B. DÉVELOPPER LES DISPOSITIFS DE CONSEIL ET D'ORIENTATION EN VUE DES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES, NOTAMMENT EN FIN DE CARRIÈRE
1. Le conseil en évolution professionnelle (CEP), une « porte d'entrée » encore peu identifiée et en cours de structuration
Créé en 2014, le CEP entend jouer le rôle de « porte d'entrée » de l'accompagnement des transitions professionnelles, permettant d'offrir, au titre de service public, un conseil aux personnes envisageant une évolution professionnelle, et les orientant vers les interlocuteurs ou formations adaptées.
Le Conseil en évolution professionnelle (CEP)
Le CEP avait été introduit à l'article L. 6111-6 du code du travail à la suite de la transposition législative de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés.
Gratuit et accessible à « toute personne » au long de sa vie professionnelle, le CEP doit permettre « d'accompagner la formalisation et la mise en oeuvre des projets d'évolution professionnelle », en identifiant les formations et qualifications répondant aux besoins d'évolution des compétences et de carrière formulés, ainsi que les financements disponibles.
Le CEP s'inscrit dans le cadre du service public régional de l'orientation. Les organismes autorisés à dispenser le CEP sont ainsi sélectionnés dans chaque région, à l'issue d'un appel d'offres piloté par France compétences, se basant sur un cahier des charges national. Il peut aussi être dispensé par Pôle emploi, par les organismes chargés de l'insertion professionnelle des personnes handicapées, par les missions locales, par l'association pour l'emploi des cadres (APEC).
Toutefois, le CEP est méconnu, mal identifié, et encore trop souvent regardé comme une étape peu concrète, généraliste agissant comme simple « orienteur » vers d'autres dispositifs ou interlocuteurs. Comme l'a exprimé la CFE-CGC, « aujourd'hui, le CEP reste en-deçà de ses possibilités »190(*).
Une première évaluation du dispositif, en 2018, avait conclu à un déploiement très insuffisant auprès des actifs occupés (représentant seulement 7 % des bénéficiaires), en raison notamment d'une capacité d'accueil et d'un maillage territorial insuffisants191(*). En conséquence, la loi « Avenir professionnel » avait confié à France compétences le pilotage, l'organisation et le financement du CEP, autour d'un nouveau cahier des charges commun à l'ensemble des opérateurs sélectionnés dans chaque région pour proposer ce service public.
Depuis, si le recours s'est quelque peu développé entre 2018 et 2022, atteignant 155 000 entrées environ en 2022 (102 000 en 2020), il reste très limité. Moins d'1 % des actifs se sont orientés vers le CEP chaque année, ce taux étant encore inférieur pour les personnes les moins qualifiées (0,4 %)192(*).
Selon la CGT, sollicitée par les rapporteurs, « les opérateurs actuels [...] font un travail de qualité. La CGT regrette que les CEP ne bénéficient pas d'autant de publicité que le CPF de la part du gouvernement car l'accompagnement reste essentiel dans un projet de formation ». Le syndicat appelle ainsi à « communiquer sur le CEP pour améliorer l'accompagnement des salariés. Pour la CGT, c'est à l'État de financer une campagne de promotion du CEP à la hauteur de celle qu'il a financé pour le CPF ». 193(*) Ce point de vue est partagé par FO, qui estime que « le CEP est un merveilleux dispositif qui, s'il était réellement promu par les politiques publiques, régulerait le dispositif de formation professionnelle. Toutefois, faute de moyens suffisants, le CEP n'a fait l'objet d'aucune campagne de communication de grande ampleur »194(*).
UTILITÉ PERÇUE DES CONSEILS EN ÉVOLUTION PROFESSIONNELLE (en %)
Source : Institut Montaigne, « Les Français au travail, dépasser les idées reçues », février 2023
De plus, une étude commandée par France compétences en 2022 témoigne de la persistance de « zones blanches du CEP », notamment en Picardie ou dans l'ancienne région Champagne-Ardenne195(*). L'action parallèle de différents réseaux d'opérateurs - il existe 18 opérateurs régionaux - nuit aussi à la lisibilité du dispositif et à sa bonne identification par les demandeurs196(*).
Alors que le marché relatif au CEP doit être renouvelé par France compétences en 2023 afin de prendre effet en 2024, les rapporteurs recommandent en conséquence de veiller au maillage territorial de l'offre de CEP et à la promotion d'une « marque CEP » cohérente et lisible. Ces deux facteurs apparaissent aujourd'hui indispensables au développement du recours au CEP, par ailleurs pertinent pour éviter les erreurs d'orientation et les inefficacités des parcours de transition professionnelle.
Un exemple d'initiative pour accompagner les reconversions : « TestunMétier »
Les rapporteurs ont rencontré la présidente de « TestUnMétier », Mme Carine Celnik. « TestUnMétier » propose de mettre en relation, sur une plateforme informatique, des personnes souhaitant se reconvertir, mais manquant d'information sur les métiers visés, avec des personnes exerçant ces métiers. 80 % des personnes recourant à la plateforme s'engagent dans une formation, une création d'entreprise ou une prise de poste, que cela soit dans le métier initialement identifié ou dans un autre.
Elle a exprimé la nécessité de « rassurer » les personnes en cours de reconversion, de « remettre de l'humain dans le processus et de se (re)donner envie de travailler ensemble », notant que les outils actuels de conseil en évolution professionnelle ne suffisent plus, en particulier pour les personnes les plus hésitantes.
Mme Celnik a par exemple témoigné de la démarche réalisée par une entreprise du secteur bancaire dans la région Grand Est : l'entreprise a « créé une plateforme pour accélérer le recrutement sur un métier en tension en interne (conseiller multimédia) car tous les dispositifs existants ne fonctionnaient pas (Forum métiers, « job board »...). Les rencontres entre pairs ont permis de rassurer et de recruter 35 personnes, qui sont satisfaites car les métiers présentés lors des échanges sont conformes aux tâches à réaliser une fois en poste ».
« TestUnMétier » propose aussi des rendez-vous en visio entre entreprise en candidats en transition professionnelle, pour des entretiens de recrutement sans CV : ce sont souvent des candidatures qui n'auraient pas été étudiées ou reçu de suite si elles avaient été reçues selon des procédures « classiques ». De grandes entreprises du secteur bancaire ou de la restauration rapide y ont régulièrement recours, notamment pour des métiers en tension.
Sources : Audition de Mme Carine Celnik par
la délégation aux Entreprises,
réponses au
questionnaire
2. Le bilan de compétences, un dispositif dynamique mais insuffisamment mobilisé en faveur des seniors
Dans un contexte propice à la réflexion sur la mobilité professionnelle, le bilan de compétences connaît une dynamique très favorable. Près de 100 000 bilans de compétence auraient été réalisés en 2022, contre seulement 33 000 en 2019.
Outil ancien, le bilan de compétences a bénéficié d'un regain de visibilité grâce à son inscription parmi les actions de formation dans la loi « Avenir professionnel » et son éligibilité au CPF, qui permet à un grand nombre de salariés de financer seuls le coût du bilan (environ 1 500 euros).
Le bilan de compétences
Au titre de l'article L. 6313-4 du code du travail, les bilans de compétence ont pour objet de permettre aux salariés et aux demandeurs d'emploi d'analyser leurs compétences professionnelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes et leurs motivations afin de définir un projet professionnel et, le cas échéant, un projet de formation.
Le bilan de compétences se réalise sur une durée maximum de 24h, répartie sur plusieurs jours voir semaines (en général, environ trois mois). Il s'organise en trois phases (phase de diagnostic ; phase d'investigation et phase de conclusion). Les organismes habilités à bénéficier de fonds publics ou mutualisés pour opérer des bilans de compétences sont certifiés.
Le bilan de compétences peut être financé grâce au CPF. Il peut aussi être réalisé dans le cadre d'un plan de développement des compétences d'entreprise, avec le consentement du salarié. Enfin, il peut être conseillé à l'occasion d'un conseil en évolution professionnelle.
Le bilan de compétences bénéficie d'une forte visibilité auprès des Français et d'une bonne image, puisque 73,7 % des personnes interrogées dans le cadre d'une étude récente estiment qu'il a eu un impact sur leur situation professionnelle. Il conduit dans 43 % des cas à un changement de métier, dans 31 % des cas à un changement de secteur, dans 17,5 % des cas à une évolution professionnelle et dans 7,5 % des cas à une progression salariale.
NOMBRE DE BILANS DE COMPÉTENCES RÉALISÉS CHAQUE ANNÉE (2019-2022)
Source : Délégation aux entreprises, données communiquées par la FNCIBC.
Toutefois, si le recours au bilan de compétences s'est étendu à la fois en termes de volume et en termes de public cible - la progression chez les jeunes est notable - il reste encore insuffisamment mobilisé au profit des reconversions professionnelles des seniors. Les plus de 45 ans ne représentent ainsi qu'entre 15 et 20 % des personnes ayant eu recours au bilan de compétences.
Selon certaines des personnes interrogées, cela tiendrait à la faible intégration du bilan de compétences dans les plans de développement des compétences des entreprises. Le président du MEDEF avait évoqué dès 2022 la réflexion encore trop embryonnaire sur les fins de carrière et l'emploi des seniors, estimant que « l'on doit pouvoir faire un lien entre la formation proposée dans les entreprises et le bilan de compétences : c'est pour cela que l'on estime nécessaire de rendre ce bilan de compétences obligatoire »197(*).
Les rapporteurs estiment qu'il pourrait toutefois s'agir d'un levier intéressant à mobiliser à des étapes clefs de la vie professionnelle, comme par exemple autour de 45 ans, moment déjà identifié par la loi comme propice à la visite médicale obligatoire de mi-carrière. Selon la Fédération nationale des centres interinstitutionnels de bilan de compétences (FNCIBC), 55 % des personnes recourant au bilan de compétences souhaitent rester dans l'entreprise qui les emploie : il faut donc éviter de le considérer comme un risque pour l'entreprise, mais plutôt comme une opportunité d'anticiper les évolutions de carrière et les reconversions éventuelles, en complément avec le conseil en évolution professionnelle.
Pour les seniors, le bilan de compétences peut être un outil pour valoriser leurs compétences déjà acquises et orienter leur projet d'évolution ou de reconversion de seconde partie de carrière.
Recommandation n° 28 :
Prévoir que chaque salarié puisse suivre, l'année de ses 45 ans, un bilan de compétences pris en charge à parts égales par le CPF, l'État et l'employeur par le biais d'abondements du CPF.
* 190 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.
* 191 Rapport final à France compétences, « Géographie du recours au conseil en évolution professionnelle par les actifs occupés », janvier 2022.
* 192 France compétences, « 3 ans de mise en oeuvre du Conseil en évolution professionnelle pour les salariés et les travailleurs indépendants 2020-2022 ».
* 193 Réponses de la CGT au questionnaire la délégation.
* 194 Réponses de FO au questionnaire de la délégation.
* 195 Rapport final à France compétences, « Géographie du recours au conseil en évolution professionnelle par les actifs occupés », janvier 2022.
* 196 France compétences, « Les enseignements du marché « CEP actifs occupés » 2020-2023 », janvier 2023.
* 197 Interview de Geoffroy Roux de Bézieux dans Les Échos, paru le 11 octobre 2022.