TROISIÈME
PARTIE
ACCOMPAGNER LA DIVERSITÉ DES PARCOURS : INVESTIR DANS LA
FORMATION CONTINUE POUR TOUS
ET DANS LES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES
I. ASSURER L'ACCÈS À LA FORMATION DES PUBLICS ÉLOIGNÉS DE L'EMPLOI : UN IMPÉRATIF SOCIAL ET ÉCONOMIQUE
A. INVESTIR DANS LA FORMATION POUR TOUS
1. Un halo du chômage persistant qui appelle des mesures volontaristes pour atteindre les publics les plus éloignés de l'emploi
Au premier trimestre 2023, la France comptait 3 millions de chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT), soit 7,1 % de la population active. Bien qu'il s'agisse d'un taux historiquement bas au cours des vingt dernières années, il reste plus élevé que celui d'autres pays européens.
Surtout, le halo du chômage - c'est-à-dire les personnes sans emploi mais n'en recherchant pas, ou non disponibles pour occuper un emploi - s'accroît de manière continue : il regroupe près de 4,6 % de la population des 15-64 ans, soit près de 2 millions de personnes.141(*) Près de 13 % des jeunes de 15 à 29 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation.
Ces chiffres peuvent surprendre dans une période de dynamisme économique, marquée par d'importantes tensions de recrutement dans l'ensemble des secteurs d'activité. Pour avancer vers le plein emploi et pourvoir les besoins de notre économie, il est impératif d'aller plus loin dans l'accompagnement des personnes les plus éloignées de l'emploi afin qu'elles puissent accéder plus facilement à la formation.
En effet, la formation est déterminante dans l'accès ou le retour à l'emploi. Les chômeurs formés présentent un taux d'accès à l'emploi supérieur de l'ordre de 6 points à ceux qui ne se sont pas formés, à profils comparable. Cet avantage comparatif peut même s'élever à 8 points pour les profils peu diplômés et jusqu'à 17 points pour les seniors142(*).
De nombreux obstacles à la formation des chômeurs et des personnes éloignées de l'emploi existent cependant :
· un éloignement, voire une méfiance envers les institutions et le service public de l'emploi, qui complique l'établissement d'un dialogue et l'identification de ces personnes ;
· dans certains cas, des freins psychologiques à l'entrée en formation, liés à l'éloignement du marché de l'emploi ;
· des outils insuffisamment lisibles ou accessibles aux personnes éloignées de l'emploi ou peu qualifiées (manque de clarté ou de visibilité sur l'offre de formation, technicité des procédures administratives...) ;
· une priorisation parfois insuffisante de ces publics perçus comme plus « difficiles » à accompagner au sein des dispositifs de formation existants ;
· l'insuffisance du « bagage » ou des compétences socles, notamment dans le cas des personnes n'ayant pas mené à terme la formation initiale ; ou l'obsolescence des compétences acquises il y a longtemps ;
· l'existence de nombreux « freins périphériques » à l'entrée en formation, liés notamment à des considérations financières, à la difficulté à trouver un logement ou une modalité de garde d'enfants, au manque de mobilité géographique... ;
· des cadres administratifs trop ciblés sur les chômeurs143(*), et qui tendent à « punir » les ruptures de parcours, en ne permettant pas d'interrompre temporairement des formations par exemple ; ce, alors même que l'existence de multiples acteurs de la formation engendre nécessairement des ruptures de prise en charge. Par exemple, le groupe FNAC Darty a cité les critères encadrant le recours au contrat de professionnalisation, qui ne peut concerner que les demandeurs d'emploi et non les personnes dont l'emploi est menacé et cherchant à se reconvertir préventivement.144(*)
2. Accentuer l'accompagnement vers la formation
La formation des personnes éloignées de l'emploi figurait parmi les priorités annoncées du grand Plan d'investissement dans les compétences (PIC), présenté par le Gouvernement en 2018145(*). Doté de 13,6 milliards d'euros, cofinancés par l'État et le fonds de concours de France compétences (abondé via la contribution des entreprises), ce plan a été déployé à deux niveaux, via l'intensification ou le lancement d'actions nationales d'une part, et par la mise en oeuvre régionale d'actions décidées par des « pactes régionaux d'investissement » entre État et Région d'autre part.
L'investissement du PIC a indéniablement permis de susciter et de soutenir de nombreuses initiatives innovantes permettant d'intensifier l'accompagnement vers l'emploi et la formation de personnes éloignées de l'emploi. Selon les chiffres transmis par Catherine Seiler, précédemment haut-commissaire aux compétences, « les personnes en recherche d'emploi vulnérables (niveau de formation infra-baccalauréat, demandeurs d'emploi de longue durée, bénéficiaires du revenu de solidarité active, résidents de quartiers prioritaires de la ville, personnes en situation de handicap, seniors) ont représenté deux tiers des entrées en formation sur la période 2018-2021, concernant 913 100 personnes sur un total de 2,63 millions. Ceux-ci étaient identifiés comme publics prioritaires dans de nombreux appels à projets financés par le PIC, comme « 100 % inclusion » ou « Repérer les invisibles »146(*).
PART DES PUBLICS VULNÉRABLES DANS LES
ENTRÉES EN FORMATION FINANCÉES
PAR LE PIC ENTRE 2018 ET 2021
Source : Délégation aux Entreprises, selon les éléments transmis par Catherine Seiler, précédemment haut-commissaire aux compétences
Toutefois, le rapport de préfiguration de « France Travail » dessine un bilan mitigé du PIC et répertorie plusieurs insuffisances des dispositifs existants, estimant que « malgré les progrès réalisés, la formation apparaît aujourd'hui encore insuffisamment ciblée sur les publics les plus éloignés de l'emploi. L'accès aux formations dites « préalables » (savoirs de base, compétences clés, préqualification) demeure inégal sur le territoire national. En outre, la formation ne répond encore qu'imparfaitement aux tensions sur le marché du travail et, plus largement, aux besoins directs des entreprises. Les formations avant embauche ne se développent que très lentement, alors que leur efficacité est reconnue. ». Le référé de la Cour des comptes, en date du 2 avril 2021, relevait aussi un « fort éparpillement » des actions menées et des acteurs impliqués.
Les auditions des rapporteurs ont confirmé ces constats. De manière générale, les acteurs économiques entendus saluent l'investissement opéré dans la formation des demandeurs d'emploi mais estiment que ses résultats ont été insuffisants. Ont été cités, en particulier, la complexité de certains dispositifs ou l'insuffisance des formations relatives au « socle de compétences », pourtant indispensable à toute embauche. Surtout, les dispositifs de formation financés par le PIC ne sont pas perçus comme ayant été particulièrement aptes à répondre aux besoins de compétences des entreprises.
L'impact du PIC sur le financement de la formation professionnelle est aussi mis en cause. Pour le financer, l'État a choisi de prélever une partie des fonds mutualisés gérés par France compétences (par le biais d'un prélèvement sur le produit de la Cufpa), à hauteur de 1,6 milliard d'euros en 2021 et 1,7 milliard d'euros en 2022. Au total, selon France compétences, plus de 6,4 milliards d'euros ont été prélevés entre 2019 et 2022 sur les ressources de France compétences au titre de la formation des demandeurs d'emploi147(*).
Ce prélèvement est fortement contesté par les entreprises, qui estiment qu'il affaiblit le modèle global de financement de l'apprentissage et de la formation professionnelle par effet de « vase communicant », sans pour autant apporter de réelle amélioration en matière de retour à l'activité des demandeurs d'emploi. La contribution de l'État au financement du PIC n'était en 2022, à titre de comparaison, que de 648 millions d'euros, dont 551 au bénéfice exclusif du financement du contrat d'engagement jeune (CEJ).
Les syndicats représentatifs des salariés entendus par les rapporteurs partagent en cela le point de vue des organisations professionnelles, la CGT ayant par exemple indiqué que : « le PIC ne doit pas être financé par la contribution à la formation professionnelle et à l'apprentissage. Le financement du PIC doit revenir à l'État au titre de dépenses qui relèvent de la solidarité nationale ». Selon la CFE-CGC, la sous-consommation des crédits prévus pour le PIC, documentée par la Cour des comptes en 2022, résulte en ce que « France Compétences a versé des fonds à l'État qu'il n'a pas utilisé, pendant que l'État attribuait à France compétences une subvention pour limiter son déficit »148(*).
Comme l'avait déjà relevé le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat intitulé « France compétences face à une crise de croissance » : « La légitimité de ces versements est contestée : le pilotage du plan étant maîtrisé par l'État, en s'inscrivant pour partie dans le cadre des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC), les entreprises ont le sentiment d'être « payeurs aveugles » sur ce volet où ils ne voient pas de retour sur investissement. Les partenaires sociaux appellent ainsi à distinguer, au sein du PIC, ce qui relève de dispositifs apportant des réponses concrètes aux besoins de compétences des entreprises, que peuvent financer les contributions des employeurs, et les priorités d'ordre national relevant de la responsabilité financière de l'État »149(*). La répartition de l'effort entre budget de l'État et fonds mutualisés fait donc débat.
Alors que semble avoir été actée, dans le cadre de la reconfiguration de Pôle emploi en « France Travail », le lancement d'un deuxième PIC150(*), ces déséquilibres doivent être corrigés, et l'État doit prendre pleinement part à son financement. Au regard de l'important déséquilibre qui touche déjà le budget de France compétences, il faut veiller à ce que les prélèvements conséquents opérés au cours des dernières années sur les financements gérés par ce dernier, collectés auprès des entreprises, restent soutenables. Il est primordial que l'État participe pleinement au financement de la formation des demandeurs d'emploi, comme il lui incombe au regard de sa compétence nationale en matière de politique de l'emploi. Il conviendra donc de garantir une participation budgétaire adaptée de l'État pour éviter toute ponction disproportionnée des fonds destinés au financement de la formation professionnelle - notamment à l'apprentissage.
En conséquence, les rapporteurs recommandent de plafonner le prélèvement sur fonds mutualisés au bénéfice du PIC, voire d'acter une réduction sensible du niveau de contribution des fonds mutualisés.
D'ores et déjà, il convient de signaler que la loi de finances pour 2023 a divisé par deux la dotation versée par France compétences à l'État au titre du PIC, en la portant à 800 millions d'euros et compensant cette baisse de la dotation par une augmentation équivalente du budget du ministère du Travail au sein du budget général de l'1tat : c'est là un signal positif qu'il convient de confirmer. Les rapporteurs défendront cette position dans le cadre du projet de loi « Plein emploi », examiné très prochainement par le Sénat.
Recommandation n° 17 :
Dans le cadre de la mise en oeuvre du deuxième plan d'investissement dans les compétences (PIC 2), préserver le financement dédié à la formation professionnelle en :
plafonnant le prélèvement sur fonds mutualisés de France compétences opéré au profit du PIC, à un montant fixé après discussions entre les partenaires sociaux et l'État ;
engageant dès 2024 une réduction du montant de la contribution de France compétences à la formation des demandeurs d'emploi.
* 141 « Après un pic dû à la crise sanitaire, la part des jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation repart à la baisse », INSEE Focus n°285, janvier 2023.
* 142 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.
* 143 Au sens du Bureau international du travail (BIT), c'est-à-dire sur les personnes de plus de 15 ans n'ayant pas travaillé au cours de la semaine de référence, étant disponibles pour travailler dans les deux semaines et ayant entrepris des démarches actives de recherche d'emploi dans le mois précédent ou trouvé un emploi commençant dans les trois mois.
* 144 Réponses de FNAC Darty au questionnaire de la délégation.
* 145 L'un de ses objectifs exprimés était de former deux millions de demandeurs d'emploi peu ou pas qualifiés et de jeunes éloignés du marché du travail selon le site internet du ministère du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion.
* 146 Réponses de Catherine Seiler au questionnaire de la délégation.
* 147 Réponses de France compétences au questionnaire de la délégation.
* 148 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.
* 149 Rapport d'information n° 741 (2021-2022) de Mmes Frédérique Puissat, Corinne Féret et M. Martin Lévrier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 29 juin 2022, intitulé « France compétences face à une crise de croissance ».
* 150 Dans son rapport de préfiguration de « France Travail », Thibault Guilluy, haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, recommande de « reconduire un plan d'investissement massif de l'État sur la formation aux côtés des régions, avec une contractualisation priorisant l'insertion des publics éloignés de l'emploi », en maintenant un effort de l'ordre de 2,5 milliards d'euros par an ».