B. ACCOMPAGNER L'ÉVOLUTION DES EMPLOIS ET DES ATTENTES

L'attractivité des emplois n'est pas une bataille à mener uniquement au niveau des secteurs d'activité et des familles de métiers. La difficulté à pourvoir un emploi peut aussi résulter d'un manque d'attractivité des conditions d'exercice du travail : un manque de diversité ou d'ambition des tâches confiées, une insatisfaction par rapport au cadre hiérarchique ou aux possibilités d'évolution professionnelle, ou encore un enjeu d'horaires de travail ou de rémunération. Ces facteurs tangibles sont d'importants leviers d'attractivité : ils ont pris une place particulièrement perceptible à l'aune de la pandémie de Covid-19, qui a entraîné de nombreux bouleversements de l'organisation du travail.

Une étude de l'Institut Montaigne présentée en février 2023, intitulée « Les Français au travail : dépasser les idées reçues » conclut que les facteurs ayant trait à l'organisation du travail ou à ses conditions matérielles d'exercice (rémunération, pénibilité, modes de management) conservent un poids prépondérant lorsque l'on cherche à expliquer la satisfaction ou l'insatisfaction des Français au travail65(*). De fait, la quête de nombreux salariés pour une plus grande flexibilité organisationnelle ou pour de nouveaux modes de management a certainement joué dans la hausse des démissions qui s'est esquissée au cours des dernières années, à la faveur d'un marché du travail plus favorable aux travailleurs.

Au-delà des efforts collectifs visant à redessiner l'image de certains métiers et à améliorer l'orientation des élèves et étudiants, il est essentiel de prendre en considérations ces facteurs concrets, attachés à chaque emploi et chaque entreprise, qui détermineront très directement s'ils sauront attirer ou non des candidats sur un marché du travail de plus en plus compétitif pour les employeurs.

1. Promouvoir l'intégration des nouveaux modes de management et d'organisation du travail et accompagner l'effort en faveur de la qualité de vie au travail
a) Des conditions d'exercice des emplois en forte mutation

L'organisation du travail a connu d'importantes mutations au cours des dernières années.

D'une part, comme le note le rapport de l'Institut Montaigne précité, il existe désormais une plus grande variance des modes d'organisation et des horaires de travail : « Le cadre traditionnel de la semaine à « 5 jours aux horaires de bureau » est devenu minoritaire et s'efface devant la multiplication des horaires atypiques, une tendance en forte croissance chez les cadres. De manière générale, la norme des 35 heures tend à disparaître. »66(*)

Cette tendance à l'intensification et à l'individualisation du travail est toutefois reliée à une hausse perçue de la charge de travail (chez 60 % des Français, 25 % la considérant excessive)67(*) et à la prévalence accrue de formes de souffrance psychique au travail. Elle pose la question de l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et, comme l'a exprimé M. Tristan Dupas-Amory, entendu par les rapporteurs, du « consentement au travail »68(*). Les débats autour du « droit à la déconnexion » en ont été un exemple.

D'autre part, le fossé entre cadres et non-cadres se creuse à la faveur de nouveaux modes d'organisation. C'est particulièrement le cas du télétravail, « principale rupture de ces dernières années » selon l'Institut Montaigne, dont le déploiement a été fortement accélérée par la pandémie de Covid-19 : 3 % des Français déclaraient pratiquer le télétravail au moins occasionnellement en 2017 ; ils sont 33 % en 2022. 69(*) Si les emplois des cadres et « de bureau » semblent bénéficier majoritairement de la mise en oeuvre du télétravail, les métiers « non-télétravaillables », notamment dans les secteurs de l'industrie, du bâtiment ou encore de la vente, de l'accueil et de l'aide aux personnes en restent relativement exclus. L'Institut Montaigne souligne d'ailleurs « le formidable clivage que porte en lui le télétravail, à la fois facteur d'épanouissement et d'autonomie pour une immense majorité de ceux qui le pratiquent et motif de forte frustration pour une forte proportion des 60 % de travailleurs qui n'y ont pas accès. Le management et les négociations sociales doivent absolument s'adapter à cette nouvelle donne »70(*).

PART DES MÉTIERS « TÉLÉTRAVAILLABLES » DANS DIFFÉRENTS SECTEURS
D'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE

Source : Institut Montaigne, « Les Français au travail, dépasser les idées reçues », février 2023

De même, l'évolution des lieux de travail a elle aussi touché de manière inégale les différents types d'emplois et secteurs économiques : il est plus facile d'organiser un « flex office » ou des salles de détente dans un bâtiment de bureaux que dans une boutique de centre-ville ou sur un chantier de travaux publics.

Enfin, les débats autour de la réforme des retraites, particulièrement en ce qui concerne la pénibilité des emplois, participent de la même réflexion. La croissance du secteur tertiaire a certes fait décroître la part des emplois considérés comme pénibles, mais a aussi creusé l'écart entre les métiers exposés à la pénibilité et les autres. Comme le montre une étude récente de la DARES, la pénibilité des emplois est nettement corrélée aux difficultés de recrutement rencontrées71(*).

DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT SELON L'EXPOSITION DES SALARIÉS
AUX CONTRAINTES PHYSIQUES ET TEMPORELLES

Source : Analyse de la DARES, « Quelles sont les conditions de travail qui contribuent
le plus aux difficultés de recrutement dans le secteur privé ? », juin 2022

Il existe aujourd'hui une réelle demande des Français pour une flexibilisation de l'organisation du travail et la poursuite des efforts en faveur de la qualité de vie au travail. Selon l'étude de la DARES précitée, et comme l'ont confirmé les entreprises et organisations professionnelles entendues par les rapporteurs, un poste vacant sur deux dans les métiers en tension « connaissait un problème d'attractivité lié aux conditions de travail »72(*), comme des horaires de nuit ou décalés, l'impossibilité de télé-travailler, ou le difficile équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Sur une période type d'un mois, 36 % des salariés travaillent au moins une fois le samedi, 20 % le dimanche, 25 % le soir et 10 % la nuit.73(*) La difficulté à adapter ces emplois aux attentes nouvelles explique au moins en partie le manque d'attractivité de certains métiers en tension.

b) Un panel d'outils pour adapter les emplois aux attentes nouvelles

La mise en oeuvre généralisée du télétravail ou la disparition des horaires décalés n'est évidemment pas envisageable pour tous les emplois : l'essence de certains métiers est justement la proximité au client ou à l'outil de production ou la continuité de l'activité.

Mais il existe souvent des possibilités, même marginales, de repenser l'organisation des entreprises et de l'activité pour répondre à la demande de flexibilité exprimée par les employés, comme le recours au temps partiel, la réorganisation des emplois du temps ou le rééquilibrage des tâches ou des équipes afin de varier les sujétions horaires ou les missions. Il est aussi possible, pour les candidats qui parfois le souhaitent, de privilégier des contrats courts aux contrats longs ; ou bien de recourir à des groupements d'employeurs pour offrir aux candidats une plus grande diversité de tâches et d'employeurs.

Il est bien sûr plus difficile de mettre en oeuvre ces évolutions au sein des TPE-PME ou parmi les indépendants, qui disposent souvent d'équipes plus réduites et de marges de manoeuvre plus faible. Repenser son organisation demande des ressources et du temps, dont ne disposent pas toujours les chefs d'entreprises au vu des exigences quotidiennes de l'activité. L'accompagnement des entreprises dans cette mutation importante des emplois et des entreprises sera essentiel.

Les rapporteurs soutiennent donc les branches professionnelles et les fédérations dans l'approfondissement de la réflexion collective et dans l'accompagnement de la réflexion individuelle des chefs d'entreprises pour faire évoluer, lorsque cela est possible, l'organisation et les conditions de l'activité au profit d'une plus grande attractivité des métiers et d'une meilleure qualité de vie au travail.

La démarche initiée avec le rapport remis en novembre 2022 par Philippe Dole au ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, intitulé « Résorption des tensions de recrutement - Bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles » est à ce titre fort intéressante. Elle visait à inscrire l'État dans un rôle de soutien et d'accompagnement à la négociation collective au sein des branches professionnelles en faveur de l'attractivité des métiers et de l'amélioration des conditions de travail, en partageant les bonnes pratiques, en sensibilisant à des objectifs partagés et en mobilisant les services et établissements publics de l'État à leur service.

De fait, d'importantes avancées sont déjà intervenues au cours des dernières années. En juin 2013, un accord national interprofessionnel (ANI) intitulé « Vers une politique d'amélioration de la qualité de vie au travail et de l'égalité professionnel » avait déjà fixé plusieurs objectifs en matière d'amélioration de la qualité de l'emploi et du bien-être au travail. Depuis, la branche de la métallurgie a par exemple rénové en profondeur son cadre conventionnel en 2022, en améliorant notamment la protection sociale des travailleurs. La branche des transports a également défini comme priorité l'amélioration des conditions de travail, et a noué un partenariat approfondi avec l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) afin de prévenir l'usure professionnelle et d'optimiser la durée du travail74(*).

Concernant le télétravail, le 26 novembre 2020, un accord national interprofessionnel en faveur de la mise en oeuvre réussie du télétravail a été conclu par les partenaires sociaux. Il s'inscrivait dans le contexte d'un recours massif et exceptionnel au télétravail durant les périodes de confinement liées à la pandémie de Covid-19. L'accord souligne que le télétravail, lorsqu'il est intégré au fonctionnement ordinaire de l'entreprise et repose sur des critères d'éligibilité déterminés par le dialogue social, « peut constituer un critère et un atout pour renforcer l'attractivité de l'entreprise confrontée à des difficultés récurrentes de recrutement, et un outil de fidélisation des salariés, notamment dans certains bassins d'emploi ».

Ces démarches de négociation collective s'inscrivent toutefois dans le temps long, et devront faire l'objet d'un soutien continu de l'État et de ses établissements publics, en particulier l'ANACT.

Les syndicats représentatifs des salariés, sollicités par la délégation, ont salué l'action de l'ANACT en faveur de la qualité de vie au travail. La Confédération française de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) a par exemple indiqué que sa candidature avait été retenue dans le cadre d'un appel à projets lancé par l'ANACT en 2022, concernant les enjeux du travail hybride en entreprise et les mutations du travail, ainsi que le rôle du manager75(*). Force ouvrière (FO) a estimé que « le réseau ANACT-ARACT se positionne donc comme un véritable accompagnateur des entreprises en mettant à leur disposition des méthodes et des outils qui ont déjà su faire leurs preuves en matière d'amélioration des conditions de travail »76(*).

L'action de l'ANACT en faveur de la qualité de vie
et des conditions de travail (QVCT)

L'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT) et les agences régionales (ARACT), placées sous la tutelle du ministère du Travail, sont chargées de soutenir les entreprises et d'approfondir la réflexion en faveur de l'amélioration des conditions de travail (article L. 4642-1 du code du travail). Elle a notamment pour mission de financer des expérimentations innovantes conduites au sein des entreprises, et de contribuer à la diffusion des « bonnes pratiques » en la matière.

En mai 2019, un appel à projets intitulé « La QVCT, un levier pour agir sur les difficultés de recrutement et les problèmes d'attractivité », financé par le Fonds pour l'amélioration des conditions de travail (FACT) a été lancé sous l'égide de l'ANACT. Il visait à soutenir des expérimentations innovantes permettant de mieux prendre en compte la question des conditions de travail et de mobiliser différents leviers à cette fin.

25 projets ont été retenus, concernant aussi bien le temps de travail, la charge de travail ou l'ergonomie, que les projets de formation en situation de travail (AFEST). Ils permettront de tirer des enseignements et des « bonnes pratiques » pouvant être diffusées à l'ensemble des branches et des entreprises, en vue d'une mise en oeuvre à plus large échelle.

Quelques exemples de projets soutenus entre 2019 et 2023 incluent :

 La mise en oeuvre, dans plusieurs EHPAD, d'une gestion améliorée du management et des ressources humaines en vue de mieux organiser le travail et d'anticiper les absences et remplacement de personnel, ainsi que la construction d'un dispositif de reconnaissance au travail ;

 Dans le secteur ostréicole, la réalisation d'études ergonomiques pour faciliter les tâches au sein des parcs d'huîtres, et la réflexion sur l'intégration plus poussée d'une démarche de RSE ;

 La mise en oeuvre de l'AFEST et la diffusion d'outil à cette fin auprès de 850 structures et 1300 ateliers et chantiers d'insertion appartenant au réseau Chantier École Ile-de-France.

Un nouvel appel à projet national a été ouvert en mars 2023 et doit être clos en juin 2023. Il visera, selon l'ANACT, à « améliorer l'attractivité des entreprises en agissant sur les conditions de travail, en particulier dans les secteurs dits en tension ».

Source : Cahier de l'ANACT n°4, « La QCVT pour agir sur les problèmes d'attractivité »,
mai 2023

Comme la délégation aux Entreprises l'avait déjà souligné dans son rapport présenté en juillet 2021 par Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay, intitulé « Évolution des modes de travail, défis managériaux : comment accompagner entreprises et travailleurs ? », il est aussi essentiel de miser sur la formation des personnes occupant des postes d'encadrement au sein des entreprises, ainsi que des chefs d'entreprise eux-mêmes, afin d'améliorer la prise en compte de ces enjeux de réorganisation du travail et d'évolution des modes de management77(*).

Recommandation n° 5 :

Accompagner et soutenir, au plus haut niveau de l'État et notamment par l'ANACT, les travaux des branches et fédérations professionnelle en faveur de la qualité de vie au travail ; de l'intégration de nouveaux modes de management et d'organisation du travail ; et de la réduction de la pénibilité au travail.

2. Poursuivre le déploiement des outils de partage de la valeur

Un effort en faveur de l'attractivité des emplois, en particulier dans le contexte actuel de forte compétition entre employeurs sur un marché du travail tendu, doit intégrer une réflexion sur la rémunération du travail.

Selon l'Institut Montaigne, la rémunération figure parmi les trois principaux motifs générateurs de satisfaction au travail (46 % des Français se déclarant insatisfaits de leur rémunération).78(*) C'est aussi un facteur majeur d'attractivité ainsi que de fidélisation des salariés, puisqu'environ 83 % des jeunes placent la rémunération comme premier critère de choix d'une offre de travail, et qu'une part conséquente des mobilités professionnelles vise à obtenir une rémunération plus élevée ailleurs79(*).

Le contexte économique actuel, marqué par le retour de l'inflation, contribue aussi à donner davantage de poids aux conditions matérielles de l'emploi.

Les secteurs frappés par d'importantes difficultés de recrutement ont souvent déjà adapté leurs niveaux de rémunération. Selon une enquête de Bpifrance, pour remédier aux difficultés de recrutement, 26 % des TPE-PME ont proposé des salaires plus élevés sur les postes à pourvoir et 22 % d'entre elles ont cherché à fidéliser leurs équipes via des avantages monétaires (salaires, primes).80(*) Entendue par la délégation aux Entreprises du Sénat, la CPME a indiqué que 66 % des PME ont augmenté les salaires versés au premier trimestre 2023, avec, dans 20 % des cas, une hausse supérieure à 6 %. Le syndicat CFE-CGC estime néanmoins qu'« une vingtaine de branches professionnelles ont des minimas structurellement inférieurs au SMIC » et que « les politiques de revalorisation salariale ont lieu sur une partie de la grille seulement »81(*). 

La hausse des rémunérations ne saurait être une réponse unique ni universelle aux problèmes d'attractivité. D'une part, l'organisation du travail ou l'image des métiers jouent aussi un rôle extrêmement important, que le salaire seul ne suffit pas toujours à contrebalancer. D'autre part, l'insuffisance des rémunérations relève parfois davantage d'un préjugé que de la réalité, certains secteurs d'activité ou métiers souffrant d'une image persistante de « mauvais payeur » qui ne se vérifie plus. Par exemple, les salaires moyens nets de l'industrie ne sont aujourd'hui dépassés que par les salaires moyens des secteurs de l'assurance et de la finance ou de l'information et de la communication.82(*) Enfin, le levier de la revalorisation salariale n'est pas disponible en tout temps pour l'ensemble des entreprises, en particulier pour les plus fragiles d'entre elles.

La réflexion autour de la revalorisation salariale doit donc intervenir au cas par cas, dans le cadre de la négociation collective qui se tient au niveau des branches professionnelles, ou au niveau de chaque entreprise. Comme l'indique le rapport de Philippe Dole, inspecteur général des affaires sociales honoraire, au ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, intitulé « Résorption des tensions de recrutement : Bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles », le secteur de la petite enfance, par exemple, est récemment parvenu à des accords portant sur la revalorisation des salaires dans les branches, dans le cadre d'avenants à la convention collective nationale ; et la branche du transport conduit actuellement de telles négociations83(*).

Les rapporteurs appellent à ne pas sous-estimer le levier important que représente la politique de rémunération au sens large, incluant les avantages sociaux (indemnité transport, prime de crèche, participation, tickets restaurants...) et la protection sociale (prévoyance, complémentaire...).

Plus spécifiquement, les différents dispositifs de partage de la valeur méritent d'être déployés plus largement au sein des entreprises françaises. Ils constituent en effet un levier complémentaire de rémunération pour les salariés, permettant de les associer plus étroitement à la performance mais aussi à la gouvernance de l'entreprise.

Il existe aujourd'hui plusieurs dispositifs de partage de la valeur au sein de l'entreprise :

· L'intéressement, qui permet aux salariés de percevoir une prime qui peut être versée sur un compte d'épargne salariale, et liée aux résultats ou aux performances de l'entreprise. Il est mis en place, de manière facultative, par voie d'accord avec les salariés ou, dans les entreprises de moins de 50 salariés, par décision de l'employeur. Les primes ne peuvent excéder 20 % du total du salaire versé, et font l'objet de plusieurs exonérations fiscales et sociales ;

· La participation, qui permet aux salariés de percevoir une prime correspondant à une part des bénéfices de l'entreprise. Ces primes peuvent être versées sur un compte d'épargne salariale. Sa mise en oeuvre est obligatoire dans les entreprises de 50 salariés ou plus. Les primes font l'objet de plusieurs exonérations fiscales et sociales ;

· La prime de partage de la valeur (PPV), créée en 2022 en remplacement de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA) introduite en 2018. Il s'agit d'une prime facultative, exonérée d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales ou contributions, pouvant être versée aux salariés et agents percevant moins de 3 SMIC, plafonnée à 3 000 euros sauf exceptions.

Les dispositifs d'intéressement ou de participation répondent à de véritables attentes et sont à la fois gage d'attractivité et de fidélisation : 36 % des Français citent le partage de la valeur parmi les changements prioritaires à opérer au sein des entreprises (19 % le citant comme priorité première)84(*).

LE PARTAGE DE LA VALEUR, UNE ATTENTE FORTE VIS-À-VIS DES ENTREPRISES

Source : Étude de Mazars, « Construire la sortie de crise : quelles sont les attentes
des Français vis-à-vis de l'entreprise ? » juin 2021

Or, ces dispositifs restent insuffisamment développés. Selon les chiffres de la DARES, le nombre de bénéficiaires de dispositifs de participation stagne depuis 2006 autour de 5 millions de personnes, pour un montant total brut de participation distribuée de 7 milliards d'euros environ. Pour l'intéressement, les montants distribués ont cru de 6 à 9 milliards d'euros, le nombre de bénéficiaires s'étant porté de 4 à 5 millions de personnes85(*). Selon l'économiste Sophie Piton entendue par la délégation aux Entreprises, si 19 % des entreprises ont recours au PEE et 8 % au PERCO, seules 11 % ont recours à l'intéressement et 9 % à la participation. Au global, les dispositifs de partage de la valeur représentent aujourd'hui environ 5 % de la rémunération totale du travail et 2,5 % de la valeur ajoutée, avec une contribution stable depuis 200686(*).

Le faible recours est particulièrement marqué dans les entreprises de petite taille ou de taille moyenne. Seules 3 % des entreprises de 10 à 49 salariés et 5,6 % des salariés de ces entreprises de 10 à 49 salariés avaient accès à un dispositif de participation en 2020. 12,1 % de ces mêmes salariés avaient accès à un dispositif d'intéressement. Les taux sont encore inférieurs au sein des entreprises de moins de 10 salariés. Selon la CFE-CGC, « le constat est très clair : la grande majorité des salariés exclus de ces dispositifs sont d'abord les salariés des petites entreprises »87(*).

MONTANTS VERSÉS AU TITRE DE L'ÉPARGNE SALARIALE (EN MILLIONS D'EUROS)

Source : DARES, « Participation, intéressement et épargne salariale », avril 2022

Selon Stéphanie Pauzat, vice-présidente de la CPME et François Perret, ambassadeur à l'intéressement et à la participation, entendus par la délégation aux Entreprises, ce déploiement moins rapide des dispositifs de partage de la valeur au sein des petites entreprises s'explique par plusieurs facteurs88(*) :

· Des réticences liées à l'aspect collectif du dispositif, par opposition à des dispositifs individuels de rémunération de la performance ;

· Des freins administratifs, la mise en place des dispositifs étant difficile en raison de lourdeurs procédurales, difficiles à piloter et absorber pour des chefs d'entreprise et des équipes déjà très investis dans le quotidien de l'activité des entreprises. La CFE-CGC a également souligné cette complexité et cette rigidité89(*) ;

· Dans certains cas, par une santé financière plus fragile des TPE-PME, par rapport aux plus grandes entreprises ;

· Les besoins d'investissement très conséquents des TPE-PME, en particulier en vue des transitions environnementale, énergétique et numérique, qui nécessitent un important réinvestissement des profits d'activité ;

· Dans certains cas, un défaut de culture financière de la part des chefs d'entreprises et de leurs équipes, qui recourent plus facilement au paramètre des salaires.

Les rapporteurs estiment que l'accompagnement des petites et moyennes entreprises doit être un objectif de premier plan afin de développer le recours aux dispositifs d'intéressement et de participation : elles représentent une grande partie de l'activité et de l'emploi en France. Les branches professionnelles, mais aussi les experts-comptables, les réseaux consulaires, les fédérations, ont un rôle important à jouer pour cela. En particulier, des « accords-types » pourraient être proposés aux petites entreprises, comportant des indicateurs spécifiques aux différents secteurs.

En outre, un effort de simplification des dispositifs doit être mené Les formulaires pourraient être simplifiés et rendus plus accessibles. Les personnes entendues par la délégation ont également appelé à évaluer l'opportunité de faciliter la rectification ou l'évolution des accords d'intéressement, la complexité du processus étant un frein à leur adaptation au cours de la vie de l'entreprise.

La prime de partage de la valeur (auparavant prime exceptionnelle de pouvoir d'achat) connait, elle, une forte dynamique : alors qu'1,7 milliards d'euros avaient été versés en 2019, près de 4,1 milliards d'euros l'ont été au deuxième semestre 2022, selon l'INSEE. À cette date, près de 5 millions de salariés, soit 30 % du total, avaient perçu une prime, d'un montant moyen de 806 euros. Selon les informations communiquées par la CPME, les entreprises plébiscitent ce dispositif, particulièrement simple d'utilisation, ne nécessitant pas la conclusion d'une convention collective (mais pouvant néanmoins y être pleinement intégré, comme l'a fait le secteur de la cokéfaction-raffinage). 42 % des chefs d'entreprises entendaient verser une PPV en 2023, tandis que 24 % pensaient verser une prime d'intéressement ou de participation.90(*)

Les syndicats représentatifs des salariés consultés par les rapporteurs ont insisté sur la nécessité de ne pas substituer les mécanismes de type « prime » aux salaires, qui restent au fondement à la fois du système de retraites et de la fiscalité des entreprises ; et d'éviter la compétition entre PPV et dispositifs d'épargne salariale91(*). S'il est nécessaire de conserver un juste équilibre entre revalorisations salariales, les rapporteurs estiment néanmoins que la PPV peut être un outil d'attractivité et de fidélisation fort, à même d'apporter un complément de revenu immédiatement disponible aux salariés en cas de bonnes performances de l'entreprise.

Elle devrait d'ailleurs être confortée par le projet de loi visant à valider législativement l'accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur en entreprise, conclu le 10 février 2023 par les organisations syndicales et patronales représentatives.

L'ANI de février 2023 a pour objectif de généraliser et de développer les dispositifs de partage de la valeur en entreprise, en particulier au sein des petites entreprises. Parmi ses mesures phares figure l'obligation de mise en oeuvre d'au moins un système de partage de la valeur (intéressement, participation, prime de partage de la valeur) au sein des sociétés de 11 à 50 salariés, avant le 1er janvier 2025. Selon les organisations syndicales, cette extension de l'obligation existante pourrait permettre de faire bénéficier près d'un million supplémentaire de salariés d'un dispositif de partage de la valeur.

Il doit désormais faire l'objet d'une traduction législative pour certaines de ses mesures, et d'une extension réglementaire par voie d'arrêté avant de s'appliquer pleinement. Un projet de loi en ce sens a été présenté par le Gouvernement en Conseil des Ministres le 24 mai 2023 et devrait être examiné par le Parlement avant l'été.

L'accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur

Le 10 février 2023, un accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur a été conclu par les organisations syndicales et patronales représentatives après plusieurs mois de négociation, répondant à une lettre de cadrage transmise par le Gouvernement et s'inscrivant dans le prolongement de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

Cet accord prévoit notamment :

 Une obligation de mise en oeuvre d'au moins un système de partage de la valeur (intéressement, participation, prime de partage de la valeur) au sein des sociétés de 11 à 50 salariés, avant le 1er janvier 2025, dès lors que les entreprises réalisent un bénéfice fiscal positif égal à au moins 1 % du chiffre d'affaire pendant 3 ans consécutifs ;

 Une ouverture de négociations avant le 30 juin 2024 dans certaines branches, en vue de mettre en oeuvre un dispositif facultatif de participation (qui pourra, le cas échéant, déroger à la hausse comme à la baisse au cadre légal actuel) dans les entreprises de moins de 50 salariés ;

 Une accélération de la mise en place obligatoire de la participation, en supprimant certaines dispositions en permettant le report et en assouplissant les règles relatives aux seuils de nombre de salariés ;

 Une obligation, pour les entreprises de plus de 50 salariés, de prévoir des modalités spécifiques de partage de la valeur en cas de résultats exceptionnels réalisés en France (sous forme d'un supplément d'intéressement ou d'un nouveau dispositif de partage de la valeur) ;

 Une articulation entre la PPV et des dispositifs d'épargne salariale existants (PEE, PER), en pérennisant cette prime et en lui conservant un régime fiscal et social favorable. L'accord permet aussi l'octroi de deux PPV chaque année ;

 L'ouverture d'une réflexion sur le taux du forfait social (contribution patronale sur le partage de la valeur versé par l'employeur) ;

 La mise en place facultative de plans de partage de la valorisation de l'entreprise permettant, sous forme de bons, de rémunérer les salariés via une prime qui sera fonction de la hausse de valorisation de l'entreprise.

Ayant été signé par des organisations syndicales représentatives de plus de 50 % des suffrages, l'accord doit désormais faire l'objet d'une traduction législative pour certaines de ses mesures : un projet de loi en ce sens a été présenté par le Gouvernement en Conseil des Ministres le 24 mai 2023 et devrait être examiné par le Parlement avant l'été. Une extension réglementaire, par voie d'arrêté, est également attendue avant que l'accord ne s'applique pleinement sur l'ensemble de son champ.

Les rapporteurs estiment qu'il est important que cet accord, conclu grâce à la mobilisation et à l'approche constructive des partenaires sociaux, soit traduit fidèlement dans la loi. Le respect de ces équilibres sera garant du déploiement rapide et efficace des dispositifs de partage de la valeur au sein des entreprises françaises, contribuant à améliorer l'attractivité des plus petites entreprises.

Recommandation n° 6 :

Afin d'encourager à un développement plus large des dispositifs de partage de la valeur au sein des entreprises françaises :

 assurer une traduction fidèle de l'accord national interprofessionnel conclu entre les partenaires sociaux en février 2023 ;

 améliorer l'accompagnement des petites entreprises par les branches professionnelles, les experts-comptables, les réseaux consulaires et les interlocuteurs institutionnels dans le déploiement de dispositifs d'intéressement ou de participation ;

 simplifier les dispositifs d'intéressement et de participation et les procédures administratives présidant à leur mise en oeuvre.


* 65 Enquête de l'Institut Montaigne, « Les Français au travail : dépasser les idées reçues », février 2023.

* 66 Ibid.

* 67 Ibid.

* 68 Propos du 2 mars 2023 lors de l'audition plénière conjointe par la délégation.

* 69 Précité.

* 70 Ibid.

* 71 Analyse de la DARES,  « Quelles sont les conditions de travail qui contribuent le plus aux difficultés de recrutement dans le secteur privé ? », juin 2022.

* 72 Ibid.

* 73 Étude « Emploi, chômage, revenus du travail » de l'INSEE et de la DARES, édition 2022.

* 74 Rapport remis en novembre 2022 par Philippe Dole au ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, intitulé « Résorption des tensions de recrutement - Bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles ».

* 75 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 76 Réponses de FO au questionnaire de la délégation.

* 77 Rapport d'information n° 759 (2020-2021) de Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay, fait au nom de la délégation aux entreprises, « Évolution des modes de travail, défis managériaux : comment accompagner entreprises et travailleurs ? », le 8 juillet 2021.

* 78 Enquête de l'Institut Montaigne, « Les Français au travail : dépasser les idées reçues », février 2023.

* 79 Sondage Toluna Harris interactive pour l'Étudiant et Epoka, « Les entreprises préférées des étudiants et jeunes diplômés », 2019.

* 80 Bpifrance Le Lab, Rexecode, « Trésorerie, Investissement et croissance des PME-TPE, Baromètre trimestriel », novembre 2022.

* 81 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 82 Rapport de l'Académie des technologies, « Attractivité des métiers, attractivité des territoires : des défis pour l'industrie », 2019.

* 83 Rapport remis en novembre 2022 par Philippe Dole au ministre du Travail, du Plein emploi et de l'Insertion, « Résorption des tensions de recrutement - Bilan de la démarche systémique engagée par six branches professionnelles ».

* 84 Étude de Mazars, « Construire la sortie de crise : quelles sont les attentesdes Français vis-à-vis de l'entreprise ? », juin 2021.

* 85 Données de la DARES, « Participation, intéressement et épargne salariale », avril 2022.

* 86 Propos de Sophie Piton, économiste à la Banque d'Angleterre et membre du Center for Macroeconomics (CfM), lors l'audition plénière conjointe de la délégation le 25 mai 2023.

* 87 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 88 Propos de Stéphanie Pauzat, vice-Présidente déléguée de la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), lors l'audition plénière conjointe de la délégation le 25 mai 2023.

* 89 Réponses de la CFE-CGC au questionnaire de la délégation.

* 90 Propos de Stéphanie Pauzat, vice-Présidente déléguée de la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), lors l'audition plénière conjointe de la délégation le 25 mai 2023.

* 91 Réponses de la CGT, de FO et de la CFE-CGC aux questionnaires de la délégation.

Les thèmes associés à ce dossier