COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

· Audition de M. Michel Villac, président, Mmes Laurence Rioux, secrétaire générale, et Camille Chaserant, conseillère scientifique, du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), et de M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques (Ined) (2 février 2023) 179

· Table ronde sur les actions de soutien à la parentalité dans les outre-mer (9 février 2023) 194

· Table ronde sur la situation à Mayotte (16 mars 2023) 218

· Table ronde sur la situation dans les collectivités du Pacifique (4avril 2023) 233

· Table ronde sur la situation en Guyane (4 mai 2023) 258

· Table ronde sur la situation à Saint-Pierre-et-Miquelon (4 mai 2023) 272

· Audition d'Unicef France (25 mai 2023) 286

· Audition de la Croix-Rouge française (25 mai 2023) 302

· Audition de représentants des administrations centrales et de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) (8 juin 2023) 314

Audition de M. Michel Villac, président, Mmes Laurence Rioux,
secrétaire générale, et Camille Chaserant, conseillère scientifique,
du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA),
et de M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès
de la direction de l'Institut national d'études démographiques (Ined)

(2 février 2023)

Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale
aux outre-mer

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je suis très heureuse d'ouvrir ce matin, avec mon collègue Stéphane Artano, la première réunion commune à nos deux délégations, aux droits des femmes et aux outre-mer, sur la parentalité dans les outre-mer.

Au cours des prochains mois, nos deux délégations vont, en effet, mener ensemble un travail sur cette thématique et faire converger leurs approches dans le but de produire un rapport commun. Je me félicite de cette collaboration entre nos deux délégations, et je suis convaincue que croiser nos regards et nos analyses constituera une grande richesse pour nous tous.

La thématique de la parentalité dans les outre-mer nous permettra d'aborder de nombreux sujets, dont les spécificités des structures familiales dans les outre-mer, l'importance des familles monoparentales - au sein desquelles vivent plus de la moitié des mineurs aux Antilles, contre 20 % en France métropolitaine - la répartition des rôles parentaux, les politiques familiales et sociales et les dispositifs de soutien à la parentalité.

Quatre rapporteurs ont été désignés pour mener ces travaux : les présidents de chaque délégation - Stéphane Artano et moi-même -, ainsi que Victoire Jasmin et Elsa Schalck.

Nous sommes heureux d'accueillir ce matin M. Michel Villac, président, Mmes Laurence Rioux, secrétaire générale, et Camille Chaserant, conseillère scientifique, du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) qui a publié, en mars 2022, un rapport intitulé La situation des familles, des enfants et des personnes âgées vulnérables dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) : réalités sociales et politiques menées. Nous recevons également M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques (Ined), qui publiera, au printemps, la seconde édition de l'enquête Migrations, famille et vieillissement (MFV) dans les départements et régions d'outre-mer.

Les représentants du HCFEA nous présenteront leur dernier rapport, qui met en évidence les spécificités des structures familiales des DROM, mais aussi les différences par territoire, et recense une grande diversité d'initiatives pour accompagner les familles, en particulier les mères seules.

M. Claude-Valentin Marie nous présentera les objectifs et modalités de la seconde enquête MFV dans les départements et régions d'outre-mer, plus de dix ans après la première, qui avait rendu possible l'analyse sur des thèmes jusque-là inédits dans ces territoires. En effet, pour apporter les bonnes réponses, encore faut-il que les études et les enquêtes soient menées... L'objectif était également de mener des politiques publiques mieux adaptées aux enjeux démographiques spécifiques des DROM ; il nous dira s'il a été atteint.

Nous sommes particulièrement intéressés par les données que vous pourrez nous communiquer sur les évolutions des structures familiales dans les outre-mer et sur les initiatives locales existantes en matière d'accompagnement à la parentalité.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Étant actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe à cette première réunion en visioconférence, ce dont je vous prie de bien vouloir m'excuser.

Je me réjouis à mon tour de la perspective de ce travail en commun. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que nous l'expérimentons avec la délégation aux droits des femmes, et nous n'avons eu jusqu'à présent qu'à nous en féliciter. Je rappelle, notamment, le rapport conjoint de 2020 sur les violences faites aux femmes, rédigé par le président Michel Magras et vous-même, Madame la Présidente. Nous savons que cette question doit être traitée dans la durée et qu'il est utile d'unir nos efforts. Le récent colloque de l'Assemblée nationale sur le sujet, qui s'est appuyé sur nos travaux, montre à la fois leur pertinence et le chemin qu'il reste à parcourir sur de tels sujets de société.

Concernant la présente étude, avec Victoire Jasmin - qui appartient à nos deux délégations -, nous attendons un état des lieux précis afin d'identifier les moyens d'améliorer nos politiques publiques au regard des réalités ultramarines.

Vous savez que notre délégation est très engagée sur la question de l'adaptation des dispositifs et des normes. Sans préjuger des résultats de nos travaux, il ne serait pas surprenant que, dans le domaine de l'accompagnement à la parentalité comme dans bien d'autres, des éclairages ou des ajustements supplémentaires soient nécessaires.

Ce sujet est important pour comprendre les défis auxquels nos sociétés ultramarines sont confrontées.

M. Claude-Valentin Marie, conseiller pour l'outre-mer auprès de la direction de l'Institut national d'études démographiques (Ined). - Je vais vous faire part de travaux en cours qui s'appuient sur l'enquête MFV (Migrations, famille et vieillissement) de l'Ined dans les départements et régions d'outre-mer, les DROM. Le champ de l'enquête comprenait la mesure des diverses manières de faire famille dans les DROM. Il est important de souligner que les situations sont extrêmement différenciées d'un territoire à l'autre. L'ambition est de sortir d'une vision uniformisante des DROM, pour discerner en particulier des aménagements spécifiques à chacun d'entre eux.

Quelques éléments saillants : par rapport à la métropole, les familles monoparentales sont plus nombreuses, de même que les maternités précoces, les naissances hors mariage et celles non reconnues par les pères, et une cohabitation plus durable des enfants et des adultes.

L'enquête se base sur quatre axes d'étude à visée prospective. Le premier consiste en l'analyse des familles ultramarines, dans leur réalité et leur complexité, ce qui comprend les évolutions de la nuptialité et de la fécondité.

Le deuxième sujet est celui des migrations, de l'aspiration au départ des jeunes adultes, au coeur de la réalité de la Guadeloupe et de la Martinique, aux « migrants-retour » natifs de ces départements, ayant vécu en métropole et qui reviennent, en passant par l'arrivée de populations immigrantes, Français non natifs ou étrangers.

Le troisième est le vieillissement, avec la condition de vie des retraités et l'évolution des liens intergénérationnels, dans un contexte, là encore pour la Martinique et pour la Guadeloupe, d'une baisse de la natalité et d'un vieillissement croissant de la population.

Il s'agit d'une enquête d'ampleur : nous avons interrogé 16 000 personnes, dont des natifs des départements, qu'ils aient toujours résidé sur place ou soient de retour, ainsi que des immigrants, nationaux et étrangers. Les dynamiques sont extrêmement différentes entre ces populations.

On constate, tout d'abord, une forte chute de la natalité principalement aux Antilles : dans les années 1960, on s'affolait d'une moyenne de six enfants par femme en Martinique et en Guadeloupe, alors que nous sommes à 1,9 ou 1,8 aujourd'hui dans ces deux départements. Il n'y a donc plus de renouvellement de la population. De façon générale et à quelques écarts près, les dynamiques guadeloupéenne et martiniquaise sont très proches. C'est un élément à intégrer pour penser des politiques publiques différenciées.

Ensuite, la transition démographique s'accélère, même si l'on note que, alors que le nombre d'enfants par femme s'est nettement réduit en Martinique et en Guadeloupe, cette diminution est moins importante à La Réunion et n'existe presque pas en Guyane et à Mayotte. Ainsi, pour les deux premières, parmi les femmes nées entre 1930 et 1939, plus de la moitié a eu au moins trois enfants, et souvent six, tandis que leurs filles, nées entre 1960 et 1969, ont réduit leurs maternités de moitié. Le basculement complet des comportements de fécondité n'a pris qu'une génération. Notre enquête confirme les prévisions établies il y a dix ans.

En revanche, à La Réunion, cette transition démographique existe, mais elle est nettement atténuée. Mayotte et la Guyane sont, elles, dans une situation inverse, avec une forte natalité et une immigration importante, laquelle contraste avec l'émigration qui touche les Antilles.

J'en viens à la monoparentalité, largement répandue. L'enquête a permis d'en déterminer les conditions et les spécificités aux Antilles, qui diffèrent de ce que l'on observe en métropole et à La Réunion. Ainsi, les nombreuses familles monoparentales à la Martinique et à la Guadeloupe correspondent non pas à la rupture d'une vie de couple, mais à une entrée directe en monoparentalité, de la naissance à l'adolescence de l'enfant. La grande différence n'est pas seulement le taux de monoparentalité, mais les modalités même de la monoparentalité. Cela se cumule avec une forte précarité et, souvent, l'absence de reconnaissance par le père (55 à 68 % des naissances aux Antilles et en Guyane). Les effets sur la vie et le parcours scolaire des enfants sont nets.

Le dessinateur humoristique martiniquais Pancho le montre, avec un dessin représentant un père entouré d'enfants, qui lui demandent où sont leurs mamans. Une partie importante des enfants ne sont pas reconnus par leur père, ce qui est une dimension supplémentaire dans l'organisation sociale de la vie familiale et les perspectives des enfants. Les éléments que je vous livre sont issus du recensement de 2019.

Ensuite, la première enquête montrait, il y a dix ans, que les maternités précoces étaient nombreuses, surtout en Guyane et à La Réunion. Nous constations qu'elles étaient plus nombreuses qu'en métropole, mais pas dans les mêmes proportions entre les différents DROM, les données pour Mayotte datant de cinq ans plus tard. Ces maternités précoces s'accompagnent d'un recours à l'interruption volontaire de grossesse important dans ces départements.

Nous constatons une décroissance rapide des populations antillaises. Ainsi, dans les Antilles, la chute importante de la natalité - nous sommes passés de 10 000 naissances par an en 1960 à 3 700 aujourd'hui - entraîne, depuis quelques années, un solde naturel négatif. S'ajoute à cela l'émigration, qui creuse encore les générations d'âge actif. En outre, si, dans les années 1960 et 1970, la métropole recevait des travailleurs peu qualifiés, modestes - dans les PTT et les hôpitaux, par exemple -, on observe, aujourd'hui, que l'émigration est de plus en plus sélective. Reste donc installée en métropole une grande part de la jeunesse la plus qualifiée de ces territoires.

Le processus est inverse à Mayotte et en Guyane, avec une très forte croissance démographique - particulièrement à Mayotte, dont la densité de population crée des conditions de vie pour le moins délicates -, à laquelle s'ajoute une importante immigration. Ainsi, à Mayotte, malgré le départ vers la métropole de très nombreux jeunes mahorais avec, entre autres, l'aide de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), la dynamique de précarité reste très importante.

Ainsi, la démographie de la Guyane et de Mayotte est marquée par une population croissante et en forte recomposition. Alors que 75 % de la population antillaise est native des Antilles, avec les deux parents nés sur place, auxquels s'ajoutent des personnes issues de parents dits « originaires » des Antilles, il n'y a que 4 % de population étrangère, contre 45 % en Guyane - la situation est similaire à Mayotte.

Ainsi, la population des Antilles vieillit et diminue, alors que, à Mayotte et en Guyane, elle croît et se recompose. La question des étrangers et du devenir de leurs enfants ne fait donc pas du tout naître les mêmes enjeux.

Mayotte est le lieu de dynamiques extrêmes : se croisent les jeunes quittant le territoire pour la métropole, les natifs de retour, ceux qui n'ont jamais migré - seulement 23 % de la population - et 47 % de non-natifs, principalement étrangers, eux-mêmes principalement comoriens, ces derniers essentiellement originaires d'Anjouan. Bien des difficultés sont liées à cette dynamique, d'autant que ces arrivants ont des taux de natalité et de précarité très élevés. En résultent une croissance démographique et une densification forte, à 600 habitants par mètre carré à Mayotte, ce qui cache, d'ailleurs, d'extrêmes disparités selon les communes. Les conditions de vie et de prise en charge des enfants s'en trouvent très différentes de celles qui existent à la Martinique et à la Guadeloupe.

En outre, les mères comoriennes représentent, pour 2021, la grande majorité des 10 000 naissances enregistrées à Mayotte. Les naissances avec au moins un parent étranger - le plus souvent, la mère, d'origine comorienne et, en général, anjouanaise - augmentent nettement. C'est autour de cet enjeu que se joue la question du droit de la nationalité avec, concrètement, un droit du sol remis en cause pour ces enfants nés sur le territoire français. Le croisement de ces dynamiques crée des situations de violence et de précarité exacerbées et, in fine, un enjeu institutionnel. Que deviendront ces enfants dans dix à quinze ans ?

La part des nationalités étrangères parmi les parents des enfants nés sur le territoire est donc particulièrement forte en Guyane et à Mayotte, dont la situation est très éloignée des Antilles, avec un énorme point d'interrogation sur le devenir des enfants. Ceux-ci vivent des scolarisations plus courtes, souvent plus tardives et se terminant plus tôt. Ainsi, en 2019, les difficultés scolaires, voire l'illettrisme, sont particulièrement présents à Mayotte, et le phénomène commence à se faire sentir en Guyane.

Outre ces inégalités globales, la Guyane montre qu'existent d'importantes inégalités internes à chacun. C'est le cas des populations dites « de l'intérieur », qui n'ont pas fait l'objet de l'enquête en raison des difficultés à les atteindre. Par exemple, Saint-Laurent-du-Maroni, qui accueille de nombreux étrangers, affiche un taux élevé de non-scolarisation ; on peut en déduire que celle-ci les concerne davantage.

Dans ce contexte, la protection sociale est d'une importance cruciale, particulièrement pour les familles monoparentales. Elle ne suffit cependant pas à rayer les inégalités et à réduire le taux de pauvreté.

Une fois la nouvelle enquête MFV terminée, je ne manquerai pas de vous faire parvenir des données actualisées.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous remercie. Vos éléments sont très précis. Ils éclaireront et orienteront nos travaux.

M. Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA). - J'enchaîne sur les derniers éléments présentés par Claude-Valentin Marie : dans les quatre DROM historiques, la part de la population couverte par la sécurité sociale (55 à 77 %) dépasse celle de la métropole (49 %), du fait d'un revenu plus faible. En revanche, à Mayotte, dont le niveau de vie est le sixième de celui de l'Hexagone, seul un tiers de la population est couverte. Cela veut dire que le code de la sécurité sociale, restrictif, ne protège qu'une part minoritaire de la population, malgré des besoins très importants.

Le HCFEA a réalisé trois rapports, au titre de ses conseils de la famille, de l'enfance et de l'âge. Pour les rédiger, nous nous sommes appuyés sur les excellents travaux de Claude-Valentin Marie et de Robin Antoine.

Pour résumer, la situation démographique est contrastée, avec des flux migratoires de nature différente entre les Antilles, la Guyane et Mayotte. Les structures familiales sont spécifiques, les familles monoparentales obéissant à des modèles particuliers. Les grossesses adolescentes et les IVG, plus fréquentes, restent concentrées sur certains territoires. Les problématiques des violences intrafamiliales et du logement précaire touchent une partie de la population de Mayotte et de la Guyane. Le taux de pauvreté est aussi plus élevé que dans l'Hexagone, particulièrement pour ces deux mêmes départements. Alors que le niveau de vie est plus faible, les prix sont plus élevés, ce qui rend la situation d'autant plus tendue en termes de pouvoir d'achat. Les difficultés d'emploi et de formation sont importantes pour les jeunes, avec des taux d'emploi plus faibles qu'en métropole, notamment à Mayotte et en Guyane. Enfin, à Mayotte, on observe une part importante d'habitats de fortune, de bidonvilles.

Quelles sont les politiques menées ? Nous constatons, au cours du temps, une tension entre une volonté d'harmonisation des prestations avec la métropole et la persistance de réglementations spécifiques justifiées, en principe, par des situations locales particulières, singulièrement à Mayotte. J'y reviendrai.

Du côté des quatre DROM historiques, le mouvement vers l'alignement des prestations familiales avec l'Hexagone se poursuit. La logique initiale était celle d'une parité sociale globale, avec des prestations moins élevées assorties de politiques complémentaires. On a avancé vers l'égalisation, qui n'est pas complète. En revanche, ce mouvement n'est pas engagé pour Mayotte.

Ainsi, dans ces quatre DROM, les prestations familiales sont identiques. Il existe toutefois des exceptions : il en va ainsi des allocations familiales pour le premier enfant, soit 24,39 euros en 2021, et du complément familial. Ce dernier, dans l'Hexagone, s'adresse aux familles modestes ayant au moins trois enfants, pour améliorer leur niveau de vie, en prenant la suite de la Prestation d'accueil du jeune enfant (Paje). En revanche, en outre-mer, les conditions d'attribution sont complètement différentes : seules sont concernées les familles ayant un ou plusieurs enfants âgés de trois à cinq ans, ce qui pose des problèmes de continuité, avec un complément familial qui n'est parfois plus perçu malgré une nouvelle naissance. En effet, sa nature est différente : il s'agissait plutôt de ne pas encourager la natalité. Cependant, les éléments présentés par Claude-Valentin Marie montrent que cet argument n'a plus de poids.

D'un autre côté, les prestations familiales ont vocation à aider les familles à éduquer les enfants : il n'y a pas de raison qu'un enfant, parce qu'il vit dans un DROM, bénéficie d'une aide moindre de la collectivité que s'il vivait dans l'Hexagone.

Deuxièmement, les prestations de solidarité sont identiques, notamment le revenu de solidarité active (RSA). S'y ajoute le revenu de solidarité outre-mer (RSO), pour les personnes bénéficiant du RSA depuis au moins deux ans, âgées de 55 à 60 ans et retirées du marché du travail. Toutefois, cette prestation ne dénombre que peu d'allocataires. Les aides au logement sont, elles aussi, différentes.

La situation à Mayotte est tout à fait spécifique. Seules les allocations familiales pour deux enfants, non modulées, sont les mêmes qu'en métropole, ainsi que deux prestations spécifiques, notamment pour les enfants handicapés.

L'allocation de soutien familial n'est pas servie, à l'instar de la Paje, qui, en la matière, représente une des masses financières les plus importantes en métropole. De même, le RSO n'existe pas à Mayotte.

Un certain nombre de prestations devraient être déployées dans les mois qui viennent, comme le congé de mode de garde et le congé de paternité et d'accueil de l'enfant.

En outre, il existe une série de prestations aux conditions ou montants spécifiques. Les allocations familiales à partir du troisième enfant sont moins élevées qu'ailleurs. Le complément familial, l'allocation de rentrée scolaire (ARS) et le RSA, la prime d'activité, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et les aides au logement sont aussi assorties de conditions nettement moins favorables. C'est pourquoi, malgré un fort taux de pauvreté, seul un tiers de la population bénéficie des prestations familiales ou sociales.

En résumé, le profil des bénéficiaires outre-mer est marqué par le poids de la pauvreté et par les conditions d'attribution des différentes prestations. Les allocataires à bas revenus sont beaucoup plus dépendants qu'en métropole de ce qu'ils perçoivent des caisses d'allocations familiales (CAF) ; excepté Mayotte, une part importante de la population perçoit le RSA ; quant aux dépenses de prestations familiales, elles présentent des profils spécifiques liés aux conditions d'attribution.

Les politiques et dispositifs d'action sociale différenciée tendent à converger entre les DROM et la métropole. L'accueil du jeune enfant fait l'objet d'une forte attention, car, en la matière, l'offre est bien moins développée qu'en France métropolitaine. L'aide sociale à l'enfance (ASE) présente de grandes différences. Enfin - j'insiste -, la situation de Mayotte reste hors normes.

Le Haut Conseil en est convaincu : seuls d'importants investissements permettront de réduire l'écart avec la métropole. Les prestations familiales ne suffiront pas : la collectivité doit miser sur le développement économique, l'éducation et le logement, domaines qui, bien sûr, ne sont pas de notre ressort.

Reste la question de l'immigration, notamment à Mayotte et en Guyane. En vertu de la Convention internationale des droits de l'enfant, on ne peut pas considérer qu'un mineur est en situation illégale ; nos responsabilités sont les mêmes pour tous les enfants mineurs vivant dans ces territoires, en particulier pour l'accès à l'éducation. Or, à Mayotte, les mineurs non accompagnés ont de grandes difficultés - c'est un euphémisme - pour s'inscrire à l'école. C'est un problème dès maintenant ; c'est aussi une bombe à retardement, car, une fois devenus adultes, ces enfants resteront très probablement sur place.

Face à ces situations, le Haut Conseil propose de verser les mêmes prestations familiales et sociales aux familles, quel que soit le territoire où elles habitent, à commencer par le complément familial.

Pour ce qui concerne Mayotte, des engagements de convergence ont été pris ; à présent, nous avons besoin d'un calendrier précis. Il faut se pencher en priorité sur l'allocation de base de la Paje, les allocations familiales pour trois enfants et plus et le complément familial. Cela n'aurait sans doute pas de sens d'aligner le RSA à Mayotte sur son niveau en métropole. En revanche, il faut avoir pour objectif une parité sociale globale.

Selon nous, Mayotte doit entrer dans le droit commun. Toutes les dispositions relatives à ce territoire, notamment pour ce qui concerne les prestations familiales, sont prises par ordonnances et ne sont donc pas débattues au Parlement : l'administration décide selon ses propres impératifs. À l'inverse, il faut passer par la voie législative. De même, le code de la sécurité sociale doit être étendu rapidement à Mayotte, qui dispose jusqu'à présent d'un régime autonome de sécurité sociale. On ne demande pas à la Lozère ou aux Pyrénées-Atlantiques d'avoir un régime à l'équilibre : la logique, c'est la mutualisation sur l'ensemble du territoire.

En outre, tous les enfants d'outre-mer doivent avoir accès à un repas chaud, et non à une simple collation, au moins au déjeuner. Les DROM disposent, certes, de la prestation d'aide à la restauration scolaire (Pars), mais encore faut-il que les enfants bénéficient de cette dernière. Ainsi, à Saint-Laurent-du-Maroni, les difficultés de scolarisation sont telles que la moitié des enfants ont classe le matin, et l'autre moitié l'après-midi : dans l'intervalle, il n'y a pas de cantine.

S'il n'est pas au coeur de nos attributions, le logement représente évidemment un enjeu fondamental. Les difficultés sont massives à Mayotte et en Guyane, moindres dans les autres départements, si l'on excepte certains quartiers. Quoi qu'il en soit, il faut intensifier l'effort de résorption de l'habitat insalubre et déployer l'aide personnalisée au logement (APL) avec plus de vigueur.

En parallèle, nous proposons de développer les programmes d'accompagnement de la parentalité en les orientant vers la prévention des grossesses précoces et non désirées lorsque c'est nécessaire.

Enfin, il faut traiter la question du non-recours aux prestations qui est importante et tient au fait que les populations soit ne connaissent pas l'existence des prestations soit sont trop éloignées des institutions qui les délivrent, en particulier en Guyane et à Mayotte. Il faut également améliorer la scolarisation des enfants, notamment en Guyane et à Mayotte, où seulement respectivement 87 % et 64 % des enfants de trois ans sont scolarisés, contre 98 % dans l'Hexagone.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Merci de la qualité de vos interventions.

Les associations d'accompagnement à la parentalité sont-elles suffisamment implantées dans tous les territoires d'outre-mer ? Comment pourrait-on faciliter leur action et améliorer la connaissance des dispositifs existants ? Ce serait notamment le moyen de limiter le non-recours aux prestations, qui est un véritable problème.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Merci de vos interventions, dans lesquelles je retrouve la vraie vie des outre-mer, quels qu'ils soient.

Notre collègue Thani Mohamed Soilihi appelle souvent l'attention du Sénat sur la situation de Mayotte. Lors du dernier congrès des maires de France, son homologue députée a, elle aussi, lancé un cri d'alarme.

Bien sûr, je n'oublie pas non plus mon territoire de la Guadeloupe.

Dans un tel contexte, les travaux que nous entamons ont toute leur importance ; je les ai évoqués la semaine dernière avec le président Gérard Larcher lors de sa venue en Guadeloupe, en insistant sur les questions de santé, qui me tiennent particulièrement à coeur.

En matière de parentalité, un certain nombre de dispositifs ont été déployés outre-mer, comme les réseaux d'écoute et d'accompagnement des parents. Les travailleurs sociaux assurent, eux aussi, un accompagnement. Où en sommes-nous ? À l'évidence, un travail d'évaluation est nécessaire.

Dans le même temps, beaucoup de couples souhaitent avoir des enfants sans pour autant pouvoir mener à bien leur projet de parentalité. Parmi les difficultés auxquelles se heurtent les familles figure la carence des différents modes de garde, publics ou privés.

Vous évoquez la question migratoire : avez-vous des données quant au nombre de femmes haïtiennes ou dominicaines qui viennent accoucher en Guadeloupe ?

Enfin, vous insistez sur les enjeux économiques. À ce titre, il est indispensable de développer l'emploi outre-mer, en particulier pour favoriser le retour des jeunes partis étudier en métropole.

Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - À mon tour, je vous remercie de vos présentations et des chiffres précis que vous nous avez livrés : il est indispensable de commencer par un tel état des lieux sur ce sujet commun aux délégations aux droits des femmes et aux outre-mer, qui mérite bel et bien un regard croisé.

Comment expliquez-vous le taux très élevé de grossesses précoces observé outre-mer ? Dans quelle mesure ce phénomène est-il lié à une scolarisation plus courte des jeunes femmes ?

Pouvez-vous nous préciser les différences évoquées entre la métropole et les outre-mer quant aux modes d'accueil des jeunes enfants ? Les jeunes mères de famille peuvent-elles, à un moment donné, retrouver la voie des études ou entrer dans la vie professionnelle ?

Pour assurer un meilleur accompagnement à la parentalité, notamment pour prévenir les grossesses précoces, formulez-vous des recommandations précises ?

Enfin, vous relevez que le modèle de monoparentalité est de plus en plus fréquent depuis une dizaine d'années, en particulier en Guyane et à La Réunion. Comment l'expliquez-vous ?

Mme Marie-Laure Phinéra-Horth. - J'insiste sur les graves problèmes déplorés dans les familles d'accueil de Guyane, révélés notamment par l'enquête menée par Mediapart.

De jeunes Amérindiens sont placés dans des familles d'accueil du littoral afin de suivre une scolarité - ce sont les seules parties du territoire guyanais où se trouvent des établissements d'enseignement. Or nombre d'entre eux y subissent des violences, notamment sexuelles. Certains sont poussés au suicide, d'autres sont complètement désorientés. Le HCFEA s'est-il penché sur le sort de ces adolescents ?

Mme Nassimah Dindar. - Victoire Jasmin l'a souligné avec raison, vous décrivez parfaitement la réalité des territoires ultramarins, lesquels sont les plus inégalitaires de France. À cet égard, les chiffres relatifs aux prestations familiales et sociales sont éclairants.

Vous parlez, à juste titre, d'une « bombe à retardement », et vous décrivez avec beaucoup de force le cercle vicieux de la précarité, notamment pour les femmes. Nous sommes face à un enjeu de développement, non seulement économique, mais aussi sociétal : en tant que Français, nous défendons les valeurs citoyennes de la France.

Les élus locaux d'outre-mer sont perpétuellement sommés de faire face à l'urgence sociale, car nous avons collectivement échoué à transformer le modèle en vigueur outre-mer. Pourquoi y a-t-il tant de violences intrafamiliales ? Et, parallèlement, pourquoi y a-t-il tant de grossesses précoces ? Parce que le fait de devenir maman vous assure un statut ; non seulement il vous permet d'échapper à une famille potentiellement violente, mais il garantit votre survie financière par l'obtention de certaines aides et d'un logement.

Pour ma part, je souhaite que le RSA versé à Mayotte soit aligné sur le niveau des autres territoires, pour une raison très simple : les Mahorais viennent à La Réunion pour percevoir un RSA largement supérieur, quitte à faire des allers-retours. Ce serait aussi un moyen de traiter le cas des mineurs non accompagnés et de réduire les carences éducatives. Nombre de ces enfants finissent par devenir une simple source de revenus ; ils passent l'année à La Réunion, quand leurs parents repartent à Mayotte, voire aux Comores. Nous refusons de voir cette réalité et d'apporter de vraies réponses.

Quant au RSO, où persiste-t-il précisément ? Pour sa part, le département de La Réunion est en train de réduire le versement de cette prestation, qui - j'apporte cette correction - est destinée aux personnes inemployables. Ces dernières sont désormais orientées vers l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa).

M. Gérard Poadja. - Je vous remercie moi aussi des informations précises que vous nous avez communiquées sur ce sujet, qui nous tient à coeur. À cet égard, les outre-mer dans leur ensemble méritent une attention particulière de la part de la République.

Pouvez-vous nous préciser les taux de « filles-mères » selon les territoires ? Il s'agit là d'un véritable enjeu des politiques sociales, qui doivent être menées conjointement par l'État et les collectivités territoriales dans les cas spécifiques des outre-mer, dont certains relèvent de caisses autonomes.

Mme Micheline Jacques. - Vos propos très éclairants m'inspirent plusieurs remarques.

Premièrement, en matière d'immigration, il ne faut pas se voiler la face : dans certains cas, la grossesse est un moyen de bénéficier du droit du sol.

Deuxièmement, peut-on envisager de développer l'éducation à la sexualité et les plannings familiaux, tout en prévoyant des actions spécifiques en faveur des jeunes illettrés ?

Troisièmement, enfin, vous expliquez fort bien qu'il faut adapter la politique du logement aux différents territoires en suivant certains critères sociaux ; je pense en particulier à la taille de la fratrie. Je me bats en ce sens, mais il faut encore y travailler.

Mme Viviane Malet. - Le HCFEA préconise de développer les programmes d'accompagnement de la parentalité. La Réunion mène déjà plusieurs actions en ce sens, notamment via les centres de protection maternelle et infantile (PMI), les lieux d'accueil enfants-parents (Laep), les maisons de parents et les relais d'assistantes maternelles itinérants. Comment faire pour que ces initiatives soient mieux connues, mieux coordonnées tout au long du parcours de l'enfant, jusqu'à l'adolescence, et plus attrayantes ?

Mme Camille Chaserant, conseillère scientifique du HCFEA. - Le taux de non-recours aux prestations est particulièrement élevé à Mayotte et en Guyane : dans ce territoire immense et en partie enclavé, l'accès aux CAF n'est pas aisé. S'y ajoute la difficulté de conserver les documents en papier : non seulement l'humidité est en soi un problème, mais ce réflexe ne correspond pas à la culture locale. Certes, un service de pirogues itinérantes a été créé, mais les familles ont leur propre rythme de vie. N'oublions pas non plus la barrière de la langue, qui rend la terminologie administrative encore plus aride.

On s'efforce d'aller vers les parents et les familles en misant sur le tissu associatif, qu'il s'agisse de grands opérateurs ou d'initiatives locales. Malheureusement, ces dernières durent rarement plus de quelques années, car elles dépendent souvent d'une seule personne. Quand le directeur de la CAF de la Guyane nous a transmis son plan d'action relatif au service aux familles, il a insisté sur l'effort de formation des gestionnaires, à tous les niveaux, en faveur de la parentalité.

Aux Antilles comme à La Réunion, grâce à l'Observatoire de la parentalité, beaucoup d'actions sont menées pour développer le rôle des pères. Avec notre regard métropolitain, nous avons souvent tendance à les juger absents, même si ce n'est pas toujours le cas. Le but, c'est de faire entrer les pères dans les familles, ce qui suppose aussi une évolution du regard des mères. Les entretiens menés avec les sociologues sont éclairants quant à ce mode de « faire famille ». Le lien père-enfant tend d'ailleurs à se développer dans les jeunes générations.

Je relève la pertinence des propos relatifs aux grossesses précoces. Il faut s'efforcer de maintenir la scolarisation des jeunes filles grâce à des lieux dédiés dans les collèges et lycées.

Mme Nassimah Dindar. - Ils existent à La Réunion.

Mme Viviane Malet. - Tout à fait !

Mme Camille Chaserant. - Madame Schalck, l'accueil du jeune enfant inspire, outre-mer, un certain nombre de méfiances ; l'information est lacunaire et la tradition veut que l'enfant soit élevé au sein de sa famille, en vertu de solidarités intergénérationnelles et intrafamiliales assez fortes. Certes, la grossesse peut déclencher la sortie du système scolaire pour les jeunes femmes, mais ces dernières sont aussi extrêmement mobilisées par leurs mères et leurs tantes pour s'occuper des autres enfants de la famille.

Lors d'un entretien qu'elle m'a accordé, Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni, a appelé mon attention sur la situation de sa commune, qui est frontalière du Suriname : il n'y a qu'un fleuve à traverser, et bon nombre de familles s'étendent sur les deux rives. Les femmes surinamaises viennent accoucher à l'hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni, faute de pouvoir mettre au monde leur enfant dans de bonnes conditions de l'autre côté de la frontière, et payent des hommes pour qu'ils se déclarent pères. Ainsi, elles bénéficient du droit du sol avant de repartir au Suriname avec leur enfant. Il y a une différence importante entre le nombre de naissances et le nombre d'enfants que l'on voit arriver à trois ans à l'école.

En parallèle, au lieu de construire des logements sociaux qui ne correspondent pas au mode de vie local, qui plus est sur l'immense territoire de la Guyane, où la propriété du sol est une question éminemment complexe, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni favorise, au titre du logement social, l'acquisition de terrains où les familles peuvent bâtir leur propre maison grâce à des aides dédiées. Le risque est, sinon, de construire des habitations qui ne conviennent pas aux familles. J'ai visité des logements sociaux construits à Soula : les familles quittent ces appartements traditionnels qui ne leur sont pas adaptés.

S'agissant toujours de la Guyane, que je connais assez bien, j'en arrive au dysfonctionnement des familles d'accueil : je ne suis pas certaine que ce soit le seul facteur explicatif du suicide des jeunes amérindiens, même si cela a sans doute une influence. Nous n'avons pas enquêté sur les familles qui accueillent les jeunes allant vers Cayenne ou Saint-Laurent-du-Maroni pour accéder à un collège ou à un lycée. En revanche, nous nous sommes entretenus avec les responsables de l'aide sociale à l'enfance. On compte beaucoup de placements d'enfants en Guyane, mais les familles ne sont ni formées ni suivies. Un enfant de l'ASE souffre souvent de problèmes, de troubles du comportement, d'un manque d'affection : cela amplifie les difficultés s'il n'y a pas d'accompagnement le temps de l'accueil.

Plus globalement, une grande partie des difficultés de construction et d'accueil relève aussi d'un problème d'endettement des communes et des collectivités. Ainsi, les grands projets prévus en 2017 pour la Guyane, accompagnés de financements, ne se sont toujours pas concrétisés pour la plupart : les premiers sortent à peine de terre. Il y a des compétences locales à développer, et une attractivité des territoires à développer.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Nous devons rapidement mettre un terme à la réunion. Je vous invite à nous communiquer, par écrit, tous les éléments que vous n'aurez pas eu le temps de nous donner.

Mme Laurence Rioux, secrétaire générale du HCFEA. - L'accueil du jeune enfant est doublement important : il permet de concilier vie familiale et vie professionnelle pour les parents et occasionne une socialisation précoce du jeune enfant, ce qui l'aidera en vue de son entrée à l'école maternelle. On constate des différences avec la métropole, et même entre les DROM eux-mêmes. Ainsi, en métropole, le taux de couverture par un accueil formel est de 60 % pour les enfants de moins de trois ans. Il atteint 55 % à la Martinique, 44 % à la Guadeloupe, 32 % à La Réunion, 9 % en Guyane, et il est quasiment nul à Mayotte.

Par ailleurs, si les assistantes maternelles sont le premier mode d'accueil en métropole, c'est l'accueil collectif qui arrive en tête en outre-mer, en raison du manque d'offre d'accueil par les assistantes maternelles.

Mme Nassimah Dindar. - Elles sont plus chères à La Réunion.

Mme Viviane Malet. - Plus chères qu'une crèche !

Mme Laurence Rioux. - En effet, à La Réunion, la part de couverture par les assistantes maternelles est de 23 %. Elles sont plus chères que l'accueil en crèche pour les parents gagnant moins de trois fois le Smic. Il est aussi plus difficile d'obtenir un agrément auprès de la PMI en raison de logements inadaptés. Je n'oublie pas non plus les difficultés financières des collectivités, qui empêchent ou freinent l'investissement dans les crèches, que les CAF seules ne peuvent financer.

M. Claude-Valentin Marie. - J'ai peu parlé de La Réunion, mais sa situation est, structurellement, plus organisée et régulée. La monoparentalité y est semblable à celle de la métropole : issue de ruptures d'union. La manière d'y prendre en compte la position et l'implication du père doit donc être différente de celle des Antilles. Ce n'est pas le même univers.

De plus, dans les dynamiques de sortie de la précarité sur vingt ans, on observe d'importants progrès à La Réunion par rapport à la dégradation relative constatée aux Antilles. Les équilibres généraux et l'occupation des espaces réunionnais placent l'île dans une position intermédiaire. On ne peut décalquer la situation de La Réunion sur celle des autres territoires.

Enfin, la part de la monoparentalité et de la non-reconnaissance par les pères est très importante dans les Antilles. Cela reste indépendant du taux de natalité : sa baisse n'a pas modifié les dynamiques de la monoparentalité. Elle n'empêche pas non plus les grossesses précoces : les jeunes mères en font, quelque part, un facteur d'identité. C'est une façon de devenir femme, avec une forme de reconnaissance.

Mme Nassimah Dindar. - Les grossesses précoces sont parfois voulues à La Réunion, de même que l'absence de père. L'inconscient collectif a intégré un modèle selon lequel, comme sur les plantations, les hommes viennent, copulent et repartent, et les femmes restent. C'est l'histoire de l'esclavage : anthropologiquement, le père est dehors, sans participer. Vous avez sans doute rencontré Thierry Malbert, universitaire qui travaille sur la parentalité.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous remercie pour la qualité des informations que vous nous avez livrées, ainsi que des pistes de réflexion que vous dressez.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je remercie à mon tour les intervenants. Nos délégations sauront s'inspirer de vos travaux.

Table ronde sur les actions de soutien à la parentalité dans les outre-mer

(9 février 2023)

Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale
aux outre-mer

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer menés en commun par deux délégations, la délégation aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano - que je salue par visioconférence -, et la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider.

Notre première audition, la semaine dernière, nous a permis de dresser un panorama des spécificités des structures familiales et parentales dans les départements et régions d'outre-mer (les DROM). Trois grands traits se dégagent, qui me semblent particulièrement significatifs dans le cadre de nos travaux.

Premièrement, nous avons identifié une prédominance des familles monoparentales. Ainsi, aux Antilles et en Guyane, un enfant sur deux vit dans une famille monoparentale, contre un sur quatre en France hexagonale. Il s'agit en outre d'une monoparentalité « originelle », dès la naissance de l'enfant jusqu'à son adolescence, et non d'une monoparentalité faisant suite à une rupture conjugale comme c'est généralement le cas dans l'Hexagone. Aux Antilles et en Guyane, deux tiers des naissances ne sont pas reconnues par le père, contre 10 % dans l'Hexagone.

Deuxième trait caractéristique : une précarité importante. Les allocations familiales sont cruciales pour la majorité des familles ultramarines - tout particulièrement les mères seules. Dans les quatre DROM historiques, 57 à 77 % de la population est bénéficiaire d'au moins une prestation versée par les Caisses d'allocations familiales (CAF), contre 49 % en France métropolitaine.

Enfin, le troisième point qu'il me semble important de souligner est la fréquence des grossesses précoces, qui donnent lieu à des taux d'IVG élevés, mais aussi à un taux de maternité précoce - avant 20 ans - d'environ 10 %, contre 1 % en France hexagonale. Ces maternités précoces désirées apparaissent souvent comme un moyen pour des jeunes filles d'obtenir un statut. Elles s'accompagnent cependant d'une déscolarisation et d'un défaut de formation et d'insertion professionnelle problématique.

Un dernier sujet est spécifique à la Guyane et à Mayotte. Il s'agit de la forte proportion de parents qui ne sont pas de nationalité française et/ou ne parlent pas français.

L'objet de notre table ronde d'aujourd'hui est de voir comment tenir compte de ces spécificités ultramarines dans la mise en place de nos politiques familiales et sociales, et tout particulièrement de dispositifs de soutien à la parentalité.

À cette fin, je suis heureuse d'accueillir MM. Thierry Malbert, professeur des universités en anthropologie de la parenté à l'université de La Réunion, directeur scientifique, et Alexandre Hoareau, chargé de mission, de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion, en visioconférence ; Mme Béatrice Bayo, directrice générale à la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE), ainsi que Mme Patricia Augustin, secrétaire générale de la Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM).

Nos attentes s'articulent autour de deux grands axes :

- d'une part, que vous nous présentiez vos organisations respectives et les actions qu'elles mènent dans les territoires d'outre-mer au sein desquels elles sont implantées ;

- d'autre part, que vous nous livriez votre analyse des spécificités parentales et familiales ultramarines et vos recommandations pour y mener des actions de soutien à la parentalité adaptées et efficaces.

Je laisse sans plus tarder la parole à mon collègue Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, qui intervient à distance depuis Saint-Pierre-et-Miquelon.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, chers collègues, étant retenu à Saint-Pierre-et-Miquelon, je participe en visioconférence à cette deuxième audition sur la parentalité dans les outre-mer. Elle vient opportunément compléter, avec des acteurs de terrain, le panorama dressé lors de notre première réunion.

Comme l'a bien souligné M. Claude-Valentin Marie, de l'Ined, la semaine dernière, les situations sont très différenciées d'un territoire à l'autre et l'une des difficultés du rapport sera sans doute de discerner, dans nos recommandations, la pertinence ou non de mesures ou d'aménagements spécifiques. C'est pourquoi nous sommes très heureux, Mesdames et Messieurs, de recueillir vos témoignages ce matin pour approfondir notre état des lieux sur les réalités sociétales de nos outre-mer et leurs conséquences. Nous entendrons également l'approche de grandes fédérations nationales qui enrichissent la vision comparative.

La semaine dernière, le président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), M. Michel Villac, a notamment évoqué la tension entre une volonté d'harmonisation des prestations avec l'Hexagone et la persistance de réglementations spécifiques justifiées par des situations locales particulières, singulièrement à Mayotte. Ce département requerra sans doute une séquence à part entière, comme l'a pointé la semaine dernière notre co-rapporteure Victoire Jasmin, si vous en êtes d'accord, Madame la Présidente.

Mais la situation de La Réunion, département voisin de l'océan Indien, fournit aussi un bel exemple des multiples défis de la parentalité en outre-mer. Nous nous félicitons d'entendre ce matin le directeur de l'Observatoire dédié à ce sujet, M. Thierry Malbert, que nos collègues connaissent pour ses travaux concernant les impacts de la crise du covid sur la sphère familiale et éducative.

Au-delà de ces sujets, je pense qu'il nous faudra nous intéresser à la situation dans les collectivités d'outre-mer, en particulier en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna, où de très nombreuses familles connaissent aussi « le cercle vicieux de la précarité », pour reprendre la formule de notre collègue Nassimah Dindar, avec le contexte culturel propre aux sociétés du Pacifique.

Le champ d'étude est donc vaste et je ne serai pas plus long pour laisser la parole aux invités et à nos collègues. Je vous remercie, Madame la Présidente.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci Monsieur le Président. Je suis accompagnée au Sénat de deux rapporteures, Elsa Schalck et Victoire Jasmin.

Je laisse immédiatement la parole à Thierry Malbert, directeur scientifique de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion, qui intervient par visioconférence depuis La Réunion.

M. Thierry Malbert, directeur scientifique de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion. - Bonjour à tous. C'est un honneur pour nous, depuis La Réunion, de prendre part à cette table ronde. Je suis professeur des universités et anthropologue. Je travaille depuis plus de vingt ans sur le thème de la famille, de la parenté et de la parentalité à La Réunion. Depuis 2015, nous avons créé un observatoire de la parentalité, dans le cadre d'un partenariat entre l'université de La Réunion et la Caisse d'allocations familiales (CAF). Je commencerai par vous présenter cet outil et les actions menées, avant que mon collègue Alexandre Hoareau prenne la parole pour en présenter les spécificités et le futur à construire ensemble.

L'Observatoire de la parentalité est l'oeuvre d'un partenariat développé en 2015 entre l'université, la recherche académique et scientifique, et la CAF de La Réunion pour permettre aux structures d'accompagnement de disposer d'un lieu au service de l'intelligence collective. Entre le niveau macro - les politiques sociales et directions - et le niveau micro - l'action sociale sur le terrain -, nous manquions d'un maillon au niveau méso, reliant à la fois réflexions, analyses, recherches et mises en action sur le terrain. Ce regard croisé s'appuie sur un travail disciplinaire, une émulation, une créativité avec les acteurs du social oeuvrant dans le champ de la parentalité à La Réunion, mais aussi les décideurs et les parents. En effet, les parents sont évidemment inclus dans nos études et ateliers de réflexion. L'Observatoire vise à insuffler une dynamique, à travers un tiers-lieu neutre dans lequel chacun peut s'exprimer sur des thématiques précises. Libérer la parole et partager les expériences des acteurs du soutien à la parentalité est au coeur de notre dynamique et de notre éthique pour que chacun puisse prendre la parole dans les objets et chartes que nous avons créés ensemble. Nous avons par exemple créé une Charte de la parentalité de La Réunion.

Parmi nos missions figurent le recensement de tous les acteurs sur le département de La Réunion ainsi que la diffusion d'outils et de méthodes. Le réseau que soutient la CAF est à présent en place depuis vingt ans, mais encore faut-il le nourrir avec de nouveaux outils au regard des évolutions des structures de parentalité et des liens parents-enfants. Nous avons ainsi pour engagement d'être au plus proche des associations et des acteurs de terrain, de participer à l'évaluation des dispositifs existants et nécessaires pour les politiques publiques, de participer à la recherche et à la prospective.

En termes de recherche, à l'Observatoire, nous travaillons sur trois thèmes : l'évolution des structures de parenté en contexte, le champ de l'éducation familiale et le principe de coéducation. Nous avons mené une étude qui nous tenait à coeur sur le rôle des pères en 2018. À partir des résultats de recherche présentés sur ce thème, une réelle dynamique entre les acteurs du champ de la parentalité, les collectivités et la CAF a permis de mettre en oeuvre une politique de sensibilisation sur l'importance du rôle et de la place des pères. Au-delà des films et de la campagne d'affichage réalisée, nous soutenons aujourd'hui les associations qui oeuvrent et mettent en place des groupes de parole spécialement dédiés aux pères. Des lieux d'accueil parents-enfants sont ouverts le samedi matin pour que les pères s'y réunissent avec leurs enfants, par exemple.

Une autre étude porte sur la monoparentalité, une spécificité lorsque l'on étudie les structures de parenté en outre-mer, notamment à La Réunion. Ce type de famille est en augmentation dans l'Hexagone mais surtout en outre-mer. Nous n'affichons pas les chiffres de la Martinique, mais près d'une famille sur trois est monoparentale à La Réunion, ce qui nous place entre l'Hexagone et les Antilles. Nous rencontrons également de nombreuses situations de mères isolées et de violences intrafamiliales ou conjugales. En lien avec ces problématiques fortes, nos études sur la famille et l'évolution du lien social dans la parenté à La Réunion et à Mayotte, contribuent à apporter plus de connaissances et d'analyses, de façon à mieux adapter les politiques publiques et décisions aux spécificités des contextes.

Nous avons par ailleurs travaillé sur la relation parents-enfants durant la pandémie ainsi que sur la famille recomposée.

Être présent sur Internet est aussi très important. Nous avons dû créer d'autres plateformes pour nourrir les acteurs de la parentalité, mais aussi les parents. Notre site reprend les règlements, les lois, les politiques locales et les études sur les contextes locaux et nationaux. Nous avons également cartographié et recensé tous les dispositifs de soutien à la parentalité à La Réunion. Il est aujourd'hui très facile, pour tout parent ou tout acteur, de cibler des structures et outils répondant à ses besoins dans son quartier. En outre-mer, il est primordial d'être proche des populations, encore plus que dans l'Hexagone. Les problématiques de distance géographique, le climat, les cyclones, ne rendent pas toujours faciles les réponses aux différents problèmes. Ainsi, une page Facebook est alimentée et nous publions tous les trois mois une revue, Info parentalité, qui valorise les associations et met en avant leur créativité en matière d'outils et d'expériences pour renforcer les compétences parentales. Nous développons leurs actions et présentons les synthèses de nos recherches ; ce livrable est en accès libre, en version papier et numérique.

Vous comprenez donc que notre Observatoire affiche une mission de recherche, de diffusion, mais aussi d'émulation de la pensée et de la réflexion avec les acteurs du soutien à la parentalité. Nous remplissons le niveau méso, souvent manquant.

Nous nous appuyons également sur des outils de la recherche, tels que le logiciel « Être parent de jeunes enfants », issu des travaux de collègues chercheurs sur le champ de l'éducation familiale dans l'Hexagone et au Québec. Ils ont développé des outils pour animer les groupes de parole à travers lesquels l'animation de vignettes permet aux parents de développer et d'améliorer certaines compétences parentales. Dans l'Hexagone comme en outre-mer, on ne devient pas parent du jour au lendemain. En ce moment, nous terminons tout juste une large étude sur l'éducation familiale. À La Réunion, nous constatons que, bien souvent, les jeunes parents se réfèrent au modèle de leurs propres parents. Pourtant, la société a évolué et les enfants n'ont pas les mêmes besoins.

Au-delà de La Réunion, nous oeuvrons également en matière de soutien à la parentalité dans une dimension régionale, avec notre association l'Observatoire de la parentalité de l'océan Indien (Opoi), que j'ai l'honneur de présider, qui intègre l'Afrique du Sud, le Mozambique, la Tanzanie, les Comores, l'île Maurice et les Seychelles. Nous avons mis en place une dynamique avec des acteurs, des porteurs de projets, des politiques, pour agir comme nous le faisons sur le territoire de La Réunion, mais dans une dimension régionale. Nous devons également tenir compte des problématiques parentales des populations des territoires voisins qui parfois migrent jusqu'à La Réunion. L'Opoi met en place des webinaires mensuels entre les acteurs de ces pays sur des thèmes variés tels que le numérique.

L'Observatoire de La Réunion se positionne comme un facilitateur à tous les niveaux.

Vous me demandiez de présenter des propositions et analyses à l'occasion de cette audition. Je propose de construire des outils avec les problématiques locales. Nous disposons d'outils et de logiciels, parfois issus de la recherche, qui proviennent de l'Hexagone ou de l'Occident, mais nous devons développer davantage d'outils pour les parents des outre-mer avec les acteurs pour développer une appropriation plus claire du concept d'« aller vers » et pour renforcer la compétence parentale. Le réseau de soutien à la parentalité a fleuri, mais ce qui fonctionne, c'est lorsqu'on parle du « soi », quand les parents sentent qu'on les prend en considération avec leur culture. Ainsi, des outils spécifiques aux territoires ultramarins nous semblent importants à créer avec une réflexion et des moyens spécifiques.

Nous devons par ailleurs travailler en transversalité. Beaucoup de structures associatives sont relativement vides. Comment y faire venir les parents, que ces derniers soient actifs ou non ? Comment les sensibiliser ? Je pense aussi que nous devons travailler sur le lien entre la parentalité et l'entreprise, et injecter de la formation à l'éducation parentale dans ces structures où les parents passent une large partie de leur temps. La formation est un droit pour les travailleurs de notre pays. Pourquoi ne pas ouvrir ce modèle ? Un travailleur heureux sera davantage un parent heureux en rentrant le soir et vice-versa. Nous devons prendre en considération la globalité de l'être humain. Il est humain, père ou mère, travailleur ou demandeur d'emploi. Nous devons travailler sur l'éducation familiale, et donc sur le champ du renforcement des compétences parentales, d'une manière plus large et globale qu'actuellement.

Je terminerai mon propos en insistant sur le développement de groupes de parole auprès du réseau actuel sur des thématiques précises. Je pense notamment à la communication non violente (CNV). Les techniques de CNV transmises au plus grand nombre, et également aux parents à travers les groupes de parole du soutien à la parentalité, pourraient nécessairement agir pour diminuer les violences intrafamiliales dont le taux est très élevé dans notre territoire et en outre-mer. Il est clair que l'éducation familiale se traduit également par l'apprentissage d'une capacité à communiquer en paix entre parents et enfants. Injecter des formations à la CNV me semble indispensable, de surcroît dans des territoires où les violences sont parfois reliées à des héritages culturels en lien avec l'esclavage et l'engagisme. La question de la violence dans la famille, et plus spécifiquement des violences faites aux femmes, peut s'envisager par l'apprentissage de la communication non violente à travers la logique du soutien à la parentalité et les groupes de parole. Une politique en ce sens permettrait de « nourrir » le réseau avec des outils concrets à transmettre et diffuser auprès des parents.

M. Alexandre Hoareau, chargé de mission à l'Observatoire de la parentalité de La Réunion. - Nous aurions aimé développer davantage les axes concernant le rôle du père à La Réunion ainsi que les situations particulières des familles monoparentales, deux cibles nous étant chères depuis le lancement de l'Observatoire de la parentalité. Puisque je n'ai pas beaucoup de temps, je passerai directement aux préconisations, qui viendront en appui des propos de Thierry Malbert.

La parentalité est un champ de recherche irrigué par de nombreux domaines, tels que la santé ou la scolarité. Ensemble, elles dessinent un système interconnecté. Cette démarche est par nécessité inclusive. Elle requiert la participation de tous les acteurs de notre société. Elle s'inscrit dans un processus d'amélioration continue, que je baptiserai la « résilience apprenante ». Ce projet sociétal prend ses fondements dans l'histoire de notre territoire. À l'échelle de l'individu, elle inclut le chemin de vie, la culture, le lieu d'appartenance, la filiation, et tout ce qui constitue les racines de tout être vivant. Il s'agit pour nous de garantir un terreau favorable à l'expression de cette richesse.

Un accompagnement, l'identification des acteurs culturels et cultuels, la diversité synonyme de richesse et la large diffusion d'outils permettront de rendre visible et lisible cette démarche. C'est ici l'un des enjeux fondamentaux d'une réussite durable.

Nous avons développé un outil intergénérationnel, la généalogie, qui a déjà fait ses preuves sur notre territoire, à petite échelle. Il serait judicieux de l'étendre. Elle permet de se réconcilier, de connaître ses racines. Elle participe à la résilience des populations.

À La Réunion, l'association Isopolis s'inscrit dans cette logique intégrative. Elle a pour mission de faire le lien entre les différentes expertises et forces vives du territoire en donnant un cadre et des moyens pour construire, co-construire et assurer la concrétisation des projets communs. Elle s'appuie sur ces projets qui visent au bonheur comme pilier de la transformation de la société réunionnaise, et la résilience comme un moyen d'y parvenir. Elle s'appuie sur quatre piliers : la résilience individuelle, organisationnelle, culturelle et du territoire.

Pour qu'une action soit adaptée et efficace, il est selon moi primordial de connaître son public, qui doit être au fait de son histoire, et de l'intégrer dans la réflexion et la réalisation des actions, ainsi que leur amélioration continue. Nous devons également construire une culture commune dans un principe de trans-culturalité.

Mme Béatrice Bayo, directrice générale à la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE). - Bonjour et merci de nous donner l'occasion de vous exposer les actions que nous menons en outre-mer. Permettez-moi de vous présenter la Fédération nationale des écoles des parents et des éducateurs (FNEPE), premier réseau associatif du champ du soutien à la parentalité. La première école a vu le jour en 1929, la Fédération a été structurée progressivement et est née en 1970, à une époque où la parentalité était un sujet peu abordé et ne faisait pas l'objet d'une politique publique comme aujourd'hui. Elle compte désormais trente-neuf associations membres, à dimension locale, départementale ou interdépartementale, dont une à la Martinique et une à La Réunion. Les actions menées par les écoles des parents et des éducateurs (EPE) visent pour partie les parents et pour partie les éducateurs.

À destination des parents, nous déployons des actions collectives, telles que des groupes de parole - nous sommes par exemple à l'origine des cafés de parents - ou des actions individuelles telles que des entretiens individuels avec un psychologue, une CCF, ... ou encore l'écoute téléphonique anonyme et gratuite. Nous menons également des actions sur rendez-vous ou prescriptions judiciaires, telles que de la médiation familiale ou des espaces de rencontre.

À destination des éducateurs, toutes les EPE animent des supervisions ou des analyses de pratiques, et une quinzaine d'EPE organismes de formation certifiées Qualiopi proposent des formations qualifiantes ou certifiantes aux professionnels de l'éducation au sens large.

Les EPE peuvent par ailleurs être à l'origine d'initiatives assez variées, en dehors même de celles que je viens d'exposer rapidement, comme par exemple l'animation de groupes de paroles pour les pères en prison. Quelles que soient les actions, elles reposent sur des valeurs et des principes d'intervention qui constituent le fondement même du réseau des EPE et de leurs actions : accueil inconditionnel et universel, respect de la laïcité, de la liberté et de la singularité de chacun, et reconnaissance des compétences et des potentialités de chacun. Le mot « école » peut prêter à mauvaise interprétation. Nous ne sommes pas là pour faire l'école aux parents mais pour que ces derniers fassent école entre eux. Nous nous appuyons sur leurs compétences pour qu'ils puissent parler entre eux et trouver en eux-mêmes leurs propres solutions. Nous sommes ainsi engagés dans une démarche de co-éducation dans la prévention.

Je ne vous présenterai pas tout ce que font les deux EPE en outre-mer, mais voici quelques initiatives qui me semblent intéressantes. En Martinique, un groupe de parole a été créé, « couple un jour, parents toujours », visant à favoriser la coparentalité au-delà d'une séparation. Vous avez rappelé l'importance de la monoparentalité. Essayer de laisser le couple parental auprès de l'enfant représente un défi, sous la condition que la violence ne soit pas présente bien évidemment au sein du couple parental. Ce groupe se réunit cinq à dix fois par trimestre et compte une dizaine de participants.

À La Réunion, aucun groupe n'est dédié à la question de la monoparentalité, mais ce sujet reste prépondérant dans les groupes de parole, qui s'étendent en général sur un an et regroupent une douzaine de personnes. Y sont développés les sujets mentionnés par l'Observatoire, à savoir le rôle du père, l'accompagnement à la scolarité et à l'utilisation des écrans - thème particulièrement compliqué pour les parents en situation d'illettrisme et d'illectronisme -, ou des angoisses des parents face à l'incompréhension avec l'école, les mauvaises fréquentations ou encore l'insécurité.

Des accompagnements individuels sont également mis en place en Martinique et à La Réunion. Ils ont toujours été importants mais, comme ailleurs, le covid a renforcé les besoins. Face à une forte précarité, l'accompagnement individuel payant est difficile d'accès. Il est ici gratuit, ce qui génère souvent une demande très importante. L'accompagnement peut être téléphonique ou présentiel. Il est aujourd'hui insuffisant, faute de moyens. À La Réunion, les professionnels de l'EPE interviennent notamment dans les quartiers de Saint-Denis et sont confrontés à une forte demande à laquelle ils ne sont pas toujours en mesure de répondre.

Nous parlions plus tôt d'adaptation de dispositifs existants en métropole. Nous avons parfois envie qu'ils puissent s'extrapoler à nos associations ultramarines. Au sein de la Fédération, nous avons lancé un numéro Allô, parents en crise au début de la crise sanitaire. La question de son accessibilité s'est posée à La Réunion et à la Martinique. Assez vite, nous nous sommes aperçus que ce n'était pas possible, pour plusieurs raisons. Cet accueil téléphonique constitue un premier soutien face à une question ou un sujet un peu plus profond. Au-delà du décalage horaire, nous avons été confrontés à la problématique de la langue, mais aussi à des appels s'avérant davantage entremêlés à la Martinique et à La Réunion qu'en métropole. En effet, les parents nous contactaient parce qu'ils rencontraient, en plus d'un problème de parentalité, des difficultés sociales ou financières. Ainsi, il est préférable de développer un service spécifique sur chacun de ces territoires pour être en mesure de répondre aux besoins. Nous essayons aujourd'hui de travailler avec les EPE ultramarines sur les outils ou encore les échanges de pratique, mais nous ne pouvons pas extrapoler les services montés en métropole sur ces territoires.

Enfin, nous avons travaillé avec l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI), en partenariat avec la Fondation Pierre Bellon et le Fonds d'expérimentation pour la jeunesse (Fej), pour développer un programme baptisé Familire. Il s'inscrit dans le cadre des actions éducatives familiales, de manière à faire du soutien à la parentalité un levier contre l'illettrisme. Ce programme d'un an, dédié aux jeunes mères de moins de 26 ans, propose alternativement des ateliers autour des savoirs de base et des temps d'échange sur les questions parentales, ainsi que des ateliers culturels. En clair, il vise à répondre à l'illettrisme et à l'illectronisme et ses conséquences sur l'exercice de la parentalité dans les outre-mer avec un programme commun, mais adapté à chaque réalité. Familire sera déployé au-delà des deux EPE de La Réunion et de la Martinique et porté par trois autres opérateurs en Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte. Il sera lancé en septembre 2023. Je ne peux donc pas vous communiquer de bilan aujourd'hui. Nous serons confrontés à un défi en termes de fidélisation des participantes.

En termes d'enjeux qui m'apparaissent importants, je reprendrai certaines idées évoquées plus tôt. Il me semble nécessaire d'élargir l'offre d'accompagnement individuel pour répondre aux problématiques des parents, notamment en situation de précarité, avant la dégradation des questions sociales, sociétales et de santé mentale. Aujourd'hui, certaines personnes nous sollicitant relèvent davantage du sanitaire que de la prévention. Il faut renforcer l'accompagnement pour éviter le glissement dans la précarité et favoriser la bonne orientation du parent : s'il relève d'un accompagnement sanitaire, il est préférable de l'envoyer vers les structures ad hoc.

Ensuite, la question de l'accessibilité de l'offre de soutien à la parentalité est extrêmement importante en outre-mer, encore plus qu'ailleurs. L'« aller vers » repose notamment sur une plus grande implication des communes. Nous devons travailler au développement de solutions de transport, pas uniquement en commun. Comment permettre aux parents éloignés, vivant par exemple au coeur du cirque de Mafate, de se rendre à Saint-Denis ? Le téléphone constitue une première solution, mais nous avons parfois besoin de voir les gens en face.

Enfin, dans les lieux de travail en général, y compris dans l'administration, comment proposer une offre de soutien à la parentalité accessible ?

Nous devons développer des programmes dédiés, tels que le programme Familire. Au-delà de l'universalité de l'accueil et de l'importance de la mixité sociale dans l'approche du soutien à la parentalité, il est parfois nécessaire de développer des programmes dédiés à des parents dans des situations proches pour adapter les dispositifs aux problématiques. Je pense notamment aux parents allophones ou migrants, en situation de handicap ou dont les enfants sont en situation de handicap.

Le développement de partenariats a été évoqué plus tôt. Les comités départementaux des services aux familles se développent, portés par les préfectures, les CAF et les départements. Il est extrêmement important que les associations de soutien à la parentalité puissent y participer.

En conclusion, j'enfoncerai des portes ouvertes. La question du financement est essentielle. Le soutien à la parentalité, en particulier en outre-mer, est aujourd'hui un jeu de puzzle. Mes collègues passent leur temps à remplir des dossiers pour aller chercher 10 000 euros à droite, 5 000 euros à gauche. D'abord, ils perdent du temps, qui n'est pas dédié aux familles. Surtout, ce temps perdu occasionne des pertes de sens et pousse certains professionnels à changer de secteur ou de structure. Ils sont là pour apporter du soutien aux familles, pas pour faire de l'administratif.

Les montants sont trop dispersés et insuffisants. Enfin, dans le secteur social, et particulièrement dans le soutien aux familles, la problématique de l'emploi est énorme. Nous manquons de professionnels. Aujourd'hui, nous ne parvenons pas à les mobiliser. Bien qu'elle ne soit pas le seul facteur de démotivation, la question financière reste importante. À titre d'exemple, le Ségur a prévu une augmentation des psychologues exerçant dans certains domaines, dont le soutien à la parentalité ne fait pas partie. Les acteurs du soutien à la parentalité ne bénéficient donc pas de cette revalorisation. Plusieurs d'entre eux vont changer de domaine pour y avoir droit.

Si nous souhaitons vraiment être accessibles et attractifs à tous niveaux pour les familles les plus éloignées, cette question du financement reste centrale pour que les services associés soient de qualité. L'associatif et la qualité vont de pair, si les moyens nécessaires y sont affectés.

Mme Patricia Augustin, secrétaire générale de la FSFM. - La Fédération syndicale des familles monoparentales (FSFM) a été créée en 1967. Elle s'appelait à l'origine Fédération des femmes cheffes de famille, car à l'époque celles-ci n'étaient pas reconnues comme telles. Tout était à conquérir. Ensuite, nous nous sommes renommés en 1975 pour répondre aux réalités sociétales et pour accueillir les hommes. Les familles monoparentales étaient au départ surtout des veuves, avant de correspondre à des ruptures de mariage, puis à des situations de concubinage. Notre fédération est implantée en Guadeloupe et en Guyane, où elle est plutôt en sommeil. Nous avons également pour projet de nous installer à Mayotte.

Notre fédération est une composante de la Confédération syndicale des familles (CSF), mouvement beaucoup plus généraliste regroupant près de 350 associations sur tout le territoire. Là où nous ne sommes pas implantés, nous aidons les familles à travers ses antennes pour répondre à leurs préoccupations.

Nous partageons beaucoup de préoccupations avec la FNEPE. Notre public est spécifiquement composé de familles monoparentales. Je ne vous apprendrai rien en disant que ces populations rencontrent essentiellement des difficultés économiques. Elles cumulent les difficultés d'accès au logement et aux structures d'accueil, ainsi qu'à l'emploi. En effet, il est beaucoup plus compliqué pour ces familles de trouver un poste car elles manquent de formations qualifiantes. Ce public est peu qualifié, notamment du fait de grossesses précoces ayant occasionné un départ prématuré de l'école. Elles ne peuvent donc pas accéder à des emplois leur permettant de toucher des salaires décents. On retrouve ces mêmes familles, et particulièrement les mères, sur des postes à horaires atypiques, ou qui cumulent plusieurs petits emplois, parce qu'elles n'ont pas le choix. Ces familles sont confrontées à des problématiques de conciliation des temps de vie, le temps professionnel, social, familial. La fonction parentale devient alors plus compliquée. Lorsque ces parents n'ont pas de formation, il ne leur est pas simple d'aider leurs propres enfants. Ils n'ont pas nécessairement les moyens de payer l'aide d'une tierce personne pour les accompagner. Ainsi, les enfants sont soumis à des problématiques d'enseignement similaires à celles de leur père ou de leur mère, bien que ces parents aient souvent pour leitmotiv que leurs enfants réussissent à l'école. Ils n'en ont parfois pas les moyens.

Évidemment, des pères sont parfois à la tête de familles monoparentales, mais ils sont bien moins nombreux que les mères et se retrouvent dans une structure familiale recomposée beaucoup plus rapidement que les femmes. Ils ne font souvent que traverser les associations, sans y rester longtemps. Ils ne sont pas confrontés aux mêmes problématiques, notamment en matière financière. Le salaire d'un homme est plus élevé que celui d'une femme. Une famille monoparentale dont le chef de famille est un père n'aura pas la même difficulté financière qu'une famille dont une femme est à la tête.

Pour ce qui est de nos actions sur le terrain, nous avons identifié un problème lors de la pandémie : la nécessité d'accorder un répit aux mères seules. C'est en tout cas vrai en Guadeloupe, là où nous sommes implantés. Étant salariée de la CSF, j'étais en charge des associations dans les départements d'outre-mer. Mon bénévolat m'a conduite à m'impliquer un peu plus au sein des familles monoparentales. Nous avons observé qu'une surcharge mentale avait conduit à beaucoup de problèmes psychologiques. Cette particularité n'est pas vraiment prise en compte dans les Dom. Le recours à un psychologue est associé à une connotation assez négative et les personnes ne prennent donc pas en charge leurs difficultés psychologiques. Nous mettons alors en place des universités de familles, dont le concept permet aux familles, qui peuvent être accompagnées de leurs enfants, d'être en immersion pendant une semaine dans un centre de vacances. La journée se compose d'un temps de formation sur un thème particulier et d'un temps de loisir ou de vacances, avec ou sans les enfants. Ceux-ci peuvent en effet être pris en charge par le centre lui-même ou par des animateurs employés à cet effet. Cela permet aux familles de partager un temps privilégié ensemble ou, au contraire, de profiter d'un temps de répit sans avoir à gérer les soucis du quotidien. En pension complète, les familles changent d'environnement - car elles ne sont pas toujours logées dans des conditions favorables en dehors de ce dispositif - pour être détendues et partager avec des pairs et des intervenants qualifiés. Nous avons travaillé sur des thématiques telles que la naturalité ou l'art d'être parents. Ces actions de répit répondent à une demande très prononcée de la part des familles.

Nous proposons aussi de la médiation familiale et des groupes de parole. En Guadeloupe, nous avons également mis en place l'année dernière un programme de formation pour les familles en général, pas uniquement celles qui sont monoparentales. Nos permanences aident aussi à accéder aux informations juridiques et administratives. Si des prestations sont fournies par les CAF, nous avons observé une réelle méconnaissance des dispositifs existants. J'ai dû participer le mois dernier à une conférence sur les violences intrafamiliales, avec Saint-Martin. Au travers des questions qui m'étaient posées, j'ai réalisé que les familles ne connaissaient même pas l'existence de la réforme des pensions alimentaires. Pourtant, la presse en a suffisamment parlé. J'ai eu à expliquer ce nouveau dispositif pour que les familles puissent adresser leurs demandes et percevoir ces pensions alimentaires, lorsqu'elles ne leur étaient pas versées.

En plus d'un problème d'accès aux droits, nous avons constaté un réel souci d'accès aux CAF et à l'informatique. Tout le monde a un téléphone mais on ne peut pas nécessairement télécharger ou imprimer les formulaires pour émettre des demandes. Maintenant que tout se passe via Internet, certaines familles sont confrontées à une rupture et ne peuvent pas se rendre dans les CAF pour remplir leurs dossiers de prestations. Souvent, elles abandonnent les démarches, qui sont trop difficiles. Il en découle un fort taux d'inaccessibilité au droit de ces familles. Ainsi, nous demandons qu'une personne dédiée soit attachée aux associations représentatives des familles sur les territoires, qu'un contact au sein des CAF puisse être le relais avec les associations en cas de problématique importante avec les familles.

Nous avons observé l'exemple dramatique d'une famille restée quatre mois sans percevoir ses droits, en raison d'un retard très important à la CAF. Pendant ces quatre mois, elle n'a pas perçu de salaire, malgré un soutien familial durant quelque temps. Il est à noter que ces familles, ces mères, sont parfois soutien de leurs propres parents, en plus d'être cheffes de famille. Rester quatre mois sans revenu a été dramatique et a conduit à des impayés de loyer. Le premier retard de loyer est difficilement rattrapable lorsque vous percevez de tous petits revenus.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci à vous pour vos présentations respectives, alimentant les connaissances que nous commençons à engranger sur les problématiques relatives à la parentalité dans les territoires d'outre-mer.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Bonjour à tous et merci pour la qualité de vos exposés. Le modèle de l'Observatoire de la parentalité de La Réunion m'a beaucoup intéressée. On parle de pères, d'éducation et de parentalité, de construction de la famille. Vous effectuez un travail fantastique, de recherche, en particulier sur le rôle des pères et sur les questions d'éducation, de parentalité, de construction des familles. Il est très important de développer les outils que vous proposez sur votre territoire pour les personnes qui y vivent. Très souvent, les modèles ne sont pas ceux que l'on voit sur nos territoires. Votre démarche est très importante et je ne peux que vous féliciter et vous encourager. Il est également opportun de développer des espaces de parole pour rapprocher les gens. Les personnes se rencontrent et peuvent échanger de bons procédés. Je pense vraiment qu'il s'agit d'un travail de proximité. On parle de tiers-lieux. Les personnes, lorsqu'elles se connaissent, peuvent faire preuve d'une certaine pudeur et ne pas vouloir se dévoiler, mais quand des personnes ressources leur apportent une plus-value vis-à-vis de leur situation particulière, elles peuvent se retrouver. Mmes Bayo et Augustin, vos expériences sont différentes des actions implantées à La Réunion, mais vos actions restent complémentaires et de proximité.

Concernant la situation décrite par Mme Augustin, j'ai eu l'occasion d'interpeller la Première ministre et la Défenseure des droits, avec laquelle j'ai rendez-vous cet après-midi, en raison d'un net recul constaté en termes d'accès au droit. Durant la pandémie, les accueils physiques ont été fermés pendant un temps. Les accueils téléphoniques sont compliqués. Les Centres communaux d'action sociale (CCAS), les CAF, les accueils du département, des impôts ou de la sécurité sociale ont mis en place du télétravail. Je pense que nous devons faire en sorte que la situation redevienne comme avant, pour que l'accueil physique soit largement rouvert. Certaines personnes sont confrontées à d'importants problèmes de rupture de droit.

Par ailleurs, un problème se pose en matière de données personnelles. Les familles ont des recours lorsqu'elles s'adressent à des associations comme les vôtres, connues et soumises à des règles de fonctionnement. Lorsqu'elles ont recours à des personnes tierces, qui ne sont pas nécessairement habilitées ou connues par les services et institutions, pour établir leurs documents et demandes, celles-ci détiennent toutes leurs données personnelles. On demande souvent une adresse mail à des individus n'ayant jamais eu Internet. Ils délèguent alors tout et sont tributaires de personnes n'étant ni un proche ni un enfant. Cette question pénalise les familles modestes, parce qu'elles n'ont pas accès aux personnes ressources qui devraient les aider et leur apporter des réponses.

Ensuite, la Confédération des familles, représentée un peu partout sur les territoires, peut servir de relais. Je connais moins votre association, puisqu'elle n'est pas implantée en Guadeloupe. Quelles réponses pouvez-vous justement apporter à ceux qui vous écouteraient sur ce territoire ? Avez-vous tenté de vous y installer ? Connaissez-vous des associations réalisant les mêmes démarches que vous et couvrant des champs similaires ?

Enfin, vous avez évoqué les problématiques des plateformes. Vous proposez des plateformes avec un accompagnement. Lorsqu'elles existent au niveau national, et demandent aux familles complètement démunies de faire un certain nombre de choses, quelles solutions proposez-vous ?

Mme Béatrice Bayo. - Effectivement, nous ne sommes pas présents sur les trois autres départements d'outre-mer. Les fédérations métropolitaines rencontrent souvent la même problématique, comme tout le milieu associatif. Nous avons quelques contacts en Guadeloupe, avec l'Étoile Mornalienne qui propose quelques actions de soutien à la parentalité. D'autres acteurs en mettent également en place, parmi d'autres actions. C'est le cas des centres sociaux, qui emploient souvent un référent sur ces questions, ou les maisons des adolescents, qui s'adressent plutôt aux parents d'adolescents.

Nous souhaitons ouvrir une maison des parents en Guadeloupe dans les trois ans, pour couvrir petit à petit tous les territoires ultramarins.

M. Thierry Malbert. - Je pense qu'il faut prendre en compte la cellule familiale dans tout son exercice. Nos travaux de recherche en anthropologie de la parenté nous permettent d'affirmer que les liens de parenté sont un des coeurs de nos sociétés. Claude Lévi-Strauss le disait, Maurice Godelier l'a contredit en parlant du religieux ou du politique, mais les liens sociaux demeurent, surtout dans les outre-mer où la précarité et le taux de chômage sont forts. Il est important de comprendre que, pour les individus, être parent est déjà un statut valorisant. Nous devons tirer parti de la valorisation et de la reconnaissance de l'individu dans la famille, en allouant des financements à la recherche et à l'action sociale. Si je peux me permettre, le renforcement des compétences parentales doit être observé d'une manière globale et systémique. Je pense surtout à l'Éducation nationale. En quoi ne pourrions-nous pas influer au niveau des programmes scolaires des collégiens et lycéens pour y intégrer des cours sur l'éducation familiale ? Comment accompagner un enfant ? Quelle est votre vision de votre futur rôle de parent ? À quel moment avez-vous bénéficié de conseils, de modèles, en dehors de celui de vos parents ? Parfois, on grandit dans une monoparentalité qui se répète de génération en génération. Le modèle est tel qu'on a tendance à le reproduire, même si l'évolution est forte et que les influences extérieures sont aujourd'hui multiples avec la mondialisation. La parentalité pourrait tout de même être enseignée dans des formations dès le collège ou le lycée, dans les programmes d'éducation civique, par exemple. Les populations dans lesquelles la précarité de l'emploi est forte doivent être particulièrement ciblées. En cas de précarité, de stage ou d'emploi précaire, il est clair que certains individus usent de stratégies pour construire des familles. Nous les observons par le biais des aides sociales, parfois utilisées pour subvenir aux besoins du quotidien. Parfois, nous constatons un décalage entre l'affirmation de la cellule familiale en tant que famille monoparentale, et la réalité. Nous sommes évidemment très fiers que les familles isolées bénéficient d'aides et que la France perpétue ce système de l'après-guerre ; pourtant, il peut exister un écart avec la réalité. En effet, certains couples sont ensemble mais la place du père est disqualifiée. Il faut le dire. La monoparentalité est forte en outre-mer et peut être parfois attractive dès la première grossesse. Le père devient alors progressivement invisible, dans une stratégie de faibles revenus et de revenus de transferts, son nom n'est pas porté par l'enfant, il n'apparaît pas sur les papiers administratifs ou sur la boîte aux lettres. Il devient invisible, même s'il contribue au foyer. Lorsque le couple bat de l'aile, c'est lui qui se retire, ce qui crée une réelle famille monoparentale.

Ainsi, il est très important de comprendre le contexte social et sociétal pour adapter et prévoir. Ce sont des stratégies de survie et d'affichage. La monoparentalité explose, les chiffres nous le disent. Mais correspondent-ils à la réalité ? Ces problématiques des stratégies familiales pour survivre doivent alimenter nos réflexions quant aux questions portant sur le thème de l'égalité parentale et du maintien du lien parent-enfant.

M. Alexandre Hoareau. - Nous avons parlé de particularités, de singularités, de diversité. C'est un signe de richesse, bien sûr. À travers ces particularités se forme tout de même un faisceau commun qui transcende le territoire et nos particularismes, et qui dessine en quelque sorte un socle commun de compétences parentales. C'est celui-ci qu'il s'agit de matérialiser et de rendre visible et lisible pour disposer d'un référentiel et construire un programme de formation évoqué par plusieurs d'entre nous.

Vous avez également évoqué l'accessibilité aux services et aux droits. Il est possible de créer un guichet unique qui permettrait de centraliser les demandes diverses. Souvent, nous sommes confrontés à un effet boule de neige, où une difficulté en génère une autre. Nous devrions pouvoir orienter la personne en prenant en une seule et même fois ses doléances.

Par ailleurs, les services dématérialisés ont été évoqués plus tôt. À La Réunion, plusieurs expérimentations ont été menées, parmi lesquelles une itinérance de la CAF ou d'autres administrations qui se déplacent en bus pour toucher les populations les plus distantes et les plus fragiles. Cette pratique pourrait être diffusée et faire office de support pour accéder aux publics invisibles.

Enfin, malgré un arsenal de prestations bien fourni, de nombreux foyers monoparentaux peinent à faire face aux dépenses incompressibles, notamment en matière de logement. Nous remarquons aussi une pression administrative importante relative à l'actualisation de la situation, qui génère du stress, par peur d'oublier un élément, de se tromper, d'être contraint à rembourser, s'ajoutant à une charge mentale déjà élevée.

On parlait également d'horaires décalés, qui s'accompagnent d'un manque de solutions et de modes de garde adaptés, réellement problématiques pour les familles monoparentales. L'exercice de la co-parentalité est également difficile. Ici, il est nécessaire de renforcer le réseau de médiation familiale afin de réintégrer le père dans le système familial et de favoriser une parentalité apaisée. Des initiatives de médiation innovantes ont également vu le jour. Je pense notamment à la médiation par le rire ou par la nature. Ici, à La Réunion, une association vise à rapprocher les individus de la nature pour qu'ils s'expriment pleinement. Nous pourrions également profiter d'un temps d'accompagnement plus long, plus posé, permettant une approche plus qualitative. Nous sommes contraints dans nos structures respectives à une certaine rentabilité, à une obligation de résultat par nos financeurs. Or cette rentabilité peut être contre-productive vis-à-vis de l'aspect qualitatif des accompagnements.

Pour ce qui est de la place du père, je pense que l'hypothèse du père légitime et de plein droit est à construire, et même à co-construire. La réflexion préalable doit nécessairement impliquer toutes les parties prenantes : la mère de l'enfant, les instances socialisantes (école, loisirs et cultures), les instances économiques...

Au sein de notre île, nous notons que le père souhaite prendre pleinement sa place dans l'éducation des enfants. Nous le voyons de plus en plus présent dans les crèches ou dans les associations de soutien à la parentalité, de plus en plus nombreuses. Pour autant, ces services ont été construits sur l'idée selon laquelle c'est la mère qui se charge des enfants. Nous devons ainsi déconstruire cette représentation et élargir cette visée dans une approche universaliste de la parentalité.

Lorsque nous leur demandons ce que signifie, à leur sens, le fait d'être père, ces derniers nous répondent qu'il s'agit avant tout d'être présents pour les enfants et la famille, de satisfaire les besoins, de subvenir aux besoins de la famille, de donner de l'amour, d'être à l'écoute, de communiquer le plus possible, de transmettre des valeurs humanistes, de participer aux loisirs, de conseiller, donner l'exemple et protéger. Pour leur permettre de mettre en oeuvre tout cela, nous devons créer des espaces d'écoute dans lesquels recueillir leur parole et faire fleurir de beaux projets.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci. Je cède la parole à Elsa Schalck. Je signale que Nassimah Dindar est connectée depuis La Réunion et que Marie-Laure Phinéra-Horth est présente dans la salle. Elles pourront s'exprimer à l'issue de cette intervention.

Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - Je vous remercie pour l'ensemble des interventions très instructives que vous nous avez livrées, par les constats que vous dressez des territoires respectifs et par les outils que vous avez pu mettre en place, inspirés des territoires et d'une réalité territoriale différente. Ils illustrent très concrètement les politiques publiques et les difficultés que vous pouvez rencontrer. Évidemment, les groupes de parole me semblent indispensables mais l'action passe également par l'Observatoire présenté, dont j'ai pu constater la force du partenariat mis en place entre l'université et la CAF.

Ainsi, quel est votre regard sur les partenariats en place et nécessaires avec les structures associatives, mais aussi avec les pouvoirs publics ? En matière de famille, nous sommes à la croisée de plusieurs difficultés, mais aussi d'un épanouissement, pour reprendre le slogan « grandir et s'épanouir » qui apparaît derrière M. Thierry Malbert. Quelle est votre lecture positive et négative des partenariats que vous avez pu mettre en place, et de ce qu'il faudrait fédérer pour déployer une culture de la parentalité plus présente dans notre société ?

Ensuite, vous l'avez dit, les familles monoparentales sont de plus en plus présentes. Comment faire en sorte que les pères, notamment les plus jeunes, adoptent un rôle différent et s'impliquent davantage dans la famille ? Quelles sont d'après vous les pistes d'amélioration à mettre en place, ou qui existent déjà, en lien notamment avec l'Éducation nationale ? Je suis convaincue que c'est dès l'école qu'on apprend le respect et l'importance de la sphère familiale, ô combien précieuse lorsque les deux parents jouent pleinement leur rôle.

Enfin, s'agissant de l'« aller vers », nous voyons que les personnes ont de plus en plus de difficultés à évoquer, avec des personnes qu'elles ne connaissent pas, des difficultés très personnelles ou familiales, notamment par pudeur. Des outils tels que le bus itinérant présenté plus tôt me semblent pertinents. D'après vous, une profusion de communication dilue-t-elle le message, ou reste-t-il au contraire des aspects à développer en la matière pour inciter les pères et les mères à aller vers des structures existantes, dont ils n'ont pas nécessairement connaissance ? Nous savons à quel point tout va vite dans notre société. Dans ce cadre, comment communiquer de manière efficace ?

M. Thierry Malbert. - Votre première question porte sur l'observation. Un observatoire observe, récolte, analyse, soutient et diffuse des outils. Nous réalisons des études en partenariat avec des acteurs et devons continuer à le faire, qu'elles soient petites, moyennes, larges, spécifiques, au sein de l'océan Indien ou des différents départements d'outre-mer. J'oserai dire que l'Observatoire de la parentalité de La Réunion est en train d'essaimer, puisqu'une structure similaire est en train de se monter à la Martinique, portée par la CAF et d'autres partenariats.

Je suis professeur d'université en anthropologie. Pourquoi l'université de La Réunion a-elle travaillé avec la CAF pour monter un observatoire ? Travailler et mener des recherches, c'est très bien, mais en quoi affectons-nous les populations ? Je pense que ces partenariats entre la recherche académique et l'action sociale sont porteurs. Pour preuve, nous avons également monté l'Observatoire régional de l'océan Indien. Nous pouvons ouvrir ce dispositif aux départements, aux collectivités. Nous avons également noué des liens avec le rectorat ou d'autres associations et laboratoires de recherche. Ainsi, nous avons créé au niveau méso - au milieu - une cellule de réflexion présentant des atouts multiples. Il s'agit d'un lieu neutre, porté par l'État, la CAF et l'université. Notre éthique est l'objectivité, comme nous le faisons dans la recherche, et nous sommes au plus près du contact des associations. Les partenariats peuvent ainsi être très riches, puisque la cellule familiale est au coeur de l'économie, des organisations sociales, de nos structures du lien social.

Il est absolument essentiel que les politiques publiques puissent renforcer les budgets, les dispositifs, les pratiques, la concertation. Nous sommes très honorés d'être conviés à cette audition, surtout dans le basculement que nous sommes en train de vivre. Le XXe siècle vient de se terminer. Nous entrons dans une autre période. La cellule familiale, la filiation et le lien social parent-enfant, qui sont des liens primaires, sont à consolider. Vous le savez comme moi, les réseaux sociaux, les écrans, créent du délitement et de la non-confiance. Combien de conflits éclatent aujourd'hui avec des adolescents dont les parents n'ont pas de matière à ordonner, à gouverner et à communiquer ? Pour cette raison, j'ai évoqué la communication non violente lors de mon propos. Elle doit être plus présente, à la fois dans les collèges et lycées, mais aussi dans le réseau du soutien à la parentalité.

Les résultats de nos travaux de recherche, partagés dans ce format avec les acteurs du terrain, nous permettent aujourd'hui de proposer de futures actions au coeur de la socialisation des jeunes femmes et des jeunes hommes, avant même qu'ils ne soient parents : lycéens, étudiants, jeunes travailleurs. C'est en amont de la parentalité que nous devons également agir !

Sur le site de l'Observatoire, nous avons publié de petits films de trois minutes dans lesquels des pères s'expriment. On comprend immédiatement leurs solutions pour aider les autres parents en souffrance. Ces supports sont à disposition du réseau pour animer des groupes de parole et briser la glace. Car il n'est pas évident de présenter sa problématique familiale, de parler de ce qu'il se passe à la maison, des liens intimes. Nous constatons que l'absence des parents dans les groupes de parole est en lien avec le fait que tout le monde se connaît dans les quartiers et les cités. Ainsi, nous disposons de très belles structures, appuyées par le département et la CAF, mais nous devons les rendre plus attractives. Pour ce faire, nous devons travailler en transversalité, avec le milieu professionnel qui peut injecter de la formation, mais aussi avec le rectorat, en prenant en compte les spécificités en lien avec la monoparentalité et l'isolement. Je pense que nous devons renforcer ce processus, et « aller vers » en travaillant sur les transversalités.

Mme Marie-Laure Phinéra-Horth. - Je suis sénatrice de la Guyane, territoire particulier dont 50 % de la population est âgée de moins de 25 ans. À leur tour, les enfants font des enfants. Le territoire est également soumis à une forte immigration. Lorsque j'étais maire, j'avais pour volonté de monter une école des parents et des éducateurs. J'ai commencé par mettre en place les mardis de la parentalité, qui rencontraient un franc succès. Nous organisions des réunions avec des mères ou des pères, sur des thèmes précis tels que la contraception, les stupéfiants ou l'autorité parentale. Ces réunions étaient très suivies, de nombreux parents se déplaçaient. Nous avons un peu attendu pour créer la structure. Sachez que je ferai tout pour que la Guyane s'inspire de vos expériences, et notamment de l'EPE, voeu pieux de la ville de Cayenne. La mise en place d'un observatoire de la parentalité me semble également nécessaire. La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane pourraient se regrouper pour travailler sur ce dossier.

J'ai beaucoup apprécié vos interventions. Je me ferai un devoir, dès que je me rendrai sur mon territoire, de rencontrer les assistantes maternelles ou les associations en charge des parents. En Guyane, de nombreuses familles sont plutôt matriarcales. Les femmes ont besoin d'aide et de soutien. Vous pouvez compter sur moi. Lorsque je retournerai chez moi, je parlerai de l'école des parents et des éducateurs dont nous rêvions à l'époque. Je pense que la démarche se poursuit. Nous avions mis en place douze maisons de quartier sur le territoire de Cayenne. Ces espaces d'échanges permettaient de discuter de multiples sujets.

Merci à vous, et merci aux délégations de me permettre d'être en lien avec des acteurs très dynamiques sur la parentalité.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Je demandais plus tôt aux intervenants, et notamment à Mme Béatrice Bayo, s'ils avaient connaissance d'autres acteurs sur le territoire de la Guadeloupe. Ils sont nombreux, et d'autres tables rondes pourront porter sur le sujet. Je ne sais pas si nous bénéficierons d'une évaluation de ce qui existe, mais le territoire compte déjà beaucoup d'associations qui font énormément de choses. Mme Patricia Augustin le sait. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles vous n'y êtes pas encore implantés. Nous verrons plus tard si ces initiatives sont efficientes et efficaces. J'aimerais vraiment que nous puissions poursuivre ce travail en Guyane, puisque des fédérations y sont également implantées.

Je crois que cette initiative des délégations aux outre-mer et aux droits des femmes permettra de mettre en lumière des problématiques importantes de nos territoires. Je suis ravie d'être rapporteure de ce travail, qui nous permet de constater que de nombreuses actions sont mises en place. Cette mission conjointe nous permettra de travailler de façon complémentaire pour trouver des solutions.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Les spécificités des territoires ultramarins imposent parfois des réponses différentes, raison pour laquelle ces dernières se démultiplient.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Les constats dressés ne font que renforcer ma conviction et celle du Sénat sur les travaux menés en ce moment par le groupe de travail sur la décentralisation.

Je retiens de cette matinée un besoin de déconcentration des moyens financiers et techniques sur nos territoires. Ce sujet renvoie à la verticalité des politiques publiques en général et à leur adaptation aux besoins des territoires.

Je suis également frappé par la nécessité d'aller vers et d'associer les communes, qui interroge sur l'existence éventuelle de schémas locaux d'accompagnement à la parentalité ou de schémas enfance-jeunesse sur tous les territoires. Il en existe un à Saint-Pierre-et-Miquelon, avec la Caisse de prévoyance sociale, équivalent de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Il permet de décliner de manière transversale entre les acteurs des politiques territoriales d'accompagnement. De tels schémas existent-ils sur l'ensemble de vos territoires ? À défaut, le Sénat pourrait-il formuler cette préconisation ?

Je retiens également la complexité des financements. Vous êtes tous des acteurs de terrain et non des professionnels en recherche de financements publics. Cette réalité génère un besoin de simplification de la source de financement public et de l'accès à ces mêmes financements par les acteurs en charge. N'oublions pas que ce sont les réseaux associatifs et les observatoires qui font aujourd'hui vivre la parentalité dans les territoires et pas nécessairement les politiques publiques qui peuvent être décidées au niveau national avant d'irriguer chacun des territoires.

Ce constat renvoie à la différenciation des approches sur chacun de nos territoires en tenant compte de la sociologie, et à une nécessaire déconcentration des moyens au niveau des territoires. Je reviens également sur une question posée lors de la première audition relative à l'implantation des fédérations nationales sur nos territoires ultramarins, qui sont également des relais associatifs. Je pense notamment à la Fédération nationale des parents et éducateurs : deux des trente-neuf associations sont implantées en outre-mer. Là aussi, est-il nécessaire d'enclencher un processus au niveau national de façon à permettre l'implantation de nouvelles entités dans d'autres territoires ? J'aime beaucoup l'approche régionale évoquée parce qu'elle me semble indispensable. On ne peut pas toujours dire publiquement que nous souhaitons que nos territoires soient insérés dans les régions du monde où ils se situent, sans faire en sorte que ce soit le cas sur le plan sociologique et sans tenir compte des expériences menées. Nos collègues canadiens ont par exemple connu des avancées en matière de sociologie parentale, reconnues au niveau international, méritant que nous les approfondissions. Nous pourrions nous en inspirer.

Enfin, j'aimerais simplement demander aux acteurs s'ils émargent à la fois aux financements sur les appels à projets nationaux et sur les appels à projets territoriaux. Les Cnaf lancent-elles des appels à projets sur la parentalité dans vos territoires ? Le ministère en charge des outre-mer lance-t-il des appels à projets sur ce sujet également ? Pourrait-il devenir une caisse de résonance sur ces politiques de manière à éviter la dispersion de financements ? Au moment où l'on parle de recentrer et d'améliorer l'efficience des politiques publiques, je pense que nous devons être inventifs et « pousser les murs » pour faire tomber certaines barrières.

Mme Béatrice Bayo. - Aujourd'hui, à ma connaissance, les financements relèvent majoritairement de la CAF et pas de la Cnaf, qui ne lance pas d'appels à projets spécifiques aux outre-mer. Par ailleurs, il s'agit souvent de financements sur projet, et non structurels, ce qui occasionne des difficultés. J'attire votre attention sur ce point. L'appel à projets est ponctuel et ne vise qu'une partie de l'activité des associations. C'est ce qui génère une dispersion des financements.

Ensuite, les liens directs entre le ministère des outre-mer et les acteurs de terrain sont très rares. Il serait pourtant intéressant d'en nouer, peut-être par le biais d'un intermédiaire local, pour développer une plus grande proximité entre eux.

Les schémas départementaux des services aux familles sont très inégalement déclinés sur les territoires. Aujourd'hui, à ma connaissance, les acteurs du soutien à la parentalité sont très peu associés sur les deux territoires où nous sommes implantés, contrairement aux acteurs de la petite enfance. Ils devraient pourtant participer aux travaux de ces schémas.

S'agissant de la communication, évoquée par Mme Elsa Schalck, j'identifie un enjeu de visibilité et d'accessibilité, tant en termes de langue que de situation d'illettrisme et d'illectronisme des familles. Quelle communication pouvons-nous développer pour les toucher, par des supports visuels ou par du présentiel ?

Enfin, je suis très mitigée vis-à-vis des compétences « socles » évoquées par M. Hoareau. Nous devons être vigilants lorsque nous disons qu'il existe un minimum vital pour chaque parent. Chacun est différent et dispose de ses propres compétences. La différence de situation culturelle, sociale ou géographique occasionne de fait un danger dans la définition de compétences socles à harmoniser pour tout un chacun. Je n'entrerai pas dans le débat, mais j'estime que notre objectif doit être de donner confiance aux parents pour qu'ils se sentent légitimes, et de les accompagner comme ils doivent l'être.

Mme Patricia Augustin. - J'aimerais revenir sur les propos exprimés concernant l'arsenal de prestations dédiées aux familles monoparentales et concernant les femmes se déclarant comme telles alors qu'elles ne le sont pas, écartant volontairement les pères pour des raisons financières. Il y a certainement quelque chose qui m'échappe, car il me semble qu'il n'existe qu'une seule allocation spécifique pour les familles monoparentales, l'allocation soutien familial. La situation décrite a pu exister lorsque l'allocation parent isolé existait. Elle reconnaissait le fait familial et la présence d'enfants, et était versée pendant trois ans sans être associée à une condition de recherche d'emploi, qu'apporte aujourd'hui le RSA. Celui-ci reconnaît la situation de monoparentalité mais est conditionné à la preuve d'une recherche d'emploi. Cette prestation n'a pas les mêmes vertus que l'allocation parent isolé. Il n'y a donc pas d'arsenal de prestation, mais uniquement une allocation qui se substitue à la pension alimentaire.

Par ailleurs, un père, s'il le souhaite vraiment, peut reconnaître son enfant à n'importe quel moment, et ce même à l'insu de la mère. Nous militons pour l'exercice d'une coparentalité effective. La reconnaissance des enfants par le père est très importante à nos yeux pour habiter cette fonction parentale qui ne peut se faire par le bon vouloir de la mère. Si le père veut la prendre à bras le corps, il peut le faire. Je pense qu'aucune prestation ne peut remplacer la présence d'un père. La pension alimentaire ne remplacera jamais un deuxième salaire. Nous constatons bien que les ruptures de concubinage ou les divorces appauvrissent toujours la famille. Quand le couple existe, la précarité diminue.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - J'ai été interpellée par la formulation « couple un jour, parents toujours » employée par Mme Bayo. Dans le cadre de violences intrafamiliales, nous sommes convaincus qu'un conjoint violent n'est pas un bon parent et que l'autorité familiale doit systématiquement lui être retirée. Dans ce cadre, je ne sais pas si c'est la bonne formule à utiliser. Nous n'avons pas le temps d'en débattre ce matin, mais j'aimerais que l'on soit vigilant quant à ce type de message, qui signifierait que l'on a l'autorité parentale à vie, peu importent les violences.

Monsieur Malbert, vous avez mis l'accent sur les statistiques de familles monoparentales qui seraient gonflées en raison d'un besoin de survie et de statut, parce que les politiques familiales pousseraient des mères à s'afficher en tant que famille monoparentale. Nous allons investiguer ce sujet.

S'agissant des différents modèles, je retiens qu'il existe de bonnes initiatives dans divers territoires, qui méritent peut-être d'être dupliquées. Pour autant, le faire dans les outre-mer n'est pas simple. La duplication du 3919 a été confrontée à des problèmes d'horaires d'ouverture ou de décalage horaire. Ce constat illustre la nécessaire adaptation à chaque territoire.

Enfin, je crois que nous devons nous pencher sur la structure des associations dans le cadre de ce travail. Vous avez évoqué les financements et appels à projets. Il serait intéressant d'étudier la situation des associations dans les outre-mer avant et après Covid. Qu'en est-il des permanents qui y travaillent ? Sont-ils en nombre suffisant ou les bénévoles assument-ils la charge totale, du fait des appels à projets ? La réalité est-elle la même dans tous les territoires ultramarins ? Comment réussir à pérenniser l'action des associations ? À travers vos propos, j'ai ressenti leur rôle extrêmement puissant pour tenter de mettre en oeuvre des politiques publiques - pas toujours adaptées - lorsqu'elles existent. Finalement, le rôle de l'État arrive au second plan en matière de parentalité et de gestion des réponses à apporter à ces familles en détresse.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Avant de conclure, je voudrais que nous ayons une pensée pour une jeune Martiniquaise, Marie-Camille Relouzat, mère de deux enfants et victime de féminicide. Aujourd'hui-même, jeudi 9 février, une marche est organisée en son honneur en Martinique. Ce drame renvoie aux difficultés soulevées par le slogan « couple un jour, parents toujours ». Il me semble important de lui rendre hommage.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Il est toujours important de rester connecté au terrain. La lutte contre les violences intrafamiliales ne peut pas être séparée du sujet de la parentalité. Merci de nous avoir rappelé cette dure réalité et la difficulté que nous rencontrons, tant dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone, à lutter contre les féminicides, puisque les statistiques à ce sujet sont terribles.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je vous remercie de la qualité des échanges et des éclairages que vous avez apportés. Loin de moi l'idée ou la présomption de vous dire comment doit être mis en place l'accompagnement à la parentalité. Notre rôle, au Sénat, consiste à vous aider Surtout, nous sommes les porte-voix des collectivités et territoires. Je suis intimement persuadé, comme de nombreux sénateurs aujourd'hui présents, que c'est sur le territoire que les politiques se construisent concernant les populations. C'est bien le message que nous devons porter au travers de ce rapport d'information. Je m'associe évidemment à l'hommage évoqué par Victoire Jasmin.

Merci à tous pour cette très belle audition. Les délégations sont preneuses de toutes vos contributions écrites et de vos remontées de terrain pour alimenter nos travaux dans le cadre de ce rapport. Cette table ronde était très riche. Je ne doute pas que nous pourrons continuer à échanger sous d'autres formats pour enrichir nos recommandations.

Table ronde sur la situation à Mayotte

(16 mars 2023)

Présidence de Mme Victoire Jasmin, vice-présidente de la délégation sénatoriale aux outre-mer, puis de Mme Annick Billon, présidente
de la délégation aux droits des femmes

Mme Victoire Jasmin, présidente, co-rapporteure. - Mesdames, Messieurs, chers collègues, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer, menés en commun par deux délégations : la délégation aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano, et la délégation aux droits des femmes, présidée par Annick Billon. Celle-ci va nous rejoindre dans quelques minutes car elle est retenue en séance publique.

Outre les présidents des deux délégations, sont également rapporteures sur cette thématique Elsa Schalck et moi-même. Je vous prie d'excuser le président Stéphane Artano car il ne peut être présent ce matin.

Si certains constats sont communs aux différents territoires ultramarins, chacun présente évidemment ses spécificités. Nous aurons donc, au cours des prochaines semaines, des tables rondes régionales consacrées à chaque territoire.

Nous nous intéressons ce matin à la situation très particulière de Mayotte, qui est à la fois le plus jeune et le plus pauvre des départements français.

C'est d'abord le plus jeune des départements, ce qui justifie son importance pour nos travaux. La moitié de la population a moins de18 ans. En outre, du fait d'une fécondité élevée, la moitié des familles de Mayotte compte au moins trois enfants mineurs.

Mayotte est aussi le plus pauvre des départements français. Les données de l'Insee - qui a notamment publié en juillet 2022 un panorama sur la situation des femmes à Mayotte - sont éclairantes :

- 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national, soit cinq fois plus qu'en métropole ;

- avec des flux migratoires importants, venus à 95 % des Comores, la moitié des habitants est de nationalité étrangère et vit dans des conditions très précaires (sans le confort sanitaire de base voire sans électricité), sans être éligible aux prestations sociales ;

- enfin, un quart des femmes de 20 à 54 ans sont des mères isolées, dont 90 % vivent dans une grande précarité.

Un rapport de six inspections générales, révélé la semaine dernière par Mediapart, et dont nous avons demandé communication à la Première ministre, complète ces constats alarmants en évoquant la situation de milliers d'enfants mineurs, vivant pour certains sans leurs parents, en risque de désocialisation et en situation de précarité sanitaire et alimentaire.

Nous sommes très heureux d'entendre ce matin une grande diversité d'acteurs impliqués dans le soutien aux familles, qui pourront compléter ces constats et nous livrer leur analyse des spécificités de la situation mahoraise et des outils les plus appropriés pour répondre au mieux aux besoins considérables des familles et enfants de Mayotte.

Nous entendrons, par visioconférence :

- pour la Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM) : MM. Philippe Fery, directeur général, Rémy Posteau, directeur des prestations, et Mme Moissoukari Madi, responsable du secteur action sociale ;

- pour l'Union départementale des associations familiales (Udaf) de Mayotte : M. Nizary Ali, président, Mmes Enrafati Djihadi, directrice et Ambouharia Abdou, administratrice ;

- pour l'Union départementale de la confédération syndicale des familles (UDCSF) de Mayotte : Mme Rafza Youssouf Ali, présidente, et M. Ali Souf, délégué des parents d'élèves ;

- pour les Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active (Ceméa) de Mayotte : Mme Zaïnaba Ahmed Haroussi, directrice territoriale ;

- et enfin, pour l'association Espoir et réussite : MM. Tony Mohamed, président, et Idam Ahmed, directeur général.

Je laisse en premier lieu la parole aux représentants de la Caisse de sécurité sociale de Mayotte.

M. Philippe Fery, directeur de la CSSM. - La question de la parentalité est traitée par les Caisses d'allocations familiales (CAF) en partenariat avec l'État, le Conseil général, les associations comme l'Udaf et les collectivités locales. Les orientations de la branche famille de la CSSM sont définies par des conventions d'objectifs et de gestion. Les moyens sont donnés à travers l'action sociale et familiale. Toutefois, l'action de la CAF de Mayotte est limitée aux familles en situation régulière. Vous avez évoqué le cas des enfants sans parents : l'esprit même du dispositif complique le traitement de leurs demandes. Néanmoins, nous pouvons parfois conduire des actions d'envergure à destination des enfants dans leur globalité. Je viens de Guyane, où il existe des problématiques similaires. Selon les territoires, la Caisse nationale des allocations familiales peut donner l'autorisation de prendre tous les enfants d'une école en charge.

Mme Victoire Jasmin, présidente, co-rapporteure. - Je propose que les différents intervenants prennent la parole, puis nous passerons aux questions. Je donne la parole à Mme Enrafati Djihadi pour l'Udaf.

Mme Enrafati Djihadi, directrice de l'Udaf. - Tout d'abord, il existe autant d'Udaf que de départements. La nôtre a été créée en 2014. Elle est effective depuis 2015. Nous gérons différents services aux familles, notamment la médiation familiale avec le soutien de financeurs comme la CSSM, le Conseil départemental ou le ministère de la Justice via la cour d'appel de La Réunion. Nous avons également mis en place un projet d'espace de rencontres en cours d'habilitation et menons différentes actions à destination des familles. Avec le soutien de la CSSM, nous assurons la coordination du Réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (Reaap). Sa mission consiste à coordonner les nombreux acteurs qui interviennent sur la question.

Nous assurons également la coordination du schéma départemental de service aux familles grâce au soutien de la CSSM et de la préfecture. Nous menons des actions liées à la parentalité numérique, notamment l'accès aux droits et l'éducation à un usage responsable.

L'Udaf est un réseau de 31 associations familiales. Nous intervenons sur la question de la parentalité notamment au travers de la fédération Familles rurales qui fait partie de notre réseau.

Présidence de Mme Annick Billon,
présidente de la délégation aux droits des femmes

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je remercie Victoire Jasmin de m'avoir remplacée. Nous poursuivons la table ronde avec la déclaration des représentants de l'UDCSF.

Mme Rafza Youssouf Ali, présidente de l'UDCSF. - Notre association intervient dans tous les domaines : santé, éducation, environnement, habitat et loisirs. Nous intervenons auprès de toutes les familles, sans distinction de situation, depuis la mobilisation de 2015. Nous voulons faire face aux défis éducatifs et à l'insécurité qui touchent les établissements scolaires et leur environnement. Nous luttons contre les classes surchargées, les rotations d'effectifs, le rythme scolaire, le manque de personnel, l'absence de réfectoire et l'inadaptation des collations aux besoins nutritionnels. Malgré des avancées, les défis restent entiers.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - La connexion est malheureusement très mauvaise. Nous allons donner la parole à la directrice territoriale des Ceméa de Mayotte en attendant que les problèmes soient résolus.

Mme Zaïnaba Ahmed Haroussi, directrice territoriale des Ceméa. - Les Ceméa sont une association « loi 1901 » d'éducation populaire, créée le 8 mars 1992. Nous sommes présents dans tous les départements français. Nous proposons notamment des formations volontaires comme le Brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa), le Brevet d'aptitude aux fonctions de directeur (BAFD), mais aussi professionnelles comme le Certificat de qualification professionnelle (CQP), le Brevet professionnel de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (BPJEPS) et bientôt le Diplôme d'État de la jeunesse, de l'éducation populaire et du sport (DEJEPS). Nous menons plusieurs actions envers la jeunesse et la population de Mayotte telles que le point « accueil écoute jeunes ». Nous accompagnons les Jeunes ambassadeurs des droits auprès de l'enfant (Jade) afin de sensibiliser les plus jeunes. Nous organisons également des festivals de jeux. Depuis 2008, nous travaillons autour de la parentalité, question majeure nécessitant une animation à destination des adultes. Tout adulte souhaitant participer à des ateliers sur la parentalité nous trouvera présents sur le territoire mahorais.

Mme Rafza Youssouf Ali. - L'UDCSF intervient notamment dans les établissements scolaires. Nous faisons face à une croissance exponentielle de la population, à la rupture du mode de vie mahorais et à une insécurité quotidienne. Nous impulsons dans ce cadre des actions dans les domaines de l'éducation, du logement, de la consommation, de la santé, de l'environnement, etc. Nous disposons, en outre, d'une convention signée par le rectorat de Mayotte et sommes en relation avec la préfecture et la CSSM, via l'Udaf qui nous y représente. Nous menons également des actions sur la parentalité avec certaines communes.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - La parole est à l'association Espoir et réussite.

M. Tony Mohamed, président de l'association Espoir et réussite. - J'évoquerai la notion de parentalité, puis notre directeur M. Amely Dan vous présentera l'association.

La parentalité à Mayotte s'articule autour de trois facteurs : les limites du relationnel dans la parentalité, les rapports entre les adultes et les enfants et les évolutions de la parentalité.

Auparavant, l'enfant mahorais était éduqué dans un espace très large : il était l'enfant de tous. Certaines particularités de dénomination des membres de la famille éclairent les relations familiales à Mayotte. Par exemple, le concept de cousinage n'existe pas : le cousin a le même nom que le frère ou la soeur. Les oncles et tantes, ainsi que leurs époux respectifs, disposent d'un titre particulier. L'oncle maternel joue un rôle éducatif primordial : il peut être un ami, un confident, un modèle masculin et un exemple. De plus, il représente la mère de l'enfant lors des grandes occasions : circoncision des garçons, puberté pour les filles, mariage, divorce, etc.

Concernant les relations familiales, le fils aîné était envoyé chez les grands-parents. Ainsi, il bénéficiait du même modèle éducatif que ses parents ; il devenait responsable très tôt et donnait l'exemple à ses frères et soeurs en jouant le rôle du « grand frère ». L'aide à la parentalité était permanente et continue entre les parents et les grands-parents.

En outre, l'évolution démographique et migratoire de Mayotte a fortement affecté la parentalité. L'immigration fait souvent l'objet d'interrogations dans le champ politico-médiatique. Les femmes de 15 à 34 ans, c'est-à-dire en âge de procréer, représentent plus de 34 % des immigrés de Mayotte. Ces femmes sont souvent enceintes ou élèvent un enfant en bas âge. Elles laissent leur famille derrière elles. Devenues mères isolées, elles vivent dans des conditions indignes.

Par ailleurs, le Mahorais adopte aujourd'hui le modèle européen : il perd ses valeurs historiques et devient individualiste. L'espace familial se réduit fortement, passant d'un village entier à deux parents, voire à un seul. Depuis les années 1990-2000, Mayotte est frappée par un phénomène important d'acculturation.

En outre, être parent à Mayotte s'avère bien plus difficile qu'en métropole. Le parent mahorais subit les conséquences du manque de développement du territoire dans de nombreux domaines :

- au niveau économique, Mayotte compte 30 % de chômage, et jusqu'à 70 % chez les femmes ; 70 % des demandeurs d'emploi sont dépourvus de diplôme ; 10 000 enfants naissent chaque année, soit vingt à trente par jour, ce qui représente le taux de fécondité le plus élevé d'Europe. Le taux d'illettrisme atteint 58 % de la population. De plus, 68 % de la population a moins de 26 ans et 58 % est étrangère ;

- au niveau social, plusieurs prestations n'existent pas à Mayotte et le RSA est fixé à 50 % du taux métropolitain ;

- au niveau sanitaire, le manque d'hôpitaux et d'investissements fait de Mayotte le plus grand désert médical d'Europe ;

- au niveau éducatif, l'île manque d'établissements scolaires et d'enseignants. Ses collèges et lycées sont les plus occupés d'Europe. À Mamoudzou, 5 000 enfants attendent encore d'être scolarisés ;

- au niveau des infrastructures, les routes et l'éclairage public sont insuffisants ; les transports en commun sont inexistants. Il existe des problèmes d'eau et d'assainissement. Les services essentiels ne sont pas assurés ;

- au niveau de l'insécurité, le cadre de vie ne permet pas aux Mahorais de s'épanouir.

Nonobstant ce contexte, les parents n'hésitent pas à suivre des formations. Une centaine d'entre eux s'adresse chaque année à notre association pour s'inscrire à nos écoles de parents. Ce dispositif leur permet d'apprendre les savoirs de base : lire, écrire et compter. Il contribue également à la réussite éducative de leurs enfants. Les parents participent à un parcours de six mois à raison de deux heures par jour, du lundi au vendredi.

Mayotte subit ainsi une forte acculturation nourrie par l'importation du modèle européen et par l'immigration qui nous fait perdre nos valeurs historiques basées sur l'entraide familiale. Il est plus qu'urgent de donner au département les moyens de se développer rapidement afin de régler les problèmes les plus urgents - eau, électricité, routes - qui dégradent chaque jour le moral des parents mahorais.

Enfin, nous considérons qu'entre prévention et répression, la notion d'accompagnement doit être développée. Nos politiques publiques devraient mettre en contact les acteurs de la prévention et ceux de la répression. L'accompagnement doit tenir compte des potentialités et des faiblesses de la parentalité telle qu'elle se conçoit localement. Je vous remercie.

M. Idam Ahmed, directeur général de l'association Espoir et réussite. - L'association Espoir et réussite oeuvre depuis 2014 au développement social de M'tsapéré, un village de Mamoudzou. Notre action se base sur la concertation des politiques publiques, la sensibilisation des habitants et la création de méthodes de coopération. Parmi elles figure la création d'équipements de la vie sociale et de centres sociaux afin de mener une reconquête culturelle, pas seulement foncière ou juridique. Nous aidons nos bénéficiaires à prendre en main leur environnement et leur cadre de vie, en luttant notamment contre l'illettrisme, afin qu'ils puissent s'intégrer.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous remercie de la précision des éléments apportés. Je suis entourée des rapporteures Victoire Jasmin et Elsa Schalck à qui je donne la parole. Je salue également les collègues ici présents et notamment Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte.

Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - À mon tour de vous remercier pour ces propos introductifs nous permettant de plonger directement dans la réalité de Mayotte. Cette table ronde spécifique à Mayotte est un élément essentiel des missions que nous menons sur la parentalité en outre-mer.

Vous avez évoqué la création d'une école de parents ; les Ceméa ont également mené des Assises de la Parentalité en mai 2022. Quels besoins avez-vous identifiés lors de la mise en place de ces outils ? Comment les politiques publiques peuvent-elles soutenir, renforcer et encourager les parents ? Faut-il les augmenter ou mettre en place une éducation structurée à la parentalité ? Si oui, selon quelles modalités ?

Nous avons également pris connaissance de l'article de Mediapart sur la hausse alarmante de la délinquance juvénile. Est-elle liée aux failles de la parentalité ? Au regard de votre expérience et des témoignages qui vous sont livrés, quelles solutions préconisez-vous ?

Mme Ambouharia Abdou, administratrice de l'Udaf. - À Mayotte, les parents jonglent entre le système éducatif traditionnel basé sur les coutumes religieuses et locales et le système métropolitain basé sur la laïcité. Cette évolution d'un système à l'autre est notamment freinée par le manque d'accès au numérique. Les parents possèdent des smartphones, mais il n'existe aucune éducation au numérique. Les actions telles que l'école des parents ont été quelque peu délaissées. Elles méritent pourtant d'être développées tant le besoin est prégnant.

La maîtrise du français doit également être approfondie chez les adultes comme chez les plus jeunes. Ces derniers ne maîtrisent ni le français, ni les langues locales. Ils prennent pour repère certaines des valeurs occidentales, rarement les meilleures, et s'éduquent via la télévision. Les parents doivent leur expliquer que les valeurs locales sont tout aussi importantes, voire meilleures. Il faudrait aussi valoriser les langues locales.

En outre, les bibliothèques et établissements de loisirs sont trop peu nombreux. L'insécurité les rend difficilement accessibles. Leur développement permettrait l'épanouissement de la coéducation autour d'outils de proximité culturels.

Mme Zaïnaba Ahmed Haroussi. - Par ailleurs, l'alphabétisation contribue indéniablement à l'autonomisation et au développement socio-structurel de l'homme. La maîtrise de l'écriture et de la lecture améliore considérablement les conditions de vie et de travail.

Mme Enrafati Djihadi. - Je souhaiterais rappeler l'importance d'accompagner les parents pour les responsabiliser. Quand le droit est intervenu dans la sphère privée, beaucoup de parents se sont sentis perdus face à ce qu'il est coutume d'appeler « les enfants du juge ». La notion d'autorité parentale a fait des dégâts. Toute structure d'accompagnement de l'enfant ou des parents doit prendre en compte la coparentalité et co-responsabiliser les parents. La coexistence des deux systèmes est primordiale. Les parents qui se rendent aux médiations familiales ne savent plus comment éduquer leurs enfants. Plusieurs structures les pensent démissionnaires, mais la majorité d'entre eux est simplement démunie. Nous leur rappelons que l'enfant n'appartient pas à un juge et qu'ils doivent pouvoir l'accompagner. Les parents doivent comprendre qu'ils détiennent l'autorité parentale tant que celle-ci ne leur a pas été retirée.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Vous avez parlé de l'accès à la culture, mais l'accès général aux services publics semble déficitaire. Connaissez-vous le pourcentage des prestations sociales non demandées ? Celles-ci devraient-elles être alignées sur les prestations métropolitaines ou différenciées pour être adaptées ?

M. Rémy Posteau. - Je voudrais revenir sur les modalités de la parentalité. Les dispositifs métropolitains de soutien à la parentalité n'ont pas tous été déployés à Mayotte. Le taux de couverture des crèches avoisine les 4 %, contre 50 % en métropole. Le complément de libre choix du mode de garde (CMG) dans le cadre d'un emploi direct n'est pas déployé alors que le mode de garde individuel permet de sociabiliser les enfants. Le secteur périscolaire rencontre de vraies difficultés pour les mêmes raisons, empêchant d'organiser les temps d'accueil de loisirs sans hébergement (ALSH). Comme l'école est assurée en rotation, l'enfant est souvent livré à lui-même. De même, beaucoup de prestations de soutien à la parentalité ne sont pas déployées. Seuls un ou deux lieux d'accueils enfants-parents sont ouverts. Les centres sociaux et espaces de vie sociale sont en cours de structuration.

Deuxièmement, nous ne pouvons pas accompagner tous les enfants, l'attribution des aides sociales étant plus sévèrement conditionnée qu'en métropole. L'obtention du RSA, par exemple, nécessite quinze années de résidence consécutives sur le territoire. Ainsi, une partie de la population ne bénéficie pas des prestations.

Concernant la concordance entre les droits métropolitain et mahorais, la moitié de la population touche le RSA et la prime d'activité. Pour une personne isolée sans enfants, le RSA s'élève à 293 euros par mois. Or, en outre-mer, le coût de la vie est plus élevé qu'en métropole. Ces montants posent des difficultés pour pouvoir vivre.

M. Philippe Fery. - Par ailleurs, la CSSM est relativement inopérante face aux enfants isolés. Souvent, ces derniers quittent le système scolaire. Ils n'ont pas forcément d'avenir ici ni de possibilité de quitter le territoire. Soit ces enfants ne doivent pas se trouver à Mayotte, soit s'ils y restent, il faut leur proposer un avenir, sans quoi ils basculent rapidement dans la délinquance.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je laisse la parole à nos collègues Victoire Jasmin, puis Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Je souhaiterais revenir sur le cri d'alarme lancé par Mme Estelle Youssouffa députée de Mayotte, lors du dernier Congrès des maires en novembre 2022. Son propos concernait les enfants en errance qui deviennent de plus en plus violents et la multiplication des attaques de bus et de transports scolaires. Cette hausse alarmante de la délinquance juvénile a-t-elle un lien avec les failles de l'accompagnement à la parentalité ? Avez-vous des préconisations à faire en ce sens ?

Ma deuxième question porte sur la structure familiale. Les enfants en errance n'ont pas forcément de parents à Mayotte mais, pour ceux qui en ont, constatez-vous un lien entre délinquance et éducation ? Par ailleurs, qu'en est-il des familles monoparentales ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je souhaiterais saluer nos invités. Je n'ai pas forcément de questions car je connais la situation de Mayotte. J'insisterai plutôt sur l'importance de ce moment pour nos invités : deux délégations du Sénat se réunissent aujourd'hui. C'est l'occasion de transmettre votre connaissance des particularités de Mayotte, telle que la difficulté de basculer d'une parentalité traditionnelle fonctionnelle à une parentalité occidentale importée. Les systèmes de solidarité institutionnels importés de métropole diffèrent des traditions sociales mahoraises. À ceci s'ajoute un poids démographique et migratoire important.

Ce moment est trop limité pour faire le tour de la question. Cependant, il est important que vous répondiez précisément au questionnaire qui vous a été envoyé afin que le rapport du Sénat se traduise par des préconisations spécifiques. En effet, la situation de Mayotte n'est pas celle des autres territoires d'outre-mer.

Je voudrais tout de même poser une question sur un point que mes collègues n'oseront peut-être pas aborder. Ceux qui s'opposent à l'augmentation des prestations sociales à Mayotte considèrent généralement qu'une telle mesure créerait un appel d'air migratoire. Que pensez-vous de cette réflexion ?

Mme Ambouharia Abdou. - L'insécurité est très prégnante. Pas une journée ne se déroule sans attaque. Un professeur a reçu un jet de pierre au lycée de Dzoumogné et des attaques ont eu lieu à Kahani et à Tsoundzou, soit au nord de Mayotte, au centre et dans la capitale. L'insécurité est aussi liée à la faiblesse du réseau routier : faute de trajet alternatif, il est impossible d'échapper aux attaques commises à toute heure de la journée. Les personnes physiques sont également visées, pas seulement les bus. Ces attaques impactent toute la population, notamment ceux qui vont travailler à Mamoudzou, qu'ils habitent au sud ou au nord de l'île.

Pour ma part, j'estime que nous devrions en effet aligner les prestations sociales. Les acteurs du territoire en font régulièrement la demande. Nous sommes confrontés à une méconnaissance de nos réalités. Les autorités prennent seulement en compte la situation dans les grandes villes, oubliant les territoires reculés. L'article de Mediapart, par exemple, concerne essentiellement les zones urbaines. Les politiques publiques devraient tenir compte de l'ensemble du département, sans quoi une grande partie de la population se sent délaissée par des discours qui ne semblent focalisés que sur l'immigration.

Mme Enrafati Djihadi. - Les attaques sont en effet aujourd'hui quotidiennes. Comme acteurs économiques et comme familles, nous subissons tous la délinquance juvénile.

Il est très difficile de recruter puisque les médias ne montrent de Mayotte que son insécurité. Les candidats résidant hors de l'île craignent de s'y rendre.

Comme toute l'activité est concentrée à Mamoudzou, nous nous levons chaque matin à 4h30 pour aller travailler alors que nos enfants dorment. Nous sommes responsables de leur éducation, or il nous faut deux heures pour parcourir trente kilomètres. De plus, à chaque passage, nous craignons pour notre vie. Chaque carrefour peut donner lieu à un barrage ou à un caillassage. Nos biens sont détruits. La délinquance vise à déstabiliser le territoire.

Une fois arrivés au travail, nous nous inquiétons pour nos enfants car les établissements scolaires sont caillassés. On assassine nos enfants dans les lieux mêmes de l'éducation républicaine. Voilà la réalité. Jusqu'à quand les parents mahorais devront-ils la subir cela ?

Nous voyons à l'oeuvre des actes radicaux. Les pouvoirs publics sont impuissants. Face aux barrages, les militaires ne font rien, car les attaquants sont cagoulés, ils repoussent juste les « jeunes ». En un an, les trois structures de l'Udaf ont été cambriolées. Nos véhicules ont été vandalisés, nos ordinateurs volés. Sur les photos que nous avons transmises à la police apparaissaient des « jeunes » cagoulés. Les responsables ne seront jamais retrouvés.

Il faudrait décentraliser la vie économique pour pouvoir rapprocher notre lieu de travail de notre lieu de vie. De plus, lorsque des actes de vandalisme surviennent, la continuité de l'activité doit pouvoir être assurée.

Concernant l'alignement des prestations, Mayotte est le territoire le plus pauvre de France. Nous avons les mêmes besoins qu'à Paris mais nous accusons plus de cinquante ans de retard. Le code de la sécurité sociale ne s'applique pas encore à Mayotte. Nous ne pouvons pas accompagner certaines familles. Certaines personnes vivant ici depuis plus de trente ans n'ont jamais régularisé leur situation administrative, car cette culture-là n'existait pas auparavant. Malheureusement, ils n'ont pas le droit aux prestations, car ils ne peuvent justifier des quinze ans de présence continue requis.

Par ailleurs, un alignement des prestations sociales ne provoquerait pas d'appel d'air. Nous savons tous qu'il existe des conditions d'éligibilité. Les personnes en situation de handicap ou dans la très grande précarité ont besoin d'être soutenues. Elles n'auront pas le même type d'aide qu'une famille vivant au RSA avec des enfants en bas âge. L'alignement des prestations aiderait beaucoup de familles.

De plus, certaines familles mahoraises n'ont pas le droit au RSA parce qu'elles sont mariées selon le droit local et non le droit commun. Par exemple, le conjoint vit avec une très faible retraite mais ne contribue pas aux charges de sa famille. Cette difficulté affecte le bien-être des familles mahoraises.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour la clarté de votre réponse. Je poursuis avec une série de questions plus générales. L'organisation entre les associations et les services de l'État est-elle fluide ? Les associations bénéficient-elles de moyens financiers et humains suffisants et pérennes pour mener à bien leurs missions ? Par ailleurs, les prestations de la CSSM devraient-elles être alignées sur la métropole ou différenciées ? Vous avez en effet précisé que la vie à Mayotte est spécifique, que ce soit le coût de la vie ou les difficultés pour bénéficier de services publics qui n'existent qu'en métropole.

M. Rémy Posteau. - Les prestations de service au plan national ne sont pas déployées à Mayotte, empêchant la structuration et la pérennisation des financements. En effet, l'organisation repose sur des appels à projets permanents.

M. Philippe Fery. - Les moyens de la sécurité sociale sont calculés sur la base de la population résidant régulièrement sur le territoire. Nos échanges, qui valent pour les territoires ultramarins soumis à une forte immigration, montrent que l'absence d'alignement des prestations constitue un handicap majeur.

Cependant, nous sommes également, avec la Guyane, dans un territoire en rattrapage. Alors que, dans les années 1950, la métropole laissait à la sécurité sociale une marge d'intervention, elle nous oblige désormais à appliquer les modes d'intervention métropolitains, que ce soit en matière de santé, d'action sociale ou de financement de la sécurité sociale. Or, nous avons besoin de moyens adaptés, car tout ne fonctionne pas ici comme en métropole.

Nos conventions d'objectifs et de gestion votées par le Parlement sont calquées sur les règles et moyens appliqués à l'Hexagone. Or à Mayotte, toute la population locale ne parle pas français. Il est plus difficile de faire comprendre à ces personnes nos traditions administratives, alors même qu'elles ont grandement besoin de la sécurité sociale.

Nous parlions des centres sociaux : leur développement à Mayotte nécessite plus de moyens qu'à Lille où ils existent depuis trente ou quarante ans. Les organismes d'outre-mer doivent donc répondre à des objectifs de convergence de droits, à des objectifs de rattrapage mais aussi à certains défis hors-norme.

Mme Moissoukari Madi, responsable du secteur action sociale de la CSSM. - Je voudrais revenir sur l'évolution de la structure familiale à Mayotte. L'émergence des familles monoparentales fait peser la responsabilité familiale sur la femme mahoraise. Certaines familles sont composées de personnes âgées et de jeunes femmes. Ce décalage d'âge rend difficile l'éducation des enfants et des adolescents.

Vous avez également parlé de coordination. La CSSM repose sur un document-socle : le schéma départemental de service aux familles. Nous devons travailler avec différents acteurs, dont l'État, les collectivités territoriales et les communes. Les structures associatives ont toutes leur place pour faire remonter les difficultés territoriales ayant trait aux différents axes du schéma départemental, dont la parentalité. L'enjeu majeur réside dans la coordination des acteurs sous l'égide de l'État. La CSSM joue un rôle central.

Je confirme les difficultés de moyens. Il faut distinguer les moyens financiers des ressources humaines. Aujourd'hui, la CSSM contribue à plus de 60 % des besoins d'action sociale du territoire, cependant les communes et les départements rencontrent des difficultés de cofinancement. Les collègues pourront le confirmer : malgré les moyens de la CSSM, certaines actions ne peuvent être réalisées faute de cofinancement.

Il faudrait également traiter la question de la professionnalisation, puisqu'aujourd'hui, un important turnover empêche nos structures de pérenniser l'accompagnement des familles.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous remercie pour ces réponses. Je donne la parole à l'association Espoir et réussite.

M. Idam Ahmed, directeur général de l'association Espoir et réussite. - Je souhaiterais évoquer l'évolution de la structure parentale, l'état des prestations sociales et les moyens alloués aux associations.

La famille mahoraise repose sur la matrilocalité : le foyer conjugal est placé sous l'autorité de la mère. Ce matriarcat de fait peut étonner. En effet, la majorité de la population mahoraise est musulmane, or l'islam est une religion patriarcale. Néanmoins, dans l'économie familiale mahoraise, la femme élève les enfants seule. L'absence du père « passif » n'a jamais posé de problème dans notre société. En effet, la mère était soutenue à la fois par sa famille, du fait de la matrilocalité, et par les institutions communautaires comme les écoles coraniques, qui s'occupaient de l'éducation des enfants. À Mayotte, les grandes décisions sont souvent prises par des femmes, comme en témoigne le mouvement des chatouilleuses visant à rattacher l'île à la France.

Aujourd'hui, un couple sur deux est mixte : l'un des deux conjoints n'est pas né sur le territoire mahorais. Ces couples mixtes doivent trouver des moyens modernes d'éduquer leurs enfants. Or l'équilibre éducatif est souvent très difficile à trouver.

En outre, l'immigration massive de femmes enceintes ou ayant des enfants en bas âge ne permet pas l'existence d'une structure familiale équilibrée. Le père est souvent absent, de même que les soutiens familiaux traditionnels comme les grands-parents. Il en résulte un éclatement familial.

Dans le même temps, la culture occidentale mine la culture locale, qui compensait l'absence du père. Si les pratiques culturelles locales de solidarité éducative avaient été valorisées, je suis convaincu que le choc démographique et culturel aurait pu être encaissé. Aujourd'hui, les politiques publiques métropolitaines prônent, via les associations notamment, un retour à des formes de solidarité déjà présentes dans la culture traditionnelle mahoraise. Il faut donner aux associations locales les moyens d'effectuer leur travail.

Notre association, par exemple, compte sept salariés en CDI et quatre en CDD longue durée. Cependant, nous ne disposons d'aucune convention pluriannuelle signée avec nos partenaires. Malgré le soutien de l'État, de la CSSM et des collectivités locales avec qui nous travaillons depuis plus de sept ans, le fonctionnement à l'année, sans visibilité, nous empêche d'adopter une perspective de développement à moyen terme.

Quant à la question des prestations sociales, nous souhaiterions que toutes les prestations soient appliquées sur le territoire. Mayotte a l'avantage de ne posséder qu'un seul organisme multibranche de sécurité sociale. Il serait ainsi possible de créer une prestation sociale unique regroupant toutes les prestations actuelles, afin de faciliter la communication à son propos. Les relais locaux dont nous disposons pourraient ensuite accompagner sa mise en place.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous remercie et je passe la parole à l'UDCFS pour une dernière réponse.

Mme Rafza Youssouf Ali. - Je voudrais montrer comment nous travaillons avec les moyens qui nous sont alloués. Tout d'abord, la question de la sécurité nous préoccupe. Nous travaillons devant les établissements scolaires. Nous avons donc mis en place le projet Habitat en action qui vise à identifier les fauteurs de trouble et effectuer des actions de prévention à la parentalité. Nous travaillons en partenariat avec les services de l'État et certaines communes. Notre action couvre notamment les cités du nord, mais aussi Kahani, Tsingoni et Sada.

Nous avons reçu quelques contrats de la préfecture. Cependant, certaines communes ne nous accompagnent pas encore. Notre fonctionnement dépend avant tout des appels à projets. Or, après chaque candidature, il nous faut attendre trois à quatre mois pour obtenir une réponse qui ne sera pas forcément positive. Nous avons besoin de ratifier de véritables conventions, qui s'étendraient sur deux ou trois ans, car aujourd'hui, nous « bricolons » nos actions.

Par ailleurs, l'insécurité est l'affaire de tous. Toutes les associations s'impliquent pour régler ce problème. Merci de nous avoir associés à cette audition, Monsieur le Sénateur de Mayotte. Nous demandons justement à être accompagnés. Nous sommes confrontés tous les jours à de nouveaux arrivants sur le territoire. Je ne blâme personne, c'est ainsi : Mayotte est la seule île française située à côté des Comores. Cependant, face à cette situation, la France doit aider les associations qui effectuent un travail très difficile.

Je vous donne l'exemple d'un quartier à l'entrée de la commune de Mamoudzou, où tous les jours ont lieu des violences et des caillassages de bus. Nous avons demandé à ceux qui caillassaient leurs motivations et nous avons constaté qu'ils menaient ces actions par jalousie : ils détruisaient les biens des personnes parce qu'ils auraient voulu être à leur place. Nous avons engagé, depuis 2021, des actions de prévention qui ont mis fin aux caillassages. Or nous n'avons pas été assez accompagnés.

Nous aimerions, je le répète, être accompagnés par les services de l'État, par les communes, par les élus également, pour que nous puissions avancer ensemble. Un système de coopération régionale de justice pourrait être mis en place. En effet, notre infrastructure unique ne permet pas d'accueillir tout le monde.

En réalité, nous ne dormons pas. En tant que responsables associatifs, nous sommes affectés psychologiquement par la situation. Vous avez parlé des trajets ; je parle de l'absence de vie familiale. Nous sommes des éléments ciblés, car nous sommes les premiers à affronter les situations de délinquance. Nous devons chercher des moyens financiers et gérer des conflits en permanence, au détriment de nos propres vies.

Compte tenu du nombre de naissances et des flux d'immigration massifs, je demande, au nom de l'UDCFS, de trouver des solutions d'urgence, pour améliorer la situation à court, moyen et long terme. Si le système est maintenu en l'état, il deviendra ingérable et produira des conséquences irréversibles.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup de nous avoir fait comprendre la situation de Mayotte. Vous avez tous reçu lors de votre invitation un questionnaire auquel nous vous invitons à répondre, afin de compléter vos interventions de ce matin. Ces réponses seront ajoutées à vos réflexions et utilisées.

J'estime que notre table ronde était importante et vos témoignages extrêmement intéressants. Je remercie les rapporteures pour leur présence et Victoire Jasmin d'avoir assumé la présidence avant mon arrivée. Je remercie le sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi pour sa présence. Je vous encourage, Mesdames et Messieurs, à lui faire part de vos expériences de terrain de la même manière qu'aux deux délégations.

Nous avons compris l'urgence qui est la vôtre : certains témoignages sont des cris d'alarme. Vos réponses sont importantes, car elles éclairent certains éléments qui, sans bien connaître le territoire, peuvent être pris pour argent comptant, comme la théorie de l'appel d'air. Sur ce sujet, vos réponses étaient très claires. Je vous remercie également au nom du président de la délégation aux outre-mer Stéphane Artano, qui rejoint actuellement Saint-Pierre-et-Miquelon et prendra bien entendu connaissance de cette table ronde.

Table ronde sur la situation dans les collectivités du Pacifique

(4 avril 2023)

Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale
aux outre-mer

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. -  Chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer, menés en commun par deux délégations, la délégation aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano, et la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider.

Outre les présidents des deux délégations, sont également rapporteures sur cette thématique nos collègues Victoire Jasmin et Elsa Schalck.

Si certains constats sont communs aux différents territoires d'outre-mer, chacun présente évidemment ses particularités. C'est pourquoi nous organisons des tables rondes régionales, consacrées à chaque bassin de territoire.

Nous nous intéressons ce matin aux collectivités du Pacifique : Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna.

Nous entendons, par visioconférence :

- M. Munipoese Muli'aka'aka, président de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna ;

- Mme Kialiki Lagikula, présidente de la commission « Condition féminine » de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna ;

- Mme Isabelle Leblic, docteure en anthropologie sociale et culturelle, directrice de recherche au CNRS ;

- Mme Stéphanie Geneix-Rabault, maîtresse de conférences à l'Université de la Nouvelle-Calédonie ;

- M. Loïs Bastide, maître de conférences en sociologie à l'Université de la Polynésie française, chercheur associé à la Maison des sciences de l'Homme du Pacifique ;

- et Mme Rodica Ailincai, professeure des universités, enseignante chercheuse à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de Polynésie française, directrice du Laboratoire EASTCO Sociétés Traditionnelles et Contemporaines en Océanie.

Bienvenue à vous et merci pour votre disponibilité en dépit des décalages horaires.

L'objectif de cette table ronde est double :

- premièrement, examiner ce que recouvre la notion de famille dans les îles du Pacifique, les évolutions des structures familiales, les rôles des mères, pères, grands-parents et autres membres de la famille, ainsi que la question de la circulation des enfants, fréquente dans les sociétés traditionnelles kanak et polynésienne ;

- deuxièmement, examiner les actions de soutien à la parentalité mises en place par les collectivités de Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna, sachant que ces collectivités d'outre-mer sont autonomes en matière de politiques familiales et sociales. Il est toujours intéressant pour nous de prendre connaissance des initiatives mises en place localement, dans différents territoires, afin d'envisager de les dupliquer ailleurs.

Je laisse sans plus tarder la parole à mon collègue Stéphane Artano, président de la délégation aux outre-mer, qui intervient à distance depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, à un horaire plus que matinal, soit 4 heures du matin !

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Mesdames, Messieurs, chers collègues, je vous salue depuis Saint-Pierre-et-Miquelon où je me trouve actuellement.

Je participerai donc en visioconférence à cette table ronde sur la parentalité dans le Pacifique, je vous prie de m'en excuser.

Comme vous, je me félicite de cette opportunité d'appréhender les notions de famille élargie, d'adoption, de réseau de parents.

Je remercie nos intervenants, qui connaissent particulièrement bien ces réalités de nos trois collectivités du Pacifique, de nous aider à entrer dans les subtilités des réalités sociologiques de territoires qui ont leurs cultures spécifiques et de fortes identités.

Ces sociétés, qu'elles soient polynésiennes ou mélanésiennes, sont aussi impactées par la modernité. Il nous est particulièrement utile, Mesdames et Messieurs, d'avoir vos différents points de vue sur l'évolution des rapports au sein des familles dans des sociétés issues d'autres traditions que celles que nous avons dans l'Hexagone.

Je suis également particulièrement heureux de saluer le président de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, M. Munipoese Muni'aka'aka, que j'ai eu le plaisir d'accueillir au Sénat il y a quelques mois dans le cadre de notre étude sur l'évolution institutionnelle, et que nous avons sollicité sur d'autres sujets comme la continuité territoriale, qui vient de faire l'objet du rapport de nos collègues Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier, lequel bénéficie d'une large couverture presse.

Je ne serai pas plus long pour laisser la parole aux invités et à nos collègues.

Je vous remercie !

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup Monsieur le Président. Je me tourne en premier lieu vers les représentants de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, M. Munipoese Muni'aka'aka et Mme Kialiki Lagikula. Vous nous présenterez les particularités des structures familiales et parentales à Wallis-et-Futuna, l'organisation des politiques familiales, ainsi que les actions en matière de soutien à la parentalité qui existent sur votre territoire ou qui gagneraient à y être développées. Je vous laisse organiser vos prises de parole comme vous le souhaitez.

M. Munipoese Muli'aka'aka, président de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna. - Bonjour à tous.

Je profite de cette prise de parole pour présenter mes salutations les plus respectueuses au président de la délégation aux outre-mer. Par ailleurs, j'adresse mes salutations à la présidente de la délégation aux droits des femmes, Mme Billon, qui se charge de l'animation de cette réunion tenue conjointement en visioconférence et en présentiel.

Pour le territoire de Wallis-et-Futuna, le traitement du sujet relatif à la parentalité a donné lieu à la réalisation d'une analyse spécifique. Nous allons vous présenter cette étude en la déclinant en trois volets. Le premier reviendra sur les particularités des structures familiales et parentales. Le deuxième volet portera sur l'organisation des politiques familiales. Enfin, la troisième partie se focalisera sur les actions d'accueil et de soutien propres au thème de la parentalité.

Ma collègue, Mme Lagikula, n'a pas eu la possibilité de participer à cette présente réunion, car elle a dû s'absenter pour des raisons de santé. Néanmoins, deux élus représentant le territoire de Futuna ont eu la possibilité de prendre part à notre table ronde. La présentation du rapport sera quant à elle effectuée par ma chargée de mission, Mme Olga Gaveau.

Je vous remercie pour votre attention.

Mme Olga Gaveau, chargée de mission à l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna. - Comme je l'ai indiqué à la présidente, je vous transmettrai la version écrite du rapport à l'issue de la présente séance.

Au sein des îles Wallis-et-Futuna, la notion de famille inclut les parents et les enfants, mais également - c'est une particularité - la famille élargie, qui intègre les grands-parents, les conjoints, les oncles et les tantes, ainsi que les « nounous » et l'ensemble des personnes qui contribuent à l'éducation de l'enfant. En réalité, la notion de famille s'apparente davantage à un clan. Les grands-parents sont à la tête de ce clan, ils se chargent de la transmission des savoir-faire, des coutumes et des traditions.

Nous avons aussi la présence de familles monoparentales qui apparaissent à la suite d'un divorce. Enfin, les couples sans enfant sont également à prendre en considération.

Au sein des maisons traditionnelles, les « fale », qui peuvent encore exister localement, toute la famille habite sous le même toit ; une maison peut donc accueillir simultanément jusqu'à quatre générations.

Par ailleurs, il existe des communautés composées de personnes expatriées. Ces populations se fondent principalement sur le modèle métropolitain.

Comme indiqué précédemment, la deuxième partie de ma présentation revient sur l'organisation des politiques familiales.

Il est à noter que sur le territoire de Wallis-et-Futuna, les parents sont davantage conservateurs et traditionalistes.

Dans le même temps, les grands-parents jouent un rôle important, car ils contribuent activement à l'éducation de l'enfant, à la transmission des savoirs, des valeurs - notamment du respect, des priorités de vie, des traditions, de la culture, des travaux à la maison et aux champs - envers les plus jeunes.

Dans ce contexte particulier, les enfants affichent un niveau plus ou moins élevé de proximité avec le noyau familial. Les interactions entre les membres de la famille sont quasi-quotidiennes. Puis par moment, certains oncles et tantes prennent le relais sur les parents biologiques.

L'autorité parentale recouvre l'ensemble des droits et devoirs des parents à l'égard de l'enfant mineur qu'ils doivent élever. En réalité, la notion de protection - physique comme morale - de l'enfant n'est apparue que très récemment. À Wallis-et-Futuna, chaque parent, accompagné des grands-parents, oeuvre pour la transmission d'informations sur le droit coutumier, sur la tradition et sur la culture. Dans cette tâche, les parents bénéficient de l'appui des grands-parents. Par ailleurs, ils transmettent les informations à l'enfant en tenant compte de son âge et de son genre.

L'organisation politique de Wallis-et-Futuna a pour particularité la présence d'une chefferie, qui joue un rôle important dans l'éducation des enfants.

Le troisième volet du rapport se concentre sur les actions de soutien à la parentalité. Plusieurs services territoriaux agissent aujourd'hui pour les enfants et les jeunes vivant à Wallis-et-Futuna : le pôle social du SITAS (Service de l'inspection du travail et des affaires sociales), l'Agence de santé, qui travaille quotidiennement dans le domaine de la prévention, une semi PMI gérée par le pôle de sages-femmes. Le vice-rectorat suit pour sa part les établissements scolaires grâce à un réseau d'infirmières et de référentes. Il existe aussi de nombreuses associations de parents d'élèves.

En outre, la déléguée aux droits des femmes intervient au sein du pôle social et gère des dossiers qui concernent des enfants victimes de violences diverses. Le rôle joué par la Fédération du handicap, par les associations sportives, par l'Assemblée territoriale, par le tribunal et par la Gendarmerie est aussi à prendre en considération.

L'Église dispose également d'un rôle prépondérant sur le territoire de Wallis-et-Futuna. Les actions et les messages passés lors des messes contribuent à la création d'un référent commun qui rassemble les jeunes.

Il devient aujourd'hui nécessaire de créer un soutien et une éducation à la parentalité sur Wallis-et-Futuna. Il est impératif d'y inclure toutes les catégories sociales et de s'adapter à l'intégralité des niveaux de compréhension. Par ailleurs, un outil d'accompagnement doit être mis en place, aussi bien pour les jeunes parents que pour les parents les plus âgés et pour l'intégralité des enfants.

Il existe actuellement un déficit de communication imputable à la censure inhérente au système familial et social. Les conflits restent réguliers au sein des familles et les violences intrafamiliales comme extrafamiliales sont fréquentes. En parallèle, les situations de mal-être liées à l'adolescence tendent à augmenter.

Des formations portant sur l'utilisation des outils numériques et des réseaux sociaux sont indispensables sur notre territoire, auprès des parents, des grands-parents et pour la chefferie qui se charge du suivi des enfants.

Notre Chefferie accorde une attention particulière à la coutume.

Plusieurs actions restent à développer. Nous devons notamment déployer une approche globale pour informer l'ensemble de la population et cibler des lieux d'échange par site, par district et par village. Nous devons également oeuvrer pour la création de postes de médiateurs sociaux de proximité dont certains seraient issus de la chefferie.

Les élus de l'Assemblée territoriale prévoient d'engager des actions concrètes de soutien en faveur de la prévention des conflits dans les familles.

De plus, une forte restructuration, avec une augmentation des personnels qualifiés et des salariés, est à entamer au niveau du pôle social du SITAS et du pôle Petite enfance de l'Agence de santé - avec la création d'une PMI quotidienne et d'une maison de la petite enfance - et au sein du pôle Prévention.

Les services et les associations partenaires doivent améliorer leur niveau de coordination, mieux communiquer et mettre en place un schéma de structuration des interventions communes.

Une réflexion globale à 360° doit être initiée. Cette étude devra donner lieu à l'instauration d'un plan d'action général tenant compte des lacunes du territoire et des problèmes imputables à l'absence de structures. La mise en place d'une politique sociale adaptée aux spécificités du territoire de Wallis-et-Futuna doit être étudiée.

De manière globale, la réalité récente montre que les îles Wallis-et-Futuna ont connu des évolutions technologiques considérables. Pour autant, le rôle joué par les parents dans l'éducation de l'enfant demeure important car les adultes qui vivent encore dans le foyer familial restent considérés comme des enfants.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous remercie. Je donne la parole à Mme Isabelle Leblic, directrice de recherche au CNRS, pour une présentation des particularités de la parentalité en Nouvelle-Calédonie et un éclairage sur le sujet de la circulation des enfants dans les sociétés kanak et polynésienne. Vous nous direz également quelles conséquences vous en tirez quant aux besoins en matière de soutien à la parentalité et à la nécessaire adaptation des politiques familiales.

Mme Isabelle Leblic, docteure en anthropologie sociale et culturelle, directrice de recherche au CNRS. - Bonjour. Je tiens à préciser que mes travaux remontent déjà à quelques années. Je ne bénéficie pas d'une vision sur la situation actuelle de la Nouvelle-Calédonie, car je n'ai pas pu poursuivre mes recherches. L'arrêt de mes analyses résulte principalement de problématiques imputables à un manque de ressources disponibles sur le terrain.

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française disposent de structures familiales semblables à celles de Wallis-et-Futuna : des parentés élargies et pas simplement une famille nucléaire comme en métropole. Ce modèle reste encore largement répandu en Nouvelle-Calédonie, bien qu'il faille distinguer le Grand Nouméa de l'intérieur et des îles, avec des contextes différents tant au niveau de l'urbanisation que des modes de vie, qui influent grandement sur les modèles parentaux.

Comme dit précédemment, les familles incluent les parents mais aussi les frères des pères, les soeurs des mères, voire dans certaines régions tous les oncles et tantes des côtés maternels et paternels. Ces personnes interviennent de façon traditionnelle dans l'éducation des enfants, dans la transmission orale des savoirs et dans les soins des enfants. Toutefois, leur niveau d'influence tend à diminuer depuis l'émergence des nouvelles technologies. De ce fait, les enfants passent moins de temps avec leurs grands-parents.

Malgré l'arrivée de ces nouvelles technologies, la vie des familles demeure rythmée par certaines cérémonies. Ces dernières vont de la naissance au deuil. Il s'agit de temps de rencontre qui rappellent l'existence de liens particuliers entre les individus, les groupes, les familles et les clans.

Il est également important de différencier les familles qui dépendent du statut coutumier de celles qui dépendent du droit commun. Le statut coutumier concerne uniquement les populations kanak. Le statut de droit commun s'adresse quant à lui aux populations arrivées en Nouvelle-Calédonie par le biais de la colonisation.

Tous les parents présents dans les familles kanak ont un rôle important. Pour autant, les possibilités de prise en charge peuvent être multiples.

En ville, l'éducation repose surtout sur une parentalité restreinte et les parents confient généralement la surveillance des enfants à des garderies et à des « nounous »...

Dans les tribus, l'habitat est familial et les maisons sont proches les unes des autres. Ainsi, les enfants côtoient régulièrement les tantes, les oncles et les grands-parents.

Par ailleurs, comme dans de nombreuses sociétés océaniennes, les sociétés kanak et polynésienne connaissent une circulation traditionnelle des enfants, dans la parenté proche ou dans une parenté élargie par alliance.

Ces opérations de circulation ont de multiples raisons. Le processus d'adoption ne vient pas seulement pallier un manque de descendance. Cette pratique peut en effet être liée à d'autres éléments.

Actuellement, les circulations d'enfants demeurent importantes en Nouvelle-Calédonie. Lors de mon étude, j'ai constaté qu'un quart des enfants recensés dans les généalogies avait fait l'objet d'un transfert d'enfant. Il s'agit donc d'une proportion importante.

Les adoptions ont généralement lieu par le biais du droit coutumier. De ce fait, les transferts de parenté ne nécessitent pas de jugements spécifiques. Je tiens à préciser que le secret adoptif n'existe pas dans la plupart des régions de Nouvelle-Calédonie. Les enfants circulent dans leur famille de naissance et dans leur famille adoptive de façon conjointe. Par ailleurs, les parties prenantes s'appuient sur le principe de cumul de filiations.

Durant mes travaux, j'ai uniquement travaillé avec des adultes ayant été adoptés durant leur enfance. Je n'ai pas pu m'entretenir avec des enfants adoptés, car ce procédé implique une méthodologie particulière qui n'était pas réalisable. Néanmoins, j'ai tout de même eu la possibilité d'observer des enfants dans leur milieu d'adoption. Ces études ont montré que les enfants naviguent entre leurs différentes familles.

Il existe une différence fondamentale entre les processus d'adoption initiés en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie et les processus engagés en métropole. Il est à noter que de nombreux couples sans enfant issus de l'Hexagone se rendent en Polynésie pour émettre une demande d'adoption. C'est souvent un système d'adoption ouverte prévoyant des retours réguliers de l'enfant adopté sur le territoire polynésien. Il s'agit d'une donnée importante à prendre en considération.

La différence entre le droit commun et le droit coutumier demeure effective en Nouvelle-Calédonie. Lorsque j'avais étudié cette thématique au cours des années 1990, j'ai pu constater que les adoptions engagées en milieu kanak suscitaient régulièrement l'incompréhension des intervenants sociaux. Les acteurs mobilisés avaient notamment tendance à se calquer sur leurs modèles de référence et sur les traumatismes générés par la séparation.

Je vous confirme que les traumatismes imputables à l'adoption peuvent effectivement exister. Toutefois, nous ne pouvons effectuer de généralités. Pour le moment, le secteur social de la Nouvelle-Calédonie reste relativement pauvre, car les autorités se heurtent à un manque d'intervenants issus des différentes communautés locales. Les instances ne parviennent donc pas à intégrer les différences communautaires dans leur système de gestion.

L'importance accordée aux liens familiaux est encore prégnante en Nouvelle-Calédonie. Cependant, je ne peux pas m'exprimer sur le Grand Nouméa, car mes travaux n'ont porté que sur l'intérieur et sur les îles.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. -  Je souhaite mentionner la présence aujourd'hui au Sénat des sénateurs des territoires dont nous traitons ce matin. Nous accueillons notamment le sénateur de Wallis-et-Futuna Mikaele Kulimoetoke et notre collègue de Nouvelle-Calédonie Gérard Poadja. J'imagine que les sénateurs présents réagiront ultérieurement aux interventions des experts.

Je vais maintenant passer la parole à Stéphanie Geneix-Rabault. Cette dernière se charge de la présentation du projet P'tit Campus.

Mme Stéphanie Geneix-Rabault, maîtresse de conférences à l'Université de la Nouvelle-Calédonie. - Bonjour à tous. Merci d'avoir associé l'université de la Nouvelle-Calédonie à ce panel. J'espère que le dispositif que je m'apprête à vous présenter apportera des éclairages complémentaires.

Le projet P'tit Campus a été initié en 2020. L'Université de la Nouvelle-Calédonie se compose actuellement de deux campus, dont un localisé au sud de l'archipel. En 2023, l'établissement compte environ 4 000 étudiants inscrits.

Le projet a émergé en mai 2020 à la suite d'une demande émise par une étudiante enceinte de sept mois. Cette personne faisait alors face à des difficultés sociales notables ; elle envisageait donc d'interrompre son cursus scolaire. Il s'agissait pourtant d'une étudiante brillante qui s'apprêtait à obtenir sa licence.

Au vu des difficultés rencontrées, la personne concernée s'est tournée vers la directrice de l'université pour lui faire part de ses doutes. Un élan de solidarité s'est ensuite créé.

Les responsables chargés de traiter la requête d'accompagnement émise par l'étudiante ont par la suite décidé de déployer un dispositif collectif. L'objectif de ce projet était de répondre aux besoins des étudiants contraints de concilier leur parentalité avec leur cursus scolaire.

Durant la phase d'analyse préalable, les chargés de projet ont observé que neuf fois sur dix, les étudiantes enceintes décident d'abandonner leur enfant du fait de l'absence de solutions. La seule alternative qui se présente à ces personnes consiste à confier l'enfant aux grands-parents. Cependant, ce type de pratique nécessite parfois des déplacements dans les îles et des ruptures de liens familiaux imputables à des difficultés financières.

Comme expliqué précédemment, le dispositif P'tit Campus vient accompagner les étudiants qui se préparent à la parentalité. L'outil s'adresse aussi aux étudiants déjà parents. Les personnes mobilisées aident également les bénéficiaires à concilier la poursuite d'études avec leur parentalité.

Le dispositif P'tit Campus s'est constitué grâce à des partenariats. L'université a notamment signé des partenariats avec des collectivités de Nouvelle-Calédonie, telles que la Province Sud. Dans le même temps, des associations comme Kwanis ont pris part au projet.

En parallèle, la Fondation de l'Université de Nouvelle-Calédonie a contribué au plan P'tit Campus en s'appuyant sur du mécénat. Grâce aux mécènes, la Fondation a pu engager des actions innovantes. De plus, la mission « Égalité » lancée au sein de l'établissement a joué un rôle majeur lors de la précédente mandature ainsi que l'actuelle.

Les différents partenariats évoqués plus tôt ont donc permis de déployer l'outil P'tit Campus. L'inauguration de la nouvelle salle de parentalité a ensuite eu lieu en avril 2022.

Je précise que la salle de parentalité a été montée avec le soutien de la Maison de l'étudiant. Il s'agit d'une instance équivalente au Crous.

La pièce de parentalité mise en place dans le cadre du projet P'tit Campus est accessible du lundi au samedi. L'espace se compose d'accessoires qui permettent aux utilisateurs de concilier travail, études et parentalité. Les étudiantes présentes dans la salle ont également la possibilité d'allaiter, de tirer leur lait et de le conserver dans un réfrigérateur.

La salle de parentalité comprend aussi d'autres équipements tels que des transats, des tables à langer, des tapis, un ordinateur, une table d'étude et un accès au Wi-Fi. Les étudiants qui se rendent dans cet espace peuvent ainsi rester avec leur enfant tout en étudiant.

Par ailleurs, nous proposons des prêts de trousseaux de linges aux jeunes parents. Cette pratique s'inscrit dans le cadre d'une démarche éco-citoyenne. À l'issue de leur utilisation, les accessoires sont nettoyés et remis à d'autres jeunes parents. Les trousseaux attribués évoluent en fonction de l'âge de l'enfant.

Lors des deux premières années d'existence du P'tit Campus, une dizaine d'étudiantes ont pu bénéficier du dispositif. Depuis la dernière rentrée universitaire, deux étudiantes occupent la salle de parentalité de façon régulière. Elles peuvent ainsi revenir sur le campus tout en passant du temps avec leur enfant et en continuant leurs travaux.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup.

Nous nous intéressons maintenant à la Polynésie française. Je laisse la parole à M. Loïs Bastide, sociologue, pour une présentation des spécificités familiales et parentales dans ce territoire.

M. Loïs Bastide, maître de conférences en sociologie à l'Université de la Polynésie française, chercheur associé à la Maison des sciences de l'Homme du Pacifique. - De nombreux éléments évoqués au sujet des structures familiales en Nouvelle-Calédonie se retrouvent en Polynésie française. Je vais donc essayer d'aborder les points non évoqués préalablement.

En Polynésie française, on distingue la grande famille - feti'i - et la famille conjugale. Avec les interventions des églises, la globalisation des productions culturelles et le métissage des familles, les familles sont mises en tension entre différents modèles.

Ces problématiques se retrouvent surtout chez les jeunes générations qui aspirent à se concentrer sur la sphère conjugale.

Dans ce contexte, la famille élargie continue néanmoins à jouer un rôle prépondérant à la fois sur le plan affectif et pour des raisons matérielles. De nombreuses personnes s'appuient sur leur famille élargie pour assurer leur survie économique, sachant que le coût de la vie en Polynésie française est élevé, avec un taux de pauvreté monétaire important.

Au sein de la grande famille, les rapports de solidarité jouent beaucoup. La Polynésie française est un territoire éclaté géographiquement. Il existe un phénomène de forte polarisation autour de Tahiti, pour accéder à des emplois et à des établissements scolaires. De façon globale, les individus ont la quasi-obligation de migrer. Ces mouvements s'effectuent vers Tahiti ou les îles de la Polynésie française. Les migrations au sein du réseau familial sont souvent les seules solutions possibles car moins onéreuses. Les personnes concernées par ce cas de figure développent ainsi un fort niveau de dépendance vis-à-vis du cadre familial.

Même si les prestations sociales existantes visent à permettre aux jeunes de s'émanciper, cette émancipation demeure relativement difficile en Polynésie française.

La suite de mon intervention porte sur la question du transfert d'enfant ou fa'a'mu. Pour ma part, j'ai étudié ce sujet à travers le prisme des violences interfamiliales. Mes recherches indiquent que l'adoption coutumière est un phénomène persistant qui ne diminue pas. Une étude réalisée par l'Institut national d'études démographiques (Ined) en 2022 vient d'ailleurs confirmer ce ressenti de stabilité du phénomène. D'après cette analyse, les pratiques visant à donner un enfant concernent plus de 11 % des femmes de plus de 35 ans. En parallèle, 20 % des femmes de plus 55 ans reçoivent, à leur domicile, des enfants considérés comme étant des fa'a'mu.

Comme indiqué par Mme Leblic, les raisons qui donnent lieu à un transfert d'enfant restent multiples et de nos jours, les motifs sont encore plus hétérogènes qu'auparavant. Par exemple, des difficultés économiques peuvent contraindre des couples à confier leur enfant, y compris hors de la famille élargie.

S'il existe plusieurs formes de fa'a'amu, ces différentes pratiques bénéficient d'une légitimité sociale, elles ne sont pas socialement dévalorisées. C'est une option qui s'offre aux personnes confrontées à des situations de vie qui peuvent être compliquées par ailleurs.

Les anciennes générations n'associent plus les transferts d'enfants actuels à des fa'a'amu, les motifs étant différents des motifs traditionnels.

Les transferts d'enfants restent très importants dans la société polynésienne et il est important de préciser que les procédures de transfert d'enfant se passent généralement très bien.

Néanmoins, notre enquête relative aux violences familiales montre une surreprésentation des enfants fa'a'amu impliqués dans les violences familiales, à la fois comme victimes et comme auteurs. Pour autant, cette distinction peut s'avérer biaisée, car les victimes sont davantage susceptibles de devenir auteurs de violences.

En Polynésie française, la famille continue à accorder une importance considérable aux terres familiales. Contrairement à la Nouvelle-Calédonie, les populations polynésiennes ont eu la possibilité de conserver leurs terres. Les individus peuvent ainsi disposer de terres grâce à leur famille élargie. Ces terres sont détenues de façon collective, en indivision, ce qui est un facteur majeur de conflits. Au moment de l'héritage, la place de l'enfant fa'a'mu est un facteur majeur de tensions dans les fratries.

J'ai eu l'occasion d'échanger avec des enfants fa'a'amu. L'enfant fa'a'amu peut être l'enfant le plus ou le moins chéri de la famille d'accueil. Par ailleurs, la différence entre l'enfant fa'a'amu et l'enfant biologique gagne en importance au moment où la question du partage des biens familiaux devient effective.

En Polynésie française, le droit n'est pas adapté pour gérer les fa'a'amu de façon optimale. Dans ce sens, les acteurs locaux agissent en procédant à du « bricolage ». Il y a un dualisme entre le droit civil français et le droit coutumier, qui demeure opérant.

L'effectivité des normes coutumières mène à une absence de formalisation des transferts d'enfant en droit civil français. Le statut juridique des enfants concernés par un transfert demeure imprécis. Les organismes médicaux et les opérateurs de terrain qui gèrent ces dossiers se retrouvent donc contraints de prendre des risques juridiques majeurs. Ce point a régulièrement été mis en exergue par les personnes interrogées dans le cadre de notre enquête.

L'aménagement du fa'a'amu dépend principalement de la politique pénale du moment. Dans ce sens, un procureur pourrait subitement décider de mettre un terme à la pratique du fa'a'amu. Il s'agit d'une problématique notable en Polynésie française.

Je termine ma prise de parole avec le sujet propre aux aides sociales. Même si les prestations sociales proposées restent modestes en Polynésie française, les aides jouent un rôle critique dans le quotidien des bénéficiaires.

À date, les dépenses sociales par habitant s'élèvent à 1 700 euros en métropole, contre 630 euros en Polynésie française. Les besoins y sont pourtant plus importants. C'est une des raisons qui expliquent la dépendance des individus au cadre familial.

Je ne vais pas m'étendre sur le paysage institutionnel car je ne maîtrise pas suffisamment ce sujet. Je tiens seulement à vous communiquer une donnée intéressante relative aux allocations familiales. Actuellement, les allocations familiales liées au régime des salariés s'établissent mensuellement à 10 000 francs Pacifique par enfant. Ce montant passe à 7 000 francs Pacifique par enfant pour les bénéficiaires du régime social. J'estime qu'il s'agit d'un fait paradoxal : les familles en difficulté perçoivent des prestations inférieures à celles des individus disposant d'un emploi.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci de nous avoir montré les spécificités de la Polynésie française.

Je laisse maintenant la parole à notre dernière intervenante, Mme Rodica Ailincai, sur la question des actions de soutien à la parentalité en Polynésie française.

Mme Rodica Ailincai, professeure des universités, enseignante chercheuse à l'Institut national supérieur du professorat et de l'éducation de Polynésie française, directrice du Laboratoire EASTCO Sociétés Traditionnelles et Contemporaines en Océanie. - Bonjour à tous. Ma présentation se consacre au soutien à la parentalité. Je vais commencer par expliquer l'origine des besoins exprimés par les parents.

En premier lieu, les besoins proviennent de l'évolution de la structure familiale. Par le passé, les familles élargies s'appuyaient sur un fonctionnement homogène. Désormais, le principe d'individualisation gagne en importance. Les familles polynésiennes se retrouvent donc contraintes d'ajuster leur mode de vie. La modification des habitudes quotidiennes donne lieu à l'émergence de nouveaux besoins et à la création d'outils complémentaires d'accompagnement.

Le passage d'une société rurale autosuffisante à une société basée sur une rémunération stable pousse les populations issues des îles éloignées à migrer vers Tahiti. Certains parents s'appuient même sur cet exode pour éviter la rupture familiale. Par exemple, des parents n'hésitent pas à déménager vers Tahiti pour permettre à leur enfant de poursuivre ses études. Parfois, des parents décident également de se tourner vers la scolarisation et l'instruction à domicile.

Les études notent une différence d'implication des parents dans la scolarité des enfants. Le niveau d'implication dépend du milieu social d'appartenance et de la situation économique. Les données relevées par l'Institut des statistiques de la Nouvelle-Calédonie indiquent que 60 % des Polynésiens vivent sous le seuil du bas revenu métropolitain et 36 % sous le seuil de pauvreté, contre 14 % en métropole.

Les mutations sociales et la fragilité économique affichée par les familles mènent aussi à l'émergence d'autres phénomènes préoccupants. Les observateurs ont notamment pu constater une hausse des comportements à risques, de la surconsommation d'alcool, des rapports sexuels non protégés, des ruptures familiales, des défauts de soin, des décrochages scolaires et des violences intrafamiliales. Ces situations nécessitent le déploiement de dispositifs spécifiques d'aide à la parentalité.

Je précise qu'on distingue dans le soutien à la parentalité, les besoins des familles connaissant les difficultés évoquées et ceux des parents dits « ordinaires ».

En Polynésie française, les acteurs locaux accordent une attention particulière aux besoins manifestés par les familles et par les parents en situation de précarité. Par exemple, des travaux axés sur la définition d'un plan d'action adapté aux besoins des Polynésiens et sur la mise en place d'une politique de prévention de la délinquance ont récemment été menés. Cette action a donné lieu à la création de dispositifs d'accompagnement gérés par le service social de la Caisse de prévoyance, par l'office polynésien de l'habitat, par les services de la santé, par les associations et par d'autres partenaires.

En parallèle, le ministère de l'immigration a créé, dans certaines communes, une plateforme d'accueil réservée aux décrocheurs scolaires. Par ailleurs, des référents « Décrochage » ont été désignés dans chaque établissement scolaire. Les autorités ont également mis en place un groupe de prévention spécialisé dans la gestion du décrochage. Cette instance se concentre surtout sur la lutte contre l'absentéisme. Enfin, des dispositifs spécifiques permettent aux élèves de sixième de rester plus longuement dans leur ville d'origine.

L'importance accordée au décrochage scolaire est élevée. Les instances chargées de la supervision de l'éducation ont notamment décidé d'intégrer la thématique du décrochage dans leurs objectifs. Les autorités impliquent aussi les parents dans les actions. En outre, les services de transports scolaires sont adaptés à la réalité du terrain.

Dans le même temps, des associations organisent des sessions collectives de sensibilisation centrées sur la parentalité. La Maison de l'enfance propose pour sa part des ateliers portant sur le thème de la parentalité positive. L'association Agir pour l'insertion organise également des formations de soutien à la parentalité. La durée de ces sessions d'apprentissage peut atteindre deux mois, et ce, à raison de deux séances hebdomadaires.

Les mairies déploient quant à elles des dispositifs multi-parentaux visant à favoriser la réussite éducative des jeunes et des élèves vivant dans des quartiers prioritaires. Pour finir, l'entité Parent Autrement organise des formations en ligne. Celles-ci se focalisent sur la promotion d'une parentalité bienveillante.

Je pense qu'il serait préférable de traiter du soutien à la parentalité en optant pour une approche globale. Par la suite, il serait intéressant d'adapter les aides aux différentes situations existantes. Ce fonctionnement permettrait de tenir compte de la diversité des populations locales.

Par moment, les cas à traiter s'apparentent à des situations de décrochage scolaire.

Il est à noter que des parents manifestent des besoins centrés sur le contenu des programmes d'apprentissage présentés à l'école. Enfin, certains parents n'expriment pas de besoins particuliers, et ce, pour des raisons diverses.

Même si des dispositifs d'accompagnement à la parentalité existent à Tahiti, l'accessibilité de ces outils est faible, voire nulle, au sein des archipels éloignés. Je considère ainsi qu'il devient impératif de déployer des aides spécifiques dans les différentes îles de la Polynésie française.

Lorsque nous analysons la situation locale avec davantage de finesse, nous pouvons observer que les besoins des parents évoluent en fonction de leur localisation géographique. Dans ce sens, l'instauration d'outils adaptés aux spécificités locales revêt une importance majeure, car la nature des facteurs d'évolution peut changer.

Un autre aspect important porte sur l'impact des dispositifs mis en place par les instances étatiques. Aujourd'hui, les parents accordent une importance certaine aux aides et à la localisation géographique des sessions d'accompagnement. Les parents bénéficiaires agissent également de manière proactive, et ce, en participant activement aux ateliers organisés par les associations.

Toutefois, le nombre de places disponibles à ces sessions d'échange est souvent limité. En général, les ateliers ont lieu au siège de l'association ou à l'école. En parallèle, les familles manifestant un volume considérable de besoins rencontrent des difficultés pour accéder aux formations en ligne, car elles ne disposent pas forcément d'outils numériques.

Au vu de ces différents éléments, j'estime que le déploiement de solutions itinérantes revêt un intérêt certain. Les acteurs pourraient ainsi se rendre au domicile des parents. Nous avons également la possibilité de mettre en place des outils qui permettraient d'améliorer l'image de l'école dans l'esprit des parents.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces précisions sur les solutions d'itinérance. Avant de passer la parole aux rapporteurs, je reviens sur le thème des transferts d'enfants en Polynésie française. Pouvez-vous nous donner des chiffres ? Ce type de donnée nous permettrait de connaître la proportion de ces transferts par rapport aux naissances.

Je souhaite aussi bénéficier de détails sur les liens entre les violences intrafamiliales et les transferts d'enfants. Je me demande surtout si les enfants transférés se trouvent dans un état de stress ou de colère. De manière globale, mes interrogations portent principalement sur les raisons qui poussent les enfants transférés à jouer un rôle dans les cas de violences intrafamiliales.

Mes questions suivantes se focalisent sur le projet P'tit Campus. Je souhaiterais connaître le budget accordé dans le cadre de ce programme, les modalités de répartition et les possibilités de garde d'enfant existantes sur le campus de l'Université de la Nouvelle-Calédonie. Cette dernière solution offrirait plus de souplesse aux jeunes parents.

Pour terminer, je voudrais connaître la place occupée par l'Église et la religion dans la parentalité.

Je vais m'arrêter là afin de permettre au président et aux rapporteures de poser leurs questions. Je passe la parole au président Stéphane Artano.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je crois que M. Bastide évoquait plus tôt le processus d'adoption et de transfert d'enfant. Je lui adresse donc la question suivante : pensez-vous qu'il est possible de déployer des dispositifs d'adoption qui tiennent compte des pratiques locales ?

La sociologie propre à la thématique de l'adoption en Polynésie française diffère de celle des autres territoires. Pourtant, la loi relative à l'adoption est nationale et s'applique dans l'ensemble des territoires français.

Je connais d'ailleurs un couple, en demande d'adoption, qui s'est heurté aux spécificités de la loi française alors que le cadre sociologique de la Polynésie française est différent de celui de la métropole. Je souhaite ainsi savoir s'il serait souhaitable d'adapter les dispositifs existants aux pratiques. Cette interrogation s'adresse également à M. Bastide.

Je reviens sur les options d'itinérance évoquées plus tôt par Mme Ailincai.

Je souhaiterai savoir si des fédérations nationales venant de l'Hexagone se rendent en Polynésie française pour apporter un appui aux acteurs présents sur place ou si les solutions existantes ont été mises en oeuvre par des institutions locales.

La réponse à cette question me permettrait de voir si les fédérations de parentalité de l'Hexagone se heurtent à des freins particuliers dans le cadre de leurs interventions. Par ailleurs, je souhaite savoir si l'instauration des dispositifs d'aide peut s'effectuer par le biais des acteurs déjà présents dans les territoires concernés.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Merci pour les informations apportées aujourd'hui.

Je reviens sur l'intérêt représenté par la famille élargie. Je note que quatre générations peuvent vivre sous un même toit. Pour autant, la famille nucléaire reste présente. Pensez-vous que cette cohabitation est profitable à l'éducation des enfants ?

Je souhaite savoir si les utilisateurs du P'tit Campus sont soumis à des conventions et à des contreparties spécifiques. Est-ce que des études visant à évaluer le niveau d'efficacité et de pertinence de cette solution ont été effectuées ?

Je note que le nombre de bénéficiaires de l'outil P'tit Campus est passé de dix à deux en quelques mois. Je me demande donc si l'Université de Nouvelle-Calédonie a été confrontée à un phénomène de désertion.

Enfin, au niveau de l'accès au numérique, je rappelle qu'il existe un niveau élevé de disparité. Notre dernière intervenante a notamment proposé d'explorer les bénéfices apportés par les dispositifs itinérants. Au vu des spécificités affichées par la Polynésie française, ne serait-il pas plus opportun de prendre des mesures destinées à l'ensemble des individus ? Ce fonctionnement permettrait de mettre en avant le principe d'égalité des chances.

Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - À mon tour de remercier nos intervenants pour la qualité de leurs présentations. Les éléments rapportés montrent que les familles ont traversé des mutations majeures au cours des dernières années. L'influence des réseaux sociaux, l'éloignement géographique et la fluctuation de la situation économique ont aussi créé de nouveaux bouleversements.

En tant que législateurs, nous portons une attention particulière au droit appliqué. La situation actuelle montre une coexistence entre un droit civil commun et un droit coutumier. Les intervenants ont d'ailleurs exposé plusieurs exemples marquants.

Pour ma part, je voudrais savoir comment s'articulent les notions de droit civil et de droit coutumier. Je souhaite aussi connaître les méthodes utilisées par les nouvelles générations pour s'approprier ces notions. Est-ce que les jeunes se reconnaissent dans un droit coutumier ? Est-ce que les nouvelles générations oeuvrent pour une dilution progressive du droit coutumier ?

Ma deuxième question fait écho au développement des familles monoparentales et à l'évolution de la famille. Est-ce que les acteurs locaux ont constaté une augmentation des cas de monoparentalité et de grossesses précoces ?

J'en reviens maintenant au projet P'tit Campus. Je me demande si l'outil est uniquement destiné aux femmes ou s'il s'adresse à de jeunes hommes étudiants. J'associe ce dispositif à un outil novateur qui permet de concilier vie professionnelle et vie parentale.

Pour finir, je souhaite m'adresser à l'intervenant qui représente la Nouvelle-Calédonie. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la politique pénale effective à l'échelle locale ? Cette thématique revêt un intérêt certain, car nous observons parfois des liens entre la délinquance juvénile et les problématiques familiales.

Je vous remercie d'avance pour les réponses apportées.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci aux rapporteurs. Je laisse les intervenants répondre aux questions et organiser leurs prises de parole.

Mme Stéphanie Geneix-Rabault. - Je vais répondre à la question relative au budget accordé pour le projet P'tit Campus. Les gestionnaires ont bénéficié d'un fond de 800 000 francs Pacifique, soit 6 600 euros, dans le cadre de la rénovation de la salle de la parentalité. Les travaux portaient principalement sur le rafraîchissement de la peinture et sur la mise aux normes de l'espace. Une partie de l'enveloppe budgétaire a également été consacrée à l'installation des réfrigérateurs et des armoires de rangement. Les autres équipements ont été fournis par des bénévoles et des associations.

L'Université de la Nouvelle-Calédonie a longuement étudié la question portant sur l'instauration d'un système de garde d'enfants. Nous avons constaté que ce dispositif implique une souscription à des assurances au coût relativement élevé.

Le dispositif P'tit Campus offre pour sa part davantage de souplesse aux parents, car ces derniers peuvent agir et se déplacer librement. Les responsables avaient même pensé à la mise en place d'un système de Blablacar visant à faciliter les déplacements sur le campus. Néanmoins, ce projet n'a pas abouti.

Je précise que le déploiement d'une garde d'enfants peut s'avérer compliqué, car l'université se situe dans une partie excentrée de la Nouvelle-Calédonie. En outre, les navettes de bus s'arrêtent à 19 heures alors que la salle de parentalité reste accessible jusqu'à 22 heures.

J'en viens maintenant aux contrats imposés aux utilisateurs de P'tit Campus. Il existe une convention soumise à la signature du demandeur, de la Maison de l'étudiant et de l'Université de la Nouvelle-Calédonie. Ce document fixe la durée et les conditions d'accès.

La salle de parentalité est généralement occupée par des étudiants parents. Les mères ne se trouvent jamais seules dans cet espace. Pour autant, les déplacements seuls demeurent occasionnellement possibles.

Les utilisateurs de P'tit Campus sont également soumis à un système de convention. Par ailleurs, ils bénéficient d'un trousseau d'outils prêtés par les gestionnaires de la salle de parentalité. Les responsables dressent régulièrement des inventaires des linges et des matériaux de première nécessité mis à disposition. Ces vérifications leur permettent de s'assurer que les matériels restitués sont en bon état, et ce, en vue d'un redéploiement dans le circuit de prêt.

Le dispositif P'tit Campus a compté respectivement neuf et dix étudiants utilisateurs en 2021 et en 2022. L'année universitaire 2023 vient quant à elle de débuter en février dernier. Je ne peux donc pas encore vous communiquer les chiffres sur l'exercice entier.

Les requêtes d'utilisation de la salle de parentalité sont majoritairement émises par des étudiantes. Des membres de la communauté universitaire demandent aussi à accéder ponctuellement à l'espace pour procéder à un tirage de lait.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces précisions. Je vais faire intervenir M. Bastide afin qu'il nous apporte des informations sur les transferts d'enfants.

M. Loïs Bastide. - Merci. Je vais essayer de répondre aux questions dans l'ordre.

D'un point de vue sociologique, la coexistence d'univers normatifs très différents s'agissant des transferts d'enfants ne peut qu'engendrer des tensions et des incompréhensions. Dans ce sens, je pense que le fait de disposer de moyens juridiques adaptés aux transferts d'enfants appliqués en Polynésie française améliorerait la situation. J'ajoute que de nouveaux outils réglementaires seraient un acte symbolique majeur, car le transfert d'enfant est une institution importante dans la communauté polynésienne. En reconnaissant juridiquement cet acte, l'État français montrerait qu'il accorde une valeur considérable aux pratiques propres à la Polynésie française.

Une question portait sur la notion de famille élargie et sur son impact sur les enfants. Les cas changent en fonction des situations. En Polynésie française, il existe une pluralité de modèles familiaux. Le véritable souci est qu'aujourd'hui la vie au sein de la famille étendue n'est pas un choix mais une nécessité. Les entretiens avec les populations locales montrent d'ailleurs que la plupart des individus souhaiteraient bénéficier d'une plus grande autonomie.

Il est ainsi important d'aménager les choix disponibles, de faciliter l'émancipation. Pour l'instant, les personnes ont seulement la possibilité de choisir entre l'éloignement et le rapprochement familial.

Les jeunes de Polynésie française ont des aspirations individuelles plus fortes. Néanmoins, il reste difficile de s'émanciper du cadre familial.

Je reviens sur le thème des modèles familiaux. Je précise que les institutions portent aussi des normes parentales spécifiques, même de façon implicite, par exemple dans la gestion des politiques sociales ou l'organisation de l'école, conduisant à une diffusion des modèles parentaux occidentaux vers l'Océanie.

Au niveau de la politique pénale, le problème principal porte sur l'absence de cadre juridique. Dans ce contexte, la sécurisation juridique des pratiques permettrait de décharger les opérateurs de première ligne. Ces opérateurs gèrent quotidiennement les problèmes familiaux en prenant des risques juridiques majeurs du fait de l'absence de décision juridique claire.

Les enfants fa'a'amu sont généralement plus exposés aux violences. Nous retrouvons des configurations similaires dans les familles recomposées.

Dans ces familles recomposées, l'idée globale donne l'impression que les enfants issus des « précédents lits » sont mal perçus par les membres du « nouveau lit ». Ce type de situation mène parfois à la hausse du nombre d'enfants fa'a'amu.

Pour rappel, la présence d'enfants fa'a'amu donne mécaniquement lieu à une multiplication des acteurs de la parentalité, car il s'agit d'une parenté additive, avec à la fois les parents biologiques et les parents adoptifs. La situation sociale dans laquelle s'inscrivent les relations de parenté et les relations familiales en devient plus complexe et peut mener à l'apparition de nouveaux conflits, notamment sur la question de la dévolution des biens familiaux. Traditionnellement, l'enfant fa'a'amu n'héritait que de sa famille biologique. Désormais, il peut légitimement hériter de sa famille adoptive.

Je ne dispose pas de données statistiques sur l'évolution du nombre de familles monoparentales. De façon globale, la situation des familles monoparentales est différente, car ces dernières cohabitent souvent avec la famille élargie. L'obtention de chiffres plus précis passe forcément par la réalisation d'enquêtes centrées sur ces cas de figure.

Je termine en évoquant les grossesses précoces. Il s'agit d'un phénomène important en Polynésie française. Toutefois, le volume de grossesses précoces tend à diminuer depuis plusieurs années. J'ajoute que le taux de fécondité, en Polynésie française, a très rapidement baissé au cours de la dernière décennie.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Avez-vous une explication à ce phénomène ? La réduction du taux de fécondité résulte-t-elle de normes préventives spécifiques ?

M. Loïs Bastide. - Je ne pourrai pas vous expliquer ce phénomène.

L'une de spécificités de la Polynésie française porte sur le passage brutal d'une société traditionnelle à une société salariale. Ce changement a eu lieu suite aux essais nucléaires et à l'implantation du Centre d'expérimentation du Pacifique. Ces évènements ont donné lieu à un boom économique relativement violent pour les populations locales. Un processus accéléré de modernisation, étendu sur une période de vingt ans, a d'ailleurs eu lieu.

Ce type de modification reste difficile à comprendre pour les individus non issus d'une société traditionnelle. En réalité, les changements sociétaux majeurs, semblables à ceux survenus au cours du XXe siècle en Polynésie française, demandent une capacité d'adaptation extraordinaire.

En parallèle, dans une société salariale, le fait de concevoir un volume élevé d'enfants est souvent associé à une difficulté. Ces différents éléments montrent qu'il est primordial de bénéficier de données concrètes pour connaître les causes ayant mené à la baisse de la fécondité en Polynésie française.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces réponses. Je rappelle que les intervenants peuvent répondre aux questions, transmises à l'écrit, par courriel. Je passe la parole à Mme Leblic.

Mme Isabelle Leblic. - Je voudrais compléter l'intervention préalable de M. Bastide.

Aujourd'hui, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, la notion de salariat concerne principalement Tahiti. Je pense que l'influence du salariat demeure moins importante dans les territoires éloignés.

Nous ne devons pas oublier que le territoire de Polynésie française est vaste et diversifié. De ce fait, il est particulièrement difficile de procéder à une étude générale couvrant l'ensemble des archipels.

Par le passé, des expériences axées sur la décentralisation des tribunaux ont été effectuées. Je considère que l'étude de cette solution revêtirait un intérêt certain.

Il existe une multitude de fa'a'amu. Je me demande donc si les personnes chargées de la réalisation des études ont identifié des types de fa'a'amu davantage concernés par les violences, par la délinquance et par le mal-être. J'ajoute que les fa'a'amu accordent une importance particulière aux personnes âgées. Il s'agit d'un facteur à prendre en compte.

Les familles hexagonales décident fréquemment de placer les personnes âgées dans des Ehpad du fait de l'absence de solidarité familiale. En parallèle, les sociétés océaniennes continuent à s'appuyer sur la notion de solidarité familiale. Pour autant, cette stratégie ne correspond pas toujours à une solution optimale, car les familles manquent parfois de moyens tout en étant exposées à l'isolement.

En outre, les prestations proposées aux familles en milieu rural qui ne dépendent pas du salariat sont généralement moins élevées. Nous devons donc croiser la totalité des facteurs existants pour bénéficier d'une vision objective.

Je note que les chargés d'étude ont analysé la situation des fa'a'amu en se basant sur les cas de violences familiales. Pour ma part, j'ai pris la décision d'étudier les adoptions à part entière, et ce, en évitant de m'appuyer sur le prisme des violences familiales. J'ai fait ce choix, car je considérais qu'il était impératif de tenir compte de l'ensemble des éléments effectifs.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces précisions. Je vais d'abord donner la parole à mes collègues représentants des territoires ultramarins. Par la suite, je donnerai la possibilité aux autres intervenants de s'exprimer.

M. Gérard Poadja. - Merci Madame la Présidente. Je tiens à indiquer aux rapporteurs qu'il existe deux statuts en Nouvelle-Calédonie. Il s'agit du droit coutumier et du droit commun.

Le droit coutumier présente des particularités liées à la tradition. Les autorités se heurtent aujourd'hui à des difficultés dans le cadre de la gestion des terres, car la différence entre le droit coutumier et le droit commun s'applique aussi dans le domaine du foncier.

Je tenais simplement à préciser que le fait de dépendre du droit coutumier engendre des difficultés majeures, car les instances étatiques ont tendance à penser que les dossiers à traiter correspondent à des cas de droit commun. Il est à noter que les tribunaux se composent d'assesseurs coutumiers, car ces instances ont l'obligation de gérer des situations dépendantes du droit coutumier. Cette particularité est à prendre en considération.

De mon point de vue, je trouve que l'absence de questionnements centrés sur les caisses d'aides sociales et les allocations familiales est dommageable.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je peux vous assurer que la délégation aux droits des femmes accorde une attention particulière aux prestations sociales existantes dans les territoires ultramarins. Les informations complémentaires qui pourront nous être transmises par écrit nous permettraient de connaître l'ensemble des spécificités et des pistes de réflexion envisagées par les acteurs locaux.

M. Gérard Poadja. - Je souhaitais préciser que le statut de la Nouvelle-Calédonie a connu plusieurs évolutions notables au cours des dernières années. Nous disposons désormais de compétences propres au gouvernement, aux trois provinces et à la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de Nouvelle-Calédonie (Cafat). Pour l'instant, ce système ne donne pas la possibilité aux collectivités et à la caisse de prestations familiales de répartir leurs responsabilités de façon optimale.

Je précise que les dispositifs existants en Nouvelle-Calédonie mettent l'accent sur le développement économique. Cependant, nous faisons actuellement face à des problématiques imputables à l'instabilité de la situation politique locale. Ces difficultés s'ajoutent aux complexités statutaires.

En réalité, la situation sociale de la Nouvelle-Calédonie est complexe, car certaines familles vivent en dessous du seuil de pauvreté.

En Nouvelle-Calédonie, le phénomène de développement économique est mieux géré dans les territoires dépendant du droit commun. Les autorités présentes dans les secteurs dépendant du droit coutumier rencontrent pour leur part des difficultés notables, car ce droit comporte plusieurs spécificités. Ces problématiques réglementaires viennent par la suite impacter le cadre familial.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup cher collègue. Je vais maintenant céder la parole au sénateur de Wallis-et-Futuna, Mikaele Kulimoetoke.

M. Mikaele Kulimoetoke. - Merci Madame la Présidente.

Je pense que tout a été dit par l'Assemblée territoriale. Je complète en rappelant que les difficultés économiques influencent directement le contexte social. Dans ce sens, les aides portent surtout sur le domaine de la parentalité.

À Wallis-et-Futuna, le service de l'inspection du travail et des affaires sociales (Sitas) et la Caisse des prestations sociales interviennent auprès des familles en leur apportant des aides spécifiques. Actuellement, les outils déployés par les instances locales se concentrent principalement sur la petite enfance.

Mme Gaveau a évoqué plus tôt la notion de famille élargie. Il s'agit d'un terme qui s'inscrit dans un premier temps dans le noyau classique. Dans un second temps, la famille élargie donne généralement lieu à la création d'un clan.

En 2010, le nombre de naissances enregistré par les îles de Wallis-et-Futuna s'établissait à 300. Puis, en 2022, nous avons observé une baisse conséquente de ce chiffre. Le volume annuel de naissances est passé à 100.

Je pense qu'il existe une problématique sociale majeure. Au niveau sociologique, nous remarquons que le quotidien des populations locales évolue de façon continue. Désormais, les jeunes couples ont tendance à s'« européaniser ».

Ces différents éléments mènent à une modification des habitudes et à une réduction de la natalité. Par ailleurs, l'exode vers la métropole et la Nouvelle-Calédonie croît. Ces déplacements résultent des difficultés matérielles et du manque d'emploi.

Les structures existantes à Wallis-et-Futuna doivent donc faire l'objet d'une amélioration. Même si les difficultés sont nombreuses, les parlementaires et l'Assemblée territoriale oeuvrent constamment pour une optimisation des aides.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup. J'invite les intervenants à faire part de leurs réponses et de leurs réactions. Pourrions-nous bénéficier d'informations sur le taux de représentation des familles monoparentales ?

Mme Rodica Ailincai. - J'ai trouvé quelques chiffres, datant de 2022 et de 2021, sur les enfants fa'a'amu et les familles monoparentales. Je vais donc vous les communiquer.

Sur cette période, les enfants fa'a'amu représentaient environ 9 % de la population des mineurs, soit 7 000 enfants ne vivant pas avec leurs parents biologiques. Les études indiquent que le nombre d'enfants fa'a'amu change en fonction du type de famille. Par exemple, la population des fa'a'amu est deux fois moins importante chez les couples que chez les familles monoparentales.

Après l'audition, je vous transmettrai un document centré sur la typologie des enfants fa'a'amu. Ce fichier propose notamment de traiter les problématiques effectives en analysant plusieurs angles d'études.

Concernant l'intervention des fédérations de métropole sur les territoires ultramarins, je pense que ces actions sont impossibles juridiquement. En outre, les familles locales se montrent plus sensibles lorsqu'elles participent à des séances animées par des personnes venant de Polynésie française. Pour autant, les associations peuvent tout de même inviter des spécialistes de métropoles à leurs ateliers.

M. Loïs Bastide. - Je suis tout à fait d'accord avec l'intervention de Mme Leblic.

Tout d'abord, le caractère éclaté affiché par les territoires ultramarins mène à l'émergence d'un phénomène d'hyper-concentration des populations sur la zone de Tahiti. En parallèle, les situations évoluent en fonction des îles et des archipels. Par exemple, des communautés polynésiennes parviennent à rester en marge de la société salariale. Dans le même temps, l'autoconsommation joue un rôle économique majeur pour les familles vivant en Polynésie française.

En ce qui concerne le fa'a'amu, j'insiste sur le fait que les formes demeurent très hétérogènes. Comme évoqué dans une des interventions précédentes, mon étude aborde le prisme des violences familiales. Pour autant, j'ai également proposé de réaliser une enquête axée sur la définition d'une typologie des formes contemporaines de fa'a'amu. Ce procédé donnerait la possibilité d'identifier les types de violence qui fragilisent directement les enfants.

Lors d'une de mes prises de parole, j'ai pris la précaution de rappeler que la majorité des fa'a'amu se passent relativement bien. Je ne veux pas donner l'impression aux intervenants que j'associe le fa'a'amu à une institution pathologique.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup. Nous avons étudié toutes les questions.

La délégation aux outre-mer et la délégation aux droits des femmes ont adressé, à chaque territoire, un questionnaire adapté aux spécificités locales. Si besoin, les représentants peuvent nous faire parvenir des compléments écrits et des données chiffrées. Ces informations seront les bienvenues.

Je vais désormais mettre un terme à cette table ronde. Avant de refermer ce temps d'échanges, je vais laisser la parole au président Stéphane Artano. Je remercie également l'ensemble des participants pour leur implication.

Je conclus mon intervention en adressant aussi mes remerciements aux rapporteurs.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Je remercie l'ensemble des collègues et des intervenants pour leur travail. Les différentes prises de parole nous ont notamment permis de prendre connaissance d'éléments sociologiques très intéressants.

Je vous souhaite à tous une très bonne journée.

Table ronde sur la situation en Guyane

(4 mai 2023)

Présidence de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous reprenons cet après-midi nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer menés en commun par la délégation aux droits des femmes présidée par Mme Annick Billon et la délégation aux outre-mer que j'ai l'honneur de présider. Mme Billon devra s'absenter tout à l'heure pour participer à la séance publique et s'en excuse par avance. Nous sommes tous les deux co-rapporteurs de cette étude, ainsi que Victoire Jasmin et Elsa Schalck.

Depuis février, nous avons conduit une série d'auditions dont les vidéos et comptes rendus sont disponibles sur le site du Sénat. Nous organisons des tables rondes géographiques afin d'appréhender les spécificités de chaque territoire au-delà du panorama d'ensemble que nous avons commencé à dresser.

Après Mayotte et les territoires du Pacifique, nous abordons aujourd'hui successivement la situation de la Guyane et de Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire que je connais bien. Pour appréhender les réalités ultramarines au plus près, la présidente Annick Billon et deux de nos co-rapporteurs se sont déplacés en avril en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Ces visites de terrain enrichiront le rapport que nous rendrons en juillet. Je cède la parole à Annick Billon pour qu'elle puisse partager ses observations.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup Monsieur le Président. Je me réjouis d'avoir pu me rendre il y a quelques jours avec mes collègues Elsa Schalck et Victoire Jasmin dans ces territoires afin d'échanger avec des acteurs institutionnels et associatifs. Nous avons eu le privilège d'être accompagnés par notre collègue Micheline Jacques qui, tout comme Victoire Jasmin, connaît particulièrement bien ces territoires.

Nos entretiens nous ont permis de mieux appréhender les problématiques spécifiques à ces territoires sur la thématique de la parentalité, à savoir :

- de nombreuses mères seules, souvent dans des situations précaires ;

- une fréquente absence des pères dès la naissance des enfants, dont les deux tiers ne sont pas reconnus par leur père ;

- un fort taux d'IVG et de grossesses précoces ;

- un manque de structures d'accueil des jeunes enfants ;

- des problèmes de décrochage et d'absentéisme scolaire ;

- un taux élevé de violences intrafamiliales.

Nous avons également relevé un problème de maîtrise de la langue française : pour les parents, notamment d'origine étrangère, ne parlant que le créole ou l'anglais, les échanges avec l'école et les institutions sont souvent complexes.. Ces cas sont fréquents à Saint-Martin.

Nos rencontres nous ont également permis de constater l'engagement de nombreux acteurs sur les questions de parentalité. L'action volontariste de la CAF de Guadeloupe et de Saint-Martin a été saluée par tous nos interlocuteurs. Plusieurs associations jouent un rôle crucial de soutien aux familles. Une meilleure coordination et une plus grande visibilité des différentes initiatives et structures sont cependant nécessaires.

Malheureusement, il ne nous est pas possible de nous rendre dans tous les territoires d'outre-mer. La visioconférence nous offre des possibilités d'échanges accrues. Nous nous réjouissons donc de pouvoir échanger cet après-midi avec des acteurs de Guyane que je remercie.

M. Stéphane Artano, président, co-rapporteur. - Pour nous aider à appréhender la situation particulière de la Guyane, nous allons entendre par visioconférence des acteurs très engagés. Nous les remercions vivement pour leur disponibilité, sachant que plus de cinq heures de décalage horaire séparent Cayenne et Paris. Ces acteurs sont :

- pour la collectivité territoriale de Guyane (CTG), Mme Aïssatou Chambaud, vice-présidente, présidente de la Fédération autonome des parents d'élèves et étudiants de Guyane (FAPEEG) ;

- pour la direction régionale aux droits des femmes et à l'égalité (DRDFE), sa directrice Mme Isabelle Hidair-Krivsky, anthropologue sociale et ethnologue ;

- pour la caisse d'allocations familiales (CAF), Mme Anne Cinna-Pierre-Charles, directrice par intérim, accompagnée par Mme Marie-Rose Chandely, directrice adjointe par intérim, Mme Hêv Seuleiman, responsable du développement social, et M. Olivier Noguerra, responsable de l'accès aux droits et de l'accompagnement des familles ;

- pour le réseau Périnat Est Guyane : Mme Aline Talbot, chargée de projet, référente grossesses adolescentes.

Mesdames et Messieurs, vous avez été destinataires d'une trame de questions pour vos propos liminaires en vue d'une présentation d'une dizaine de minutes environ. Puis, les rapporteurs vous poseront diverses questions. Ce sera enfin le tour de nos collègues.

Mme Aïssatou Chambaud, vice-présidente de la collectivité territoriale de Guyane, présidente de la Fédération autonome des parents d'élèves et étudiants de Guyane (FAPEEG). - Mesdames et Messieurs, les solidarités familiales sont très présentes en Guyane. Je parlerai principalement de la communauté créole, que je connais bien.

Nous nous sommes aperçus, à la collectivité territoriale de Guyane (CTG) et à la Fédération autonome des parents d'élèves et étudiants de Guyane (FAPEEG), qu'un regard stigmatisant était porté sur les pères, du fait d'un désengagement apparent. En effet, l'organisation familiale est portée par la mère : la famille guyanaise est matrifocale. Les grands-parents jouent également un rôle important dans l'éducation des enfants.

Nous avons souhaité porter notre regard sur les éléments familiaux fonctionnels plutôt que sur les dysfonctionnements, même si plusieurs difficultés sont relatées dans la présentation PowerPoint que nous vous avons transmise.

Cette solidarité familiale se manifeste dans l'attention portée aux enfants mais aussi aux aînés. La norme reste en effet le maintien à domicile des grands-parents. Le placement n'intervient qu'en dernier recours, lorsque l'état de santé de la personne âgée ne permet plus à ses enfants de s'occuper d'elle.

J'ai par ailleurs échangé avec quelques pères qui se disent mis à l'écart par rapport à leur rôle au sein de la famille, particulièrement lorsqu'il existe des difficultés au sein du couple. Ils mentionnent ainsi la garde des enfants en cas de séparation. Ces pères sont dans l'incapacité de voir leurs enfants. Je ne possède pas de données chiffrées pour corroborer ce ressenti. Cependant, lorsqu'ils saisissent la justice, ils ne se sentent pas accompagnés par les tribunaux au même titre que les mères. J'en ai terminé avec mon propos liminaire.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Vous pouvez ensuite suivre la trame du questionnaire. Puisque vous nous fournirez un support écrit, vous pouvez évoquer lors de l'audition des éléments annexes à ce support.

Mme Anne Cinna-Pierre-Charles, directrice par intérim de la CAF de Guyane. - Nous avons travaillé ensemble pour répondre aux différentes questions de manière complémentaire.

Nous vous remercions d'abord d'avoir invité la CAF à cette table ronde, car la parentalité occupe une place importante dans ses travaux. J'aimerais ajouter quelques éléments de contexte.

La superficie de la Guyane équivaut à 75 fois celle de la Martinique, avec un défaut important d'accessibilité et une très faible densité de population. La couverture du réseau Internet est partielle et irrégulière. L'accès aux droits et à l'information sur le territoire est donc complexe.

Une douzaine d'écoles, collèges et lycées ouvre chaque année en Guyane. De nombreuses communautés, langues et cultures s'y côtoient. Ces spécificités amènent la CAF à développer des actions de proximité et une politique d'expérimentation : la Guyane est un laboratoire, au sens noble du terme.

Concernant la première question du questionnaire relative aux spécificités familiales et parentales en Guyane, Mme Marie-Rose Chandely énoncera quelques constats, puis Mme Isabelle Hidair-Krivsky apportera son regard d'anthropologue.

Mme Marie-Rose Chandely, directrice adjointe par intérim de la CAF de Guyane. - Mesdames et Messieurs, du point de vue de la CAF, la parentalité en Guyane présente plusieurs spécificités. Les parents sont jeunes et les grands-parents également, ils sont encore en activité lorsqu'ils deviennent grands-parents. Le noyau familial est plus large en Guyane qu'en métropole ou aux Antilles. Les grands-parents se substituent souvent aux parents et accompagnent ces derniers dans leur rôle éducatif. Enfin, il faut noter le fait que, dans notre société, la maternité permet d'acquérir un statut.

Mme Isabelle Hidair-Krivsky, directrice régionale aux droits des femmes et à l'égalité (DRDFE). - Mesdames et Messieurs, je suis professeure des universités en anthropologie et mise à disposition de la préfecture par l'Université de Guyane depuis quatre ans, en qualité de directrice de la DRDFE. Ces deux fonctions sont complémentaires. En effet, les problèmes familiaux en Guyane sont souvent d'abord les problèmes des femmes. Bien souvent, les familles guyanaises reposent sur les femmes.

En Guyane, alors que les femmes représentent 51 % de la population, 57 % d'entre elles n'ont pas de diplômes. Cet élément est lié à l'histoire de la Guyane, mais ne concerne pas seulement les populations issues de l'immigration. Parmi les populations autochtones, certaines personnes ne sont pas francophones. Ainsi, certaines familles ancestrales rencontrent de grandes difficultés. 11 % des femmes guyanaises de plus de trente ans ne sont pas titulaires du baccalauréat.

Ces éléments ont une incidence directe sur l'accès à l'emploi et le bien-être des familles. Le taux de chômage régional des femmes atteint 44 % : il est le plus élevé de France. Par conséquent, les familles vivent dans une plus grande précarité. Les liens de parenté sont difficiles à entretenir et les savoirs difficiles à transmettre. Par ailleurs, la réussite scolaire dépend de la réussite professionnelle de la famille et donc des femmes.

Les différentes questions que nous allons aborder sont intrinsèquement liées les unes aux autres. Le lien doit être fait entre la situation des femmes en Guyane et les structures de parenté et d'éducation.

Pour comprendre la situation des familles, il faut examiner la géographie et l'histoire de la Guyane. Or la Guyane n'étant pas un territoire insulaire, il faut distinguer le littoral de l'intérieur du pays : cette fracture historique a eu un impact considérable sur la scolarité, le niveau économique et la vie des familles. Jusqu'à la départementalisation de 1946, seuls les descendants d'esclaves du littoral étaient scolarisés.

À partir de 1950, les premières écoles et pensionnats catholiques s'implantent à l'intérieur du pays pour éduquer les populations amérindiennes et noires maronnes alors majoritaires. Le littoral et l'intérieur du pays présentent des différences considérables en termes de niveau de vie et d'organisation familiale.

Encore aujourd'hui, et malgré les difficultés liées à la croissance démographique, le littoral est mieux doté que le coeur du pays en termes d'infrastructures scolaires. Les élèves scolarisés à l'intérieur du pays accumulent de fait un important retard scolaire. Le taux de chômage des jeunes et le décrochage scolaire y sont plus importants que sur le littoral. La Guyane n'est donc pas un territoire homogène.

Par ailleurs, les populations littorales ont adopté, via la politique d'assimilation liée à la scolarisation, un mode de vie occidental avant les populations de l'intérieur du pays. Ces dernières ont conservé un mode de vie réglé par le clan et le lignage matrilinéaire : la mère prend en charge les enfants. Le père, lui, n'a pas le droit de se mêler de leur éducation.

Ce mode d'éducation est assimilé à tort à la monoparentalité, notamment dans les statistiques, car les femmes déclarent élever seules leurs enfants. Or la monoparentalité est multiforme : les femmes livrées à elles-mêmes, en situation de précarité, représentent un très faible pourcentage de cet ensemble.

La majorité des familles monoparentales guyanaises est reliée à une famille élargie, où se retrouvent des formes d'entraides intergénérationnelles. Celles-ci sont encore très dynamiques sur le territoire et doivent être conservées. Lorsque les jeunes quittent l'intérieur du pays pour gagner le littoral, ils se rendent en réalité dans un environnement dont ils ne maîtrisent pas les codes. Ils pourront plus facilement s'y installer si un membre de leur famille est déjà présent.

Ainsi, la géographie a un impact considérable sur la réussite scolaire. Lorsque les infrastructures n'étaient pas présentes à côté du domicile parental, les enfants étaient d'office inscrits dans des pensionnats catholiques. Ces derniers existent encore, la Guyane n'étant pas entièrement pourvue d'infrastructures scolaires. Après l'école primaire ou le collège, les enfants doivent donc quitter leur famille.

Cette particularité pose de véritables problèmes organisationnels et de réussite scolaire. À onze ou quinze ans, les enfants sont en proie à diverses tentations, qu'ils assouvissent plus facilement en l'absence de contrôle parental. Certaines jeunes filles sont agressées sexuellement. D'autres jeunes rentrent dans des phases de dépression et s'adonnent à la consommation de substances psychoactives. Par ailleurs, le taux de suicide des jeunes est plus important à l'intérieur du pays que sur le littoral.

De plus, beaucoup de jeunes quittent la Guyane pour suivre leur carrière socioprofessionnelle. Ce déplacement peut entraîner des conséquences dramatiques, que je n'aborderai pas ici.

La monoparentalité est souvent liée, chez les jeunes filles, à une volonté d'exister. Peu de propositions d'emploi leur sont faites, sachant que beaucoup parmi elles n'ont pas le bagage scolaire leur permettant d'être autonomes financièrement. Souvent, elles deviennent mères à l'adolescence : les enfants sont alors pris en charge par les grands-mères, voire par les arrière-grands-mères, l'écart d'âge entre les générations étant très faible. Pour certaines jeunes filles, la maternité devient alors une forme d'occupation.

Même si ces cas de figure sont moins nombreux, la maternité survient aussi suite à des abus sexuels.

Lorsque les jeunes filles sont scolarisées loin de leur domicile, des mécanismes de prostitution peuvent se mettre en place. Nous abordons actuellement dans la Commission départementale de parcours de sortie de prostitution ces questions liées à la prostitution des jeunes. Certaines jeunes filles ont du mal à comprendre que l'échange de prestations sexuelles contre un téléphone portable, un tour en scooter ou un billet de vingt euros relève de la prostitution.

Les jeunes Guyanais ayant échappé au contrôle de la famille élargie pour gagner le littoral y découvrent les réseaux sociaux, puisqu'une grande partie de l'intérieur du pays a des difficultés de connexion. Or ils n'ont pas forcément été formés à l'usage de ces réseaux.

Les dispositifs nationaux ne peuvent pas être déclinés de la même manière partout en Guyane. Ils doivent notamment être adaptés aux dix langues régionales guyanaises reconnues, 4 % des élèves n'étant pas francophones, ainsi qu'aux différentes cultures présentes sur le territoire.

Mme Aline Talbot, chargée de projet, référente grossesses adolescentes du réseau Périnat Est Guyane. - Je voudrais aborder les grossesses précoces : celles-ci sont définies comme des grossesses survenant lorsque la mère a moins de 20 ans. Nous avons recensé 1 300 grossesses adolescentes. Au réseau périnatalité, nous accompagnons 240 parents.

Les grossesses précoces relèvent d'un problème sociétal profond. Chaque situation relève d'une histoire différente que nous prenons le temps de recueillir.

Les grossesses adolescentes sont rarement désirées, elles sont motivées par un désir de prouver sa féminité, de s'émanciper de sa famille, d'exister, de se reproduire ou encore de prouver son indépendance à ses parents.

Néanmoins, ces grossesses sont aussi des cris de détresse. Les jeunes filles qui gagnent le littoral se retrouvent seules dans un appartement et isolées de leur communauté. Elles rencontrent souvent de jeunes hommes sur les réseaux sociaux, se mettent en couple et font un enfant.

Pourquoi ces jeunes femmes font-elles des enfants aussi tôt ? Les raisons sont à la fois sociologiques, socioculturelles et psychosociales.

La grossesse démontre parfois chez l'adolescent des manques et des carences affectives précoces. Certaines adolescentes recherchent l'amour à travers une sexualité dont elles ne comprennent pas forcément l'usage.

Je donnerai l'exemple d'une jeune de 13 ans ayant décidé de faire un enfant avec son petit ami de 15 ans. À la découverte de la grossesse, les parents étaient totalement désemparés. Lors d'un entretien avec la jeune fille, celle-ci nous a indiqué que son père lui manquait. En effet, ses parents étant séparés, elle n'avait plus de liens avec lui. La sexualité et son couple lui servaient de compensation. Sa mère souhaitait qu'elle avorte, mais la grossesse était trop avancée et elle voulait garder son enfant.

Une autre situation concerne une jeune de 16 ans. Son père, apprenant qu'elle a eu des relations sexuelles, l'amène dans la forêt pour la « tabasser », au point qu'elle a dû rester chez elle durant cinq jours. Or elle disait également que son père lui manquait, ses parents venant de se séparer. Elle expliquait s'être « donnée à fond » dans la sexualité pour combler ce manque. Elle a également subi des viols.

Les jeunes femmes sont démunies et désemparées face à la grossesse. Elles sont confrontées au rejet de la famille et de leurs proches. De plus, la plupart des agents de l'Éducation nationale ne parviennent pas à adopter une posture professionnelle adéquate et compatissante face à ces adolescentes. Je rappellerai qu'en Guyane, 20 % des collégiens sont déscolarisés.

La grossesse est la conséquence de la précarité, de la pauvreté, d'une mauvaise maîtrise ou de l'absence de contraception, mais aussi le reflet d'un manque d'éducation, de l'inégalité entre les sexes et de certaines attitudes communautaires.

Les grossesses précoces présentent des risques médicaux, sociaux et psychologiques :

- au niveau médical, le corps des adolescentes n'est pas assez mature pour porter un enfant. Les risques médicaux sont très importants, avec des grossesses prématurées notamment. La grossesse est souvent peu maîtrisée ;

- au niveau social, la grossesse entraîne des formes de précarisation, de déscolarisation, de prostitution et un isolement social. L'enfant en subit les conséquences. Les grossesses précoces contribuent également à renforcer les inégalités de genre. Certaines jeunes femmes enceintes abandonnent l'école pour élever leur enfant, généralement parce qu'elles sont isolées et privées de moyens financiers ;

- les impacts psychologiques sont également importants. Les rapports sexuels sont souvent non consentis. Plus de 10 % des jeunes mères ont été abusées sexuellement. Elles portent des enfants issus de viols mais décident de les garder. Une adolescente de 12 ou 13 ans n'imagine pas devenir mère : cette situation crée une souffrance mentale, caractérisée par la honte, l'isolement, le déni de grossesse, la culpabilité, ce qui peut conduire à des envies suicidaires. Les jeunes femmes sont vite orientées vers des services psychologiques.

Une jeune fille bien entourée par sa famille traversera sa grossesse sans rencontrer les mêmes problèmes qu'une jeune fille isolée.

Le suivi psychologique est par ailleurs indispensable lorsque la grossesse est due à des violences sexuelles. Je me souviens d'une jeune fille enceinte qui avait été violée par son père. Elle vit avec un enfant qui représente le viol de son père, qui a été incarcéré. Dans d'autres cas, les jeunes filles sont violées et les violeurs restent autour d'elles.

Comment aider ces personnes ? Nous disposons des chiffres internes du réseau : parmi les 240 personnes accompagnées, 50 % ne sont pas françaises, 80 % sont déscolarisées et 35 % ont subi des violences. De plus, 5 % des grossesses sont issues de viols. Les adolescentes subissent énormément de violences de la part de leur famille ou de leur entourage.

Ces adolescentes sont confrontées à une extrême précarité matérielle et psychologique. Elles vivent pour la plupart dans des logements insalubres, sans eau ni électricité. Elles ne mangent pas à leur faim alors qu'elles sont enceintes. En Guyane, le seul partenaire qui offrait facilement des colis alimentaires, la Croix-Rouge, a cédé ses missions au centre communal d'action sociale (CCAS), alors que celui-ci était déjà débordé par ses missions.

Je citerai encore l'exemple d'une jeune de 15 ans, enceinte de six mois, qui partageait une chambre avec sa soeur et sa mère. Son établissement scolaire était situé si loin qu'il lui était quasiment impossible d'y accéder à pied. Or elle n'avait pas les moyens de se payer le trajet en bus. Elle a abandonné l'école. Sa mère m'a demandé comment elle allait s'en sortir pour accueillir l'enfant de sa fille. Lors de la visite, des rats tournaient tout autour de la chambre. Par ailleurs, cette mère est en situation régulière. Néanmoins, depuis plus d'un an, elle reçoit des récépissés de trois mois qui ne lui permettent pas de faire valoir ses droits aux allocations familiales. Elle ne peut pas non plus travailler. Cette situation l'a plongée dans une grande précarité alors qu'elle s'occupe de ses deux filles de 14 et 15 ans.

Nous sommes seulement deux référentes grossesses adolescentes en Guyane aujourd'hui. Face au nombre de problématiques que nous rencontrons, nous devrions être quatre. Des postes « parentalité » ont été créés pour soutenir les adolescentes après l'accouchement : certaines, en effet, ne savent pas comment élever leurs enfants.

Je lance un cri d'alarme : nous sommes face à des bébés qui font des bébés. Or ces adolescentes ne sont pas accompagnées après les naissances.

Mme Hêv Seuleiman, responsable du développement social à la CAF de Guyane. - Les politiques sociales et familiales sont à l'interface des politiques de santé, des politiques sociales, d'insertion et de prévention. Il existe une diversité d'acteurs et de projets sur le territoire : le plan de lutte contre la pauvreté, les schémas territoriaux de service aux familles et d'action sociale de proximité. Cette liste nous amène à interroger la coordination des différentes initiatives.

80 % des projets menés en direction des familles sont portés par des associations : ce système est un atout car il permet un maillage serré du territoire. Néanmoins, il rend difficile la mise en réseau des partenaires et des actions.

Au titre du Fonds national d'action sociale, 24 millions d'euros sont dédiés chaque année aux services aux familles, en incluant la petite enfance et la jeunesse. En se focalisant spécifiquement sur la parentalité, environ 1,5 million d'euros annuels sont fléchés vers des projets et actions dédiés.

Ces données montrent que le dispositif le plus mobilisé est le réseau d'écoute et d'accompagnement à la parentalité. Le contrat local d'accompagnement à la scolarité est mobilisé de manière plus minoritaire. Les projets d'envergure regroupent les médiations familiales, les espaces de rencontre, les lieux d'accueil enfants-parents, mais aussi l'accueil de la petite enfance. Ces services nécessitent des compétences professionnelles spécifiques et des moyens financiers pour être pérennisés.

Ce travail est aujourd'hui effectué mais devrait être fortement renforcé.

Concernant la formation, pour développer des services aux familles et des actions de parentalité, nous manquons cruellement de travailleuses sociales et familiales, d'auxiliaires de vie, de personnes capables de porter de l'ingénierie de projets. Ce dernier domaine est prioritaire car il permet la structuration et la mise en place des différents services. Or la Guyane comporte un vivier de jeunesse que nous devons accompagner.

Nous avons identifié différents besoins, à savoir le manque de coordination déjà évoqué, mais aussi le manque de visibilité des acteurs intervenant dans le champ de la parentalité et l'absence de ciblage de certaines actions nous faisant passer à côté de besoins potentiels.

Nous proposons qu'un chef de file de la parentalité puisse être désigné prenant en charge les missions liées à la parentalité. Il s'agit déjà d'une volonté politique inscrite dans le schéma territorial des services aux familles. Néanmoins, la question de l'ingénierie reste centrale et il est difficile de rendre ces points opérationnels.

Nous souhaitons également créer des dispositifs dédiés à la coordination et à l'accompagnement individuel des familles et des enfants, ainsi que des financements associés. Au titre de la politique familiale, nous intervenons principalement au travers de services collectifs. L'approche individuelle pose différentes questions de structure et de financement.

Nous souhaitons être au plus près des familles et des parents et déployer plus encore les initiatives qui fonctionnent déjà. Enfin, nous souhaitons également mettre en place un observatoire de la parentalité.

Concernant les projets « services parentalités » sur le territoire, l'insuffisance d'interlocuteurs de proximité et l'absence de porteurs de projets sur les territoires les moins denses et les plus éloignés affectent l'insertion sociale et professionnelle des familles accompagnées.

Nous souhaitons renforcer l'offre de formations professionnelles. Nous adoptons une logique prospective : si nous avons besoin de trente services aux familles, nous devons savoir de quels professionnels nous manquons et ce que ces services produiront économiquement sur le territoire. En effet, les problématiques de professionnalisation et d'insertion sociale participent à relever le niveau économique du territoire.

Enfin, l'aide éducative à domicile relève de la compétence de la CTG. Nous devons renforcer et accompagner sa prise en charge. Nous prévoyons le renforcement des actions de sensibilisation et de prévention sur la vie affective et sociale auprès des enfants en milieu social et des familles. Il faudrait également mettre en place une éducation à la parentalité en ce sens. Nous disposons de dispositifs déjà déployés qui doivent être renforcés, tels que le dispositif d'aide à domicile ou « vacances en famille ». Ces initiatives ont été portées par la CAF de Guyane.

Le frein majeur réside dans la définition d'un porteur de l'ingénierie de ces projets.

Mme Aïssatou Chambaud. - Je souhaiterais compléter ces propos concernant les politiques familiales. Quatre schémas sont élaborés au niveau de la CTG, ainsi que des contrats avec des partenaires institutionnels, comme celui de protection de l'enfance en partenariat avec la préfecture et l'ARS.

Ces schémas se superposent bien souvent : il faudrait sans doute les simplifier ou les fusionner afin qu'ils soient plus lisibles pour nos partenaires et en interne. Nous devons en effet mettre en place différentes réglementations. Ces contrats sont élaborés avec les partenaires institutionnels et les acteurs de terrain, même si des améliorations peuvent encore être apportées. Le manque de transversalité et le cloisonnement ne permettent pas un déploiement satisfaisant de ces plans à destination des familles.

De plus, certaines instances de concertation comme les comités locaux du travail social et du développement social, instaurés en 2019, n'existent pas en Guyane. Il ne s'agit pas de créer des instances à tout va mais de mettre en place le fonctionnement le plus pertinent possible du point de vue de l'harmonisation mais aussi des cofinancements.

Ces instances de concertation permettraient de réajuster les dispositifs en cours de route en fonction des événements et donc une plus grande réactivité.

Les politiques de régularisation administrative des étrangers accentuent la précarité sociale des familles. Les orientations prises par les services de l'État semblent difficilement compréhensibles : certaines personnes nées sur le territoire et qui devraient donc être régularisées ne le sont pas. Souvent, nous ne savons pas pourquoi. Il faudrait mettre en place des espaces dédiés afin de mieux comprendre pourquoi certaines personnes sont privées de leurs droits.

Ce phénomène a des conséquences importantes pour les institutions. En effet, ces personnes sont privées de l'accès au droit commun : elles viennent donc engorger les services et les dispositifs. Les travailleurs sociaux des services sociaux de proximité ne peuvent pas remplir leurs missions, notamment de prévention, parce qu'ils en viennent à faire de l'humanitaire.

Concernant la parentalité, nous avons besoin d'actions et de dispositifs de prévention, ainsi que de professionnels formés et diplômés. Certes, nous disposons d'un vivier, mais il faut que celui-ci soit formé. Nous en revenons ainsi à la scolarisation. Nous avons également besoin de dispositifs de prise en charge comme les centres parentaux : la Guyane n'en compte pas.

Sachant les besoins, des mesures dérogatoires seraient nécessaires afin d'établir de nouvelles structures, notamment des établissements scolaires. En effet, une part importante de la population est soit en décrochage scolaire, soit déscolarisée. Par ailleurs, les délais de passation des marchés publics devraient être réduits.

Le support qui vous a été envoyé détaille des préconisations, comme la création d'un dispositif permettant de susciter des vocations et de sensibiliser la population aux métiers en tension, notamment dans le secteur social, médico-social et sanitaire. Certaines zones de Guyane sont enclavées : il faut approcher ces zones et leur population dès le collège. L'accompagnement de ces personnes est nécessaire : il concernerait l'hébergement, le transport, les moyens de subsistance, avec des mécanismes de bourse ou de tutorat. Il faut en effet favoriser la réussite éducative de ce vivier.

M. Olivier Noguerra, responsable de l'accès aux droits et de l'accompagnement de familles à la CAF de Guyane. - Toutes prestations confondues, la CAF verse 565 millions d'euros sur le territoire, dont 232 millions à destination des bénéficiaires des minima sociaux. 56 % des allocataires dépendent des minima sociaux et 44 % dépendent totalement des prestations de la CAF. Autrement dit, les prestations sociales ou familiales sont la principale voire l'unique source de revenu de ces allocataires.

Mme Anne Cinna-Pierre-Charles. - En effet, la CAF de Guyane injecte 1,5 million d'euros par jour dans l'économie.

De manière générale, nous souhaitons développer, adapter et structurer l'offre de parentalité sur le territoire. Retenons ainsi trois axes : la mise en place d'une coordination territoriale sur la parentalité, d'une animation de réseau parentalité, ainsi que la formation et l'accompagnement professionnel des jeunes.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je voudrais vous remercier pour la qualité de vos réponses et du document que vous nous avez envoyé. Nous disposons ainsi de tous les éléments nécessaires.

Vous parliez de la coordination des acteurs sur le territoire. Or à Saint-Pierre-et-Miquelon, la Caisse de prévoyance sociale, équivalent local de la CAF, a initié un schéma enfance-famille avec l'ensemble des acteurs du territoire. Peut-être pourriez-vous vous en inspirer, même si la situation en Guyane est compliquée par les questions de distance. Cette solution permettrait d'éviter l'empilement des différents schémas.

Le schéma de Saint-Pierre-et-Miquelon ne concernait pas la parentalité au sens strict mais l'action sociale et familiale, en partenariat avec les mairies, la collectivité et la CAF. Les chefs de projets étaient désignés en fonction des champs de compétences. Je vous livre cette réflexion car elle fait partie des trois axes d'évolution mentionnés à la fin de votre document.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Je remercie tous les intervenants, que j'ai écoutés avec beaucoup d'intérêt. L'aménagement du territoire guyanais mérite qu'on s'y attarde. J'ai entendu les recommandations formulées. Les personnes habitant sur le fleuve rencontrent de grandes difficultés : elles vont à l'école en pirogue. À certains endroits en Guyane, le taux de suicide des jeunes est bien trop important. Une attention particulière doit y être portée.

Par ailleurs, j'ai beaucoup apprécié les interventions évoquant la formation. Il faut vraiment trouver les moyens de former les personnes à distance. Le récent rapport de la Défenseure des droits a démontré que la Guyane fait face à de grandes difficultés concernant notamment l'illettrisme et l'accès au réseau. Le modèle économique devrait être rénové et mieux prendre en compte les formations. Il faut réfléchir à des outils différents, comme la validation des acquis de l'expérience (VAE) par exemple, puisqu'il est très difficile de circuler en Guyane.

Je n'ai pas de question précise, toutes les données ayant été transmises.

Mme Marie-Laure Phinéra-Horth. - J'aurais deux questions.

La première s'adresse à Mme Aline Talbot et porte sur le rapport du 4 mars 2021 consacré aux inégalités de santé en Guyane. Celui-ci devait permettre à chaque femme enceinte, quel que soit son lieu de résidence, de bénéficier d'une visite prénatale au cours du premier trimestre de sa grossesse. En effet, la surveillance de la grossesse démarre très tardivement en Guyane, empêchant le dépistage d'éventuelles complications médicales. Quel pourcentage de femmes enceintes bénéficie aujourd'hui de cette visite ?

Ma seconde question s'adresse à Mme Aïssatou Chambaud. J'ai eu l'occasion d'alerter Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État en charge de l'enfance, sur l'accueil des jeunes dans les familles. Des mesures seront sans doute annoncées dans les semaines à venir. Je souhaiterais néanmoins connaître l'avis de Mme Aïssatou Chambaud sur cette question.

Mme Aline Talbot. - Le réseau natalité a mis en place un dispositif permettant de couvrir les soins des femmes ne disposant pas d'une couverture santé. Ces femmes, venant de pays voisins, ne peuvent pas bénéficier de la couverture santé. Un dispositif de consultation gratuite pour les échographies est donc pris en charge par le réseau périnatalité. Mis à part ce dispositif financé et payé par le réseau, je n'ai pas d'élément à vous partager.

Mme Aïssatou Chambaud. - Les visites prénatales faisaient partie du contrat protection de l'enfance réunissant la CTG, les ARS et les services de l'État. Néanmoins, nous avons été confrontés à la pénurie de professionnels. La CTG n'a pas pu remplir cette mission. En effet, le financement était destiné à un recrutement qui n'a pas pu être réalisé.

Par ailleurs, j'ai récemment interpellé le cabinet du Président Gabriel Serville au sujet des familles hébergeantes. Annie Robinson Chocho a repris la gestion de ce dispositif. De plus, le Grand Conseil coutumier travaille sur cette question depuis plusieurs mois. J'ai eu l'occasion d'assister à des réunions impliquant des organisations autochtones et le Grand Conseil coutumier. Un dispositif fiable, stable, et des financements pérennes doivent être proposés aux familles tout en prenant en compte les différents acteurs impliqués. Une proposition avait notamment été faite en ce sens par la direction de l'éducation.

Mme Anne Cinna-Pierre-Charles. - La CAF est directement touchée par ces questions d'hébergement des jeunes. Nous avons besoin d'associations capables de les accueillir. Ils ne doivent pas être oisifs lorsqu'ils sortent de l'école. Ainsi, ils devraient pratiquer des activités sportives et culturelles et se rencontrer au sein de leurs communautés respectives mais aussi dans un objectif de mixité sociale.

Mme Aïssatou Chambaud. - Les associations ne manquent pas à l'appel, mais la CTG doit être capable de proposer une solution. De plus, les jeunes doivent garder des liens avec leurs familles, ce qui pose à nouveau la question du transport fluvial et aérien.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je vous remercie sincèrement pour ces réponses qui nous permettent d'avoir une vision exhaustive de la situation.

Table ronde sur la situation à Saint-Pierre-et-Miquelon

(4 mai 2023)

Présidence de M. Stéphane Artano,
président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Mesdames et Messieurs, nous poursuivons nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer, menés en commun par la délégation aux droits des femmes présidée par Mme Annick Billon et la délégation aux outre-mer que j'ai l'honneur de présider, avec l'étude de la situation à Saint-Pierre-et-Miquelon. Mme Annick Billon a dû s'absenter pour participer à la séance publique. Elle vous prie de l'en excuser. Les deux autres co-rapporteurs de cette étude sont Victoire Jasmin, présente par visioconférence, et Elsa Schalck.

Pour nous aider à appréhender la situation de Saint-Pierre-et-Miquelon, nous accueillons, pour la collectivité territoriale, Mmes Jacqueline André, vice-présidente en charge des solidarités, et Sonia Borotra, directrice du pôle développement solidaire. Nous accueillons également, pour la Caisse de prévoyance sociale (CPS), Mmes Sylvie Koelsch, directrice adjointe, et Aurore Vigneau, responsable action sociale et en charge de la parentalité.

Mesdames, vous avez été destinataires d'une trame de questions. Je vous propose de tenir un propos liminaire, puis de répondre aux différentes questions. Je donne d'abord la parole à la Mme Jacqueline André de la collectivité territoriale.

Mme Jacqueline André, vice-présidente de la collectivité territoriale. - La collectivité territoriale possède à la fois les compétences du département et de la région. Nous travaillons en collaboration avec la CPS, qui possède les compétences d'une CAF. Je laisserai ses membres détailler le travail réalisé concernant l'action sociale et familiale ainsi que l'aide sociale à l'enfance, sans oublier les actions d'accompagnement des familles réalisées au sein de la Maison territoriale de l'autonomie auprès des jeunes en situation de handicap. Il s'agit en effet d'un axe prioritaire de notre action.

Mme Sylvie Koelsch, directrice adjointe de la CPS. - La CPS gère l'ensemble des branches de la sécurité sociale, dont la branche famille. Nous proposons à la population des prestations légales proches des prestations métropolitaines. Nous avons développé une action sociale en faveur des familles, notamment depuis 2014, puisque nous pouvons désormais émarger au Fonds national d'action sociale (FNAS) de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam). Mmes Aurore Vigneau et Marie Larralde, psychopédagogues, parleront des actions développées au bénéfice des familles.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Nous pouvons d'abord aborder les spécificités familiales et parentales de l'archipel, puis les politiques et les prestations familiales, et enfin le soutien à la parentalité.

Mme Jacqueline André. - L'organisation familiale à Saint-Pierre-et-Miquelon se rapproche de celle de l'Hexagone. Elle n'a rien à voir avec celles de La Réunion ou de la Polynésie française. La problématique des grossesses précoces ne touche pas l'archipel.

Le lien familial est toujours présent même s'il se distend peu à peu : la présence des familles, et notamment des grands-parents, reste importante dans l'entourage des jeunes enfants. Cependant, les familles venant de l'extérieur, de plus en plus nombreuses, ne bénéficient pas d'un tel tissu familial. La situation des familles monoparentales ne diffère pas beaucoup de la métropole. Cette configuration me semble plus subie que choisie, mais je ne dispose pas d'éléments le confirmant.

Mme Aurore Vigneau, responsable action sociale et en charge de la parentalité à la CPS. - Je pense que les deux cas de figure coexistent. Parfois, la relation ne fonctionne plus et la séparation a lieu d'un commun accord.

Mme Sylvie Koelsch. - Nous pourrons vous fournir les chiffres de l'état matrimonial des personnes bénéficiant de prestations familiales. Seuls 20 % des bénéficiaires sont en situation de célibat, divorce, séparation ou veuvage.

Par ailleurs, les prestations légales sont relativement similaires aux prestations métropolitaines. Depuis 2007, la CPS essaie de se rapprocher le plus possible du régime général.

Mme Aurore Vigneau. - Les prestations extra-légales regroupent différentes aides financières individuelles, en fonction des situations familiales : l'isolement parental, l'action éducative, l'aide financière exceptionnelle, la survenue d'une maladie ou d'un handicap chez l'enfant ou chez le parent. Notre politique familiale s'inspire des politiques métropolitaines tout en tenant compte de nos spécificités locales.

La partie « actions sociales et famille » comprend notamment le financement de la prestation de service unique auprès de la seule crèche de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la prestation « accueil de loisirs sans hébergement » auprès du seul centre aéré de l'archipel.

De plus, nous octroyons des subventions à diverses associations. Ainsi, l'association « Les petits flocons » a mis en place dernièrement une maison d'assistants maternels.

En tant que service d'action sociale, nous gérons également un service de médiation familiale avec un partenaire en métropole, l'association « Espace médiation » basée à Rennes. Celle-ci propose six à sept sessions par an directement sur l'archipel mais opère également à distance par visioconférence. Nous disposons d'un service de conseil individuel et familial géré lui aussi par la médiatrice familiale ainsi que d'un service Espace rencontre parents-enfants et d'un relais d'assistants maternels parents-enfants. Celui-ci évoluera durant l'année pour devenir un relais petite enfance, sur le modèle métropolitain.

Ainsi, notre axe familial se partage entre les aides financières individuelles à destination des familles et une offre partenariale regroupant le versement de prestations de service et l'accompagnement des acteurs de terrain.

Mme Sylvie Koelsch. - Par ailleurs, les spécificités locales de l'archipel, notamment le coût de la vie, ont déterminé l'extension de certaines prestations légales. Je peux vous détailler les différents barèmes des prestations si vous le jugez utile.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Les éléments techniques pourront être détaillés à l'écrit.

Mme Jacqueline André. - J'ajouterai que la CPS a établi un schéma territorial d'action sociale à la suite d'un important travail de partenariat. Par ailleurs, les prestations de conseil individuel s'inspirent du modèle canadien. En effet, les médiations familiales nécessitent l'accord des deux personnes, qui n'est pas toujours facile à obtenir. Le conseil individuel permet à une personne seule de faire le point sur une situation conflictuelle, pour ensuite éventuellement amener l'autre personne vers une médiation familiale. Ce dispositif rencontre un vrai succès.

De plus, les médiations familiales intègrent de plus en plus les jeunes, les lycéens et les étudiants qui résident hors de l'archipel.

Mme Sylvie Koelsch. - Un temps d'adaptation a été nécessaire pour que ce dispositif fonctionne. L'expression de problématiques personnelles à des tiers requiert d'avoir confiance dans le prestataire. Néanmoins, le bouche-à-oreille a été positif sur notre territoire. Plusieurs situations ont ainsi été résolues, ce qui a fait connaître ce service. La médiation familiale a ainsi évolué au-delà de la simple séparation de couple pour intégrer des problématiques familiales bien plus larges.

Mme Aurore Vigneau. - En effet, depuis deux ans, nous avons beaucoup développé les médiations parents-adolescents. La médiatrice familiale rencontre d'abord les parents, puis les enfants, avant de rassembler tout le monde afin de renouer le dialogue au sein de la cellule familiale. Ce dispositif rentre de plus en plus dans les moeurs de l'archipel. Les habitants ont moins honte de faire appel à ce type de services et sont très satisfaits des résultats.

Mme Sonia Borotra, directrice du pôle développement solidaire de la collectivité territoriale. - L'action de la collectivité se situe plutôt au niveau du service social de polyvalence et de l'aide sociale à l'enfance (ASE). À Saint-Pierre-et-Miquelon, les missions de PMI ne sont pas exercées par la Collectivité mais par le centre hospitalier, comme le précise le code de la santé publique. Nous organisons de la guidance parentale avec les travailleurs sociaux présents dans nos services et intervenons au sein de la Maison territoriale de l'autonomie. En effet, le soutien aux parents d'enfants en situation de handicap doit être renforcé, car ils sont parfois malmenés.

Mme Jacqueline André. - La cinquième question concernait le montant global des différentes prestations sociales et familiales.

Mme Sylvie Koelsch. - En 2021, 417 familles bénéficiaient des prestations familiales pour 1,6 million d'euros de dépenses. 115 familles ont touché l'allocation de rentrée scolaire. Je transmettrai les chiffres détaillés par écrit. Par ailleurs, en 2022, les prestations de service et les aides individuelles ont été financées à hauteur de 130 000 euros.

Mme Jacqueline André. - La sixième question concernait les différences avec les prestations métropolitaines.

Mme Sylvie Koelsch. - Nous y répondrons également par écrit. Par ailleurs, de nouvelles prestations seront mises en place dans le courant de l'année, à savoir : l'allocation journalière du proche aidant et l'allocation journalière de présence parentale.

Mme Jacqueline André. - Nous poursuivons avec le soutien à la parentalité, et la septième question concernant les besoins identifiés et l'éducation à la parentalité.

Le soutien à la parentalité doit être mis en place dès le plus jeune âge. Saint-Pierre-et-Miquelon ne bénéficie pas encore d'un schéma départemental de service aux familles. Sa mise en place demande l'assentiment de l'État : elle serait bénéfique. Nous sommes également influencés par les approches nord-américaines.

Dans un premier temps, nous souhaitons privilégier une approche globale afin que tous les parents puissent bénéficier du soutien à la parentalité, sur le modèle du dispositif des 1 000 premiers jours de l'enfant mis en place en métropole. Étant donné les petits effectifs de l'archipel, celui-ci pourrait y être adapté.

Ensuite, nous réfléchissons avec le président de la Collectivité à la mise en place d'un projet éducatif du territoire afin d'accompagner les jeunes mais aussi les parents, en lien avec les établissements scolaires, périscolaires et extrascolaires. De plus, à la suite de la visite d'un inspecteur, nous avons échangé avec l'Éducation nationale concernant le développement des compétences psychosociales des enfants, des adolescents mais aussi des parents.

J'insiste également sur la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, qui se révèle particulièrement importante. En effet, les crèches sont prises d'assaut. De plus, l'absence de cantine scolaire sur l'archipel pose des difficultés aux familles. Le maintien à domicile des personnes âgées ou en situation de handicap se développe également de plus en plus. Or les horaires des aides à domiciles étant atypiques, il faut réfléchir à des solutions d'accompagnement pour leurs familles. Entre 12 heures et 13h30, la situation reste compliquée pour les personnes ayant des contraintes horaires.

Concernant le décrochage scolaire et la délinquance, les informations préoccupantes sont données beaucoup trop tardivement. Nous avons notamment eu un cas où l'information préoccupante a été donnée après 90 demi-journées d'absence. Ces informations arrivent souvent en juin, moment où il est difficile pour les travailleurs sociaux d'intervenir auprès des familles. Nous sommes entrés en contact avec la conseillère technique sociale du rectorat de Caen. Nous faisons donc en sorte, en lien avec l'Éducation nationale, que ces informations nous parviennent plus rapidement.

Mme Sonia Borotra. - Les données sur l'absentéisme et le décrochage nous manquent en effet cruellement. Nous sommes confrontés à un absentéisme massif qui nous interroge. Notre travail avec la rectrice de Normandie doit permettre de mieux décliner les protocoles nationaux, notamment la plateforme de lutte contre le décrochage qui n'est pas effective à Saint-Pierre-et-Miquelon. Par ailleurs, la prévention de la délinquance des mineurs ne constitue pas un sujet majeur sur l'archipel, puisqu'elle est très faible, contrairement à l'absentéisme et au décrochage scolaire. Les informations concernant l'obligation scolaire ne parviennent pas forcément aux parents d'élèves.

Mme Jacqueline André. - Nos échanges avec le rectorat de Caen ont également porté sur le déploiement de la plateforme pHARe, dédiée à la lutte contre le harcèlement. En effet, sur l'archipel, les élèves d'une même classe d'âge restent ensemble durant toute leur scolarité. Certains phénomènes de harcèlement ne sont pas pris en charge et débouchent sur de profonds mal-être et des décrochages scolaires. Les médecins scolaires ou le juge aux affaires familiales évoquent un nombre important de certificats médicaux pour phobie scolaire. Quelques élèves ont dû être exfiltrés car ils vivaient une expérience trop difficile.

La médecine du rectorat de Caen a contacté nos médecins locaux pour comprendre les phénomènes de harcèlement. Les parents seront accompagnés, car ils nous sollicitent souvent sur ce sujet.

Mme Aurore Vigneau. - Je suis favorable à un accompagnement à la parentalité plutôt qu'à une « éducation » proprement dite. Compte tenu de la taille de l'archipel, il nous faut éviter de cibler spécifiquement les familles dont les enfants auraient des problèmes de délinquance. Les fauteurs de troubles sont vite identifiés : il ne s'agit pas de les stigmatiser mais d'établir un cadre général, afin de travailler ensuite de manière individualisée en fonction des cas.

Nous devons construire une boîte à outils dans laquelle chaque parent puisse piocher celui qui convient le mieux à la situation qu'il rencontre ou à ses questionnements.

Mme Marie Larralde, psychopédagogue. - Le soutien à la parentalité est un dispositif assez nouveau. La guidance parentale apparaît de plus en plus légitime. Néanmoins, certains dispositifs métropolitains ne sont pas encore étendus à l'archipel, alors qu'il existe une vraie demande de la part des parents et des professionnels de la petite enfance. Ces derniers sont prêts à intervenir.

Nous nous inspirons aujourd'hui de ce qui fonctionne ailleurs. Par ailleurs, notre population a évolué : aujourd'hui, plus de la moitié des habitants de l'archipel est originaire de l'Hexagone. Ces personnes apportent un regard nouveau et permettent de briser les tabous qui peuvent exister dans une petite société où les gens se connaissent. Le café des parents constitue par exemple un moment d'échange privilégié.

Mme Jacqueline André. - De plus, notre approche part des forces des parents pour mieux les accompagner. Toutes ces initiatives comme les cafés des parents favorisent également l'échange et la mixité sociale entre les familles. Les échanges entre parents, sans forcément passer par des professionnels, sont primordiaux.

Mme Marie Larralde, psychopédagogue. - La semaine nationale de la petite enfance sera relayée l'année prochaine. Les intervenants sont extrêmement divers et s'approprient chacun les phénomènes spécifiques à l'archipel. De la même manière, la journée des assistantes maternelles n'existe que depuis 2016 ou 2017. Elle est depuis totalement rentrée dans les moeurs de l'archipel. Les parents souhaitent en effet participer à des événements avec leurs enfants. Nous avons tendance à faire venir beaucoup d'intervenants, mais nous disposons d'un véritable vivier sur l'archipel lui-même.

Mme Aurore Vigneau. - Ces initiatives se situent dans la droite ligne de mise en place du complément de libre choix du mode de garde en 2016.

Mme Jacqueline André. - Par ailleurs, une nouvelle association, Lilas (Libérer, Informer, Lier, Accompagner et Soutenir), s'est ajoutée aux structures institutionnelles ou associatives mettant en place des actions de soutien à la parentalité. Cette association regroupe des professionnels de santé et organise des cafés avec les parents. Ce relais est intéressant.

Je souhaiterais revenir sur les besoins d'accompagnement des familles avec un enfant en situation de handicap.

Mme Sonia Borotra. - Ce besoin se fait sentir tant sur le volet éducatif que concernant les temps de répit : par exemple, les vacances ne sont pas adaptées à l'existence d'un handicap. De nouvelles formes de répit pourraient être mises en place.

Par ailleurs, le handicap reste encore tabou : nous aimerions accompagner les parents dans l'acceptation du handicap pour qu'ils sollicitent les aides auxquelles ils ont droit. Aujourd'hui, très peu d'enfants en situation de handicap sont repérés sur l'archipel et nous n'avons aucun projet de scolarisation à mi-temps. Cette particularité nous interroge.

Mme Jacqueline André. - Je pense qu'il faut également privilégier l'accompagnement à l'autonomie. Le Canada privilégie trois axes : repérer la compétence chez les jeunes, favoriser le sentiment d'appartenance à la communauté et l'autonomie.

L'archipel est une sorte de cocon. Les jeunes partent au Canada ou dans l'Hexagone, où ils deviennent autonomes très rapidement. Nous devons donc accompagner les parents pour qu'ils rendent leurs enfants plus autonomes avant leur départ. Dans ce contexte, l'association d'éducation populaire AJEP 975, nouvellement créée, permet aux jeunes de construire eux-mêmes leur projet de départ. Ainsi, ils ne subissent plus les projets que les adultes peuvent leur proposer. Grâce aux chantiers de jeunesse, ils s'ouvrent sur l'extérieur. Les jeunes ont l'air de bien s'approprier ces dispositifs. Lorsque nous construirons notre projet éducatif du territoire, l'autonomie en constituera un axe important.

Mme Aurore Vigneau. - Une belle collaboration est en passe de naître entre le service d'action sociale de la CPS et le service jeunesse de la Collectivité territoriale afin de développer une approche territoriale globale d'accompagnement des jeunes. Ces derniers pourront ainsi organiser leur départ dans le cadre de leurs études. Cette initiative concerne aussi les jeunes qui souhaitent entrer en apprentissage ou accéder directement au marché du travail. Nous devons les aider à identifier leurs compétences psychosociales et les différentes personnes ressources qu'ils peuvent mobiliser afin de devenir autonomes et démarrer facilement leur vie active.

Mme Jacqueline André. - Il nous faut en effet accompagner l'alternance, qui se développe sur l'archipel. Les jeunes en rupture ou en difficulté scolaire peuvent ainsi suivre une trajectoire professionnelle avec la chambre d'agriculture, de commerce, d'industrie, de métiers et de l'artisanat (Cacima). La nuit de l'apprentissage, en partenariat avec le service jeunesse de la collectivité, a réuni beaucoup de jeunes et de parents et leur a permis de discuter de leurs futurs métiers.

Mme Aurore Vigneau. - Depuis deux ou trois ans, la CPS et la Collectivité territoriale organisent un forum des étudiants en partenariat avec les mutuelles, les acteurs de l'emploi et du territoire. En effet, l'autonomisation provoque des angoisses chez les jeunes, mais aussi chez les parents. Nous développons des actions phares en ce sens.

Nous sommes par ailleurs adhérents à la Fédération nationale des médiations et des espaces familiaux (Fenamef). Le directeur d'Espace médiation, avec lequel nous sommes en partenariat, fait lui-même partie de son conseil d'administration. Saint-Pierre-et-Miquelon a ainsi la chance d'être représenté à différents niveaux au sein de la Fenamef. Espace médiation est intervenue pour développer des missions de médiation familiale et de conseil individuel ou familial. Cependant, les dispositifs déployés sur l'archipel ont inspiré l'association. Celle-ci a développé son champ d'activité concernant l'accompagnement à la parentalité, jusqu'à obtenir l'année dernière un agrément sur l'école des parents et des éducateurs. Ainsi, nous mutualisons nos services et nos approches.

Notre représentation au sein de la Fenamef nous permet également d'avoir accès à une mine d'informations et de formations pour les personnels accrédités, garantissant une qualité de service. Nous pourrions devenir nous aussi, à terme, école des parents et des éducateurs.

Mme Sylvie Koelsch. - Comme notre territoire est isolé, nous cherchons à nous rapprocher de partenaires de l'Hexagone. Nous avons noué un partenariat avec l'ensemble des caisses de Rennes. Je devrais rencontrer une représentante de la CAF et un relais petite enfance (RPE) de Rennes afin qu'ils nous apportent leurs savoir-faire.

Mme Sonia Borotra. - En conclusion, nous avons besoin de renforcer la coordination entre nos associations pour les harmoniser. Nous devons définir une politique globale, puisque nous menons beaucoup d'actions mais celles-ci peuvent paraître isolées. Actuellement, le soutien à la parentalité repose essentiellement sur la CPS et la Collectivité territoriale. Une action associative pourrait s'y ajouter : néanmoins, dans le domaine social ou médico-social, les recrutements associatifs sont de plus en plus difficiles.

Mme Sylvie Koelsch. - La Caisse nationale a récemment mis en place les conventions nationales globales. Cet outil pourrait donner un sens commun et une lisibilité aux différentes actions menées sur le territoire.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je souhaiterais revenir sur le dernier point que vous avez évoqué. Le Schéma territorial d'action sociale et famille réunissait à la fois la CPS, la collectivité territoriale, les mairies et les CCAS. Or j'ai cité ce schéma en exemple face aux problèmes de coordination pointés lors de l'audition précédente, concernant la parentalité en Guyane. Ce schéma a-t-il vocation à être élargi ou sera-t-il subordonné à un autre schéma plus global, intégrant l'ensemble des acteurs ?

Mme Aurore Vigneau. - Ce schéma existe depuis 2010 et a été finalisé en 2013. Les différents changements politiques ont pu lui faire perdre une partie de sa dynamique initiale. Le schéma couvrait la petite enfance, l'enfance, la jeunesse, la parentalité, l'accompagnement au départ, etc. Il est devenu de plus en plus difficile de coordonner ces différentes thématiques. En 2018, la CPS et la collectivité territoriale ont décidé d'élaborer deux diagnostics : le premier, pris en charge par la CPS, recouvre la petite enfance, tandis que le second, pris en charge par la collectivité territoriale, recouvre le projet territorial enfance-jeunesse, qui ciblait plutôt les 9-30 ans.

Ces deux diagnostics constituent un point d'étape. Il ne s'agit pas d'initier un nouveau schéma mais d'utiliser la convention nationale globale pour redynamiser les politiques sociales et familiales et réagencer le pilotage des différentes actions, qui reposent sur les épaules de la CPS et de la collectivité territoriale. En effet, les mairies de l'archipel ne sont pas très investies sur ces sujets, parce qu'elles doivent gérer beaucoup de choses de leur côté.

Nous devons notamment reprendre les enquêtes partenariales. En effet, les objectifs du Schéma territorial de service aux familles ont tous été réalisés. Néanmoins, les sources de financement doivent être optimisées. Nous misons beaucoup sur la convention territoriale globale, qui semble constituer un outil très positif.

Mme Jacqueline André. - Le schéma, notamment concernant la partie jeunesse, doit aussi comprendre des actions impliquant les parents et prenant en compte leurs besoins, notamment la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Des obstacles légaux ou juridiques empêchent-ils certaines prestations sociales d'être appliquées à Saint-Pierre-et-Miquelon ? En effet, l'archipel relève d'un régime social différent de l'Hexagone.

Certains crédits proposés par l'État semblent par ailleurs ne pas avoir été mobilisés par les différents acteurs de Saint-Pierre-et-Miquelon. Certains crédits nationaux peuvent ne pas trouver d'utilité à l'échelon local. Sentez-vous une volonté d'impulsion de la part de l'État ou est-il plutôt observateur ?

Mme Sylvie Koelsch. - La majorité des prestations sociales a été étendue à Saint-Pierre-et-Miquelon. L'allocation journalière proche aidant et l'allocation journalière présence parentale ont été étendues dernièrement, même si nous attendons encore les décrets d'application.

De plus, certaines prestations sont étendues avec des particularités : par exemple, la Brigade de protection de la famille (BPF) dont nous disposons relève d'un statut hybride entre celui de l'Hexagone et celui des outre-mer.

La prime de déménagement n'a pas été étendue à l'archipel. L'allocation de logement familiale (ALF) et l'allocation de logement sociale (ALS) ont été étendues en 2022, contrairement à l'aide personnalisée au logement (APL). Le prêt à l'amélioration de l'habitat n'existe pas non plus, mais des aides extra-légales compensent son absence. La complémentaire santé solidaire, versée sous conditions de ressources, n'est pas mise en place.

Néanmoins, dans l'ensemble, ces spécificités sont de plus en plus réduites. Cela dit, certains dispositifs sont étendus à l'archipel alors qu'ils ne concernent que quelques situations très précises, ce qui peut générer des difficultés. En effet, la CPS ne dispose pas des outils nationaux. Les différences réglementaires compliquent considérablement la formation du personnel. L'adaptation des règles métropolitaines génère un certain nombre de cas exceptionnels qu'il est très difficile d'intégrer. Nous travaillons par exemple avec la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) sur le recouvrement des impayés de pension alimentaire, qui pose de grandes difficultés.

En 2016, quand le complément de libre choix du mode de garde (CMG) a été étendu à l'archipel, la gestion du CMG devait être prise en charge de façon transitoire par la CPS jusqu'au 31 décembre 2016, puis reprise par le Pajemploi. Les paramètres spécifiques à Saint-Pierre-et-Miquelon ne pouvaient pas être entrés dans le logiciel de gestion. Il fallait développer un outil spécifique. Finalement, nous n'avons pas pu développer d'outil de gestion et avons dû conserver une gestion manuelle du dispositif.

Or Pajemploi a récemment annoncé l'intégration de Mayotte avec des paramètres particuliers. La prise en charge des particularités de Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait donc avoir lieu également afin de faciliter les démarches familiales.

Mme Jacqueline André. - Concernant les liens avec l'État, je constate une amélioration de nos relations avec l'Éducation nationale depuis la venue de la rectrice de Caen. L'accompagnement des familles s'en trouve amélioré. Un certain nombre de dispositifs transitent par l'administration territoriale de la santé, équivalent local de l'ARS. Ces démarches relèvent surtout du travail de Sonia Borotra.

Mme Sonia Borotra. - Je ne pense pas que l'État joue un rôle moteur. Nous avons eu beaucoup de mal à mobiliser les partenaires des différents services de l'État pour construire le projet territorial enfance-jeunesse, signé en 2020. Le travail repose essentiellement sur les équipes réduites de la collectivité et de la CPS, qui doivent gérer de nombreux sujets. Il nous faut donc assurer une coordination très précise.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - En qualité de rapporteure, j'ai été très attentive à vos propos. Vous avez évoqué une absence de 90 demi-journées qui m'a interpellée. Êtes-vous en contact avec les associations locales de parents d'élèves ? Celles-ci vous sollicitent-elles ?

Par ailleurs, bénéficiez-vous des crédits fléchés dans le cadre du plan pauvreté du Gouvernement ? Avez-vous des projets concernant les contrats locaux d'aide à la scolarité ?

Enfin, je ne connais pas d'autre territoire où il n'existe pas de restauration scolaire. Cette situation est-elle liée à une absence de besoin ou s'agit-il au contraire d'un choix de la collectivité ?

Mme Jacqueline André. - Concernant votre première question, les contacts avec les parents d'élèves s'effectuent au travers d'instances comme la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Les besoins ne remontent pas véritablement jusqu'à nous, sauf en cas de situations particulières. Celles-ci sont gérées avec l'Éducation nationale.

Mme Marie Larralde, psychopédagogue. - L'association L'Appel est cependant assez demandeuse d'événements et transmet rapidement les informations.

Mme Jacqueline André. - Concernant l'absentéisme, des formations à distance seront rapidement mises en place par le rectorat de Normandie afin d'impulser une dynamique concernant les situations préoccupantes. Nous verrons dans les six prochains mois si une amélioration a lieu ou non, mais nous faisons preuve d'une vigilance accrue sur cette question.

Mme Sonia Borotra. - Concernant les crédits du plan pauvreté, nous avons signé une convention de lutte contre la pauvreté avec l'État il y a quelques années. Ce plan est arrivé à échéance et n'a pas encore été renégocié dans le cadre du pacte des solidarités. L'ancienne convention privilégiait l'accompagnement des bénéficiaires du RSA et les problématiques extérieures aux questions de parentalité. Néanmoins, nous aimerions élargir la prochaine convention à ces questions et à d'autres partenaires comme les municipalités. Nous ne disposons pour le moment d'aucun crédit particulier.

Mme Aurore Vigneau. - Concernant les contrats locaux d'aide à la scolarité, la prestation existe mais nous ne disposons d'aucun porteur de projet privé ou associatif pouvant les mener à bien. Néanmoins, l'Association jeunesse éducation populaire (Ajep) vient d'ouvrir un espace jeune largement appuyé par la Collectivité et la CPS, et déploiera diverses actions. L'association souhaiterait développer à terme l'accompagnement aux devoirs.

Mme Sylvie Koelsch. - Concernant la partie restauration scolaire, nous avons été sollicités dans le cadre du projet d'ouverture d'un internat à la rentrée prochaine. La prestation existant en outre-mer n'est pas étendue à Saint-Pierre-et-Miquelon. Toutefois, elle ne serait pas forcément adaptée. Les financements proposés sont malheureusement beaucoup trop faibles en comparaison des coûts de financement réels d'une restauration collective. Une réflexion doit donc être menée en amont. La compétence de la Cnaf nous échoie, néanmoins les modalités d'émargement supposent une modification législative. De plus, notre profil correspond plutôt à celui des outre-mer hors Mayotte. Or si Mayotte dispose des montants les plus importants, ils restent malgré tout très faibles au regard du coût des repas.

Mme Jacqueline André. - Le projet d'internat concerne entre 20 et 26 élèves chaque année, qui viennent de Miquelon pour suivre leur scolarité à Saint-Pierre de la seconde à la terminale. En effet, il devenait très difficile de trouver des familles d'accueil. La prise en charge s'élève à 50 euros par jour : 21 euros pour le repas du midi, 21 euros pour celui du soir et le reste pour le petit-déjeuner. Il est très difficile de trouver des financements de ce niveau.

Par ailleurs, concernant le besoin d'une cantine pour les enfants des niveaux scolaires inférieurs, beaucoup de familles récupèrent leurs enfants entre midi et 13 heures. Plusieurs parents ont rapporté que ce temps, que nous considérions comme un moment privilégié en famille, était en réalité trop court pour permettre de vrais moments d'échanges.

Dans l'archipel, l'enseignement privé est aussi important que l'enseignement public jusqu'au collège, le lycée étant uniquement public. Or dans le privé, l'initiative a été prise de proposer, comme au Canada, des « boîtes à lunch ». Néanmoins, il faudrait savoir combien de familles seraient intéressées par ce dispositif. De plus, les établissements scolaires sont anciens et ne disposent pas de cuisines.

Mme Marie Larralde, psychopédagogue. - Les familles sont de plus en plus demandeuses d'une cantine. De plus, les cas de séparation des parents complexifient la gestion des enfants entre midi et 13 heures. L'adoption de la « boîte à lunch » suppose que les parents apportent son repas à l'enfant. Néanmoins, cette solution fonctionne très bien et doit être creusée.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Quelles mesures avez-vous mises en place pour lutter contre le harcèlement ?

Mme Jacqueline André. - Nous avons évoqué des pistes lors du dernier comité de prévention de la délinquance avec l'Éducation nationale. Comme l'archipel ne dispose pas d'un service social spécifique au niveau de l'Éducation nationale, la lutte contre le harcèlement reste difficile. Nous allons donc décliner très rapidement, en lien avec le rectorat de Caen, le programme national pHARe, comprenant à la fois la formation des enseignants et des jeunes, tout en ciblant le climat scolaire. Il donne de bons résultats dans l'Hexagone. Après deux ou trois ans d'expérimentation en métropole, ce programme a été rendu obligatoire en septembre 2022 sans être décliné à Saint-Pierre-et-Miquelon. Sa mise en place permettra une meilleure prise en charge de ce sujet, qui semblait un peu banalisé. Nous souhaitons faire de Saint-Pierre-et-Miquelon un territoire de bien-être.

Mme Sonia Borotra. - L'équipe éducative avait d'ailleurs remporté un projet national sur ce sujet : un spot vidéo réalisé par les jeunes avait été diffusé dans tous les lycées de l'Hexagone et des outre-mer.

Mme Jacqueline André. - Certaines actions ponctuelles comme celles-ci ont été menées, cependant le programme pHARe permet une continuité de la lutte contre le harcèlement, en identifiant les personnes ciblées dès le CP. Cette lutte est également une priorité du rectorat de Caen.

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Un excellent rapport du Sénat, mené notamment par Sabine Van Heghe et publié il y a deux ans, émet un certain nombre de recommandations en la matière impliquant tous les acteurs.

Mme Jacqueline André. - Je vous rejoins et vous remercie de m'interpeller sur ce sujet. Nous souhaitons en effet, lorsque nous travaillons sur les compétences psychosociales des enfants, que les formations proposées par l'Éducation nationale soient déclinées pour le périscolaire et l'extrascolaire.

Mme Micheline Jacques. - Mesdames, je vous remercie pour ces informations éclairantes. Je suis sénatrice de Saint-Barthélemy, une petite île connaissant des problématiques similaires aux vôtres du fait de son insularité. Pour avoir été enseignante et directrice d'école, le décalage horaire avec le rectorat de Caen pose-t-il problème ? Par ailleurs, ce rectorat dispose-t-il de la connaissance nécessaire pour répondre à certaines problématiques spécifiques à Saint-Pierre-et-Miquelon ?

Vous avez parlé des accouchements, thème cher à mon coeur. J'aimerais savoir si votre CPS prévoit des dispositifs spécifiques concernant l'accompagnement des grossesses à risques. En effet, je présume que l'évacuation engendre des coûts importants.

Mme Sylvie Koelsch. - Ce problème est pris en charge par la branche maladie de la CPS et non par la branche famille. Un décret de 1991 prévoit, sur validation du médecin-conseil, le suivi de la patiente au Canada ou en métropole selon les situations. Le billet d'avion est pris en charge et des allocations journalières sont versées pour couvrir l'hébergement de la future mère et du père. Le service d'action sociale peut intervenir en complément concernant les démarches préalables au départ ou sur des problématiques particulières.

Mme Aurore Vigneau. - Par ailleurs, nous avons créé il y a deux ans, à l'image des parcours attentionnés de l'Assurance Maladie, un parcours naissance-parentalité permettant de coordonner les actions des différents services de la CPS. Ce parcours prend la forme d'une mallette réunissant les informations auparavant envoyées de manière disparate. Les mères se voient remettre cette mallette une fois la déclaration de grossesse déposée à la CPS. Nous essayons de donner aux mères les principales informations et démarches administratives et logistiques.

Mme Micheline Jacques. - Ce dispositif est-il spécifique à la CPS de Saint-Pierre-et-Miquelon ?

Mme Sylvie Koelsch. - Oui, je vous le confirme.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je vous remercie pour ces informations et pour votre disponibilité.

Audition d'Unicef France

(25 mai 2023)

Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Bonjour à tous et à toutes, cher Président, chers collègues, Mesdames, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer, menés en commun par nos deux délégations : la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano, et la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider.

Outre les présidents des deux délégations, sont également rapporteures sur cette thématique nos collègues Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, et Elsa Schalck, sénatrice du Bas-Rhin.

Nous entendons tout d'abord ce matin des représentants d'Unicef France, Mmes Jodie Soret, responsable de service Programmes et Plaidoyer, et Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer Programme Outre-mer.

Bienvenue à vous.

Nos attentes s'articulent autour de deux axes :

- premièrement connaître les actions menées par l'Unicef dans les territoires ultramarins et savoir comment vous adaptez vos missions d'action sociale à ces territoires, davantage touchés par la précarité - en particulier la précarité des mères seules, la non-scolarisation et le décrochage scolaire des jeunes, les grossesses précoces, ou encore la présence de mineurs non accompagnés en grande difficulté ;

- deuxièmement, nous souhaitons connaître les recommandations de l'Unicef afin d'améliorer la situation des enfants et familles dans les outre-mer. À travers nos travaux, nous sommes à la recherche de solutions et outils pour que nos politiques familiales et sociales tiennent davantage compte des particularités ultramarines et pour améliorer le soutien à la parentalité dans nos territoires ultramarins.

Je laisse sans plus tarder la parole à Mmes Jodie Soret et Mathilde Detrez. Vous pouvez organiser vos prises de parole comme vous le souhaitez.

Mme Jodie Soret, responsable de service Programmes et Plaidoyer d'Unicef France. - Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames les rapporteures, bonjour à toutes et tous.

Merci de nous recevoir aujourd'hui pour parler de ce sujet très important que nous abordons plus généralement sous l'angle des droits de l'enfant dans les territoires ultramarins. Il a fallu un peu de temps à l'Unicef pour aborder ce sujet. Longtemps, il est vrai que nos recommandations en matière de plaidoyer se sont concentrées sur l'Hexagone. Ensuite, nous nous sommes progressivement aperçus - notamment à l'occasion d'un état des lieux, ou plutôt d'une analyse de la situation des droits de l'enfant en France - qu'un certain nombre d'indicateurs concernant les territoires ultramarins étaient particulièrement alarmants. Ils venaient objectiver une situation que nous avions pu pressentir d'une autre manière.

Commençons par contextualiser notre action. Unicef France représente l'Unicef. Nous sommes porteurs d'un mandat pour représenter l'agence des Nations unies pour l'enfance sur l'ensemble du territoire français. Nous sommes un comité national dont les principales missions sont le plaidoyer, la communication, la sensibilisation et la collecte. Cette dernière a longtemps été l'arête dorsale de notre action en France, notamment de manière à financer des programmes dans les pays en développement. Les choses ont ensuite beaucoup évolué, puisque le service plaidoyer compte aujourd'hui quinze personnes, nous permettant de couvrir un certain nombre de sujets, parmi lesquels figure la protection au sens large. Nous y incluons notamment les questions de pauvreté, les enjeux de santé mentale des enfants, de protection de l'enfance, incluant également la prise en charge des mineurs en situation de migration. Nous travaillons également sur les questions d'éducation des enfants, et notamment la question de l'accès à l'éducation. Je me permets de préciser ces thématiques, puisque ce sont notamment celles que nous avons commencé à approfondir dans notre travail sur les différents territoires ultramarins.

L'Unicef a pour rôle de formuler des recommandations en direction des pouvoirs publics pour améliorer l'effectivité des droits de l'enfant sur le territoire. Pour ce faire, nous contribuons fortement aux travaux menés par le Comité des droits de l'enfant de Genève dans le cadre de l'examen de la mise en oeuvre de la Convention des droits de l'enfant en France qu'il mène tous les cinq à six ans. Nous attendons notamment des recommandations pour le mois de juin de la part de ce comité. Dans ce cadre, nous avons beaucoup porté le sujet des territoires ultramarins. Il est fort probable que des recommandations émises par le Comité des droits de l'enfant à l'endroit de la France seront diffusées à partir du mois de juin.

Unicef France a souhaité renforcer son action sur l'effectivité des droits des enfants dans les territoires ultramarins. Nous avions déjà entamé un travail, notamment en Guyane, sur l'accès à l'éducation. En 2020, nous avions en effet publié une étude sur le sujet sur ce territoire, comprenant 37 recommandations articulées autour de trois thèmes : favoriser l'accès à l'éducation des enfants éloignés de l'école ; contribuer au renforcement des conditions de réussite éducative des enfants ; et renforcer la connaissance et la capacité des acteurs à respecter et promouvoir les droits de l'enfant en Guyane. Depuis la publication de ce rapport, nous comptons un salarié implanté sur ce territoire. Il travaille sur la réalisation de ces différentes recommandations. Nous pourrons y revenir par la suite, lorsque nous parlerons d'éducation.

Entre 2020 et 2021, nous avons également mené un travail plus global sur l'effectivité des droits de l'enfant sur le territoire français. À ce moment-là, nous nous sommes aperçus que nous manquions de données s'agissant de l'effectivité des droits des enfants dans les territoires ultramarins. Nous insistons sur ces derniers car les éléments que nous y trouvons sont très inégaux. Par exemple, nous manquons cruellement de données sur la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie, alors que nous en trouvons davantage concernant la Guadeloupe. Je précise que nous sommes évidemment très exigeants s'agissant des données, qui nous semblent être la base de bonnes politiques publiques. Il est certain qu'une de nos recommandations visera à renforcer le travail autour des données, notamment concernant les enfants.

Cet état des lieux, qui vous sera plus amplement présenté par Mathilde Detrez, est en cours. Nous nous présentons ainsi devant vous avec une certaine humilité, puisque nous sommes nous aussi en train de réaliser ce travail pour mieux comprendre la situation et proposer les solutions les plus adaptées. Il sera publié le 20 novembre prochain, à l'occasion de la journée des droits de l'enfant. Unicef France a ici pour objectif de remettre la focale sur l'égalité entre les territoires, et la nécessité de mettre en place une action renforcée pour s'assurer de l'effectivité des droits des enfants en outre-mer.

Nous nous nourrissons pour l'heure des données et des recherches disponibles, mais nous souhaitons également associer des acteurs concernés dans les territoires. Nous menons ainsi un certain nombre d'auditions pour essayer de comprendre un peu plus finement les réalités, et surtout pour éviter les amalgames entre des territoires parfois désignés comme « outre-mer » en général. Une réflexion sur ce sujet est nécessaire, pas uniquement de notre part.

Pour l'instant, et même plus globalement, nous ne prétendons ni à l'exhaustivité, ni à la perfection. Nous souhaitons simplement disposer d'un état des lieux de départ sur la question de l'effectivité des droits des enfants pour co-construire des solutions.

Les réflexions que nous comptons partager aujourd'hui reflètent les premiers travaux que nous avons pu engager, et certaines des contributions aux politiques publiques que nous avons proposées. En parallèle, nous avons en effet souhaité commencer à formuler des propositions, notamment dans le cadre des Assises de la santé de l'enfant. Nous identifions des besoins spécifiques sur les enjeux de santé, également dans le cadre de la préparation du pacte des solidarités. Vous le disiez, la précarité est particulièrement prégnante dans les outre-mer.

Mme Mathilde Detrez, chargée de plaidoyer Programme Outre-mer d'Unicef France- Nous sommes en train d'établir un état des lieux de la situation des droits de l'enfant dans les territoires ultramarins. J'essaierai de dérouler de manière synthétique nos premiers constats et recommandations, en tentant de laisser de la place aux questions et aux échanges, qui nous semblent tout aussi importants.

Nous avons engagé des travaux sur la thématique de la pauvreté, notamment. Nous nous sommes aperçus que la connaissance et l'analyse de la situation des enfants étaient essentielles pour objectiver leurs besoins et pour développer des politiques publiques adaptées. Nous, comme d'autres, nous confrontons à un double obstacle correspondant au manque de données sur la pauvreté multidimensionnelle des enfants en général, mais plus particulièrement dans les territoires d'outre-mer. S'y ajoute un manque de données pour les territoires ultramarins, relativement prégnant. À titre d'exemple, je peux citer le seuil de pauvreté, dont le calcul était jusque récemment différent en outre-mer et en métropole, ce qui compliquait évidemment l'analyse de la pauvreté multidimensionnelle. Pour cette raison, nous recommandons la réalisation d'un état des lieux sur cette pauvreté multidimensionnelle chez les enfants vivant dans les collectivités territoriales d'outre-mer.

Nous considérons également que le pacte des solidarités en cours, pour lequel l'Unicef mène un travail conséquent, constitue un levier. Il a vocation à être décliné localement dans le cadre d'une contractualisation entre l'État et les collectivités. Il prévoit une adaptation des politiques de lutte contre la pauvreté à certains territoires, dont les territoires ultramarins. Là aussi, nous avons formulé des recommandations que nous pourrons vous transmettre. Nous recommandons de s'assurer de la mise en oeuvre effective des mesures du Pacte des solidarités dans les territoires ultramarins en les adaptant au contexte tout en visant les mêmes résultats. Des adaptations sont en effet nécessaires, mais elles ne sont acceptables que si l'ambition des mesures n'est pas revue à la baisse pour ces territoires.

Nous nous sommes également rendu compte que la barrière de la langue constituait un obstacle dans certains territoires dits d'outre-mer, notamment dans l'accès aux services publics et aux droits. Pour cette raison, nous recommandons - notamment dans le cadre du Pacte des solidarités - de développer une stratégie d'interprétariat pour favoriser l'accès des familles aux services publics et aux droits.

Je me permets d'émettre une petite précision par rapport au logement, puisqu'il me semble essentiel d'évoquer ce sujet dans les territoires d'outre-mer. Selon le rapport d'information sénatorial du 1er juillet 2021, l'habitat indigne concerne près de 110 000 logements, soit 13 % du parc des 900 000 logements des DROM. Les difficultés d'accès au logement en outre-mer sont fortement accentuées par l'existence d'un système dérogatoire au droit commun. Certains droits sont minorés, voire inappliqués. À titre d'exemple, le droit au logement opposable n'est pas forcément en vigueur, et certains droits sociaux ne sont pas alignés avec le droit commun. C'est le cas du revenu de solidarité active (RSA) ou des allocations logement. Ainsi, une distinction nette est opérée entre les collectivités territoriales d'outre-mer et l'Hexagone. On le retrouve également dans les textes applicables.

Nous pouvons évoquer la circulaire du 26 août 2021 relative à l'anticipation des opérations d'évacuation des campements illicites, et l'instruction du 25 janvier 2018 relative à la résorption des campements illicites et des bidonvilles, censées réduire le nombre des bidonvilles dans les cinq ans à venir. Elles ne s'appliquent pas dans les territoires d'outre-mer.

Face à l'ampleur de la dégradation de l'habitat et à l'augmentation des logements insalubres, le législateur a introduit des dispositions spécifiques censées faciliter la résorption de l'habitat indigne. C'est le cas de la loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique, dite ELAN, votée en 2018. Elle consacre une profonde réforme sur le logement social et l'habitat informel en Guyane et à Mayotte. L'application de cette loi présente des conséquences concrètes pour ces territoires. Au cours de l'opération « Wuambushu » à Mayotte, initiée le 22 mai dernier, visant à réduire l'habitat insalubre et à expulser les migrants en situation irrégulière, l'application de la loi ELAN a affecté la scolarisation et l'hébergement des enfants.

Sur la thématique de la pauvreté, nous recommandons un renforcement du repérage et de l'orientation des familles sans domicile vers le droit commun, en développant et en pérennisant les dispositifs visant à aller vers ces familles. Nous insistons également sur le fait de garantir un accueil inconditionnel des enfants et des familles en hébergement respectueux de leurs droits, en développant des solutions adaptées aux familles. Ce n'est pas toujours le cas. Nous recommandons en outre, en général, de favoriser l'accès au logement et de produire massivement une offre de logements sociaux adaptée aux familles. Un travail est déjà en cours en la matière, il doit être renforcé. Enfin, nous recommandons une intégration des territoires d'outre-mer dans le programme national de résorption des bidonvilles et la circulaire de 2018.

Ensuite, l'Unicef travaille par thématique. Si nous en venons à la protection des enfants, j'aimerais vous parler du sujet de la migration. Certaines dérogations législatives sont propres à certains territoires ultramarins, faisant état d'un non-accès systémique aux droits de l'enfant. Ce constat, que nous faisons sur plusieurs territoires, est particulièrement exacerbé à Mayotte. Le droit des personnes étrangères y est dérogatoire dans de nombreux domaines : santé, liberté de circulation pour les mineurs, contrôle d'identité, accès à la nationalité ou à un titre de séjour... Le régime dérogatoire plonge souvent des milliers de familles et d'enfants dans une situation particulièrement vulnérable. Il a des conséquences directes sur la parentalité au sein même des familles. Je pourrais développer ce sujet de la liberté de circulation, mais également les conséquences de la réforme de l'accès à la nationalité ou encore l'enfermement des enfants, qui est particulièrement prégnant à Mayotte. Plus de 2 900 enfants y ont été enfermés l'année dernière. L'Unicef porte le combat de la fin de l'enfermement des mineurs sur l'ensemble du territoire et dans tous les locaux de rétention. Dans ce cadre, nous recommandons une application du droit commun prévu par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) pour toutes les mesures dérogatoires qui entraînent des conséquences négatives sur la réalisation des droits de l'enfant. À nos yeux, c'est bien le prisme des droits de l'enfant qui doit être privilégié.

Vous nous avez interrogées sur les grossesses précoces, enjeu sur certains territoires, et particulièrement en Guyane et à Mayotte. Je ne m'étendrai pas sur le sujet, parce que je sais que le réseau périnatal de Guyane a aussi été auditionné. Nous échangeons souvent avec ses membres. Nous constatons les mêmes freins, à savoir des carences généralisées en termes d'infrastructures, et particulièrement en santé mentale. Sachez que le taux de suicide est huit fois plus élevé en Guyane, selon Santé publique France. Ce constat n'est évidemment pas sans conséquence sur l'effectivité des droits de l'enfant. Les enfants amérindiens sont particulièrement touchés.

Le réseau périnatal nous a aussi fait part d'une prévention parfois inadaptée, plutôt calquée sur le modèle hexagonal, qui ne s'applique pas nécessairement aux réalités de la Guyane. De plus, le cas des grossesses précoces entraîne une non-scolarisation, voire une déscolarisation pendant la grossesse, qu'il s'agit d'identifier pour pallier ce manque d'accès à l'éducation.

À ce titre, nous recommandons vivement de renforcer l'accompagnement des adolescentes enceintes à travers l'augmentation des moyens alloués au dispositif, via le réseau périnatal de Guyane, avec la création de postes référents. Ceux-ci ne doivent pas être créés uniquement sur le littoral, mais aussi dans les communes plus isolées de Guyane. Nous estimons aussi qu'il serait judicieux de proposer la création de nouveaux postes d'accompagnement à la parentalité, pour accompagner les mères et les couples jusqu'aux trois ans de l'enfant, à son entrée dans la scolarité, et pas uniquement à sa naissance.

Nous souhaitons également développer les permanences de sages-femmes en milieu scolaire, dispositif existant en Guyane, qui mériterait d'être déployé ailleurs. Nous aimerions en outre que le territoire soit doté de foyers parentaux afin de pallier l'isolement des adolescentes et de prévoir un accompagnement global, qu'il soit matériel, psychologique ou pédagogique. Sur l'ensemble du territoire, nous recommandons également de privilégier et de renforcer les actions de sensibilisation avec l'ensemble des acteurs concernés, notamment dans les établissements scolaires. C'est bien là que se joue la sensibilisation. Pour ce faire, nous recommandons le développement de plans de formation adaptés aux réalités des territoires, aux professionnels de santé, mais également aux professionnels de l'Éducation nationale. Ils doivent faire état des réalités sociales, culturelles et historiques dans ces territoires ultramarins.

Mme Jodie Soret. - J'aimerais désormais ajouter quelques mots concernant l'éducation, sujet sur lequel nous travaillons depuis un certain temps déjà, notamment dans l'Hexagone. Nous avons publié un rapport sur la situation de l'éducation en Guyane, dans lequel nous estimions à 10 000 le nombre d'enfants n'ayant pas accès à l'éducation. Nous avions repris des chiffres de la Cour des comptes, même si ces estimations sont toujours assez difficiles à établir. Des travaux plus récents estiment à 9 500 le nombre d'enfants, à Mayotte, qui n'auraient pas accès à l'éducation. Nous travaillons fortement sur ce sujet et devrions renforcer notre action sur ce territoire dans les mois à venir.

Parmi les freins que nous avons identifiés à Mayotte, là où nous avons travaillé jusqu'ici, je peux citer une absence de repérage et d'identification des enfants non scolarisés. Le code de l'éducation impose aux municipalités de dresser la liste de tous les enfants soumis à l'obligation scolaire, mais cette disposition n'est pas toujours - voire très peu - appliquée sur les territoires. Sont ainsi laissés dans l'invisibilité un certain nombre d'enfants non scolarisés. L'absence de recensement empêche le repérage des enfants, et donc leur accompagnement. Dans certains quartiers informels, il est notamment très difficile de savoir si l'ensemble des jeunes sont scolarisés ou non, ce qui complique la collecte de données de qualité. S'y ajoutent des difficultés d'inscription à l'école, parfois liées à des pratiques illégales de la part de certaines municipalités. Nous l'avons noté en Guyane et à Mayotte, à l'encontre d'enfants étrangers se trouvant, de fait, privés de scolarisation. La Défenseure des droits a rendu un certain nombre de recommandations à ce sujet.

À Mayotte, nous avons aussi relevé des dispositifs censés pallier le manque de places dans les établissements scolaires. Le rectorat y a décidé la mise en oeuvre d'un dispositif dérogatoire de classes itinérantes. Plusieurs associations ainsi que la Défenseure des droits ont relevé que les enfants de nationalité française seraient ainsi scolarisés de préférence dans des écoles de la commune, et que les enfants étrangers sont généralement accueillis une matinée par semaine dans le cadre de ce dispositif de classe itinérante. Nous y voyons une différence de traitement qui retient notre attention. La justice, saisie de ce dispositif par le biais des associations, a considéré que cette solution ne saurait être regardée comme un palliatif à une scolarisation effective, ce qui renforce la nécessité de mener un vrai travail pour que l'ensemble des enfants ait accès à ce droit à l'éducation.

Enfin, les conditions de logement, de transport, voire de restauration peuvent rendre difficile l'accès et le maintien à l'école. J'insiste notamment sur l'enjeu des transports scolaires ou le manque de places en internat, qui a conduit à mettre en place le dispositif de « familles hébergeantes » en Guyane. Ce dispositif ad hoc répond certes à un besoin, mais ne nous semble pas nécessairement aller dans le sens de la meilleure protection des enfants. Il nous paraît parfois opaque.

Ainsi, nous recommandons de poursuivre et de pérenniser le travail engagé autour de l'identification des enfants éloignés de l'école en l'incluant dans une démarche nationale. L'enjeu du non-accès à l'éducation n'est pas seulement un problème de territoire ultramarin. Il existe aussi des enfants, dans l'Hexagone, qui ne sont pas scolarisés. Ainsi, l'Observatoire de la scolarisation et de la réussite éducative, qui a été relancé en Guyane, doit pouvoir s'inscrire dans un contexte un peu plus global, afin d'harmoniser les méthodologies. Aussi, nous poussons à la mise en place d'un observatoire national de la non-scolarisation pour que soient menées des réflexions au niveau national sur ce sujet.

Nous nous intéressons également beaucoup au développement de la médiation scolaire. Ce dispositif a été mis en place par la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal). Il se concentre aujourd'hui majoritairement sur l'Hexagone. Il nous apparaît intéressant de l'élargir aux territoires ultramarins, en l'adaptant, évidemment. Nous savons que certaines initiatives ressemblant à la médiation scolaire existent déjà, mais elles n'entrent pas dans ce cadre de gestion par la Dihal.

Ancrer les dispositifs ad hoc applicables dans certains territoires d'outre-mer dans le droit commun semble par ailleurs essentiel. Un droit local peut être très intéressant, mais il est nécessaire de s'assurer qu'il s'applique pour le mieux et vise une meilleure réalisation des droits de l'enfant, pour une meilleure adaptation. Nous faisons notre possible pour éviter des dispositifs qui consisteraient à moins bien appliquer les droits de l'enfant.

Mme Mathilde Detrez. - Nous allons terminer notre propos avec les sujets de santé.

Les constats que je vais dresser sont certainement partagés. Le rapport de l'Igas sur la santé des enfants affirme, en 2021, que les indicateurs de santé ainsi que les déterminants de santé des enfants sont plus défavorables dans les territoires d'outre-mer que dans l'Hexagone. La pauvreté monétaire et multidimensionnelle qui frappe certains des territoires ultramarins n'est pas sans conséquence sur le parcours de santé des enfants, qui représentent tout de même une part importante de la population, surtout dans certains territoires. À titre d'exemple, la mortalité infantile est deux à trois fois plus élevée dans les DROM que dans l'Hexagone. De fait, la santé des enfants est particulièrement dégradée sur certains territoires, qui souffrent de carence dans l'offre de soins et les infrastructures de santé en général, mais également dans l'offre de soins hospitalière en pédopsychiatrie, qui ne fait pas exception à ces carences. La prise en charge des enfants en santé mentale est aussi un enjeu fondamental. Il s'agit de l'une des priorités d'Unicef France, surtout dans ces territoires où l'accès aux soins dits « essentiels » - qui ne comprennent pas forcément les soins en santé mentale de prime abord -, est semé d'embûches.

Nous recommandons de développer et de renforcer les dispositifs mobiles d'accès aux soins existants, qui font leurs preuves sur certains territoires, mais aussi la prévention grâce à la médiation en santé. Pour ce faire, doivent être associés l'ensemble des acteurs concernés afin d'entamer une réelle démarche d'« aller vers », qui fonctionne et a fait ses preuves. Elle doit être renforcée. Il est essentiel d'aller vers les enfants éloignés en leur proposant des infrastructures adaptées à leur prise en charge.

Nous souhaitons également porter à votre connaissance les freins en matière de soins et de protection maladie dans certains territoires ultramarins. Nous recommandons vivement de mettre en place l'Aide médicale d'état (AME) et la complémentaire santé solidaire à Mayotte, sans aucune distinction. Nous souhaitons aussi que soit permise l'affiliation à la sécurité sociale de tous les enfants, peu importe la situation administrative de leurs parents ou la situation d'isolement. Ce n'est pas encore le cas sur l'ensemble du territoire français.

Permettez-moi d'évoquer rapidement la procédure d'évacuation sanitaire. Je ne sais pas si vous la connaissez. Elle est plutôt opaque en fonction des territoires. Elle existe surtout de Mayotte vers La Réunion, mais également de la Guyane vers l'Hexagone. Nous aimerions qu'un travail de fond soit mené. Il est déjà effectué par certaines associations sur place, notamment la Cimade à La Réunion. Nous souhaitons oeuvrer pour la modification de cette procédure, afin de permettre aux parents d'accompagner leur enfant jusqu'à son retour lorsqu'il bénéficie d'une évacuation sanitaire d'un territoire ultramarin à un autre, ou d'un territoire ultramarin à l'Hexagone, en respect du principe de non-séparation des familles, et sans distinction en fonction de la situation administrative des parents. Parfois, des enfants sont évacués à La Réunion, par exemple, et les difficultés liées à la délivrance de passeports provisoires ou de laissez-passer empêchent les parents de les accompagner. Ces jeunes restent sur un territoire qu'ils ne connaissent pas parfois pendant des mois, voire des années. En découle une rupture dans le droit au respect de la vie privée et familiale relativement conséquente. Des réflexions sont en cours s'agissant de cette procédure.

Enfin, nous souhaitons recommander l'amélioration de l'offre de soins en santé mentale des enfants, et permettre un suivi efficient. Celui-ci passerait par le renforcement des structures adaptées, mais également par une valorisation des actions de prévention du suicide - nous parlions plus tôt des jeunes amérindiens en Guyane. Doit également être généralisé le suivi en santé mentale des enfants concernés par la destruction de leurs habitats à Mayotte, notamment dans le cadre de la loi ELAN.

Mme Jodie Soret. - Nous avons tenté de balayer un certain nombre de recommandations, bien que le sujet soit très vaste. Vous aurez noté que notre prisme concerne avant tout les droits de l'enfant et notre interprétation de la Convention des droits de l'enfant, basée sur les recommandations du Comité des droits de l'enfant.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour cette présentation exhaustive, qui démontre l'engagement de l'Unicef sur nos territoires ultramarins.

Vous avez pointé différentes problématiques qui soulèvent deux questions.

D'abord, vous avez évoqué le changement du calcul du seuil de pauvreté à compter de 2020. Pourquoi a-t-il été opéré à ce moment-là ? Quelles en ont été les conséquences ?

Par ailleurs, vous avez soulevé des disparités entre l'Hexagone et les territoires ultramarins. Pourrez-vous nous envoyer les différences observées sur les allocations diverses et variées, en particulier pour justifier votre constat sur le droit opposable au logement qui ne serait pas une réalité sur certains territoires ?

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Je m'orienterai quant à moi sur un sujet pratico-pratique. Je sais que l'Unicef est en partenariat avec de nombreuses collectivités, dont celle d'Issy-les-Moulineaux que je connais très bien. La ville est signataire de la charte « Ville amie des enfants ». Beaucoup de collectivités ultramarines en sont-elles signataires ? Elle permet notamment aux collectivités, au travers des conseils municipaux de jeunes ou de conseils de jeunesse, de commencer à sensibiliser ces populations sur certains sujets. Je crois beaucoup au maillage territorial de votre action.

Vous indiquiez notamment que vous comptiez un salarié en Guyane, territoire que vous investissez fortement. Envisagez-vous des liens avec les collectivités supports ? J'imagine que l'Unicef seule ne pourra pas porter ces sujets, au-delà de votre travail de plaidoyer et de vos recommandations. Nous sommes en outre intéressés par la manière dont des politiques nationales permettraient des projections d'acteurs tels que l'Unicef dans les territoires ultramarins. Quelles seraient les mesures qui permettraient de favoriser votre implantation au travers de partenariats, ou en direct ?

Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - Merci pour vos interventions et pour l'exhaustivité de votre présentation. Nous voyons à quel point l'Unicef est engagée en matière de droits de l'enfant, mais aussi et surtout en matière d'effectivité de ces droits, notion qui me paraît presque plus importante encore. On peut avoir des droits, mais si l'on ne peut pas les exercer, leur importance devient très relative.

Si j'ai bien compris, le service Plaidoyer constitue aussi un lien avec les acteurs sur place. Quel est votre regard sur les différents acteurs en fonction des territoires ultramarins ? Des coordinations doivent-elles, selon vous, être améliorées ? Des manques sont-ils constatés ? Sur certains territoires, un acteur prend-il plus de place en la matière ?

Parmi vos recommandations, je suis particulièrement sensible à la création d'un observatoire de la non-scolarisation. Les chiffres que vous nous avez rappelés peuvent être sous-estimés. Ils sont inquiétants, tant en Guyane qu'à Mayotte. Les recommandations émises le sont pour l'avenir. Pour autant, que faisons-nous de ces enfants qui ne sont pas scolarisés à l'heure actuelle ? Ils sont 9 000 ou 10 000, avec toutes les conséquences que nous pouvons supposer pour leur avenir. J'imagine que cette question est assez compliquée, mais pouvez-vous nous faire part de votre regard sur le sujet ?

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Merci pour vos interventions complémentaires et exhaustives. J'ai toutefois deux questions à vous poser. Vous avez dressé un constat des carences et inégalités d'application de certains dispositifs de droit commun entre l'Hexagone et nos différents territoires. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions à ce sujet ?

S'agissant de l'accès aux soins et de la qualité des soins, des difficultés se font jour un peu partout en France pour trouver des médecins. Il existe des déserts médicaux sur certains territoires. La prise en charge des enfants et de leur santé mentale constitue un vrai sujet sur nos territoires, car nous manquons de pédopsychiatres.

Vous avez évoqué les évacuations sanitaires. Elles se font généralement vers l'Hexagone. Il est nécessaire de maîtriser les dispositifs sur les territoires eux-mêmes et de trouver des alternatives. Avez-vous des préconisations à émettre en la matière pour éviter l'isolement des enfants, réel sujet ? Nous parlions de santé mentale, mais nous pouvons également mentionner les cancers des enfants. Leurs soins sont quasiment exclusivement effectués dans l'Hexagone.

M. Thani Mohamed Soilihi. - J'aurai deux questions à vous poser, mais j'aimerais débuter mon propos par quelques observations et mises au point. Le système de rotation qui fait que nous sommes obligés, à Mayotte, d'utiliser la même salle de classe pour une classe le matin et une autre l'après-midi, est valable pour tout le monde et n'est pas réservé aux élèves étrangers. D'ailleurs, le taux d'échec scolaire qui s'élève à 75 % est le même pour tous, sans distinction entre les élèves mahorais et étrangers.

Par ailleurs, nous avons mené des travaux, au sein de la délégation sénatoriale aux outre-mer, pour une procédure rapide de destruction des bidonvilles à Mayotte et en Guyane. Cette procédure est conforme. Je suis très admiratif de votre engagement, mais parfois, lorsque l'on vous écoute, on a le sentiment que l'on n'est pas en France. À Mayotte, c'est la loi française qui est appliquée. Le dispositif de la loi ELAN a franchi le seuil de constitutionnalité. D'ailleurs, récemment, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a été soumise au Conseil d'État, qui a refusé de la déférer, estimant que le dispositif de la loi ELAN était constitutionnel, compte tenu de ce qu'il se passait à Mayotte et en Guyane.

Enfin, il est hors de question de revenir sur la disposition adaptant le droit de la nationalité à Mayotte. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État se sont prononcés. La condition supplémentaire d'un séjour de trois mois de l'un des parents pour que l'enfant né sur le sol mahorais puisse acquérir la nationalité française est qualifiée par certains de « gnognote » sur le territoire. Je rappelle que récemment, une proposition de loi du groupe Les Républicains (LR) proposait de supprimer le droit du sol à Mayotte. Ainsi, je peux entendre que vous demandiez un assouplissement, mais aujourd'hui, les droits sont préservés, tant bien que mal, compte tenu de la situation à Mayotte.

Pour cette raison, j'ai deux questions à vous poser. D'abord, que pensez-vous de la nécessité d'appliquer la circulaire Taubira à Mayotte ? Beaucoup de ces enfants sont abandonnés. La circulaire permet de répartir certains d'entre eux dans d'autres départements pour s'en occuper. Les collectivités de Mayotte ne peuvent pas le faire. Elles sont asphyxiées et manquent de moyens. Quel est votre avis sur le sujet ? Jean-Luc Mélenchon l'a proposé. Tous les élus mahorais seraient d'accord pour mettre cette disposition en oeuvre. Le territoire ne tient pas ; 77 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté. Chaque année, avant la rentrée scolaire, vous voyez arriver des dizaines de kwassas-kwassas scolaires remplis d'enfants cherchant à accéder à l'éducation et à la nationalité française, en plus des kwassas-kwassas sanitaires.

Ensuite, l'Unicef agit partout dans le monde. Menez-vous des actions, aux Comores notamment, pour aider à la fixation de ces populations chez elles, dans les trois îles ? Ce serait la seule solution viable. Mayotte, à elle seule, ne peut accueillir toute la misère de l'océan Indien.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci beaucoup au Sénateur de Mayotte, qui connaît bien évidemment son territoire.

Je vous laisse vous organiser comme vous le souhaitez pour répondre. Au regard du temps contraint dont nous disposons, n'hésitez pas à compléter vos réponses, qui peuvent être complexes et longues, par écrit à l'issue de cette audition.

Mme Jodie Soret. - Compte tenu du peu de temps qu'il nous reste, je serai rapide.

Nous vous enverrons la raison du changement de calcul du seuil de pauvreté à compter de 2020, car je ne pense pas que nous serons en mesure de vous en fournir des explications tout de suite. Si nous la trouvons, nous vous la transmettrons. Elle figurera, je suppose, dans l'état des lieux que nous publierons en novembre.

Nous pourrons également vous communiquer des éléments sur les différences observées entre la métropole et les territoires ultramarins.

En effet, nous disposons d'un réseau des « Villes amies des enfants ». À chaque nouvelle édition, qui correspond à un nouveau mandat, nous travaillons avec la volonté d'accompagner toujours plus de villes vers une effectivité du droit de l'enfant sur leur territoire. Des villes de La Réunion en sont membres. En même temps que nous progressons en matière de plaidoyer sur les territoires ultramarins, nous cherchons à travailler davantage avec les collectivités, localement. Notre action se concentre pour l'heure essentiellement sur La Réunion, mais nous voulons le faire davantage lors du prochain mandat.

Nous travaillons également sur un dispositif d'écoles amies des droits de l'enfant, visant notamment à proposer une école par les droits, pour les droits de l'enfant. Je pourrai vous communiquer des éléments sur ce point. Certaines de ces écoles et de ces méthodologies pourraient également concerner les territoires ultramarins, notamment la Guyane.

Un comité local est également implanté à La Réunion. C'est une façon de renforcer progressivement notre action.

Ensuite, il nous sera difficile de parler de la coordination entre les différents acteurs, en dehors de la Guyane qui concentre la plupart de nos travaux. Nous voyons que la collectivité territoriale et le rectorat travaillent bien ensemble. C'est une très bonne nouvelle, qui a notamment permis de relancer l'Observatoire de la scolarisation et de la réussite éducative évoqué plus tôt. Nous espérons que cette dynamique va se poursuivre, notamment sur les autres sujets qui restent problématiques. Je pense notamment aux questions de transports. Ceux-ci coûtent cher et ne sont pas toujours pratiques. Lorsqu'un enfant doit faire trois heures de pirogue pour aller à l'école, il lui est plus compliqué d'être assidu. Nous savons par ailleurs qu'un travail est réalisé pour renforcer les propositions en termes d'internat, puisqu'il en manque sur les territoires. Le dispositif des familles hébergeantes ne nous semble pas satisfaisant en l'état. Nous savons qu'une certaine attention est portée sur le sujet, mais les droits de l'enfant ne sont pas toujours, selon nous, placés au centre de ces politiques publiques. Parfois, il faudrait peut-être renforcer la question des droits de l'enfant et adapter certaines politiques pour s'assurer de leur effectivité. C'est l'une des réponses que nous pouvons apporter s'agissant de Mayotte. J'entends bien les difficultés vécues sur place, mais nous avons entre autres pour rôle de proposer des recommandations qui feraient en sorte d'assurer le plus possible l'effectivité des droits des enfants. Ensuite, nous ne sommes pas en position de législateur. Nous ne pouvons qu'observer la situation et identifier son impact sur les droits des enfants. C'est pour cette raison que nous nous permettons d'émettre des recommandations.

S'agissant de l'observatoire de la non-scolarisation, nous tenons des discussions au niveau national avec les ministères. Elles avancent bien. Nous pourrons vous en dire davantage. Nous espérons notamment que ce dispositif pourra figurer dans le Pacte des solidarités ou dans le Comité interministériel piloté par la secrétaire d'État Charlotte Caubel. Nous continuons à pousser ce dispositif, qui nous semble devoir être regardé à l'échelle de la France entière. Si possible, il faudrait également harmoniser les méthodologies.

Mme Mathilde Detrez. - Je me permets de répondre à Monsieur le Sénateur Thani Mohamed Soilihi. Nous pourrons prendre un autre temps pour évoquer toutes ces questions qui demandent beaucoup de réflexions, mais je suis ouverte à évoquer, avec vous, la réforme de la nationalité.

Vous avez raison, le dispositif des classes itinérantes ne prévoit pas spécifiquement la scolarisation des enfants étrangers, et heureusement. Nous avons simplement étudié les décisions de justice prises en ce sens et les recommandations de la Défenseure des droits, qui font état, dans l'effectivité des droits, d'un manque d'égalité entre les enfants de nationalité française et ceux qui seraient considérés comme étrangers. Bien évidemment, nous savons que ce dispositif, qui peut permettre de répondre à certains besoins, vaut pour tout le monde, et que la non-scolarisation concerne tous les enfants sur le territoire mahorais.

L'accès à la nationalité demanderait des réflexions plus approfondies. Je me permets de reprendre votre terme. Vous dites que la réforme est de la « gnognote » pour certains, mais ses conséquences sur la réalisation des droits de l'enfant sont dramatiques. Je ne vous apprends rien en soulignant que la composition des familles, à Mayotte, comprend parfois plusieurs statuts avec des enfants de nationalité française et d'autres ne l'ayant pas. Après cette réforme, des milliers d'enfants se sont retrouvés, du jour au lendemain, sans possibilité d'obtenir la nationalité, alors qu'ils pensaient depuis leur naissance qu'ils deviendraient français. Ils ont été scolarisés dans le système de droit commun français. Cela a de fait des conséquences sur leurs possibilités de poursuite d'études, par exemple, mais aussi sur leur intégration au sein de la République Française.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Les dispositions sont appliquées depuis 2018. Il est ainsi impossible qu'elles puissent toucher des personnes en voie de scolarisation.

Mme Mathilde Detrez. - Une rétroactivité de la loi est prévue.

M. Thani Mohamed Soilihi. - Elle ne l'est que jusqu'en 2013. Les élèves de 18 ans et plus ne sont pas touchés par cette réforme.

Mme Mathilde Detrez. - Un principe de rétroactivité de la loi s'applique pour les enfants venant d'avoir 18 ans.

M. Thani Mohamed Soilihi. - On ne peut pas remonter plus loin que 2013, il y a dix ans.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Il y a a priori un point de désaccord important. J'entends vos propos. Une discussion est nécessaire. Le sénateur vit à Mayotte et représente ce territoire.

Mme Mathilde Detrez. - J'ai été juriste en accès aux droits à Mayotte. J'ai accompagné des jeunes dans l'accès à leur nationalité ces deux dernières années. Nous pourrons en rediscuter.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - J'entends deux visions et deux positions extrêmement différentes. Ce point mérite des discussions plus longues et des précisions. Nous le ferons dans les échanges que nous pourrons avoir ensemble ultérieurement.

Mme Mathilde Detrez. - Je vous rejoins sur la circulaire Taubira, réflexion intéressante et pertinente, mais qui ne s'applique pas à Mayotte. C'est une conséquence du système dérogatoire. Vous le savez, lors de l'obtention d'un titre de séjour à Mayotte, celui-ci est territorialisé. Il ne permet pas de se déplacer librement sur l'ensemble du territoire français. Les personnes doivent solliciter un visa. Le constat est le même pour les documents de circulation pour étrangers mineurs. L'enfant doit être né sur le territoire.

Si on permet aux personnes disposant d'un titre de séjour ou aux enfants disposant d'un document de circulation de circuler librement, la circulaire Taubira pourra s'appliquer. Ce levier, qui pourrait être intéressant et pertinent, demande des réflexions.

Mme Jodie Soret. - Enfin, un bureau de l'Unicef installé aux Comores y mène un certain nombre d'actions. Je pourrai vous envoyer des éléments sur son programme. Des actions de développement, comme nous en menons dans tous les autres pays et territoires, y sont réalisées. Nous sommes régulièrement en contact avec les acteurs qui y sont présents. Nous pourrons en rediscuter ultérieurement.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour votre engagement sur les territoires ultramarins. Nous attendons vos éléments complémentaires avec impatience.

Audition de la Croix-Rouge française

(25 mai 2023)

Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Chers collègues, Mesdames, je suis accompagnée du président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, Stéphane Artano. Nous poursuivons nos travaux sur la parentalité dans les outre-mer avec une audition de la Croix-Rouge française.

Nous accueillons Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française, accompagnée d'Anne Skrobot, directrice adjointe de la direction nationale outre-mer et d'Alizée Bombardier, responsable relations institutionnelles, communication et développement de projets.

Bienvenue à vous. La Croix-Rouge française est la seule association qui dispose d'une couverture nationale complète, dans l'Hexagone et dans chaque territoire ultramarin, avec 3 700 volontaires engagés dans les douze délégations territoriales ultramarines. Elle a donc une vision transversale des difficultés rencontrées par les publics qu'elle accompagne et des caractéristiques propres à chaque territoire.

Nos attentes s'articulent autour de deux axes :

- premièrement, connaître les actions menées par la Croix-Rouge française dans les territoires ultramarins et savoir comment vous adaptez vos missions d'action sociale à ces territoires, davantage touchés par la précarité - en particulier la précarité des mères seules, la non-scolarisation et le décrochage scolaire des jeunes, les grossesses précoces, ou encore la présence de mineurs non accompagnés en grande difficulté ;

- deuxièmement, nous souhaitons connaître les recommandations de la Croix-Rouge française afin d'améliorer la situation des familles d'outre-mer. À travers nos travaux, nous sommes à la recherche de solutions et d'outils pour que nos politiques familiales et sociales tiennent davantage compte des particularités ultramarines et pour améliorer le soutien à la parentalité dans nos territoires ultramarins.

Je laisse sans plus tarder la parole à Mme Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française. Nous tiendrons ensuite un temps d'échange.

Mme Gaëlle Nerbard, directrice nationale outre-mer de la Croix-Rouge française- Bonjour à toutes et à tous, merci de nous accueillir aujourd'hui pour présenter la thématique de la parentalité en outre-mer, importante pour la Croix-Rouge française. Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de présenter notre structure et les dispositifs d'aide à la parentalité que nous avons installés sur les territoires, avant d'en venir aux constats que nous en avons tirés.

La Croix-Rouge française est la seule association nationale présente dans les trois océans, en outre-mer, ce qui nous donne une visibilité sur des territoires et une connaissance particulière de ce qui s'y passe, sur un certain nombre de sujets. Nous sommes un auxiliaire des pouvoirs publics reconnu et un acteur de confiance. Nous comptons douze délégations territoriales, cinquante-et-un établissements, des directions territoriales et plus de 3 700 bénévoles. Nous disposons par ailleurs de trois plateformes d'intervention régionale en outre-mer. Elles interviennent dans les zones et bassins régionaux en matière de sensibilisation et de gestion des risques et catastrophes naturelles.

La Croix-Rouge française a identifié quatre thématiques de travail prioritaires en outre-mer :

- la prévention et la gestion des crises auxquelles nous sommes soumis, qu'elles soient sociales ou climatiques ;

- l'enjeu majeur du bien vieillir ;

- la lutte contre les violences intrafamiliales qui, la crise sanitaire nous l'a montré, sont très présentes et concernent l'ensemble des territoires ultramarins ;

- la jeunesse.

La Croix-Rouge française en outre-mer est une association généraliste. Nous couvrons un spectre très important qui commence par la prise en charge de la petite enfance avec des crèches, des dispositifs d'aide à la parentalité auprès des familles, des maisons d'enfants à caractère social en matière de protection de l'enfance... Nous disposons également des seuls dispositifs de prévention spécialisée que nous retrouvons à Mayotte, à Saint-Barthélemy et en Nouvelle-Calédonie. Nous allons ensuite jusqu'à l'accompagnement des personnes âgées avec des Ehpad, des résidences autonomes ou des services de soins à domicile.

Permettez-moi à présent de vous exposer nos dispositifs par territoire relatifs à l'accompagnement des enfants et des familles. Je rappelle qu'à la Croix-Rouge française, l'accompagnement est basé sur le volontariat des familles. Cette donnée est essentielle. Nous ciblons les parents vulnérables. Nous reviendrons sur ces vulnérabilités, majeures en ce qui concerne les familles. C'est une porte d'entrée. On n'arrive pas à l'aide à la parentalité tout de suite, il est nécessaire de prendre en charge les autres difficultés rencontrées par les parents. Cette approche nous apparaît essentielle.

En Martinique, nous proposons plusieurs dispositifs, à commencer par des lieux de soutien à la parentalité à Saint-Pierre, à Fort-de-France et à Sainte-Luce, et des espaces de rencontre parent-enfant. Nous organisons également des stages de rappel à la responsabilité parentale lorsque des parents ont été auteurs de certains gestes. Nous travaillons sur la récidive vis-à-vis de ces comportements. Nous disposons également d'appartements thérapeutiques où nous accompagnons des enfants atteints de pathologies assez lourdes, telles que des cancers. Nous accompagnons les familles dans ce cadre.

Je profite de ce point pour présenter rapidement l'« option Croix-Rouge », dispositif national porté par la Croix-Rouge française au sein de tous les territoires, dont les outre-mer. Dans ce cadre, nous intervenons au sein des écoles, collèges, lycées, universités. Nos bénévoles y travaillent avec les équipes éducatives sur une thématique définie par ces dernières. Dans l'un des collèges de Fort-de-France, il a été décidé de travailler avec un Ehpad sur le lien intergénérationnel, au sein d'un jardin intergénérationnel. Il répond par exemple à la question suivante : « comment retrouver la culture de certains légumes que certains enfants ont aujourd'hui oubliés ? ». Ce dispositif est très intéressant et fortement soutenu. Nous en sommes très fiers. C'est aussi un moyen de travailler sur de nombreux sujets avec les jeunes.

À Saint-Martin, nous disposons d'une crèche Pomme d'Happy, qui a la particularité d'accueillir une douzaine d'enfants en situation de handicap. Au sein de ces dispositifs, nous travaillons évidemment avec les familles. Nous y proposons également un espace santé jeunes, qui travaille sur la santé sexuelle et les addictions auprès de ces publics. Dans ce cadre, des ateliers sont organisés dans les établissements scolaires, avec les équipes éducatives. Sont mises en place des activités sur ces questions, avec les familles.

À Saint-Barthélemy, nous avons signé cette année une convention avec la collectivité pour mettre en place un dispositif mobile de prévention spécialisée. J'y reviendrai plus tard, la Croix-Rouge se caractérise par le développement de dispositifs d'« aller vers ». Nous allons en effet vers les publics que nous accompagnons. Ce dispositif en est un exemple. Nous proposons en outre du soutien scolaire, et l'« option Croix-Rouge », avec d'autres dispositifs de Vestiboutiques. Nos dispositifs sont surtout des lieux de rencontre. Nous sommes là pour réinstaurer un lien social. On parle beaucoup d'isolement. La crise sanitaire nous a montré à quel point nos populations étaient isolées. Se rendre à la Vestiboutique pour prendre un café ou pour acheter un vêtement permet d'aborder de nombreux sujets autour de la personne accompagnée.

En Guyane, nous proposons un espace parent-enfant, à Cayenne. Il est ouvert aux enfants âgés de moins de 18 mois et aux familles en situation de grande précarité. Ces ateliers, qui se réunissent une fois par semaine, répondent à un vrai besoin de ces familles. Ce dispositif vise à les aider à envisager un avenir meilleur. Ce sont les bénévoles de la Croix-Rouge française qui le portent. Il vise à accompagner les parents dans leur rôle de père ou de mère, à leur faire retrouver le plaisir d'échanger, parce que ces familles souffrent parfois d'une rupture de lien. Nous distribuons aussi du lait médicalisé d'urgence à la demande des professionnels de santé qui nous envoient les familles concernées.

À La Réunion, nous disposons d'une Maison d'enfants à caractère social (MECS) à laquelle s'ajoute un dispositif mobile de médiation sociale de rue, toujours dans un objectif d'« aller vers ». L'aide à la parentalité est intrinsèque à ce dispositif. Nous accueillons des enfants placés par l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Au sein de ce dispositif, nous menons un travail important avec les familles, à la fois à l'occasion de visites organisées, et d'ateliers.

À Mayotte, nous disposons depuis l'année dernière d'une maison des familles à Passamaïnty. Nous voyons chaque jour à quel point elle est indispensable. Les familles viennent y rencontrer nos équipes à l'occasion d'ateliers avec les enfants, pour des jeux. C'est également l'occasion d'aborder un ensemble de difficultés qu'elles peuvent rencontrer. Nous constatons, tant à travers ce dispositif qu'en général, que pour travailler avec les enfants et familles, il faut travailler sur les autres difficultés rencontrées, dont la précarité alimentaire, ou l'illectronisme. À l'école, au collège, au lycée, tout est aujourd'hui envoyé par Internet. Les difficultés de lecture peuvent mettre les familles dans l'embarras. Nous travaillons avec elles pour leur permettre de retrouver leur place de parents, avant de travailler sur la parentalité en tant que telle. À la Croix-Rouge, en tant qu'acteur généraliste, nous avons la chance de proposer l'ensemble des dispositifs nécessaires. Nous disposons en outre d'un service de lutte contre la malnutrition infantile. Nous intervenons sur ces sujets à l'intérieur des villages et quartiers. Par ailleurs, nous avons conclu un partenariat avec l'ONG Bibliothèques sans frontières qui propose un dispositif de bibliothèque numérique, l'Ideas Box, qui nous permet de travailler sur la lecture, le numérique... C'est également un dispositif mobile d'« aller vers » que nous apportons dans les quartiers, les villages, là où la population a besoin de nous.

En Nouvelle-Calédonie, nous disposons de deux crèches à Nouméa, la Maison du Petit Enfant et les Cerisiers bleus. Il n'y a que très peu de crèches sur ce territoire. Elles sont en partie concentrées autour de Nouméa. Elles sont, pour la plupart, privées. La Croix-Rouge a l'avantage de pouvoir proposer différents tarifs. Peu de crèches peuvent le faire. Nous proposons quatre tarifs pour les familles. Vous le savez, la Nouvelle-Calédonie n'est pas soumise au même système que le reste du territoire. Ce dispositif permet de prendre en charge des familles qui seraient en situation de vulnérabilité. Au sein de ces crèches, nous travaillons sur des ateliers avec les familles. Par ailleurs, la Maison de la famille nous permet d'organiser des ateliers autour de l'aide à la parentalité. En outre, nous constatons au travers de ce dispositif à quel point les familles des jeunes que nous aidons sont éloignées de l'accompagnement, en partie parce qu'elles rencontrent d'autres difficultés, d'ordre alimentaire par exemple, ou des addictions les empêchant d'assumer leur rôle de parents. En Nouvelle-Calédonie, nous travaillons également beaucoup, tant dans les établissements scolaires que dans des dispositifs d'« aller vers », sur la lutte contre différents types d'addictions.

Notre constat général sur les structures familiales n'est pas limitatif, et s'appuie sur les observations des salariés et bénévoles dans le cadre de leur accompagnement. D'abord, les territoires sont concernés par une grande part de familles monoparentales. Si les pères peuvent être présents, ils ne reconnaissent souvent pas l'enfant. On constate également des situations de couple hors habitation conjugale, c'est-à-dire que beaucoup de familles, notamment en Martinique, mais pas seulement, ne vivent pas ensemble. Le père n'est pas présent au sein du foyer. Dans la quasi-totalité des cas de séparation, l'enfant vit avec sa mère. Très peu de familles ont recours à la justice pour organiser la garde de l'enfant. Nous constatons également que la présence du père est très forte car, même sans reconnaissance, il décide du rythme des visites ou des sorties. La mère conserve les rôles éducatif et économique.

Le modèle de famille élargie est également un sujet, en particulier en Nouvelle-Calédonie et aux Antilles, bien qu'il tende à évoluer. Au sein d'une famille, plusieurs générations peuvent vivre dans une seule et même habitation. C'était le cas en Martinique, mais ce modèle tend à se déliter, en lien avec le départ des jeunes de ces territoires.

Nous constatons également une influence du cercle familial élargi, très prégnante sur l'éducation. L'appartenance sociale reste un facteur déterminant.

En Martinique, plus de la moitié des structures familiales avec enfants sont monoparentales. On peut ici distinguer les couples séparés des couples hors cohabitation conjugale.

Nous observons que le sujet de la parentalité est traité en outre-mer, sous la forme de grands colloques et de grandes conférences. Ce n'est pas, à notre sens, la bonne manière de l'aborder au regard des familles que nous accompagnons. On retrouve dans ces événements des intervenants très intéressants qui connaissent le sujet, mais ils ne connaissent pas nécessairement les publics que nous souhaitons toucher.

Il est par ailleurs nécessaire d'éviter de stigmatiser nos familles, qui peuvent ressentir une forme de jugement, puisque la parentalité est personnelle. Elle relève d'une histoire. On constate en effet une méfiance importante sur les nouvelles pratiques éducatives. Je le disais en introduction, nous observons encore trop souvent des violences éducatives ordinaires au coeur de l'éducation des familles. Cette remise en cause est difficile, raison pour laquelle nous abordons le sujet différemment. Nous y reviendrons.

Le dispositif d'aide à la parentalité doit, à notre sens, être transversal à tous les dispositifs que la Croix-Rouge française porte par ailleurs. La première porte d'entrée peut être celle de la précarité alimentaire. Lorsque la famille vient nous rencontrer pour bénéficier d'aide alimentaire, on peut souvent discuter d'autres sujets. Celui des enfants arrive plus tard. Même lorsque nous disposons de dispositifs tels que les lieux de ressource à la parentalité en Martinique, nous ne traitons pas le sujet en tête-à-tête avec la famille d'emblée, pour ne pas la stigmatiser et la mettre en difficulté. Nous commençons par des ateliers collectifs au sein desquels elles vont parler de leurs difficultés. La question de l'enfant et de l'éducation arrivera plus tard. C'est ainsi que nous abordons le sujet. Les dispositifs doivent être transversaux. Avant de traiter la question de la parentalité, nous devons agir sur l'ensemble des vulnérabilités rencontrées par les familles.

Malheureusement, celles que nous accompagnons rencontrent des difficultés alimentaires, la crise l'a montré. C'est le premier sujet. On ne peut pas travailler avec un parent qui n'a pas mangé, qui n'a pas réglé ses factures et qui n'est pas en mesure de le faire. Il n'est pas disponible pour l'éducation. Pour cette raison, nous travaillons sur l'ensemble de ces vulnérabilités.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces explications. Je laisse sans tarder la parole aux rapporteurs et aux sénateurs qui voudraient vous interroger en tant qu'organisation présente dans tous les territoires ultramarins.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Merci Madame. Félicitations pour votre implantation sur l'ensemble des outre-mer. Vous êtes un acteur majeur et rayonnez sur tout le territoire. S'agissant de votre approche transversale de la parentalité, à laquelle je souscris, nous voyons bien que le déploiement de la Croix-Rouge française est différent sur tous les territoires. Est-ce lié à l'histoire de votre implantation sur ces territoires, à des constats que vous y avez opérés, aux moyens financiers dont vous disposez ? Est-ce lié à des choix politiques d'orientation de la Croix-Rouge ? Si vous parlez d'approche transversale, affichez-vous une volonté de la mettre en oeuvre sur l'ensemble des territoires, ou plaidez-vous pour une approche territorialisée ?

Mme Elsa Schalck, co-rapporteure. - À mon tour de vous remercier et de saluer votre action au quotidien et votre présence sur tous les territoires, ainsi que votre connaissance et votre expertise en la matière. Nous mesurons à quel point la Croix-Rouge française est un acteur majeur, de confiance, dont la mission se base non pas sur la parentalité, mais sur une prévention et une gestion des risques et des conflits. Vous vous investissez, nous le voyons au travers des différents dispositifs et outils présentés ce matin. Vous êtes présents et vous vous adaptez aux territoires.

Ainsi, comment mettez-vous en place les différents outils et dispositifs ? Sur certains territoires, vous installez une crèche. Sur d'autres, vous organisez des distributions de lait médicalisé. Les acteurs locaux vous sollicitent-ils en fonction de leurs besoins ? Est-ce les collectivités territoriales, les élus locaux, qui font appel à vous ? Comment l'expliquez-vous ? Mon collègue Stéphane Artano évoquait l'histoire, les moyens financiers. Une approche plus particulière entre-t-elle en jeu ?

Mme Victoire Jasmin, co-rapporteure. - Merci pour votre présence et pour l'exhaustivité des travaux que vous menez sur l'ensemble des territoires.

Le territoire manque de crèches. Nous avons constaté des carences à certains endroits, à l'occasion de nos déplacements. Quels sont les critères permettant de bénéficier de tarifs différenciés ? Dépendent-ils d'une éventuelle activité professionnelle des parents ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la prévention en matière d'alimentation, par exemple. Adaptez-vous votre façon de l'appréhender à chaque territoire selon vos constats ?

Enfin, comment les relations avec les collectivités locales se traduisent-elles ? Vous sollicitent-elles, ou êtes-vous à l'origine de la démarche ? Qu'en est-il du choix des familles et de l'implication des autres acteurs, tels que la CAF, la PMI, les acteurs départementaux ? Comment travaillez-vous avec ces différents partenaires ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Je me joins aux louanges de mes collègues concernant l'action de la Croix-Rouge dans nos territoires. Elle fait preuve de beaucoup de pragmatisme et de professionnalisme. C'est une association moins militante que certaines, qui se contente de faire le travail pour lequel elle s'est engagée. Elle aide beaucoup ces territoires. Néanmoins, n'avez-vous pas l'impression que la non-application de l'Aide médicale d'État (AME) à Mayotte y limite encore davantage l'accès aux soins ? Tous les rapports la préconisent, pourtant on craint un appel d'air. Je dis souvent que celui-ci est derrière nous. Nous l'avons dépassé. Dans la pratique, qu'en pensez-vous ? Cette non-application grève les crédits de l'hôpital et des dispensaires, pourtant déjà minces, et freine encore plus l'accès aux soins.

Mme Marie-Laure Phinéra-Horth. - En Guyane et à Mayotte, nous sommes confrontés au défi de l'immigration clandestine. Malheureusement, les femmes et les enfants subissent souvent les pires atrocités sur les routes migratoires. Ces enfants reçoivent un accompagnement, notamment lorsqu'ils sont en parcours de scolarisation, mais ce n'est pas suffisant. Cette situation contribue fortement à l'échec scolaire. La Croix-Rouge a-t-elle des préconisations à émettre afin d'aider ces parents étrangers ?

Par ailleurs, je constate, d'après votre exposé, que la Guyane n'est pas dotée de crèche Croix-Rouge, de Maison des familles ou de prévention des addictions. Ainsi, à quand un rééquilibrage de nos territoires ?

M. Marc Laménie. - Merci pour ce travail collectif que je partage avec mes collègues des deux délégations aujourd'hui réunies. Je ne me suis jamais rendu en territoire ultramarin. Je voyage grâce à mes collègues, qui connaissent bien le terrain. C'est important.

La Croix-Rouge française est une grande institution. Vous avez cité le nombre de bénévoles. Quel est-il dans les outre-mer, avec les salariés présents sur le terrain ?

Ensuite, si le volet humain prime, tout est financier. J'interviens ainsi sous ma casquette de membre de la commission des finances. L'État reste le premier partenaire financier des collectivités territoriales et des grandes associations et structures. Il y a la Mission outre-mer, et le volet Éducation nationale. Des actions sont mises en place. Vous avez évoqué les crèches et la petite enfance, ainsi que le partage de générations. Certains collègues ont mentionné le volet des collectivités territoriales. Quelle est leur action en outre-mer ? L'action de l'État y est-elle suffisante ? De quels moyens auriez-vous besoin pour améliorer les choses ? S'agissant des crèches et de la petite enfance, les caisses d'allocations familiales interviennent également. C'est un autre budget, relevant de la loi de financement de la sécurité sociale. Que vous manque-t-il ? À coup sûr, vous travaillez avec d'autres associations, d'autres structures, d'autres partenaires institutionnels, des assistantes sociales... C'est une grande chaîne. Puisque nous sommes législateurs, nous nous intéressons ici au budget de l'État. Que faudrait-il faire, selon vous ?

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous laisse vous organiser pour répondre à ces questions, nombreuses. Vous pouvez les regrouper pour faciliter votre intervention.

Mme Gaëlle Nerbard. - Je vais regrouper certaines réponses, certaines questions étant proches.

Moi aussi, j'ai une petite frustration. Je ne vous ai pas présenté l'ensemble de nos activités. J'ai rapidement cité nos interventions sur les territoires et nos champs d'intervention. Derrière ceux-ci, nos dispositifs sur les territoires ne se résument pas à ceux de l'aide à la parentalité. Je peux citer l'accompagnement des personnes âgées, les Samu sociaux en matière de lutte contre l'exclusion, les centres de santé en Guyane... Je n'ai pas pu tout vous présenter, mais je pourrai vous transmettre des éléments sur le sujet.

Monsieur le Président, vous me demandiez à quoi était due l'implantation dans les territoires. Je rappelle que la Croix-Rouge française ne fait pas de politique, bien que nous soyons un outil indispensable de politique sociale. Nous sommes un opérateur. Quel est notre mode de financement ? Sur tous les territoires, à l'exception du Pacifique Sud, nous répondons à des appels à projets portés par la CAF, les collectivités, l'État, l'ARS... Dans ce cadre, les dispositifs sont créés à cet instant. Nous avons ouvert des crèches à Saint-Martin ou en Nouvelle-Calédonie grâce à des opportunités qui restent corrélées à notre capacité de réponse à l'instant t.

Force est de constater que la clé du sujet est d'intervenir le plus tôt possible, dès l'enfance, dès la petite enfance. Les enfants ne sont pas seuls, ils sont entourés d'une famille. Nous pensons qu'il est prioritaire, pour la Croix-Rouge, de développer des dispositifs particuliers, reconnus, tels que les lieux de parentalité ressources, les maisons famille, la prévention spécialisée... Notre rôle d'opérateur essentiel reconnu est aussi d'alerter les pouvoirs publics, mais nous ne pouvons pas prendre l'initiative de créer in situ une crèche si elle ne vient pas des partenaires responsables institutionnels. Nous sommes là pour leur apporter une réponse. Nous souhaitons nous développer sur ces sujets, et en déployer davantage en Guyane, et pourquoi pas à Saint-Pierre-et-Miquelon. N'en doutez pas, Madame la Sénatrice. Nous pouvons solliciter les pouvoirs publics, mais pour ce faire, les financements sont indispensables. J'y reviendrai.

Les implantations sont liées à l'histoire et aux moyens humains. La Croix-Rouge en outre-mer, c'est 800 salariés et plus de 3 000 bénévoles. Je tiens à les saluer et à leur rendre hommage. Ils réalisent un travail formidable. Ils sont engagés. Notre force est d'être neutres. Nous ne regardons pas leur couleur, leur origine. Nous prenons en charge des hommes, des femmes, des enfants, vulnérables parce qu'en difficulté. Nous les accompagnons. Voilà pourquoi la Croix-Rouge existe. Sa force tient de notre universalité et de notre neutralité.

Comment mettre en place des outils ? Comment sommes-nous sollicités par les acteurs locaux ? Vous avez raison, les collectivités, les CAF ou l'État peuvent nous solliciter, connaissant notre expérience sur le sujet. À Saint-Martin, la PMI nous demande par exemple d'ouvrir d'autres crèches. Nous aussi, nous pouvons émettre des propositions. Je peux évoquer avec vous la nécessité, pour nous, d'accompagner les jeunes mères. On a parlé de familles monoparentales. Il s'agit surtout de jeunes femmes. Le service militaire adapté (SMA) a été interpellé par le fait que les volontaires accompagnées dans ce cadre abandonnent leur formation, parce que ces jeunes filles ont des enfants. C'est pourquoi des projets de crèches sont envisagés dans le cadre de la plupart des SMA. La Croix-Rouge va les accompagner, notamment en Martinique. J'ai souhaité soulever cet exemple car l'insertion professionnelle des femmes participe aussi au fait qu'elles pourront, demain, se concentrer sur l'éducation de leurs enfants.

S'agissant des crèches et des tarifs différenciés, le cas est particulier en Nouvelle-Calédonie, où la Prestation de service unique (PSU) n'existe pas. Nouméa compte quatre crèches associatives, dont deux sont gérées par la Croix-Rouge, et une par le Centre communal d'action sociale (CCAS) de Nouméa. Nous concernant, avec les partenaires qui nous financent, à savoir la Caisse de sécurité sociale de Nouvelle-Calédonie, l'État et le CCAS de Nouméa, nous pouvons proposer ces tarifs différenciés. La demande est grande. Nous aimerions faire plus, et mieux, mais nous ne disposons pas des financements idoines.

Sur le reste du territoire, les crèches sont financées par la CAF. Elles ont à acheter des produits, à financer du personnel. Les salaires sont plus importants, en raison notamment d'une prime en partie intégrée pour la Croix-Rouge. Ces coûts supplémentaires ne sont pas forcément intégrés dans la PSU. Monsieur le Sénateur, vous me demandiez comment vous pouviez agir. Vous, parlementaires, pourriez questionner cette question de la PSU dans les outre-mer, et prendre en compte ses spécificités. Les opérateurs comme nous voyons bien à quel point la situation peut être difficile, au regard du coût de fonctionnement d'une crèche et des produits que nous devons acquérir.

Madame la sénatrice Marie-Laure Phinéra-Horth, vous m'interrogiez sur l'accompagnement des parents étrangers en Guyane. Je n'ai pas présenté nos dispositifs d'accompagnement des demandeurs d'asile sur ce territoire, ni en Guadeloupe et en Martinique. À Mayotte, nous ne sommes pas agréés pour accompagner les demandeurs d'asile. Nous ne sommes pas agréés mais nous accueillons toutes les personnes vulnérables, sans prendre en considération leur statut.

Nous proposons des dispositifs de lutte contre l'illettrisme. La force de la Croix-Rouge réside aussi dans ses bénévoles qui assurent un accompagnement scolaire, luttent contre l'illettrisme, dispensent des formations en langue étrangère... Ce travail est fait au sein de dispositifs. Les bénévoles vont organiser des temps d'échange avec les personnes en situation irrégulière. Dans les Vestiboutiques, portées par des bénévoles, nous proposons de la seconde main, mais aussi des dons de boutiques à des tarifs très accessibles. Ils sont implantés sur la majorité des territoires. L'accompagnement est également opéré au travers de centres de santé, sans différenciation de public.

En Guyane, nous avons la charge de la seule plateforme d'aide alimentaire du territoire, qui ne dispose pas de banque alimentaire, comme à Mayotte. La Croix-Rouge joue ce rôle. Cette porte d'entrée est très importante pour travailler avec les familles.

Ensuite, vous avez raison, l'Aide médicale d'État n'est pas appliquée à Mayotte. La Croix-Rouge française est neutre. C'est un sujet politique. Nous identifions un sujet de convergence des droits en général à Mayotte. Il doit être traité. Pour autant, la Croix-Rouge, dans ce qu'elle apporte, est financée pour tous les types de publics. Nous n'opérons pas de différenciation, mais je comprends l'importance de ce sujet.

Monsieur le sénateur Marc Laménie, vous m'interrogez sur les moyens financiers nécessaires pour améliorer la situation. J'ai parlé de la PSU outre-mer. Le travail que vous réalisez est très important pour souligner l'importance d'engager un chantier sur la parentalité en outre-mer. Il est essentiel de cartographier les besoins. Nous sommes présents sur tous les territoires mais le sujet n'est pas le même en Nouvelle-Calédonie, en Guyane ou en Martinique. La place du père et la question de la cohabitation conjugale - très prégnantes aux Antilles, et notamment en Martinique - doivent être prises en compte.

En tant qu'opérateur de terrain, nous constatons que nous avons une multitude de partenaires, mais aussi de financeurs. Vous avez évoqué la CAF, l'État, les collectivités, les CCAS, la CGSS... Qui est chef de file de l'aide à la parentalité dans les territoires ? Il faudrait peut-être repérer, sur le territoire, les chefs de file qui permettraient de rassembler les différents financements. Nous, opérateur, répondons à un acteur qui lance un projet, puis à un autre acteur... La Croix-Rouge est une association très généraliste. Nous souhaitons financer des postes. Je vous invite, lorsque vous êtes de passage dans nos territoires, à rendre visite à nos équipes pour voir à quel point elles réalisent un travail transversal. La porte d'entrée n'est pas nécessairement la parentalité, mais plutôt le besoin de s'habiller, de manger, d'ouvrir des droits à la sécurité sociale, de trouver un emploi. Si nous ne résolvons pas ces problèmes, nous ne pouvons pas travailler. Les parents ne sont alors ni disposés à en parler, ni disponibles pour le faire.

Les associations comme la nôtre demandent chaque année des financements pour les différents dispositifs. Imaginez la situation d'instabilité juridique et financière dans laquelle nous nous trouvons. Les dispositifs sont là et ne vont pas disparaître, mais la demande de subvention doit être réitérée chaque année. C'est un temps qui ne peut pas être passé sur le terrain par les équipes.

Nous proposons des contrats pluriannuels d'objectif et de moyens (COM) pour les opérateurs comme les nôtres. C'est le cas sur certains territoires, mais pas partout. Par ailleurs, nous préconisons la création d'un guichet unique. Il faut rendre visible l'accompagnement des familles. En introduction, je parlais de tabous, de stigmatisation. La question doit être accompagnée par des messages au plus près, au plus tôt. Nous sommes favorables à un traitement des stéréotypes de genre ou de l'égalité dès le collège, par exemple. Cette question doit être traitée dans les établissements scolaires. Nous le faisons.

Permettez-moi ainsi de résumer nos recommandations : cartographier les besoins en matière de dispositifs ; définir un chef de file en matière d'aide à la parentalité ; déployer un plan spécifique d'aide à la parentalité avec des moyens dédiés et par territoire. S'agissant de la stratégie pour voter le précédent outil plan sur le territoire, nous avons pu constater des avantages. Des dispositifs ont été financés sur certains territoires grâce au plan pauvreté. Ce type d'outil devrait éventuellement être envisagé. La notion de parentalité doit entrer au collège. Les moyens financiers doivent être renforcés, notamment pour nous permettre d'avoir des ETP. Ce n'est pas simple. Parfois, l'État finance, mais pas la CAF. Il nous revient d'aller chercher et de proposer des dispositifs. Nous avons besoin de co-construction, avec des partenaires comme les nôtres. Il est également nécessaire d'améliorer l'accès au soutien psychologique pour les parents. On ne peut pas travailler à leurs côtés s'ils rencontrent des difficultés. Les rendez-vous en centres médico-psychologiques (CMP) demandent six à neuf mois d'attente sur certains territoires. Comment se concentrer sur l'aide à la parentalité si la personne n'est pas accompagnée ? Nous recommandons également un renforcement des structures d'accompagnement et d'accès au droit, et une poursuite de l'effort en matière d'agrandissement du parc immobilier social en construisant des ensembles à taille humaine et en favorisant la mixité sociale. Nous savons le faire. Nous disposons de tiers lieux. Nous souhaitons également travailler davantage sur l'attractivité des services pour les personnes éloignées de l'emploi, dans une démarche active d'insertion, pour permettre aux femmes d'accéder à l'emploi. Enfin, nous proposons un travail sur l'octroi de mer. En effet, les dons et produits de première nécessité pour les enfants en bas âge y sont soumis.

Pour nous, l'aide à la parentalité est un sujet, mais il est primordial de travailler sur l'ensemble des vulnérabilités avant de poser la question de l'éducation. Je vous invite à visiter nos territoires et les dispositifs portés par nos salariés et bénévoles, dont je salue le travail formidable.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour toutes les réponses apportées aujourd'hui. N'hésitez pas à nous envoyer des compléments qui alimenteront notre réflexion. Merci de votre disponibilité.

Audition de représentants des administrations centrales
et de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf)

(8 juin 2023)

Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Chers collègues, Mesdames, Monsieur, nous tenons ce matin notre dernière audition plénière consacrée à la parentalité dans les outre-mer.

Depuis le début de l'année, nous menons des travaux sur cette thématique, avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano, connecté en visioconférence depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, et la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider.

Outre les présidents des deux délégations, sont également rapporteures Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, et Elsa Schalck, sénatrice du Bas-Rhin, excusée ce matin.

Nous entendons ce matin :

- Anne Morvan-Paris, sous-directrice de l'enfance et de la famille à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), accompagnée d'Alix Comoy, référente outre-mer pour la DGCS ;

- Jean-Marc Bedon, coordinateur de projet référent outre-mer à la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) ;

- Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer (DGOM).

Nos attentes ce matin s'articulent principalement autour de deux axes. D'abord, nous cherchons à comprendre les raisons qui expliquent la persistance de différences dans les prestations servies dans les outre-mer et dans l'Hexagone et à savoir si certains rapprochements sont envisagés ou envisageables. Je pense notamment au complément familial dans les DROM historiques et aux règles spécifiques qui s'appliquent à Mayotte. Quel serait le coût d'un alignement des prestations ?

Sur le sujet des prestations familiales, nous nous interrogeons également sur la bonne connaissance de leurs droits par les familles des outre-mer. Le taux de non-recours aux droits est-il plus élevé que dans l'Hexagone ? Ce taux diffère-t-il, par ailleurs, en fonction des territoires ultramarins ? Quelles actions menez-vous afin d'améliorer l'accès aux droits ?

Nous avons, par ailleurs, été alertés sur les idées fausses qui circulent concernant les effets de la reconnaissance des enfants par leur père. Comment les dissiper et inciter les pères à reconnaître leurs enfants ? En effet, aux Antilles et en Guyane, deux tiers des enfants ne sont aujourd'hui pas reconnus par leur père à leur naissance.

Notre deuxième axe de discussion ce matin concerne les dispositifs de soutien à la parentalité au sens strict.

Les actions des Caisses d'allocations familiales (CAF) locales ont été saluées par les différents interlocuteurs que nous avons auditionnés au Sénat ou rencontrés lors d'un déplacement en Guadeloupe. Cependant, des difficultés en matière de coordination et un manque de moyens financiers et humains nous ont été signalés. Lors de la détermination des budgets accordés aux CAF des outre-mer, une prise en compte de la précarité de la population couverte est-elle possible ? Des financements structurels aux associations sont-ils également possibles ?

Par ailleurs, comment assurer un déploiement efficace de la stratégie nationale de soutien à la parentalité et du programme des 1 000 premiers jours dans tous les territoires des outre-mer et comment améliorer la coordination entre les acteurs institutionnels et les associations en la matière ?

Vous avez en outre reçu des questionnaires, pour lesquels nous attendons des réponses écrites pour le 12 juin.

Je laisse sans plus tarder la parole à Mme Anne Morvan-Paris pour la Direction générale de la cohésion sociale.

Mme Anne Morvan-Paris, sous-directrice de l'enfance et de la famille à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). - Madame la Présidente, Monsieur le Président, j'interviendrai principalement sur le soutien à la parentalité dans les outre-mer en rappelant que celui-ci est devenu une politique publique à part entière, avec la parution de la Charte de soutien à la parentalité début 2022. S'y ajoute un ensemble de dispositifs depuis quelques années, qui se traduisent à la fois dans la politique des 1 000 jours, mais aussi dans d'autres dispositifs portés principalement par la branche famille, mais aussi par l'État et par les collectivités territoriales soutenues par l'État. Il est vrai que c'est un enjeu majeur. Au regard des déterminants socio-économiques que vous avez pu percevoir au cours de vos auditions, qui sont particuliers aux territoires d'outre-mer - je pense notamment au nombre élevé de familles monoparentales et à la question des violences intrafamiliales - cette question du soutien à la parentalité est un enjeu de prévention avant tout. Il s'agit aussi de pouvoir aider les familles dans des moments difficiles.

Les situations varient évidemment d'un territoire à un autre. Vous avez pu vous en rendre compte au cours de vos auditions. Nous avons en revanche dressé un constat commun : les caractéristiques socio-économiques sont plus défavorables sur l'ensemble des territoires que dans l'Hexagone. Les indicateurs sur le niveau d'éducation et sur les taux de pauvreté sont notamment à prendre en compte dans cette politique de soutien à la parentalité.

Je ne reprendrai pas l'ensemble des chiffres que vous connaissez, mais me concentrerai plutôt sur le programme des 1 000 premiers jours. Il s'agit d'une stratégie large. L'ensemble des acteurs nationaux et locaux sont mobilisés autour du principe selon lequel les 1 000 premiers jours de l'enfance sont déterminants, tant pour l'enfant que pour sa famille. Il y a un consensus scientifique, il est important de le noter. À partir de celui-ci ont été déployées un certain nombre d'actions pour soutenir les familles dès la maternité, avant la naissance et au long des deux premières années de la vie de l'enfant. Venons-en à ce déploiement dans les DROM, et aux améliorations qui pourraient y être apportées.

On pouvait craindre que certains territoires se saisissent mal de cette politique, mais un certain nombre d'actions ont pu être déployées, à commencer par des outillages auprès des parents. Par exemple, le livret des 1 000 premiers jours a été diffusé à partir de 2021. L'Agence régionale de santé (ARS) de la Martinique s'en est servi comme support pour un certain nombre de formations et d'informations auprès des professionnels, pour qu'ils puissent ensuite l'expliquer aux familles. Ensuite, l'entretien prénatal précoce est un vrai enjeu de prévention. Les taux de réalisation sont aujourd'hui très proches du niveau métropolitain en Martinique, Guadeloupe et à La Réunion. C'est en Guyane et à Mayotte, deux territoires particulièrement exposés aux questions d'accompagnement de la natalité, que ces chiffres restent aujourd'hui très inférieurs et que des efforts sont nécessaires. La Guyane a cependant été un territoire expérimentateur au niveau national d'un référent parcours périnatalité. Il s'agit ici d'accompagner des parcours renforcés, notamment lorsque des cas de violences ou de vulnérabilités psychiques sont identifiés. Enfin, La Réunion fait partie des huit CAF expérimentatrices des groupes naissances, qui consistent en un parcours naissance partagé avec les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).

De plus, des staffs médicaux psychosociaux ont été déployés. Ils permettent d'appuyer dès la maternité un accompagnement de la mère, en particulier sur les enjeux psychologiques et sociaux. Une enveloppe de 400 000 euros y a été allouée en 2021, suivie d'une autre de 200 000 euros en 2022. Il s'agit d'éviter que la détresse psychologique de la mère impacte son lien avec l'enfant dès le plus jeune âge.

Ensuite, le nombre de recours à un congé paternité allongé est de plus en plus important. Il s'élève, selon les territoires, entre 25 et 69 %. L'objectif de 80 % n'est pas atteint, mais un réel progrès a été constaté. Nous pourrons vous en communiquer les détails dans notre réponse écrite.

Par ailleurs, trois territoires se sont saisis d'une contractualisation du côté de la protection de l'enfance, mais surtout d'un appel à projets des 1 000 premiers jours. Ils ont ainsi déployé des actions localement, notamment avec le secteur associatif. Ils ont appuyé des projets pour aller vers les familles, au plus près de ces dernières, et notamment des mères de familles monoparentales. Celles-ci ont été accompagnées pour une meilleure prise en compte de leurs difficultés.

Trois ans après le lancement du dispositif des 1 000 premiers jours, on constate qu'il n'y a pas une stratégie spécifique aux DROM. Elle y est déployée de la même manière que sur le reste du territoire national. Nous sommes aujourd'hui en train d'écrire la deuxième feuille de route. Nous devons nous interroger sur une déclinaison renforcée spécifique aux DROM, en nous intéressant notamment à la déclinaison de tous les outils. Le livret nécessite peut-être une traduction et un accompagnement dans les différentes langues créoles, entre autres. Une déclinaison adaptée à l'environnement culturel de chacun de ces territoires serait judicieuse. En effet, Mayotte et la Guyane sont très différentes, par exemple.

Il convient également d'adapter le sac des 1 000 premiers jours et de mieux le déployer dans les maternités en outre-mer. C'est l'un des enjeux de l'inscription budgétaire pour 2024. Il est ensuite nécessaire de disposer de lieux ressources de proximité. En effet, les familles les plus éloignées de ces outils, qui en ont le plus besoin, ne parviennent pas à trouver la bonne porte d'entrée. Le déploiement des maisons des 1 000 premiers jours et la mise en réseau d'acteurs à échelle territoriale deviennent nécessaires. La déclinaison de ces différents outils sur les territoires ultramarins est identifiée comme l'une des priorités de la future feuille de route.

Concernant les parents et l'approche directe des familles, il faut adapter le parcours naissance et créer des fonds ad hoc entre l'État, la Cnaf et la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) pour financer des actions locales. Nous retrouvons ici la nécessité de mieux travailler avec les associations et les partenaires qui connaissent les familles. Ils sont plus proches d'elles et peuvent notamment assurer un rôle de médiation. Ils peuvent attirer les familles vers les différents dispositifs en place. Si nécessaire, ils peuvent adapter le droit commun avec un droit spécifique et des démarches d'accès adaptées. Enfin, sur la prochaine vague des 1 000 premiers jours, une vigilance particulière devra être portée aux métiers de la protection maternelle et infantile et aux questions autour de la maternité. Des soutiens financiers spécifiques devront être envisagés, soit dans le cadre de la contractualisation protection de l'enfance avec le fonds d'intervention régional (FIR), soit dans des dispositifs portés par la Cnam afin de réaliser des bilans de prévention par des sages-femmes pendant la grossesse.

Enfin, il est essentiel de s'assurer que le déploiement sera opéré de la même manière sur l'ensemble des territoires. Certains sont aujourd'hui plus en retrait que d'autres, alors que les besoins y sont certainement les plus importants. Mayotte est pleinement concernée par ce que j'évoque. Comment pouvons-nous y apporter des compétences ? Devons-nous les développer localement et les appuyer, ou apporter des compétences depuis l'Hexagone vers les maternités ultramarines ? L'appui aux ressources locales constitue un véritable enjeu. Une volonté de disposer, à terme, d'une unité d'hospitalisation parents-bébé spécialisée en psychiatrie périnatale est évoquée. Par ailleurs, il est important que chaque territoire puisse bénéficier du même type de structure.

Ce point rejoint des sujets évoqués à l'occasion d'autres auditions, et notamment le besoin d'appui à l'ingénierie de projet sur un certain nombre de territoires ultramarins. Ils ne proposent pas tous la même qualité de structuration.

Enfin, venons-en à la coordination des acteurs. Depuis un an, des comités départementaux de service aux familles se déploient sur l'ensemble des départements français. C'est une manière d'animer localement cette politique de modes de garde de l'enfant, mais aussi de la parentalité. Les territoires ultramarins ont demandé à bénéficier d'un allègement de leur structuration, puisque ces comités sont aujourd'hui composés de plus de quarante membres, ce qui rend difficiles leur mise en place et l'organisation de réunions régulières. Nous pourrons répondre favorablement à leur demande, pour qu'ils soient les plus opérationnels possible. Autour du préfet, du président du département et du président de la CAF locale, les enjeux de parentalité et de services aux familles doivent être analysés pour que soient développés les outils les plus pertinents. Je sais que mes collègues de la Cnaf reviendront notamment sur le fonds parentalité, un outil de développement.

Je reste à votre disposition pour toute question complémentaire. Je pourrai revenir sur un certain nombre de points, si nécessaire.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous remercie. Je donne maintenant la parole à M. Jean-Marc Bedon, coordinateur de projet référent outre-mer à la Cnaf.

M. Jean-Marc Bedon, coordinateur de projet référent outre-mer à la Cnaf. - Permettez-moi de réaffirmer l'attention particulière de la Caisse nationale d'allocations familiales en faveur des territoires d'outre-mer et des CAF des départements et régions d'outre-mer. En effet, les contextes économiques et sociaux de ces territoires, mais aussi leur histoire, au regard de l'égalité des droits, et notamment du droit au titre des prestations sociales versées par les CAF, justifient un dialogue de proximité entre la Cnaf et ses CAF. Le but est d'accompagner au mieux les CAF dans leurs missions et de faciliter le déploiement de leurs actions au profit des populations.

Je rappellerai également brièvement les limites géographiques du périmètre d'intervention et de responsabilité de la branche famille en faveur des territoires d'outre-mer. Les territoires d'exercice de la Cnaf et des CAF concernent les départements de La Réunion, de Mayotte, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe, mais aussi des deux collectivités territoriales de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, couvertes par la CAF de la Guadeloupe. Ainsi, les autres collectivités territoriales ultramarines ne sont pas dans le champ de responsabilité de la Caisse nationale et donc des CAF.

Sur cet ensemble géographique, néanmoins, quelques chiffres permettent peut-être de mesurer l'action proposée. En 2022, les cinq caisses d'outre-mer ont versé des prestations à 590 000 foyers allocataires, représentant 1,4 million de personnes. Le taux de couverture de la population par les CAF s'établit à 63 %, soit les deux tiers de la population ultramarine. Par comparaison, les CAF dans l'Hexagone couvrent en moyenne 47 % de la population. Ce taux de couverture supérieur dans les DROM concerne toutes les prestations. À titre d'exemple, 74 % de la population y est bénéficiaire des allocations familiales, contre 62 % en France hexagonale. Les foyers monoparentaux bénéficiaires de l'allocation de soutien familial représentent 15 % des allocataires, contre seulement 6 % en métropole. Un allocataire sur trois est bénéficiaire du RSA dans les DROM, pour seulement un allocataire sur dix dans l'Hexagone. Enfin, pour un tiers des allocataires, les prestations versées par la CAF constituent la seule source de revenus pour vivre. Cette proportion est deux fois plus élevée que dans l'Hexagone, où 17 % des allocataires sont dans cette situation. Ce taux élevé de dépendance aux prestations est certainement le plus révélateur des difficultés sociales de ces territoires. Il engage au quotidien la responsabilité de la Caisse nationale et des caisses d'allocations familiales ultramarines, qui assument de manière encore plus prégnante que sur le reste du territoire national un rôle d'amortisseur social. En effet, les prestations familiales et sociales, leur poids financier, leur caractère redistributif et de solvabilisation des familles constituent des leviers importants des politiques publiques de lutte contre les inégalités, mais aussi de cohésion sociale, tant à l'échelle locale que nationale.

Enfin, le total annuel des prestations légales versées par les CAF des DROM s'élève à 5,55 milliards d'euros sur un budget global, pour la France entière, d'environ 100 milliards d'euros. De plus, si durant de nombreuses années, les droits aux prestations comportaient de multiples différences entre les outre-mer et l'Hexagone, on peut souligner aujourd'hui, à l'exception du cas particulier de Mayotte, que l'égalité est quasiment atteinte sur le plan du droit. Toute nouvelle prestation légale nationale est automatiquement applicable dans les départements d'outre-mer, aux mêmes conditions.

Quelques différences persistent néanmoins. Elles concernent les allocations familiales qui sont versées dès le premier enfant dans les outre-mer, mais aussi l'allocation de complément familial, également versée dès le premier enfant. Enfin, dans le domaine du logement par exemple, les locataires du parc social conventionné ne peuvent bénéficier comme dans l'Hexagone d'une aide personnalisée au logement. En revanche, les accédants à la propriété peuvent, si leurs ressources le permettent, bénéficier d'une aide au logement, ce qui n'est plus le cas en France hexagonale depuis 2018.

De même, les DROM bénéficient de deux autres prestations qui n'existent pas en métropole : le revenu de solidarité et la prestation accueil et restauration scolaire (Pars). Cette dernière permet aux CAF d'outre-mer de contribuer au financement de la restauration scolaire dans le but de réduire le reste à charge des familles. En 2021, 344 000 enfants scolarisés de la maternelle au lycée ont bénéficié de cette aide, soit 64 % de l'ensemble des élèves ultramarins. Il convient toutefois de souligner la situation particulière de la Guyane, dont le taux de couverture est le plus faible parmi l'ensemble des départements d'outre-mer, avec seulement 38 % des élèves bénéficiaires. Cette moindre couverture est en partie liée à l'absence de dispositif et d'offre de restauration scolaire dans plusieurs communes de Guyane. La CAF ne peut, à elle seule, au moyen de la Pars, financer une offre de restauration scolaire dont l'organisation, la gestion et le financement relèvent de la responsabilité des collectivités.

Pour clore ce chapitre concernant les prestations dans les outre-mer, je ne peux pas passer sous silence l'action des CAF en matière d'accès aux droits, un enjeu majeur pour ces territoires. Dans ce cadre, les caisses peuvent s'appuyer sur de nombreux leviers et canaux de contact. Elles ont déployé une stratégie proactive d'« aller vers » dans une approche situationnelle, et ont mis en place des parcours usagers. C'est par exemple le cas du parcours « séparation » depuis 2021. Elles déploieront prochainement le parcours « arrivée d'un enfant », dont la généralisation est prévue à la fin de cette année. Celui-ci vise à renforcer l'accompagnement des parents de la grossesse jusqu'aux trois ans de l'enfant. Ces parcours, déclenchés dès la connaissance par la caisse d'un événement, visent à faciliter les démarches des usagers et à valoriser les droits aux prestations. Ils ont aussi pour objectif d'informer, orienter et accompagner les allocataires vers les dispositifs d'aides et services d'action sociale proches de chez eux et pouvant être mobilisés en réponse à leur situation.

Les CAF d'outre-mer ont également développé des formats d'accueil spécifiques, comme des rendez-vous des droits qui sont proposés à des allocataires en situation sociale à risque. Là aussi, l'objectif est d'informer, si besoin, de conseiller, et surtout de veiller à ce que l'ensemble des droits auxquels les allocataires peuvent prétendre soient bien valorisés. Les caisses s'appuient également sur le développement d'un large réseau de partenaires pour mailler le territoire, proposer une information de premier niveau et un accompagnement, notamment numérique. Il peut s'agir d'espaces France services, de centres communaux d'action sociale (CCAS), de permanences de mairie ou encore de structures partenaires comme des maisons des parents ou des centres sociaux. Enfin, et compte tenu de leur géographie particulière, les CAF des DOM ont développé des solutions innovantes, mobiles et itinérantes, permettant d'aller au contact des populations. Je pense aux territoires de l'intérieur de la Guyane ou aux villes et communes des Hauts à La Réunion. Ces solutions itinérantes permettent d'aller au plus près des populations.

Ces initiatives, au croisement de l'accès au droit et du développement territorial des offres de services des CAF, m'amènent également à vous dire quelques mots sur l'action tout aussi essentielle des CAF des DOM en faveur des politiques sociales sur ces territoires. Pour contribuer aux politiques publiques et développer leur mission, les caisses disposent de plusieurs leviers financiers et de dispositifs conventionnels stratégiques et opérationnels de partenariat. S'agissant des leviers financiers, elles bénéficient de dotations d'action sociale, plus généralement appelées fonds locaux, à la disposition des conseils d'administration des CAF. Elles sont dépensées dans le cadre de règlements intérieurs définis par chacune des caisses départementales. Elles disposent également de fonds nationaux dédiés, comme le Fonds national parentalité, et de prestations services qui leur permettent de contribuer au développement et au fonctionnement des équipements, déployant des services aux familles et des actions sociales d'accompagnement des populations.

Le Fonds national parentalité a été créé en 2014 de manière à aider les CAF à soutenir le déploiement des actions des réseaux d'écoute et d'accompagnement des parents (REAP), ainsi que pour financer des postes de coordinateurs, animateurs de la gouvernance partenariale locale et acteurs du soutien à la parentalité. Depuis 2022, un nouvel axe est venu enrichir le Fonds national parentalité afin de pouvoir financer des lieux d'accueil et de ressources des familles sur les questions liées à la parentalité, ainsi que le développement de services d'écoute personnalisée et d'accompagnement des parents à distance.

Les financements apportés aux gestionnaires de services ou opérateurs de projets s'inscrivent généralement, sauf dans des cas de projets très ponctuels, dans le cadre de conventions de partenariats et de financement pluriannuel. Elles couvrent aujourd'hui des périodes comprises entre trois et quatre ans. Nous souhaitons l'étendre à cinq ans lors de notre prochaine période conventionnelle, ce qui permettra à l'ensemble des opérateurs et partenaires de se protéger à long terme.

S'agissant du cadre stratégique et opérationnel, tous les territoires ultramarins se sont dotés d'un Schéma départemental des services aux familles (SDSF), dans lesquels les CAF occupent une large place. Ce cadre de gouvernance réunit les différents échelons des collectivités du territoire, les services décentralisés de l'État et les principaux opérateurs de terrain. Cette gouvernance est essentielle pour définir les axes prioritaires d'intervention au regard des diagnostics des besoins sociaux des familles et des territoires, pour structurer et coordonner la mise en oeuvre des actions, et pour mobiliser l'adhésion et l'engagement de chacun en matière de cofinancement des projets et des services. Le cadre stratégique des SDSF s'accompagne pour les CAF d'un autre support-cadre de partenariat, cette fois à l'échelle communale ou intercommunale : les conventions territoriales globales. Celles-ci permettent de définir de manière très opérationnelle les objectifs et les actions à mettre en oeuvre pour répondre aux besoins sociaux des familles et mailler les territoires.

Fin 2022, 81 conventions territoriales globales, couvrant 62 communes, ont été signées par les CAF d'outre-mer avec leurs partenaires communaux. Elles traitent et fixent des objectifs d'action dans de nombreux domaines : la petite enfance, l'enfance, la jeunesse, mais aussi la vie sociale, l'inclusion handicap, le travail social, la précarité et la lutte contre la pauvreté, l'accès au droit, le logement, la santé, la vieillesse, la citoyenneté ou encore le développement durable. Sur ces bases contractuelles, et particulièrement en matière de soutien à la parentalité, les CAF des outre-mer, en lien avec la Cnaf, se sont mobilisées entre 2018 et 2022, avec l'objectif principal de renforcer le maillage des offres de services et des actions de soutien à la parentalité, notamment dans une visée de prévention des exclusions sociales et des situations à risque. Pour ce faire, les CAF ont oeuvré sur l'ensemble des territoires à l'émergence ou à la consolidation des services de médiation familiale. Par exemple, aujourd'hui, onze équipements hors Mayotte sont en fonctionnement et en activité sur l'ensemble des territoires d'outre-mer. S'y ajoutent des structures proposant des lieux d'accueil enfants-parents. Tous les départements aujourd'hui disposent d'une offre. Les CAF ont également contribué à la création et au soutien de onze espaces de rencontre. Enfin, 108 actions d'accompagnement à la scolarité ont été déployées en faveur des enfants et de leurs parents, et de nombreuses actions d'accompagnement à la parentalité sont soutenues dans le cadre des REAP.

De même, nous pouvons évoquer le panier de services, jargon institutionnel consistant à assurer a minima sur un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) une offre d'accompagnement à la scolarité, une offre d'accompagnement à la parentalité et la garantie de fonctionnement d'un lieu d'accueil enfants-parents. L'ensemble des EPCI de la Martinique et de La Réunion ont mis en place le panier de services. 50 % des EPCI de la Guadeloupe en sont dotés, contre 25 % seulement en Guyane.

Le soutien à la parentalité s'est également matérialisé par un renforcement et un recentrage des interventions de travailleurs sociaux des CAF en faveur des allocataires en situation à risque. 11 000 foyers allocataires ont ainsi bénéficié en 2020 d'un accompagnement social dispensé par un travailleur social. 84 % des interventions de travail social ont concerné des situations de divorce ou de séparation. Les 16 % restants des interventions concernent des situations de décès d'un conjoint ou d'un enfant, d'impayés de loyer ou pour soutenir des foyers monoparentaux. Enfin, les CAF ultramarines sont fortement mobilisées pour soutenir la création et le développement de structures d'animation de la vie sociale, comme les centres sociaux ou les espaces de vie sociale. Entre 2018 et 2022, plus de 70 nouveaux équipements ont été créés, prioritairement dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Par leur ancrage dans les quartiers, ils sont au plus proche des besoins des publics. Ils sont des relais particulièrement pertinents pour les caisses de manière à déployer des services et des actions de soutien à la parentalité.

Toutefois, les CAF sont confrontées dans de nombreux secteurs à l'insuffisance de cofinancement des partenaires, limitant de fait le rendement des leviers et dispositifs de financement nationaux à leur disposition. En effet, de nombreuses collectivités territoriales sont confrontées à des situations financières très concrètes, et ne contribuent pas, ou pas suffisamment, au cofinancement des équipements tels que prévu dans le cadre conventionnel des outils nationaux de la branche famille. Pour pallier ces situations, les CAF sont contraintes de compléter les prestations de services nationales par des apports sur leurs fonds locaux, et/ou par des dispositifs ou mesures dérogatoires ponctuelles validées par la Cnaf.

Dans le cadre des discussions en cours entre la Cnaf et les services de l'État relatives aux orientations et aux moyens de la branche pour la période 2023-2027, la Cnaf porte en faveur des départements d'outre-mer la proposition de soutenir les projets et le fonctionnement des structures d'accueil de la petite enfance et des services aux familles. Il s'agirait de prendre en compte de manière spécifique les problématiques de cofinancement et les besoins de rattrapage des territoires les plus fragiles, identifiés notamment dans le cadre des schémas départementaux des services aux familles. Bien entendu, les territoires d'outre-mer comptent parmi les territoires les plus fragiles.

De même, il est proposé de poursuivre le développement du maillage territorial, notamment dans des quartiers relevant de la politique de la ville non couverts aujourd'hui.

Par ailleurs, au-delà de la problématique de financement, les CAF sont confrontées à un déficit d'opérateurs assis sur des modèles économiques viables et en capacité de mettre en oeuvre des offres de services d'action sociale. Ce point constitue certainement le second trait majeur caractérisant les freins au développement des politiques sociales des CAF ultramarines. Dans de nombreux secteurs d'intervention, ces dernières doivent assumer, parfois intégralement, l'ingénierie sociale nécessaire à l'émergence d'opérateurs et à la création d'offres de services : formation des professionnels, mobilisation des partenaires, montage financier de projets et des services, recherche de locaux, structuration des acteurs et des réseaux relais des CAF, accompagnement au quotidien des opérateurs gestionnaires des services et des familles.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour cette présentation exhaustive et intéressante, comme la première d'ailleurs. Je laisse maintenant la parole à notre dernière intervenante, Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des Outre-mer.

Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des Outre-mer. - La parentalité est un défi pour chaque parent, qu'il vive dans l'Hexagone, dans les territoires ultramarins ou partout dans le monde. Il peut toutefois apparaître encore plus vertigineux en outre-mer, au regard d'un certain nombre de constats, de caractéristiques dont vous avez pris la mesure au fur et à mesure de vos auditions. La part des familles monoparentales est parfois jusqu'à trois fois supérieure au taux hexagonal. Les naissances précoces sont également plus nombreuses. Elles atteignent 10,2 % en Guyane, dans le dernier recensement connu en 2018, contre 2,1 % dans l'Hexagone. Les conditions de vie sont aussi plus difficiles. Le chômage y est plus élevé, bien que son taux soit en diminution dans la plupart des territoires depuis un an. Il s'ensuit un taux de pauvreté qui est encore trop important, et qui culmine, à Mayotte, à 77 %. Les prix sont également plus élevés, ce qui constitue évidemment un souci pour les parents, et ce même si l'inflation est moins élevée depuis un an. Enfin, l'illettrisme et l'illectronisme sont aussi beaucoup plus élevés outre-mer, s'élevant à 30 % en Guadeloupe. Les parents rencontrent des difficultés pour faire valoir leurs droits ou exercer leur parentalité au quotidien.

Ces quelques chiffres illustrent aussi le fait que la parentalité ne se limite pas aux enjeux d'éducation et de soin aux enfants. C'est une problématique plus globale, qui doit être prise en compte, notamment dans le cadre du soutien que l'on apporte aux familles, en premier lieu monoparentales. De ce point de vue, un enjeu particulier est celui de l'aide apportée à ces femmes pour qu'elles continuent à se former et à exercer un emploi. C'est sans doute un moyen de rompre le cercle vicieux, puisque les statistiques montrent, dans l'Hexagone comme en outre-mer, une corrélation entre le fait pour la femme d'être elle-même issue d'une famille monoparentale, d'afficher un niveau de formation peu élevé, d'être pauvre, et la reproduction de ce schéma. Un enjeu de formation et d'accompagnement est ainsi identifié, notamment auprès des jeunes filles, femmes et mères. De ce point de vue, il est important de soutenir un certain nombre d'actions. Par exemple, des formations s'adressant à ces publics ont été organisées en Guyane, en permettant à ces femmes de disposer d'un mode de garde à proximité de leur lieu de formation, ou en leur offrant un moyen de locomotion pour s'y rendre.

Le service militaire adapté (SMA), qui est aussi une spécificité outre-mer, permet aujourd'hui aux jeunes mères de poursuivre une formation. Des locaux qui leur sont dédiés s'ajoutent à un accompagnement pour garder leurs enfants pendant leur formation. Plus de 80 % des jeunes sortant de ce dispositif ont ensuite un débouché favorable, et peuvent effectivement trouver un emploi. Il est ainsi nécessaire de multiplier ces formations, qui permettent de concilier la vie de jeune mère - ou parfois de jeune père - avec un accès à l'emploi. Dans la panoplie d'outils existants, n'oublions pas de citer l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), qui permet d'accompagner les projets professionnels et les créations d'entreprise.

Il faut ainsi multiplier les initiatives pour traiter l'ensemble des problèmes évoqués plus tôt, et les autres. S'agissant de l'illectronisme, l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) développe un certain nombre d'outils, des diagnostics qu'il faut coupler avec davantage de formation tout au long de la vie professionnelle et personnelle de l'individu.

Ensuite, notre ministre délégué, Jean-François Carenco, a été auditionné par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Il a pu donner un certain nombre de pistes, à travers le bouclier qualité prix qui permet une stabilité des tarifs d'une année à l'autre, avec un panier étendu à de nouveaux produits. Il a également mentionné quelques pistes sur l'octroi de mer. Celui-ci taxe souvent des produits de première nécessité pour les parents, avec des taux atteignant parfois 20 % dans certains territoires. C'est le cas des petits pots pour bébés ou de produits nécessaires à l'hygiène des enfants. Il est important d'agir sur ce volet des prix.

Il convient également d'aider ces parents ou ces jeunes mères à s'insérer dans la société. Le soutien aux associations est particulièrement important dans ce cadre, j'y reviendrai.

S'agissant du soutien à la parentalité au sens strict du terme, les actions publiques ont été largement rappelées par ma collègue, notamment au travers de l'initiative des 1 000 premiers jours. Nous nous étions déjà rapprochés de nos collègues pour adapter encore plus le livret Conseil ainsi que le coffret remis aux jeunes mères à la maternité. Il s'agit d'adapter l'ensemble des politiques. Il me semble particulièrement important d'intégrer des volets outre-mer dans les grandes stratégies publiques, et dans les grands plans publics. C'est le cas, par exemple, de la stratégie nationale santé sexuelle 2017-2030 dans laquelle figurent des objectifs ambitieux pour les outre-mer, notamment en termes de prévention, de contraception et d'accès à un certain nombre d'informations. Pour la stratégie nationale de soutien à la parentalité, un axe important est dédié aux outre-mer. Il comprend des actions particulières et ciblées, notamment pour améliorer la connaissance des besoins des familles. Avec notre soutien et celui du secrétariat d'État à la protection de l'enfance, en 2019, la production d'une revue de littérature par l'université de Paris-Nanterre a pu être subventionnée. Elle constitue dorénavant une base documentaire unique sur l'éducation et la famille des outre-mer. Un axe a été également dédié aux possibilités d'accompagnement en répondant aux besoins spécifiques des outre-mer. Dans ce cadre, nous avons soutenu l'association idealCO pour l'animation d'un réseau professionnel ultramarin sur les thématiques des politiques jeunesse et la mise en place de plateformes d'échange pour l'ensemble des outre-mer. D'autres actions très importantes visaient à aller vers les parents, notamment dans les territoires isolés. Des initiatives en la matière ont été rappelées par Jean-Marc Bedon.

Les actions publiques s'orientent de plus en plus sur le problème du non-recours, c'est-à-dire le non-exercice par les publics de leurs droits ou le non-accès aux politiques publiques. Je peux citer l'expérimentation « zéro non-recours », dont la réception des candidatures est en cours. Le ministère des outre-mer, par l'intermédiaire des préfets, a essayé de susciter des candidatures ultramarines dans le cadre de cet appel à manifestation d'intérêt. Nombre d'entre elles sont en cours d'examen. Bien sûr, nous formons le voeu qu'elles soient, pour certaines, déclarées recevables et qu'elles puissent participer à cette expérimentation. Les taux de non-recours sont particulièrement élevés en Guyane et à Mayotte. Nous observons un effet important de l'illettrisme et des langues locales, raison pour laquelle il est important de traduire les documents et interfaces informatiques. Il est également essentiel de développer les Maisons France Services. Un objectif en ce sens a été assigné aux outre-mer par l'intermédiaire de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Ensuite, les prestations de restauration scolaire sont très importantes pour l'enfant. L'existence de la Pars a été citée par Jean-Marc Bedon. Nous avons également mené une action en Guyane et à Mayotte, que nous pourrons décrire dans le document. Elle a consisté à réduire le reste à charge pour les familles, en lien avec nos collègues des ministères sociaux. Un décret paru en décembre 2022 réduit encore le reste à charge pour les repas du midi à Mayotte et pour les collations en Guyane. Il me semble important de suivre cette voie, et de tirer des enseignements de l'augmentation de cette prestation pour atteindre la cible précise assignée.

S'agissant de la poursuite de l'alignement des outre-mer sur l'Hexagone en matière de prestations, M. Bedon a indiqué que les différences étaient aujourd'hui très faibles. Il en existe néanmoins. Vous avez cité le complément familial et les prestations à Mayotte. S'agissant du premier, nous avons mené des échanges pour refaire un point avec nos collègues des ministères sociaux. Cette prestation est spécifique aux outre-mer. Elle bénéficie aux familles depuis les trois ans de l'enfant, jusqu'à son cinquième anniversaire. Elle avantage les familles monoparentales ou avec deux enfants. Elle n'existe pas dans l'Hexagone. A contrario, pour les familles nombreuses, elle s'arrête au cinquième anniversaire de l'enfant, et ne les accompagne pas ensuite. Si une réforme concernait ce complément familial, il faudrait être très vigilant à cet équilibre et aux publics bénéficiaires.

Ensuite, le président de la République a annoncé lors de la dernière campagne présidentielle qu'il souhaitait ramener le terme de la convergence sociale de 2036 à 2031 à Mayotte. Elle est déjà bien entamée, puisque de nouvelles prestations ont d'ores et déjà été alignées. Pour autant, il existe encore des différences majeures, notamment en matière de minima sociaux tels que le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation aux adultes handicapés (AAH), ou les compléments pour exercice d'un métier. Ils s'élèvent à la moitié des valeurs nationales. À Mayotte, le Smic est équivalent à 75 % de sa valeur hexagonale. Ainsi, c'est un équilibre qu'il faut trouver entre un accroissement de ce salaire minimum, une croissance économique et les prestations. La croissance des prestations ne peut aller plus vite que les autres facteurs économiques. Une réflexion d'ensemble doit être menée à ce sujet. Il convient d'étudier les dernières prestations sociales pour assurer un équilibre, en lien avec les ministères sociaux, de l'économie et du travail.

Notre réponse écrite donnera quelques éléments d'explications supplémentaires, même s'ils ne pourront être complets s'agissant des statistiques relatives aux familles dans les outre-mer et des raisons expliquant un nombre important de grossesses précoces. J'ai cité quelques facteurs tels que la pauvreté ou la formation, grandes politiques auxquelles le Gouvernement s'attaque en parallèle. C'est tout un front de politiques publiques qu'il faut mener pour améliorer la situation de ces familles dans les outre-mer.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vais laisser la parole au président Stéphane Artano, qui est également rapporteur. J'aurai peut-être d'autres questions à vous poser ensuite, avant de laisser mes collègues réagir à vos interventions.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Merci pour ces éclairages. Je n'ai pas beaucoup de questions à vous poser. Tout de même, j'aimerais interroger la DGCS. À quelle échéance prévoyez-vous de sortir la deuxième feuille de route des 1 000 premiers jours, en cours de rédaction ?

Ma deuxième question concerne essentiellement le soutien à la parentalité. Les acteurs entendus au cours de nos travaux ont souligné l'action des caisses sur les territoires, tout en déplorant les financements intervenant majoritairement dans le cadre d'appels à projets. De quelle manière des financements structurels ou pluriannuels en direction des associations pourraient-ils éventuellement être envisagés ? Cette interrogation rejoint la question numéro 13 du questionnaire : dans quelles conditions les fédérations et associations nationales des acteurs du soutien à la parentalité pourraient-elles être plus présentes dans les outre-mer pour soutenir les acteurs locaux ? Nous tentons de réfléchir à la manière de faire de ces acteurs des relais plus importants encore sur les territoires, y compris pour vous. Certaines fédérations disent ne pas disposer de relais sur tous nos territoires ultramarins. Nous réfléchissons à la manière la plus efficace et efficiente d'en faire des relais pour la parentalité, y compris pour les institutions, dans le déploiement de certaines politiques publiques.

Mme Anne Morvan-Paris. - La deuxième feuille de route des 1 000 premiers jours est encore en cours d'élaboration. Une phase de concertation est encore à mener. Nous espérons pouvoir la publier pour la rentrée 2023, dans quelques mois. Sa déclinaison permettra de répondre à certaines de vos questions, notamment s'agissant des appels à projets. L'instruction « appels à projets 1 000 premiers jours » devrait paraître dans les prochains jours. Le sujet de la pluriannualité et de la manière dont on peut mobiliser les acteurs sur des financements plus structurels est en suspens. Un fonds innovation sera également publié dans les jours à venir, en lien avec nos différents partenaires, dont la Cnaf. Est envisagée une pluriannualité de trois ans, ce qui répond en partie aux soucis que nous font remonter les associations. Se pose ensuite une question plus structurelle sur le parcours des 1 000 premiers jours et les Maisons des familles. Nous devons pouvoir réfléchir à des financements plus structurels, entrant dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (COG), dont l'atterrissage est en cours de finalisation.

M. Jean-Marc Bedon. - Je ne sais pas si j'ai besoin d'ajouter des éléments s'agissant des financements. Je suis d'accord avec les propos précédents. Nous comprenons bien le besoin d'un certain nombre d'associations. Pour autant, il faut distinguer ce qui relève d'une action ponctuelle ou d'un projet innovant, et des fonds assis sur une base contractuelle inscrivant d'emblée une pluriannualité pour la production d'un service. Je pense qu'un segment associatif répond, par sa souplesse, à des urgences, à des innovations, et à des besoins nouveaux qui émergent. Il a besoin d'être accompagné, ensuite, dans une structuration plus pérenne.

Ensuite, la Caisse nationale accompagne chaque année 78 têtes de réseau et associations nationales, dont une cinquantaine dispose d'antennes et d'implantations sur les territoires ultramarins. Nous les soutenons essentiellement pour leur permettre de financer leur action d'animation, de structuration de leur réseau, d'outillage, de ressources méthodologiques, techniques, métiers, législatives... Sur la période de 2018 à 2022, nous avons également souhaité aller un peu plus loin qu'un simple soutien à l'animation globale de leur réseau, en investissant ces associations d'une mission d'accompagnement de proximité auprès de ces territoires. Je pense particulièrement à la Fédération nationale des centres sociaux, partenaire historique de la branche famille. Elle a vraiment joué le jeu. Nous l'avons accompagnée financièrement. Elle s'est fortement investie sur le sujet pour créer et faire émerger des structures, des centres sociaux, des espaces de vie sociale, mais aussi pour construire et créer une instance départementale qui sera ensuite en capacité d'animer et d'accompagner l'ensemble des centres sociaux qui se seront créés sur le département. Nous en avons besoin, puisqu'il y a un segment intermédiaire entre le niveau national et le niveau très local. Dans de nombreux secteurs d'activité, beaucoup de choses se font par le biais de multiples réseaux, mais il manque une échelle de coordination, d'animation et d'accompagnement méthodologique métier, technique, et de formation des professionnels au quotidien.

Dans la prochaine convention d'objectifs, si l'ensemble de ces projets sont validés dans nos discussions avec l'État, nous avons pour objectif, dans les outre-mer, de renforcer cette mobilisation des têtes de réseau national de manière à ce qu'elles puissent se mobiliser davantage en local et construire de l'animation et de la coordination au niveau des départements.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces réponses. J'ajouterai quelques questions.

Vous avez parlé d'expérimentations en Guyane ou à La Réunion, notamment s'agissant d'un référent natalité ou d'un parcours naissance. Pourrez-vous nous envoyer des éléments plus précis sur leur mise en place ? Des moyens supplémentaires vous ont-ils été alloués ? Pourquoi ces deux territoires ? Comment ces expérimentations s'articulent-elles dans les dispositifs existants ? Vous avez également évoqué des staffs médico-sociaux dotés de budgets de 400 000 euros en 2021, puis 200 000 euros en 2022. Cette somme peut sembler importante, mais combien de personnes représente-t-elle à l'échelle des territoires ultramarins ? Divisée entre les différents territoires, elle peut finalement apparaître un peu ridicule.

Vous avez en outre mentionné une augmentation du recours au congé paternité. On a assez peu évoqué les familles monoparentales et la non-reconnaissance des pères ce matin. Dès lors que deux tiers des enfants ne sont pas reconnus par leur père dans certains territoires, j'imagine que ceux qui reconnaissent leurs fils ou leurs filles sont très motivés.

S'agissant du parcours des 1 000 premiers jours et de sa nécessaire adaptation, je suis assez surprise que l'on n'ait pas imaginé une traduction pour rendre le dispositif compréhensible partout sur le territoire, de la part des parents. On insiste souvent sur le besoin d'actions en proximité, qui font écho aux ressources locales, humaines. Parvenez-vous à en avoir ? Formez-vous de plus en plus de personnes pour être au plus près du terrain ?

J'aimerais ensuite vous interroger sur les parcours « séparation » et « arrivée de l'enfant » évoqués par M. Bedon. Sont-ils mis en place au sein de chaque territoire ultramarin ? S'agit-il d'une expérimentation ? S'ils ne sont mis en place que sur certains territoires, quelle en est la raison ?

Enfin, nous avons peu parlé d'IVG. Des stratégies pour limiter leur nombre sont-elles en place ? Diffèrent-elles selon les territoires, du fait de situations différentes ?

Mme Annick Petrus. - Merci à tous d'avoir apporté un éclairage sur cette problématique. Je suis sénatrice de la collectivité territoriale de Saint-Martin, qui fête ses 17 ans cette année. J'ai occupé le poste de troisième vice-présidente en charge de ces sujets. Ainsi, les chiffres énoncés ce matin ne m'étonnent pas, d'autant que les territoires d'outre-mer ont souvent été pointés du doigt comme des consommateurs de la caisse d'allocations familiales. Nous étions qualifiés de champions de la consommation de ces aides. Je ne reviendrai pas sur le sujet. C'est la situation de ces territoires et surtout de leurs habitants qui en sont la cause. Certains n'ont d'autres possibilités que de vivre de ces aides, puisqu'ils n'ont pas de travail. Parfois, ces situations se reproduisent de génération en génération. Lorsqu'une mère a vécu avec les allocations familiales et aides sociales de toutes sortes, faisant un bébé tous les trois ans pour ne pas perdre le bénéfice de l'aide, leurs enfants peuvent être tentés de reproduire le même schéma. Ce n'est pas qu'ils ont choisi cette façon de vivre, mais ils n'en ont pas trouvé d'autres. Dès lors qu'ils rencontrent une autre possibilité, ils parviennent à s'en sortir. Je suppose que cela a été dit au cours des auditions de ce cycle.

Il y a six mois, la collectivité de Saint-Martin a signé un plan territorial d'insertion (PTI) et une convention territoriale globale (CTG) avec la CAF. Les collectivités ne sont pas toujours informées de tous les dispositifs existants au sein de la CAF. Je le disais, j'ai présidé une délégation. C'est au fur et à mesure que je découvrais des dispositifs qui pouvaient être mis en place pour aider les familles, la plupart du temps monoparentales, à appréhender autrement la parentalité.

À titre d'exemple, j'ai appris récemment que les bénéficiaires du RSA pouvaient obtenir des aides pour faire garder leur enfant le temps d'un entretien d'embauche ou d'une recherche de travail. Je ne disposais pas de cette information lorsque j'étais vice-présidente. Si j'en avais eu connaissance, nous aurions pu mettre en place ces aides très rapidement en les versant à des structures ou associations qui accompagneraient ces familles dans la garde de ces enfants, plutôt que de les verser directement aux bénéficiaires. En effet, nous observons beaucoup de détournements d'aides, qui seraient évités par cette manoeuvre.

L'aide de rentrée scolaire n'est pas systématiquement détournée. Pour autant, j'ai été directrice d'un établissement scolaire dans une autre vie. Je peux assurer que ces prestations ne sont pas toujours utilisées intégralement pour l'enfant. Les allocations familiales non plus, d'ailleurs. Certains enfants sont bien lotis du 1er au 15 du mois. Ils ont un goûter, tout va bien. À partir du 15 du mois, ils n'ont plus de goûter, parce que l'argent a été mal géré, et qu'il n'y en a plus.

J'ai compris que la CAF ne pouvait pas aider à la gestion des allocations familiales. Néanmoins, pourrait-on trouver des dispositifs par le biais de structures, d'associations, pour aider ces familles ? Dernièrement, j'ai demandé au Pôle solidarité famille de mettre à disposition de ces familles des conseillers sociaux, familiaux ou économiques. Elles vont remplir le frigo les quinze premiers jours avec l'argent des allocations familiales. Les enfants vont tout manger en deux semaines. Après, il n'y aura plus d'argent, et ils viendront à l'école sans goûter. Il faut les aider. Comment pourrait-on mettre en place des dispositifs pour aider à la bonne utilisation de cette aide ? La CAF joue son rôle, elle donne de l'argent, mais la gestion de celui-ci ne permet pas aux parents d'embrasser convenablement leur mission, leur rôle et l'utilisation de ces fonds.

Sur le territoire de Saint-Martin, au lendemain de l'ouragan Irma, nous avons expérimenté une carte Cohésia. Certes, certains ont émis des doutes sur sa conformité à la réglementation. Ne pourrait-on pas initier des partenariats, des conventions avec des librairies, entre autres, pour nous assurer qu'une partie des aides soit dépensée dans ce cadre, et non pour rembourser les traites d'une voiture, par exemple ?

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ce témoignage en prise directe avec la réalité de Saint-Martin, où nous nous sommes rendues avec Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy.

Je vous laisse donc répondre, dans l'ordre qui vous convient le mieux. Je me permets également de vous interroger sur le contrat d'objectifs et de gestion (COG) et ses délais. Comment vous organisez-vous dans ce cadre ?

Mme Anne Morvan-Paris. - D'abord, vous m'interrogiez sur les parcours natalité, les staffs médico-psychosociaux et leur mise en place. Il s'agit aujourd'hui d'une expérimentation faisant suite à un appel à candidatures et à un arrêté d'expérimentation. La Guyane a été retenue dans ce cadre, notamment pour la mise en place d'un référent parcours. Celui-ci a pour rôle d'accompagner au mieux des personnes repérées comme vulnérables lors de l'entretien précoce prénatal, lors de la maternité ou lors du retour au domicile. Il s'agit d'assurer la présence d'un professionnel pour que le lien d'attachement se noue au mieux, dès l'arrivée de l'enfant, pour que le parent, même en difficulté sociale, assume pleinement son rôle. On peut être un bon parent dans tout contexte social, mais ce lien est primordial. Il convient de trouver les ressources personnelles, d'accompagner la mère pour qu'elle soit capable d'élever son enfant, par des conseils d'ordre matériel, mais aussi par des jeux, des regards, des temps d'observation.

Ensuite, le staff médico-psychosocial correspond à un renforcement des moyens, notamment en termes de présence de personnels médicaux et paramédicaux au sein des maternités pour détecter des personnes en situation de fragilité. Certaines ne s'en aperçoivent pas elles-mêmes, mais leur retour à domicile pourra être très compliqué. Nous nous positionnons aussi dans la prévention avant la protection de l'enfance. Nous devons soutenir au plus fort, au plus vite, avant d'entrer dans des dispositifs relevant de la protection de l'enfance. Ces staffs se sont développés dans le cadre d'une expérimentation, mais nous souhaitons que chaque maternité puisse en bénéficier à terme. Ce repérage et ce dialogue entre professionnels, avec la PMI qui peut revenir à domicile lorsque des signaux ont été détectés, permettent d'assurer une meilleure prise en compte des difficultés parentales.

Ensuite, je ne dispose pas d'analyse sur la non-reconnaissance des enfants par leurs pères dans les outre-mer. Je pense que des études sociologiques ont été menées sur le sujet. Je verrai si nous avons des éléments à vous apporter. Sinon, nous y travaillerons collectivement. La place du père est à nos yeux un grand objet de la future stratégie des 1 000 jours. Elle a trop été oubliée dans la première feuille de route. Le congé paternité est un outil, mais pas seulement. Y compris en protection de l'enfance, la place des deux parents est importante. Nous devons être plus attentifs à la reconnaissance de la place du père auprès de l'enfant. Il sera aussi un soutien auprès de la mère en cas de séparation.

La Cnaf a développé de nombreux outils autour de la séparation et de l'accompagnement des familles dans ces moments.

Enfin, vous m'interrogiez sur l'IVG. Mes collègues de la santé ne sont pas présents ce matin, mais nous pourrons vous apporter des éléments sur le sujet, puisque la Direction générale de la santé a déployé un certain nombre de programmes en la matière.

M. Jean-Marc Bedon. - J'évoquais plus tôt différents parcours. Il s'agit de dispositifs construits dans le champ de l'action sociale, à la main du conseil d'administration de la Cnaf et des CAF, en concertation avec les services de l'État. Nous sommes ici positionnés dans le champ des aides légales. Nous définissons les périmètres. Ici, il est construit pour l'ensemble du réseau des CAF, y compris et a fortiori les cinq départements d'outre-mer. Nous prenons d'ailleurs attache avec les outre-mer dès que nous le pouvons. Le parcours « séparation », mis en place en 2021, a fait l'objet d'une phase d'expérimentation, associant la CAF de la Martinique. Le parcours « arrivée de l'enfant » sera déployé en fin d'année ou en début d'année prochaine. Il a lui aussi fait l'objet d'une phase d'expérimentation qui, cette fois-ci, a associé la CAF de La Réunion. Nous avons bien identifié des particularités. Nous avons tendance à construire depuis le niveau national vers le local, avec une prégnance de ce que l'on sait des besoins de 90 % des territoires. Parfois, malheureusement, nous allons trop vite, et oublions des particularités propres à des mécanismes ou des réalités sociales des outre-mer. Pour cette raison, lorsque nous menons des expérimentations, nous essayons dès que nous le pouvons d'inscrire d'emblée les territoires ultramarins de manière à ce qu'ils nous alertent si nous allons trop vite ou si nous oublions quelque chose. Nous faisons en sorte que le cadre national construit soit suffisamment inclusif, et qu'il prenne en compte les réalités sociales de ces territoires.

Ensuite, je n'ai pas de réponse particulière à apporter à l'intervention de Mme Pétrus, qui fait écho à la réalité. Je prends bien note de la demande d'amélioration et de construction de la communication vis-à-vis des institutions, des allocataires, des partenaires. S'agissant de ces derniers, les problématiques que vous posez existent chez vous, mais aussi en Seine-Saint-Denis, comme partout en France. L'utilisation par les parents des allocations familiales, et autres prestations familiales ou sociales qui leur sont versées, renvoie effectivement à la nécessité impérieuse d'avoir des associations relais à leurs côtés, des travailleurs sociaux. Vous pointiez les conseillères en économie sociale et familiale qui assurent un rôle sur la gestion budgétaire des familles. Malheureusement, je pense que sur certains territoires, ces corps intermédiaires, relais de l'information et de l'accompagnement des familles, ne sont pas suffisamment nombreux. Nous sommes confrontés à une pénurie de professionnels dans le domaine social en général.

Vous m'interrogiez ensuite concernant le contrat d'objectifs et de gestion. Depuis une petite vingtaine d'années, la Cnaf contractualise ses orientations et les moyens permettant de les mettre en oeuvre tous les cinq ans avec l'État. Nous venons de terminer la précédente convention, qui courait sur les années 2018 à 2022. Nous avons réalisé un travail avec l'ensemble de notre réseau pour dresser un bilan de cette période et construire les prochaines orientations, pour la période courant de 2023 à 2027. Nous sommes en négociation avec l'État sur tous nos champs d'intervention, d'actions sociales, de relations de service, d'outillage, de systèmes d'information, de prestations et de fonctionnement de notre réseau.

Nous avons, dans le cadre de cette discussion avec l'État, une fiche spécifique dédiée aux outre-mer. Loin de nous le souhait d'extraire ces territoires du réseau national, mais il nous a semblé nécessaire de mettre en lumière des conditions et des contextes un peu particuliers, et des actions particulières, elles aussi, en termes de vigilance et de renforcement de la caisse nationale vis-à-vis des outre-mer.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Comment les acteurs institutionnels prennent-ils en compte l'adoption coutumière, fréquente dans certains territoires tels que la Polynésie ou les sociétés kanak ? Comment gérez-vous la parentalité dans ce cadre exceptionnel ?

Mme Anne Morvan-Paris. - Ces sujets sont délicats, au regard des textes en vigueur dans l'Hexagone sur l'adoption. La façon dont on conçoit l'adoption est en pleine évolution. Un Conseil national de l'adoption a été mis en place récemment. L'État pourra lui soumettre un certain nombre de décrets déclinant la loi de février 2022, qui a revu un certain nombre d'éléments. L'une de nos questions concerne l'application d'une coutume en Polynésie, qui ne relève pas du champ de l'adoption, et qui ne peut pas être reconnue. Elle pose de réelles questions de filiation et de droits pour l'enfant. Je propose de vous répondre à cette question par écrit, de façon aussi précise que possible.

En termes de réseau de formation, on apprend de l'outre-mer la manière dont la famille et l'entourage familial peuvent être un soutien pour l'enfant. Dans le cadre de la loi de protection de l'enfance, on se rend compte que l'entourage de l'enfant dans l'Hexagone - les figures d'attachement autres que les parents - n'est pas regardé, contrairement aux outre-mer. Au sein de ces territoires, il est possible de concevoir la famille de manière élargie. Nous ne devons pas remettre en cause ce modèle en nous appuyant sur un regard uniquement hexagonal, mais nous devons tout de même nous attacher aux droits qui en découlent pour l'enfant et la famille.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Lorsqu'on gagne des droits pour les femmes, on les gagne pour la société, pour les hommes comme pour les femmes. Je suis persuadée que les travaux que nous menons avec la délégation aux outre-mer nous permettront de flécher de bonnes pratiques et expérimentations, qui pourront être dupliquées. Comme le soulignait M. Bedon, des difficultés pointées par Mme Pétrus, sénatrice de Saint-Martin, peuvent également être observées dans d'autres territoires.

Je vous remercie sincèrement pour la précision de vos réponses. Vous pouvez nous adresser des compléments par écrit avant le 12 juin, si cela est possible, pour que nous les intégrions dans notre rapport et dans nos préconisations. J'excuse nos rapporteures Elsa Schalck et Victoire Jasmin, absentes ce matin pour raisons médicales.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Merci Annick, merci à tous pour la qualité de cette audition et pour les apports dont vous nous avez fait part. La matière est en mouvement au niveau national, notamment dans le cadre du COG de la Cnaf. J'attends de voir de quelle manière l'adaptation de la feuille de route des 1 000 premiers jours aura lieu en outre-mer. Au sein de notre délégation, et au sein du Sénat, je le crois, nous plaidons pour une différenciation de mise en oeuvre des politiques sur chacun de nos territoires pour tenir compte de leur sociologie et de leurs contextes économiques et sociaux. N'hésitez pas à nous faire part de vos remarques et compléments que vous jugeriez utiles. Merci à tous pour votre présence et votre participation active.

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