N° 779

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juin 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le contrôle budgétaire sur les dispositifs de soutien aux consommateurs d'énergie : l'usine à gaz des aides énergie,

Par Mme Christine LAVARDE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

ESSENTIEL

La commission des finances a examiné, le mardi 27 juin 2023, le rapport de Mme Christine Lavarde, rapporteur spécial de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », à la suite de son contrôle budgétaire sur les dispositifs de soutien aux consommateurs d'énergie.

I. UNE PANOPLIE DE DISPOSITIFS MIS EN oeUVRE EN RÉPONSE À LA CRISE DES PRIX DE L'ÉNERGIE

A. DES MESURES DÉDIÉES AUX « PETITS CONSOMMATEURS »

En 2022, comme en 2023, les petits consommateurs éligibles aux tarifs réglementés du gaz et de l'électricité ont pu bénéficier des mécanismes dits de boucliers tarifaires qui ont conduit à plafonner les évolutions des prix de l'énergie pour les ménages et les « petits » professionnels ayant une faible consommation d'énergie.

Des dispositifs ad hoc ont été créés dans un second temps pour venir en aide à l'habitat collectif. Contrairement aux boucliers, les aides concernées sont versées ex-post et induisent une avance de trésorerie de la part des consommateurs. Elles supposent également que les bailleurs et les syndics de copropriétés réalisent une démarche pour signaler leurs sites éligibles aux fournisseurs.

Depuis le début de la crise, une série de chèques énergie exceptionnels, pour un montant cumulé de 3 milliards d'euros et des aides en faveur des consommateurs de carburant, pour 8,5 milliards d'euros ont également été mises en oeuvre.

B. DES AIDES DESTINÉES AUX PROFESSIONNELS ET AUX COLLECTIVITÉS

Concernant les professionnels, un mécanisme d'amortisseur sur les prix de l'électricité a été créé dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2023 visant à fournir une aide sur 50 % de la consommation des entités non éligibles au bouclier tarifaire. À la suite de la crise dite des « boulangers » un dispositif complémentaire dit de « sur-amortisseur » a été créé par voie réglementaire pour apporter une aide renforcée aux très petites entreprises (TPE) non éligibles au bouclier qui ont renouvelé leur contrat de fourniture d'électricité en 2022 au paroxysme de la crise. Il doit garantir à ces entités un plafonnement du prix de leur électricité de 230 euros/MWh en 2023.

Des aides de guichet ont également été créées à partir du printemps 2022 pour soutenir les entreprises les plus énergivores. Malgré leur simplification à la fin de l'année 2022, ces aides budgétées sur la mission « Économie » (7 milliards d'euros) peinent toujours à atteindre leur cible.

 
 
 

de dépenses publiques pour financer
les aides de crise

pour financer
les boucliers
et amortisseurs

de pertes de recettes d'accise sur l'électricité

II. DES DISPOSITIFS COÛTEUX DONT LA MISE EN PLACE A ÉTÉ LABORIEUSE

A. UN « RETARD À L'ALLUMAGE » PAR MANQUE D'ANTICIPATION, DÉFAUT DE LISIBILITÉ ET MÉCONNAISSANCE DES PROFILS DES CONSOMMATEURS

1. Un défaut d'anticipation

Le premier bilan de la mise en place des mesures révèle qu'elles ont été conçues dans l'urgence et de manière itérative quand bien même elles auraient pu être davantage anticipées. Les acteurs impliqués sont en effet unanimes pour regretter les conditions de précipitation qui ont présidé à la conception et à la mise en oeuvre des dispositifs. Pourtant, cette situation était tout sauf une fatalité tant il est apparu que le Gouvernement avait reçu des alertes multiples et émanant de nombreux acteurs très en amont de ses prises de décisions tardives.

En outre, dans le cadre de l'examen des dispositions législatives liées à ces mesures, des pratiques gouvernementales plus que contestables ont contribué à affaiblir les prérogatives de la représentation nationale. Lors de l'examen des projets de loi de finances (PLF) pour 2022 et 2023, ces dispositifs complexes, sensibles et porteurs d'enjeux majeurs notamment pour les finances publiques ont été introduits par des amendements du Gouvernement présentés tardivement, sans évaluation préalable sérieuse et sans donner au Parlement le temps et les informations suffisantes pour délibérer de façon suffisamment éclairée. Le manque de préparation du Gouvernement était tel que lors de l'examen de ces mêmes textes, il a proposé, en cours d'examen, et jusque dans les dernières étapes de la procédure législative, des modifications très substantielles des dispositifs qu'il avait déjà lui-même introduits par le dépôt d'amendements tardifs.

La commission de régulation de l'énergie (CRE) a indiqué au rapporteur spécial regretter que le défaut d'anticipation et les atermoiements de l'exécutif aient conduit à la définition très tardive des contours de dispositifs particulièrement complexes. Cette situation a très fortement perturbé leur mise en oeuvre.

2. Un manque de lisibilité

L'hétérogénéité des mesures a nui à la lisibilité de l'architecture globale des dispositifs et a perturbé leur mise en oeuvre. Certains dispositifs, les plus simples et les plus efficaces, interviennent ex-ante et sont directement intégrés à la facture d'énergie. À l'inverse, d'autres dispositifs, qui passent par l'Agence de services et de paiement (ASP), ne sont versés qu'ex-post et impliquent une avance de trésorerie de plusieurs mois pour leurs bénéficiaires. Certains dispositifs sont automatiques ou quasi-automatiques lorsque d'autres exigent des démarches. La complexité, la confusion et le manque de lisibilité pour les acteurs proviennent également de l'hétérogénéité des paramètres et des modalités de calcul entre les différentes mesures. Une autre divergence, source de confusion, tient au circuit emprunté par les compensations versées par l'État aux fournisseurs. Deux circuits ont ainsi été distingués, d'une part le mécanisme des compensations pour charges de service public de l'énergie (CSPE) géré par la CRE et, d'autre part, le circuit des aides géré par l'ASP.

La complexité des mesures, leur mise en oeuvre tardive ainsi que le manque de lisibilité du paysage des aides expliquent sans doute en bonne partie le « retard à l'allumage » des dispositifs qui exigeaient des démarches auprès des fournisseurs, au premier rang desquels les amortisseurs et les soutiens à destination de l'habitat collectif.

À ce manque de lisibilité se sont rajoutés des effets d'annonce et une communication confuse des pouvoirs publics qui ont nui à la compréhension et à la mise en oeuvre des mesures.

3. Une méconnaissance des profils des consommateurs d'énergie

Un des principaux enseignements de la crise et des difficultés rencontrées dans la conception et la mise en oeuvre de mesures de soutien adaptées est le manque évident de connaissance des pouvoirs publics sur le profil des différentes catégories de consommateurs finals d'énergie et leur degré d'exposition à la volatilité des prix. Ce défaut d'informations disponibles explique les difficultés à réaliser de véritables évaluations préalables des mécanismes de soutien, à avoir une vision précise de leurs bénéficiaires potentiels ainsi que des volumes de consommation d'énergie concernés et, par conséquent, à estimer les coûts prévisionnels de ces dispositifs. Pour cette raison, les pouvoirs publics ont souvent dû avancer « à l'aveugle » dans les phases de conception puis de mise en oeuvre des différentes mesures.

B. DES DISPOSITIFS COÛTEUX POUR LES FINANCES PUBLIQUES

Bien que difficilement prévisibles du fait de la volatilité des prix de l'énergie et de la méconnaissance des profils de consommation sur les périmètres ciblés par les dispositifs, les enjeux financiers des aides décidées dans le cadre de la crise des prix de l'énergie sont considérables. Ils pourraient avoisiner les 85 milliards d'euros entre 2021 et 2023.

Coût prévisionnel des principaux dispositifs
mis en oeuvre dans le cadre de la crise des prix de l'énergie depuis 2021

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat

Les boucliers et amortisseurs à eux seuls pourraient coûter près de 40 milliards d'euros.

Coût prévisionnel au titre des années 2022 et 2023 des dispositifs d'accompagnement des prix de l'électricité et du gaz suivis sur la mission « Écologie, développement et mobilité durables »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGEC au questionnaire du rapporteur spécial et la délibération n° 2023-106 de la CRE du 13 avril 2023

À ce montant pourraient également être ajoutés les 18 milliards d'euros de pertes de recettes fiscales pour l'État en raison de la minoration des tarifs de l'accise sur l'électricité en 2022 puis en 2023 ainsi que les 8 milliards d'euros de charges assumées par EDF au titre du relèvement du volume d'ARENH en 2022, ce qui pourrait représenter un coût total de près de 65 milliards d'euros.

À date, l'estimation des coûts prévisionnels des boucliers tarifaires a diminué d'environ 15 milliards d'euros par rapport aux hypothèses sous-jacentes de la LFI pour 2023, 5 milliards d'euros pour les dispositifs électricité et 10 milliards d'euros pour les dispositifs gaz. Cette évolution s'explique principalement par la baisse plus forte et plus rapide que prévue des prix de l'énergie en 2023, tout particulièrement s'agissant du gaz.

À travers le mécanisme budgétaire relatif aux compensations des CSPE, les recettes exceptionnelles dues par les producteurs d'énergie renouvelable (EnR), sous la forme de primes négatives, en raison de l'augmentation des prix de l'électricité, viennent couvrir les compensations dues par l'État aux fournisseurs. Ainsi, budgétairement, le Gouvernement peut-il présenter un coût net des dispositifs de soutien. Or, il apparaît que, pour les mêmes raisons qui expliquent la diminution des coûts des mesures d'aides, à savoir la baisse des prix de l'énergie, les recettes exceptionnelles attendues par l'État au titre des primes négatives versées par les producteurs d'EnR ont diminué de 17 milliards d'euros, soit plus de 50 %, par rapport à la prévision sous-jacente de la LFI pour 2023. Aussi, d'après les prévisions les plus récentes, le montant net de compensations de CSPE devrait se traduire par des recettes exceptionnelles pour l'État limitées à environ 15 milliards d'euros.

Évolution entre les estimations réalisées en fin d'année 2022 et aujourd'hui
des coûts prévisionnels brut et net en 2023
des dispositifs de boucliers et d'amortisseurs

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses de la DGEC au questionnaire du rapporteur spécial

III. LES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DE LA CRISE IMPOSENT AUX POUVOIRS PUBLICS DE REVOIR LEUR APPROCHE

A. IL EST INDISPENSABLE DE PRÉVOIR EN AMONT UNE RÉPONSE EN CAS DE REMONTÉE DES PRIX DU GAZ

L'annonce par Bruno Le Maire, le 19 juin 2023, de la suppression du bouclier tarifaire gaz soulève de nombreuses questions. Pourquoi s'empresser de supprimer un dispositif qui, dans le meilleur des cas, ne coûte rien, et qui, dans le pire des cas, représente une sécurité face à une nouvelle poussée des prix du gaz ? En effet, s'il est prévu que les prix du gaz restent bas en 2023, ces prévisions sont entourées de nombreuses incertitudes, notamment d'ordre géopolitique. En outre, la suppression du bouclier tarifaire gaz peut conduire à des distorsions vis-à-vis des clients qui relèvent du mécanisme d'aide au chauffage collectif au gaz, qui lui est applicable toute l'année 2023. En réalité, l'annonce du 19 juin 2023 est représentative de la façon dont les mesures pour lutter contre la hausse des prix de l'énergie ont été communiquées et mises en oeuvre : les décisions ont été soudaines, sans tenir compte des besoins en termes de prévisibilité des acteurs de l'énergie.

Il est nécessaire de sortir d'une logique où un dispositif ad hoc serait mis en place en réaction à une forte hausse des prix de l'énergie, avant d'être entièrement supprimé lorsque ceux-ci sont redescendus, comme si les prix du gaz n'allaient plus jamais connaître de bouleversements. Il convient en revanche de s'interroger sur plusieurs scénarios de remontée des prix, et pour chacun d'eux de définir en amont la réponse la plus adaptée.

Il importe également que les réponses apportées maintiennent une forme de signal-prix, reposant sur des fondamentaux de marché. Le signal-prix est en effet essentiel pour éviter les distorsions de marché, pour inciter à une réduction de la consommation d'énergie.

B. EN RAISON DE L'ÉVOLUTION DES PRIX, LES MESURES DE SOUTIEN AUX CONSOMMATEURS D'ÉLECTRICITÉ DOIVENT ÊTRE PROLONGÉES EN 2024

Compte-tenu notamment des incertitudes persistantes sur le niveau de disponibilité du parc nucléaire d'EDF durant l'hiver prochain, les projections actuelles indiquent clairement que les prix de l'électricité sur les marchés de gros resteront à des niveaux élevés en 2024.

Aussi, la prolongation sans attendre des dispositifs en faveur des particuliers comme des professionnels est-elle une absolue nécessité, pour ne pas pêcher à nouveau par manque d'anticipation avec l'ensemble des nuisances qui s'ensuivraient. Si le Gouvernement s'est engagé à prolonger les dispositifs en faveur des ménages, il n'en a toujours pas fait de même pour les professionnels alors qu'un nombre non négligeable d'entre eux seront encore très fortement exposés aux conséquences de la crise, du fait de la maturité de contrats de fourniture d'électricité signés au moment où les conditions de marché étaient les plus tendues.

Concernant les aides aux particuliers il apparaît également nécessaire de sortir de la logique des chèques exceptionnels décidés dans la précipitation en fin de gestion pour s'engager dans une véritable réforme structurelle du dispositif du chèque énergie. En effet, si l'on avait disposé d'un chèque énergie de droit commun au périmètre plus étendu, les autres mesures exceptionnelles de soutien auraient pu raisonnablement être calibrées à des niveaux inférieurs et le bilan en termes de dépenses publiques aurait peut-être été plus avantageux.

C. LES POUVOIRS PUBLICS DOIVENT MIEUX CONNAÎTRE LES CONSOMMATEURS D'ÉNERGIE ET FAIRE PREUVE DE PLUS DE TRANSPARENCE

Pour qu'à l'avenir les pouvoirs publics puissent répondre à ce type de crises autrement que dans l'improvisation, il est impératif qu'ils puissent disposer d'informations beaucoup plus fines sur les différentes catégories de consommateurs et sur le degré de sensibilité de leur exposition aux fluctuations des prix de l'énergie.

Concernant les conditions d'examen au Parlement, le rapporteur note que, fort du retour d'expérience emmagasiné après deux ans de crise, et alors que les problématiques à venir sur l'année 2024 semblent aujourd'hui bien cernées, le Gouvernement n'aura plus aucune excuse pour ne pas intégrer, dès le dépôt du PLF pour 2024 et accompagnées d'évaluations préalables sérieuses, les mesures de soutien proposées pour l'année à venir.

Par-delà les conditions d'examen des dispositions législatives, le projet annuel de performance (PAP) du programme 345 « Service public de l'énergie », annexé au PLF pour 2023, manquait singulièrement de lisibilité et ne permettait pas d'éclairer suffisamment le législateur et la portée de l'autorisation parlementaire s'en est trouvée affectée. L'administration s'est engagée à retravailler en profondeur la présentation de ce PAP dans la perspective du PLF 2024. Le rapporteur y prêtera la plus grande attention.

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