C. DES LEVIERS D'ACTION LIMITÉS À MOYEN TERME
1. Réduire certaines taxes : des marges réduites
La part des taxes et redevances est très variable sur un billet d'avion et dépend d'une multitude de facteurs. Elle est globalement plus importante sur les moyens et courts courriers que sur les longs courriers. Elle peut varier entre 15 et 50 %.
Les auditions n'ont pas permis d'identifier la suppression de taxes ou redevances qui permettraient de faire baisser significativement le prix des billets d'avion vers les outre-mer.
Les redevances sont fixées par les aéroports et dépendent notamment de l'efficacité de leur gestion, de leur taille et de leurs besoins d'investissement.
S'agissant des taxes, les outre-mer bénéficient déjà d'exonérations significatives, en particulier de la TVA (comme pour les liaisons internationales) et de la taxe de solidarité dite « Chirac » qui a été fortement réévaluée par la loi de finances pour 2020.
2. Adapter les normes pour favoriser l'approvisionnement local
La question de l'adaptation et de la différenciation des normes outre-mer est un des chevaux de bataille de la délégation.
Ce problème a été identifié par les précédents travaux de la délégation, en particulier sur la construction et le logement15(*).
Dans ce rapport, la délégation insistait sur la nécessité de pouvoir déroger au marquage CE (« conformité européenne ») pour certains produits et sous certaines conditions. L'obligation de ce marquage limite l'importation de produits en provenance de l'environnement régional. Stéphane Brossard, président de la commission technique de la Fédération réunionnaise du BTP, en donnait l'illustration avec un brasseur d'air : « Alors que c'est un des meilleurs du monde, la Guadeloupe ou la Martinique ne peuvent pas importer le brasseur d'air fabriqué en Floride, car il n'est pas marqué CE ». Marc Joly, architecte au conseil régional de l'Ordre des architectes de La Réunion-Mayotte, faisait observer que « la normalisation CE sur la sécurité et sur les portes de garage a entraîné la destruction d'une partie de l'artisanat local de Mayotte ».
Lors de son audition par la délégation le 6 octobre 2022, Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer, déclarait que le sujet d'une norme RUP dérogatoire à la norme CE serait au coeur de ces discussions avec la Commission européenne. Il est envisagé une dérogation au marquage CE pour les régions ultrapériphériques françaises (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte, Saint-Martin) et l'introduction de marquages locaux (marquage RUP Antilles, marquage RUP océan Indien, marquage RUP Guyane) dont « les tests de performance sous-jacents viseraient uniquement les spécificités relatives aux contextes ultramarins ».
Le défi de la continuité territoriale pour les outre-mer, mais aussi celui de leur insertion dans leur environnement régional, afin de sortir d'une relation trop exclusive et coûteuse avec l'Hexagone et l'Union européenne, passe aussi par ce chantier de l'adaptation des normes.
L'obligation de s'approvisionner en norme CE contraint, pour importer des marchandises provenant parfois du pays voisin, de les faire transiter par l'Union européenne. L'exemple topique du bois brésilien a été cité. Il est évident que l'allongement des routes d'approvisionnement augmente les coûts de fret et multiplie les intermédiaires.
Grégory Fourcin a plaidé aussi en ce sens : « À propos des prix, ne pourrait-on pas travailler ensemble afin de pratiquer ce qu'il est convenu d'appeler du near sourcing ou de l'approvisionnement local ? Il s'agirait de chercher des sources d'importation de marchandises autres que la métropole, avec laquelle les temps de transport sont longs et les coûts de fret peut être un peu élevés au regard de la valeur de ce qui est transporté. Par exemple, ne pourrait-on pas acheter des pommes de terre à Cuba et les importer aux Antilles ? Ou importer des salades depuis le Costa Rica ? »
Proposition n° 1 : Faire un plein usage de l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) afin de faciliter l'approvisionnement direct des RUP françaises dans leur environnement régional, par dérogation à la norme CE.
3. Renforcer la concurrence sur certaines lignes ?
a) Une concurrence déjà intense dans un secteur aérien convalescent
L'ensemble des auditions ont confirmé, sans surprise, que l'état de santé des compagnies opérant vers les outre-mer français était précaire, en dépit d'un retour plus rapide qu'anticipé à des niveaux d'activité élevés. La crise sanitaire a forcé les compagnies à s'endetter ou à épuiser leur trésorerie. Toutes ont été auditionnées.
Il a aussi été rappelé les interventions de l'État pour soutenir les compagnies aériennes françaises et maintenir un équilibre concurrentiel dans le ciel français (recapitalisation d'Air France16(*) et prêt garanti par l'État pour toutes les compagnies17(*)).
Plus récemment, Air Austral a été sauvé de la faillite avec l'ouverture de son capital à un consortium de 27 investisseurs privés réunionnais18(*) et l'effacement de 185 millions d'euros de dettes détenues par l'État et les banques.
Les dernières déclarations de Ben Smith, directeur-général d'Air France, appelant à une consolidation du marché aérien sur les outre-mer traduisent la fragilité de ce marché étroit partagé entre plusieurs acteurs.
Emmanuel Vivet, sous-directeur des services aériens à la direction du transport aérien de la DGAC, a remarqué que « si la rentabilité du marché aérien avec les outre-mer était avérée, les grandes compagnies européennes s'y seraient positionnées, mais ce n'est pas le cas ». Il a aussi rappelé les défaillances récentes de plusieurs compagnies : AOM Air Liberté, XL Airways en 2019, OpenSkies Level en 2020 et du recours à un plan d'aide par Corsair en 2020, puis par Air Austral.
Interrogé sur une éventuelle consolidation du marché des outre-mer, il a souligné qu'« un dilemme se présente entre l'intérêt de la concurrence à l'origine de la baisse des tarifs dont tout le monde profite et le besoin d'une bonne santé financière des transporteurs, au nom duquel un minimum de consolidation s'avère nécessaire. Néanmoins, il ne revient pas à l'administration de se prononcer sur les mouvements capitalistiques. Une consolidation me semblerait utile au renfort des entreprises, sous certaines conditions et sous réserve de l'accord de celles-ci. D'un autre côté, disposer de cinq compagnies sur la liaison Paris-La Réunion paraît excessif, ce cas extrême ne s'observe nulle part ailleurs et l'une de ces compagnies a disparu. Mon avis personnel sur le sujet est qu'il nous manque, en France, un grand acteur long courrier de second rang, d'une manière générale ».
Dans certaines circonstances, la concurrence actuelle, voire la guerre des prix, épuise les compagnies locales malgré le rebond de l'activité. C'est particulièrement le cas sur les lignes entre les États-Unis et Papeete, où plusieurs compagnies américaines sont récemment entrées.
Michel Monvoisin, président directeur général d'Air Tahiti Nui, déplore que les grandes compagnies nationales comme Air France ou Delta Airlines aient reçu des aides massives de leurs États respectifs : « Cette manne n'a pas été contrôlée. Aujourd'hui, elle permet à ces compagnies d'avoir une stratégie de surcapacité et de placer leurs avions partout ou presque. Cette stratégie concurrentielle asphyxie les petites compagnies ». Ainsi, Air Tahiti Nui ne peut pas répercuter la hausse du carburant ou l'inflation générale sur les prix du billet au risque de perdre des parts de marché face à une concurrence brutale. Il ajoute : « globalement, notre comptabilité se dégrade et nous enregistrons également une forte dégradation de notre rentabilité. Nous affichons une marge négative en 2022 et il en sera probablement de même en 2023 ».
Dans ces conditions, le renforcement de la concurrence ne paraît pas être un levier d'action pertinent pour faire baisser les prix sur les principales lignes.
S'agissant des plus petites lignes régionales ou court-courrier, l'étroitesse des marchés rend également difficile la multiplication des acteurs. Certains sont d'ailleurs en DSP.
Une ligne pourrait gagner à développer la concurrence : la ligne Antilles-Guyane. Air France est en monopole et les prix sont régulièrement jugés prohibitifs en particulier en haute saison. Un aller-retour Cayenne-Fort-de-France peut en effet coûter plus cher qu'un aller-retour vers l'Hexagone.
Sur ce marché régional, on notera aussi que l'autorité de la concurrence vient d'ouvrir une enquête sur une possible entente de trois acteurs du secteur aérien inter-régional, en particulier sur les liaisons au départ ou à l'arrivée de la Guadeloupe, de la Martinique et de Saint-Martin. L'identité des compagnies visées n'a pas été révélée par l'autorité.
Dans l'océan Indien, le conseil départemental de Mayotte conteste la réalité de la concurrence entre les compagnies aériennes opérant vers Paris et La Réunion. Très clairement, Mme Bibi Chanfi, 5ème vice-présidente du conseil départemental de Mayotte, chargée du développement économique et de la coopération centralisée, a indiqué que le conseil départemental envisageait de créer sa propre compagnie aérienne sur le modèle d'Air Austral ou de Air Tahiti Nui. Une autre piste, mais qui suppose l'accord d'Air Austral, serait qu'Air Austral cède le contrôle de la compagnie Ewa Air19(*) aux intérêts mahorais.
De même, le développement de lignes entre les outre-mer et leur environnement régional étranger reste à faire.
Selon la DGAC, il n'existe pas d'obstacle particulier au développement des liaisons directes entre les outre-mer et les pays étrangers proches. Elle relève notamment s'agissant de la région Caraïbes et Amérique du sud que :
- avec le Brésil, la route régionale figurant à l'accord aérien franco-brésilien prévoit la possibilité d'exploiter 14 allers-retours par semaine et par pavillon entre tous points dans les régions Nord et Nord-Est du Brésil, d'une part, et les Antilles et la Guyane, d'autre part. Air France prévoit ainsi de relier Cayenne et Belém, en continuation de vols opérés entre Fort-de-France et Cayenne, à compter du 5 mai 2023 ;
- les cadres bilatéraux entre la France et la Colombie, Cuba, la République dominicaine, Trinité et Tobago et Haïti prévoient des routes régionales, qui permettent l'exploitation de services nouveaux dès qu'une demande sera reçue ;
- s'agissant des pays avec lesquels la France n'a pas encore signé d'accord aérien ou d'arrangement administratif aérien, il est toujours possible, dans l'intérêt public, d'approuver les vols d'une compagnie étrangère sur une base dite extra-bilatérale, si les conditions de sécurité sont remplies. Un exemple est fourni par l'autorisation qui fut accordée pendant des années à la compagnie multinationale LIAT, notamment depuis la Barbade avec laquelle la France n'a pas d'accord aérien, ou l'autorisation qui a récemment été délivrée à la compagnie de la République dominicaine, Sky High Aviation, pour exploiter 2 services par semaine entre Fort-de-France et La Havane, en continuation de services opérés au départ de Saint-Domingue, à compter du 13 mars 2023. Cette autorisation sera prolongée pour l'été 2023.
Plus généralement, la DGAC a entrepris, depuis fin 2019, des négociations nouvelles avec les îles de l'arc antillais afin de signer de nouveaux arrangements administratifs. Une première négociation a été finalisée en 2021 avec Antigua et Barbuda ; d'autres sont en cours avec Sint Maarten, La Dominique et Aruba. La Barbade et Sainte-Lucie font également partie des priorités de premier rang.
La seule condition limitative est que les compagnies étrangères qui souhaitent obtenir des droits de trafic disposent de toutes les autorisations de sécurité nécessaires pour atterrir sur le territoire de l'Union européenne.
A Wallis-et-Futuna, un appel d'offres avait été lancé en 2016 pour une étude sur la faisabilité technique, juridique et économique d'une desserte aérienne internationale de Wallis et Futuna, en particulier en direction des Iles Fidji et son aéroport principal de Nadi, notamment dans la perspective d'un service en continuité de la desserte intérieure entre Wallis et Futuna. Il n'y a pas eu de suite à ce dossier.
b) Une concurrence effective questionnée sur le fret maritime
Le groupe CMA CGM dessert l'ensemble des outre-mer et est l'acteur majeur sur la quasi-totalité de ces territoires.
Cette position dominante se renforce encore dans les Antilles. Le groupe Maersk, qui transportait chaque semaine environ 400 conteneurs vers les Antilles, a décidé de se retirer de ce marché ; les clients qui chargeaient avec Maersk le feront désormais avec CMA CGM.
Il existe d'autres acteurs : Seatrade, Marfret et Soreidom, ce dernier transportant du vrac. Ils n'ont toutefois pas la taille et le réseau de CMA CGM.
Par analogie avec le transport aérien, l'idée d'une compagnie régionale de transport maritime, portée par les collectivités ultramarines, est parfois évoquée. Cette réflexion s'inspire de ce qui a pu être fait en matière de transport aérien avec la création d'Air Austral au début des années 90 pour stimuler la concurrence sur un marché dominé par Air France.
Toutefois, en l'état, aucun projet solide n'est en cours d'étude.
On relèvera qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, le projet Neoline dont CMA CGM est partenaire doit permettre d'ouvrir une route de fret directe avec la métropole d'ici 2025. Ce navire aura une capacité de 260 conteneurs, et pourra accueillir 400 véhicules à l'intérieur. Il fonctionnera à l'électrique et à la voile. Cette ligne offrira une autre solution d'approvisionnement à ce territoire.
4. Moderniser les infrastructures portuaires et aéroportuaires
Les infrastructures portuaires et aéroportuaires sont des équipements déterminants pour permettre le développement d'un marché concurrentiel (capacités d'accueil suffisantes, attractivité, création de hubs régionaux) et efficace (faculté à opérer aux meilleurs coûts, utilisation d'aéronefs ou de navires les plus adaptés et rentables...).
Elles conditionnent donc directement la continuité territoriale. Elles sont la porte d'entrée ou de sortie des territoires.
En matière maritime, le récent rapport de la délégation sur la stratégie maritime dans les outre-mer20(*) faisait de la modernisation des ports ultramarins un enjeu stratégique capital. Ses propositions demeurent toutes pertinentes.
Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes chez CMA CGM, a par exemple expliqué que le projet de hub en Guadeloupe et en Martinique était la conséquence des nouvelles règles OMI 2023 de l'Organisation maritime internationale (OMI), mises en oeuvre en 2024, qui obligeront les transporteurs maritimes à faire davantage attention à leurs rejets de CO2. Les services sur les Antilles et la Guyane seront touchés par ces nouvelles règles, car elles contraignent les transporteurs à revoir leurs routes et leurs organisations et à investir sur des navires beaucoup plus grands. Il a précisé : « Nous avons des navires de 3 500 équivalents vingt pieds (EVP) pour l'Europe, de 2 200 EVP pour la Guyane. Nous devrons nous adapter pour desservir ces territoires tout en respectant les règles de l'OMI. Actuellement, ils sont desservis toutes les semaines avec un temps de transit tout à fait acceptable, même pour les produits frais. Nous avons trouvé une solution : construire des navires de dernière génération, soit de 7 000 EVP - taille maximale - qui pourraient décharger en Guadeloupe et Martinique, et créer de la valeur en transbordant des conteneurs pour le plateau des Guyanes, et en Martinique en transbordant des conteneurs issus du nord du Brésil et des Caraïbes. Nous avons défini ainsi ce concept de hub pour l'import en Guadeloupe, et pour l'export en Martinique. Ce projet verra le jour en 2024-2025. Ces navires seront propulsés au gaz naturel liquéfié (GNL). L'objectif est de créer un corridor vert, et que le navire brûle du biométhane, gaz qui n'émet pas de CO2. Nous sommes encore en négociations, et espérons pouvoir naviguer entre l'Hexagone et les Antilles et la Guyane avec un navire totalement vert. Le GNL émet 20 % d'émissions de CO2 de moins que le fioul ».
Cette situation démontre l'importance stratégique pour nos outre-mer d'investir pour continuer à être desservis par les lignes principales en s'imposant comme des hubs régionaux, et ne pas se retrouver au bout de lignes secondaires, forcément plus chères.
Pour y parvenir il faut continuer à investir dans la modernisation des infrastructures pour être capable d'accueillir des navires toujours plus grands et de les décharger rapidement. Ces transformations peuvent être des opportunités à condition de les saisir. Jean-Pierre Chalus, président et directeur du Grand port maritime de la Guadeloupe, a confié que ces projets nécessitaient d'adapter rapidement les infrastructures, mais étaient aussi une occasion de sortir de la dépendance à l'Europe pour devenir un hub régional.
À Futuna, le quai du port menace de s'effondrer et oblige à livrer des conteneurs partiellement remplis, ce qui augmente encore le coût du fret.
En matière aéroportuaire, les enjeux sont similaires.
Deux exemples (voir supra) illustrent l'impact des infrastructures aéroportuaires sur la desserte d'un territoire, la qualité du service et in fine le prix des billets :
- la piste de l'aéroport de Mayotte, qui ne permet pas de développer dans de bonnes conditions les liaisons directes avec la métropole, ce qui renchérit considérablement les coûts d'exploitation des compagnies ;
- le réseau des aéroports secondaires de Guyane qui complique l'exploitation quotidienne des liaisons aériennes (horaires limités, conditions météorologiques, type d'avion ...).
À Wallis-et-Futuna, des investissements sont aussi nécessaires. Dans un récent rapport de 2019, l'inspection générale de l'environnement et du développement durable préconisait de prioriser le balisage de la piste de l'aérodrome de Futuna.
En matière de fret aérien, un projet innovant devrait voir le jour d'ici un ou deux ans en Guyane, avec le développement d'un transport par dirigeable. Ce projet permettra notamment de desservir rapidement21(*) par conteneur les communes de l'intérieur et de les affranchir en grande partie de la dépendance au fleuve.
Proposition n° 2 : Engager un plan de modernisation des infrastructures portuaires et aéroportuaires dans les outre-mer.
5. Augmenter les obligations de service public
Pour lutter contre la cherté des billets pour les ultramarins, une piste pourrait être d'accroître les OSP à de nouvelles situations. Lors de son audition, LADOM l'a évoqué, par exemple pour les demandeurs d'emploi. On pourrait aussi l'imaginer pour les personnes âgées.
Toutefois, ces OSP dites ouvertes (la concurrence est maintenue) présentent l'inconvénient d'augmenter le prix des billets des autres passagers. Les prix actuels étant déjà très élevés, une nouvelle augmentation pour financer les OSP pourraient rendre les lignes vers les outre-mer moins compétitives par rapport à des destinations similaires concurrentes. Le rebond très fort de l'activité touristique qui est observé depuis un an pourrait à long terme être pénalisé.
La création de nouvelles OSP ouvertes doit donc faire l'objet de simulations tarifaires fines avant toute décision.
6. Vers de nouvelles DSP ?
Le besoin de créer de nouvelles DSP paraît marginal.
Des aménagements ou perfectionnements des DSP existantes sont en revanche souhaitables afin de consolider la continuité territoriale. Ces DSP sont en effet souvent le premier maillon qui permet de rejoindre ensuite un aéroport international.
C'est notamment le cas en Guyane, en Polynésie française ou à Saint-Pierre-et-Miquelon où des réorganisations sont souhaitées par les collectivités (voir supra)22(*). À Marie-Galante, une DSP ou un marché pourrait être mis en place pour ajouter une rotation à la mi-journée quelques jours par semaine.
Sans ces DSP locales, la continuité territoriale nationale ne serait qu'une théorie sur une carte.
La question de leur financement est en revanche revenue de façon lancinante au cours des auditions et déplacements.
Ces DSP sont organisées par les collectivités régionales ou leur équivalent, sous réserve de quelques exceptions comme à Saint-Pierre-et-Miquelon (fret maritime inter-îles), à Wallis-et-Futuna (transport aérien entre les deux îles conjointement par l'État et l'assemblée locale) ou en Guyane (l'État participe marginalement au financement de la continuité intérieure).
Ces DSP ont des coûts très élevés car elles exigent souvent des délégataires des investissements lourds (des aéronefs, des navires...) qui ne peuvent être rentabilisés compte tenu du volume d'activité. Ces moyens de transport sont directement impactés par la hausse du coût des carburants, sans avoir pour le moment de réelles alternatives, les technologies de décarbonation étant moins matures que dans le transport terrestre. Ces DSP sont excessivement chères par rapport à leur équivalent en métropole et difficilement soutenables par les collectivités.
Ces conditions particulières conduisent à remettre en question le principe de la non ou faible participation de l'État au financement de ces DSP de continuité intérieure.
Dans le cas de la Guyane, l'absence d'un réseau routier digne de ce nom sur un territoire grand comme le Portugal est au coeur des débats. L'État a fait le choix il y a des décennies de ne pas développer ce réseau. Aujourd'hui, en plus du coût d'un tel réseau, l'enjeu environnemental rend encore plus incertaine la perspective d'un désenclavement routier des communes de l'intérieur. Ces choix, qui peuvent être compréhensibles, doivent néanmoins conduire l'État à investir massivement dans d'autres solutions ou alternatives crédibles et performantes. Le désenclavement aérien et maritime doit être une priorité absolue de l'État pour ce territoire, quand bien même la création d'un réseau routier intérieur serait décidée. Un tel chantier prendra des années. Or c'est tout de suite qu'il faut apporter des solutions performantes, régulières, robustes et abordables.
On notera aussi que ces DSP locales permettent de gonfler les flux de voyageurs vers les lignes nationales à destination de la métropole.
Enfin, il existe déjà plusieurs exceptions notables à la non-participation de l'État au financement du désenclavement intérieur : 1,5 millions d'euros par an en Guyane, 2,5 millions d'euros entre Futuna et Wallis, la DSP aérienne entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada.
Pour toutes ces raisons, un renforcement des DSP régionales ou locales dans les outre-mer est souhaitable grâce à une réévaluation de la participation financière de l'État à hauteur de 50 %, dès lors que ces liaisons n'ont aucune alternative routière.
Proposition n° 3 : Revoir le financement des DSP régionales ou locales contribuant à la continuité territoriale en portant la participation de l'État à 50 % sur les lignes dépourvues de liaisons routières.
Par ailleurs, dans cette perspective, il est indispensable que la politique de continuité territoriale fasse l'objet d'une meilleure concertation ou coconstruction avec les acteurs locaux, comme l'a appelé de ses voeux Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon.
* 15 Rapport d'information n° 728 (2020-2021) de M. Guillaume Gontard, Mme Micheline Jacques et M. Victorin Lurel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, déposé le 1er juillet 2021, sur la politique du logement dans les outre-mer.
* 16 3,6 milliards d'euros
* 17 2,5 milliards pour Air France
* 18 55,18 % du capital. Le reste du capital demeure la propriété de la Sematra, société d'économie mixte détenue par la région La Réunion.
* 19 La compagnie Ewa Air opère en particulier des vols entre La Réunion et Mayotte.
* 20 Rapport n° 546 (2021-2022) du 24 février 2022 fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur « les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale » par M. Philippe Folliot, Mmes Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth.
* 21 La vitesse annoncée est d'environ 100km/h et une capacité d'emport de 60t. Ce mode de transport est peu gourmand en foncier et en infrastructures et permet un transport de point à point.
* 22 S'agissant de la DSP attribuée à Air Guyane, il ne revient pas à la délégation de prendre parti dans les discussions en cours entre le délégataire, la CTG et l'État sur les responsabilités des insuffisances du service rendu par rapport aux besoins des populations. Lors de son audition le 9 mars 2023, Emmanuel Vivet, sous-directeur à la DGAC, a évoqué des procédures de sanction qui pourraient être engagées contre le délégataire pour non-respect des termes de la DSP.