurs données à des plateformes comme TikTok. Cela semble ne gêner personne que TikTok utilise les données de ses utilisateurs ou les géolocalise, mais lorsqu'on parle de Health Data Hub ou de Crisis Data Hub à la Cnil, il y a un blocage en raison d'une atteinte à la liberté prétendument extraordinaire ! Il faut une prise de conscience. Je partage le point de vue : allons vers l'innovation, car, quelle que soit l'évolution technologique, certains sauront voler vos données...
En ce qui concerne Mon espace santé, nous n'avons plus cette culture en France : comme l'assurance maladie prend tout en charge, elle apparaît comme un dû. Au regard des droits et des devoirs, les devoirs sont rapidement oubliés... Le carnet de santé jaune mis en place par Alain Juppé constituait un outil précieux ; il en était la forme papier, qui permettait un suivi des examens lorsqu'on n'était pas examiné par son médecin traitant. Il est tout de même extraordinaire qu'il soit plus difficile de faire cela avec le numérique qu'avec le papier !
À l'époque, nous avions le droit de nous
réunir entre médecins et laboratoires
- c'était
d'ailleurs perçu comme scandaleux, car c'était le laboratoire qui
invitait, mais cela permettait d'échanger. Nous parlions du carnet de
santé, et certains disaient que son remplissage prenait trop de temps et
était trop compliqué. Il faut donc simplifier la tâche, si
l'on veut inclure cette culture chez les médecins ou chez les autres
professions paramédicales. Il faut une volonté d'innovation, une
vraie vision médicale. Or la vision est uniquement
budgétaire : le but est seulement de faire des économies, et
cela ne peut pas marcher. Il faut insister sur la vision médicale qui
manque cruellement dans ce pays.
Si l'on veut mieux régler les problèmes de crise, j'insiste sur le fait qu'il faut recueillir et coordonner les données en cas de difficultés. En cas de crise nucléaire, si nous disposions d'un Crisis Data Hub, nous sauverions des vies uniquement en croisant des données et en joignant plus facilement les gens. Or on n'a rien compris de la crise, c'est regrettable.
Mme Pascale Gruny. - Nous avons perdu beaucoup de temps. J'étais le rapporteur de la proposition de loi pour renforcer la prévention en santé au travail : lors des débats, nous avons abordé la question du partage des données de santé entre médecins de ville et médecins du travail, mais elle n'avance pas. Il faut l'adhésion des professionnels de santé, comme celle de la population. Beaucoup d'argent a été mis sur la table : il y a quelque temps, j'ai participé au DMP. Parmi les élus, il y avait déjà un frein : nous avons passé des jours et des jours sur le droit de masquage d'informations offert au patient. Nous avons mis des millions d'euros sur un premier DMP, puis des centaines de millions sur un second, mais nous n'avons abouti à rien. Aujourd'hui, même moi je n'ai pas activé mon compte Mon espace santé, alors que je suis convaincue que nous avons besoin de cet outil pour la recherche, et qu'il peut être très utile aux urgences. L'outil existe, mais on n'en parle pas, et même nous, en tant qu'élus, nous n'entraînons pas d'adhésion.
J'ai entendu parler d'interopérabilité. Dans la proposition de règlement européen relatif à l'espace européen des données de santé, une interopérabilité obligatoire est prévue à l'échelle de l'Union européenne ; il faudra donc une interopérabilité dans les États membres. C'est important pour la recherche, le diagnostic et les traitements des maladies rares, en particulier.
M. Alain Milon. - Si le rapport est tellement dense, et qu'il provoque dans mon esprit une certaine confusion, c'est que la profusion des logiciels de santé manque d'harmonisation. Au bout du compte, de nombreuses données ne sont pas exploitées. Les recommandations du rapport proposent que les missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (MERRI) financent l'ensemble des recherches sur le sujet. Mais l'enveloppe des MERRI est constante : au détriment de quelle recherche les choix seront-ils faits ?
Mme Catherine Deroche, présidente, rapporteure. - À force de saupoudrage, lorsqu'on veut rajouter un bénéficiaire, c'est au détriment des autres enveloppes.
Madame Le Houerou, il y a un vrai décalage entre les discours « start-up » du Président de la République revendiquant modernité et innovation et l'engagement réel des tutelles ministérielles : nous l'avons vu à la suite de notre demande d'audition du ministre délégué chargé de la transition numérique, qui nous a répondu que le sujet dépend non pas de lui, mais du ministre de la santé. Nous regrettons encore une fois l'éclatement de tous les acteurs, que l'on qualifie souvent de spécialité française. Le Ségur de la santé a permis d'avancer sur l'interopérabilité entre villes et hôpitaux, déterminante pour les entrepôts de données de santé, mais aussi pour la prise en charge des patients. Que l'Europe l'impose est plutôt bienvenu.
Sur la charge administrative représentée par Mon espace santé, les auditions de Stéphane Oustric et Patrick Chamboredon ont montré que les choses semblent fluides dans le cabinet du Dr Oustric, mais tous les cabinets ne fonctionnent pas ainsi. C'est très variable d'un établissement à l'autre. Le DMP traîne depuis vingt ans. Lorsque nous étions allés en Espagne avec la délégation menée par Alain Milon, nous nous étions rendu compte qu'un tel dossier médical permettait une meilleure santé publique, une meilleure prise en charge des patients, et de moindres coûts. L'Espagne et le Portugal disposent d'un tel dossier depuis très longtemps. Des pays ont été bien plus directifs que nous, qui avons laissé le paysage se développer, avec des logiciels incompatibles : nous avons manqué de vision.
Le manque d'adhésion à une stratégie nationale correspond à une réalité : il n'y a pas de portage politique, le sujet, coûteux, ne figure pas parmi les priorités des acteurs, car il s'ajoute au travail des urgences. Mais il est déterminant de rétablir la confiance tant pour les patients que pour les chercheurs. Ces derniers mois, le complotisme concernant la vaccination contre la covid-19 n'a pas amélioré la situation.
Il faut un engagement partagé, et poser la question de la gouvernance. Une feuille de route spécifique à l'utilisation secondaire des données doit être définie. Nous avons reçu hier Jérôme Marchand-Arvier, pour évoquer la feuille de route qui lui a été confiée en avril. L'échéance qui lui a été fixée en septembre semble un peu proche, mais des propositions seront faites d'ici à la fin de l'année.
Le codage constitue une révolution pour les données de santé, mais, au départ, il était limité aux données cliniques. Des chercheurs de Rennes nous ont indiqué que des images seules sont inutiles sans interprétation de la part du professionnel, et peuvent engendrer des erreurs. Mais le codage pose le problème du financement. Les données de santé ont longtemps été inégales dans le territoire, et ne se sont jamais imposées dans les usages. Mon espace santé rencontre encore des problèmes techniques, comme l'expérience de Mme Lassarade l'atteste : il faut faire remonter ces difficultés à l'assurance maladie.
En commençant cette mission, je me disais que le Health Data Hub allait tout centraliser, jouer un rôle de portail unique. Mais tout le monde est d'accord pour dire qu'il doit jouer plutôt un rôle fédérateur.
Concernant la protection des données, je suis d'accord avec René-Paul Savary ; même si je comprends que certains patients veuillent cacher des pathologies, un dossier de santé est d'abord au service du patient, permettant une meilleure prise en charge. Si le patient peut gommer ou indiquer la moitié des données, cela fausse les analyses et la prise en charge. Certains souhaitaient favoriser un accord tacite pour tous les actes. Les professionnels passent un temps fou à demander à chaque fois aux patients s'ils sont d'accord pour que leurs données soient utilisées.
Les recommandations sont adoptées.
La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information, ainsi que les recommandations proposées par la rapporteure, et en autorise la publication.