II. LE RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE DE BOMBARDIERS D'EAU SOUFFRE D'UN DÉFAUT D'ANTICIPATION, ET SE HEURTE AUX DIFFICULTÉS DE PRODUCTION DES NOUVEAUX APPAREILS

A. UN MANQUE D'ANTICIPATION ET DE VISIBILITÉ SUR LA STRATÉGIE DE RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE DE BOMBARDIERS D'EAU

Il apparait nécessaire pour le ministère de l'intérieur, au regard du vieillissement de certains appareils composant la flotte, et de l'extension et de l'intensification du risque feux de forêt, de disposer d'une stratégie d'investissement lisible dans ses moyens aériens de lutte contre les incendies. Les montants en jeu sont conséquents, puisque d'après la Cour des comptes, le besoin d'investissement dans le renouvellement de l'ensemble la flotte aérienne de la sécurité civile (y compris la flotte d'hélicoptères), serait évalué à plus de 1,3 milliard d'euros.

Le rapporteur spécial constate pour autant un défaut de visibilité sur cette stratégie d'investissement, illustré par la multiplication d'annonces parfois contradictoires, qui ne permettent pas de disposer d'une vision claire sur les perspectives de renouvellement de la flotte. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2023, le rapporteur spécial a en effet relevé avec étonnement un décalage important entre d'une part, les annonces de président de la République de renouvellement intégral de la flotte de Canadair à l'horizon 2027, et d'autre part, les informations transmises au rapporteur spécial par la DGSCGC, qui indiquait que la France ne pouvait espérer bénéficier de la livraison que de deux appareils dans les cinq prochaines années.

Par ailleurs, l'annonce présidentielle de la mobilisation à terme de moyens inédits tels que l'avion A400M d'Airbus suscite également des interrogations, compte tenu du scepticisme exprimée par les services du ministère de l'intérieur et de la base aérienne de la sécurité civile (BASC) sur la capacité de cet appareil à lutter efficacement contre les feux de forêt.

Cette ambiguïté sur les perspectives de renouvellement de la flotte semble susciter une forme de frustration auprès des acteurs de la sécurité civile engagés dans la lutte contre les feux, qui craignent de ne voir aucune traduction de ces annonces sur le plan opérationnel à court-terme.

Les annonces du président de la République du 28 octobre 2022
relatives à la flotte aérienne de la sécurité civile

En réaction à la saison des feux exceptionnelle qu'a connue la France lors de l'été 2022, le président de la République a annoncé plusieurs mesures, dont une enveloppe de 250 millions serait consacrée au renforcement des moyens aériens de la sécurité civile. Il a ainsi annoncé, sans toutefois préciser la ventilation précise de cette enveloppe et la temporalité dans laquelle elle sera consommée :

- le renouvellement intégral des Canadair actuels (12 appareils), couplé à une extension de la flotte (4 appareils supplémentaires) ;

- la location de dix hélicoptères bombardiers d'eau pour l'année 2023, et l'acquisition à terme de deux appareils de ce type ;

- la mobilisation de moyens inédits, tel que l'Airbus A400M, sur lequel l'avionneur français a annoncé avoir fait des essais en vue d'équiper ce modèle d'une capacité de largage d'eau, et l'expérimentation du recours à des drones.

Source : commission des finances, d'après l'intervention du président de la République du 28 octobre 2022

Ces effets d'annonce se sauraient masquer le manque d'anticipation et de vision de long-terme du ministère de l'intérieur concernant la stratégie d'investissement dans sa flotte aérienne de lutte contre les feux. Ce constat est partagé par la Cour des comptes, qui a déploré dans un référé du 26 juillet 2022 « l'absence d'une stratégie de renouvellement de la flotte à moyen et long terme, qui permettrait d'anticiper l'éventuelle défaillance d'un industriel aéronautique, de mesurer de façon objective l'intérêt de nouveaux types d'aéronefs (...) ».

Ce manque d'anticipation sur le renouvellement de la flotte est susceptible de limiter sa performance, et plus particulièrement, de réduire la disponibilité des appareils. En effet, entre le moment où le renouvellement d'un ou plusieurs appareils est annoncé, et le moment où cette acquisition se concrétise, un temps important est susceptible de s'écouler, faisant peser un risque d'obsolescence de la flotte si cette dynamique de renouvellement n'est pas suffisamment anticipée. Les exemples de la flotte de Canadair et des deux plus anciens Dash (voir infra) sont à cet égard particulièrement révélateurs.

La stratégie du ministère de l'intérieur sur le renouvellement de la flotte n'est en tout état de cause pas suffisamment formalisée. La DGSCGC ne s'est en effet dotée d'aucun document stratégique permettant de disposer d'une visibilité sur les perspectives de renouvellement des moyens aériens de lutte contre les feux.

Il est essentiel, du point de vue du rapporteur spécial, que cette stratégie soit concrétisée et formalisée au sein d'un document unique. Afin d'assurer une certaine continuité dans la dynamique d'investissement dans les moyens aériens de lutte contre les feux, cette stratégie devrait être :

pluriannuelle, de manière à disposer d'une visibilité à long-terme sur les perspectives de renouvellement de la flotte ;

- et séquencée, dans la mesure où les appareils ne doivent pas être renouvelés simultanément, pour éviter d'exposer l'ensemble de la flotte à un risque d'obsolescence en cas de retards de livraison.

Cette stratégie ne doit par ailleurs pas se limiter au seul volet capacitaire. Le renouvellement et le redimensionnement de la flotte doit faire l'objet d'une approche en coût complet, et prendre ainsi en considération l'implication de l'acquisition de nouveaux appareils en matière :

de coût de maintenance, dans la mesure où l'arrivée de nouveaux appareils dans la flotte entraine des opérations de MCO supplémentaires ;

de ressources humaines, en anticipant le plus en amont possible les besoins supplémentaires en termes de nombre de pilotes, et les besoins de formation qui en résultent ;

de dimensionnement des infrastructures susceptibles d'accueillir de nouveaux appareils, ce qui invite aujourd'hui la DGSCGC à s'interroger sur l'éventuelle ouverture d'une deuxième base aérienne d'hébergement des aéronefs, ou sur le maillage optimal des stations de ravitaillement des avions en produit retardant.

Recommandation n° 1 : afin d'optimiser la gestion de la flotte d'aéronefs, formaliser au sein d'un document unique une stratégie d'investissement pluriannuelle et séquencée pour le renouvellement des moyens aériens de lutte contre les feux (DGSCGC).