N° 831
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2022-2023
Rapport remis à M. le Président du Sénat le 4 juillet 2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 4 juillet 2023
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission d'enquête (1) sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence,
Président
M. Mickaël
VALLET,
Rapporteur
M. Claude MALHURET,
Sénateurs
Tome I - Rapport
(1) Cette commission est composée de : M. Mickaël Vallet, président ; M. Claude Malhuret, rapporteur ; M. Stéphane Artano, Mme Toine Bourrat, MM. Thomas Dossus, André Gattolin, Loïc Hervé, Mmes Marie Mercier, Catherine Morin-Desailly, MM. Pierre Ouzoulias, Cédric Perrin, Mme Laurence Rossignol, vice-présidents ; Mmes Annick Billon, Céline Boulay-Espéronnier, Valérie Boyer, MM. Rémi Cardon, Daniel Gueret, Mmes Christine Lavarde, Sophie Primas.
LA TACTIQUE TIKTOK : OPACITÉ, ADDICTION ET OMBRES CHINOISES
« Les réseaux sociaux sont devenus l'une des principales menaces contre la démocratie » disait il y a peu M. Barack Obama dans « The Atlantic1(*) ». Le rêve de quelques jeunes ingénieurs californiens du début des années 2000 d'un Internet porteur d'une connaissance universelle, d'une transparence inédite et de nouveaux liens sociaux à l'échelle de la planète s'est transformé en une réalité beaucoup plus prosaïque. Fake news, discours de haine, harcèlement, désinformation, manipulations électorales à grande échelle, fermes à trolls, ne sont que quelques exemples des dérapages d'une technologie qui connaît un succès mondial mais bien souvent pour de mauvaises raisons.
C'est dans ce contexte qu'est apparu voici quelques années, après Facebook, Twitter, Instagram et quelques autres, un nouveau venu dont la croissance exponentielle lui a permis de dépasser en peu de temps la plupart de ses prédécesseurs. En apparence il leur ressemble. En réalité il s'en distingue par au moins trois aspects essentiels. D'abord son fonctionnement : au modèle du « graphe2(*) social » de la plupart des réseaux qui favorisent les interactions de l'internaute avec ses « amis », TikTok oppose un « graphe d'intérêts » qui privilégie les contenus proposés par l'application elle-même. En deuxième lieu, son algorithme extrêmement addictif qui retient des heures durant ses utilisateurs, essentiellement des enfants et des adolescents, sur leurs écrans. Enfin, malgré des efforts constants pour le dissimuler, l'évidence de la faculté pour l'État, le Parti communiste et les services de renseignement chinois d'accéder aux données recueillies sur les utilisateurs du monde entier.
Pour toutes ces raisons, TikTok est aujourd'hui interdit totalement dans plusieurs pays (Inde, Indonésie, Pakistan...) et de façon limitée dans beaucoup d'autres, notamment ceux de l'Union Européenne, France incluse. Faut-il aller plus loin et considérer que TikTok doit être mis à l'index, au même titre que Huawei, comme une des menaces envers les démocraties d'un régime chinois qui ne cesse de se durcir ? La moindre des prudences consiste en tous cas à nous départir de notre naïveté confondante envers les risques posés aux démocraties par les méthodes de plus en plus élaborées des dictatures et de ce qu'elles appellent leurs guerres hybrides. C'est le but de ce rapport.
* 1 https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/11/why-obama-fears-for-our-democracy/617087/
* 2 Le terme de « graphe », traduit de l'anglais « graph », désigne le schéma des liens entre des personnes utilisatrices d'une plateforme numérique, formant un réseau social. Il dérive lui-même de la théorie des graphes, discipline mathématique et informatique qui étudie les graphes, lesquels sont des modèles abstraits de dessins de réseaux reliant des objets entre eux.