B. DES COÛTS ÉLEVÉS... ET QUI LE RESTERONT
1. Une récente flambée des prix des billets dans un contexte inflationniste général
En matière de tarifs, la DGAC effectue un suivi précis des outre-mer. Elle a élaboré un robot tarifaire qui collecte les données d'un certain nombre de sites de transporteurs, lui permettant de disposer d'un indice des prix du transport aérien de passagers (IPTAP), qui est publié sur internet tous les mois. Ce dernier, construit pour relever les tarifs de 400 lignes aériennes (origine, destination, transporteur) directes et indirectes assurées par plus de 60 transporteurs, relève les prix affichés et disponibles (mais non les prix des billets exactement vendus), y compris pour les voyages entre la métropole et les outre-mer, toutes taxes, redevances et surcharges comprises, pour certains profils de consommateurs.
Cet outil permet de suivre assez précisément l'évolution des prix des billets vers et depuis les outre-mer.
Sur le temps long, le constat est celui d'une baisse tendancielle des prix sur dix ans, notamment sous l'effet d'un contexte concurrentiel plus fort. Un point bas a été atteint en 2021, lors de la sortie de la crise sanitaire. Les compagnies, pour réamorcer l'activité et la demande, ont proposé des prix très bas.
Toutefois, la reprise d'activité plus rapide qu'anticipée, le contexte inflationniste mondial, l'explosion des prix des carburants et la nécessité vitale des compagnies de retrouver des marges bénéficiaires ont conduit à une hausse brutale des prix depuis l'été 2022.
Indice des prix du transport aérien de passager (IPTAP10(*)) de février 2023
Source : DGAC
Toutes les auditions des compagnies aériennes et des services régionaux et nationaux de l'Aviation civile confirment cette analyse.
Selon Florence Svetecz, secrétaire générale de LADOM, les tarifs ont peu augmenté sur certains territoires. Le ressenti d'une augmentation s'explique par les prix très bas de 2021, sans parler du trafic aérien de 2020. Les prix de certains territoires se situeraient à peine au niveau de 2019. C'est le cas en particulier en Guadeloupe. La perception et la réalité ne seraient donc pas toujours en adéquation. En Polynésie française, où des compagnies américaines se sont positionnées sur la desserte, les prix moyens ont même eu tendance à baisser en 2022.
Emmanuel Vivet, sous-directeur des services aériens à la direction du transport aérien (DGAC), juge que l'augmentation du prix du kérosène en euros est la cause principale de la hausse des prix observée depuis 2022. Ce prix a augmenté de 94 % entre septembre 2021 et septembre 2022, ce qui représente, pour une compagnie donnée, un surcoût de 120 euros pour un aller-retour sur une liaison métropole - Antilles. Le kérosène représente 30 % environ des coûts d'une compagnie.
D'autres facteurs jouent également à la hausse :
- la dépréciation de l'euro face au dollar, alors que le dollar est la monnaie de référence pour la plupart des achats dans l'aéronautique (60 % des coûts totaux sont facturés en dollar) ;
- la hausse des contrats de maintenance de tous les prestataires. Air Caraïbes évoque une hausse de 15 % ;
- l'inflation sur les salaires ;
- la hausse de certaines taxes et redevances à l'instar de la redevance de survol de l'Hexagone (+ 25 % en 2022).
Dans un contexte où les marges des transporteurs sur ces lignes sont très faibles et où ceux-ci sont fragilisés, ces derniers n'ont pourtant répercuté que partiellement ces hausses sur le consommateur, par crainte de casser la reprise du trafic post-Covid et sous la pression de la concurrence.
2. Une tendance haussière qui devrait durer
Si dans le domaine aéronautique les prévisions à moyen-long terme sont hasardeuses, les acteurs estiment néanmoins que la hausse des prix devrait se maintenir, voire s'accentuer.
Parmi les facteurs qui pourraient jouer à la baisse, une accalmie de la demande est envisageable, après l'effet rebond en sortie de crise sanitaire. Toutefois, pour le moment, cette accalmie ne se profile pas à l'horizon. Au contraire, les derniers chiffres indiquent une hausse des réservations pour cet été, portée par le tourisme.
Évolution des prix des billets d'avion au
départ de métropole et des DOM
février
2023/février 2022
Source : DGAC
Autre facteur qui pourrait jouer à la baisse : la chute des cours du pétrole, et à terme celui du jet fuel. Mais là encore, cette hypothèse ne doit pas être surestimée, car en réalité les compagnies n'ont répercuté que partiellement la hausse de tous leurs coûts. Il reste donc un fort potentiel d'appréciation des prix pour rétablir les marges des compagnies aériennes.
Enfin, à moyen-long terme, le verdissement du transport aérien va continuer à exiger des investissements importants qui devront être financés.
3. La concurrence, meilleur garant de la baisse des prix
Malgré cette hausse très forte des prix au cours de l'année 2022 et début 2023, sur le temps long, on observe plutôt une tendance baissière des prix des billets d'avion.
Selon Emmanuel Vivet, « pour les outre-mer, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française mises à part, cette libéralisation est un bienfait, car elle a fait baisser les prix, selon notre analyse. Ces destinations représentent le seul faisceau au départ de la métropole dépassant amplement les seuils de 2019, en nombre de passagers. Elles font mieux que l'Asie, l'Afrique, le Maghreb et la métropole qui, elle, chute de 20 % à 30 % sur certains axes. Quant aux pays européens, ils enregistrent légèrement plus de passagers qu'en 2019. En conséquence, le passager nous fait savoir que le service lui est rendu. Les citoyens européens, qu'ils habitent en Martinique, à La Réunion ou à Brest, en profitent quotidiennement. Or, le coût est nul pour les finances publiques, mais vous me demandez d'améliorer encore les choses ! »
En effet, le niveau de concurrence observé entre les outre-mer et la métropole est resté élevé, ce qui permet de contenir pour partie la hausse des prix. Ainsi, la DGAC note que le prix du transport aérien entre la métropole et les DOM était en 2019, par passager et par kilomètre, 33 % inférieur à la moyenne mondiale pour des liaisons long-courrier de durée comparable. À l'automne 2022, et dans un contexte d'inflation générale des prix du transport aérien dans le monde, le prix des voyages métropole - DOM était encore 41 % plus bas que la moyenne mondiale par passager et par kilomètre.
À titre d'exemple, l'étude des prix pour des billets depuis Paris, d'une part vers Pointe-à-Pitre, et d'autre part vers deux destinations à une distance comparable dans l'arc antillais (Punta Cana et Port-au-Prince), par une compagnie présente sur tous ces axes, fait ressortir que la Guadeloupe connaît une situation tarifaire favorable (38 % à 66 % moins cher pour une réservation avec un délai d'un mois ; 34 % à 36 % moins cher pour une réservation avec un délai de 15 jours).
Cette analyse est aussi celle de Saïd Ahamada, directeur général de LADOM, qui relève que « dans la période inflationniste actuelle, le prix kilomètre pour les territoires ultramarins n'a pas plus augmenté que le prix kilomètre sur des destinations comme New-York. Il est même plutôt en dessous. L'augmentation a été moindre ».
4. L'insupportable poids de la saisonnalité
De manière lancinante, le niveau insupportable des prix en haute saison, en particulier au moment des vacances scolaires, a été pointé par les personnes auditionnées.
La saisonnalité des prix n'a rien de surprenant. Comme l'a rappelé Emmanuel Vivet, la saisonnalité des tarifs est induite par le « yield management » des entreprises, une technique de tarification au coût marginal : le dernier passager d'un avion presque complet paie son billet plus cher que le premier passager d'un avion vide. « Ce système, inventé aux États-Unis dans les années 80, a été développé avec énergie notamment par Air France dans les années 90 et toutes les entreprises bien gérées fonctionnent ainsi aujourd'hui. Pratiquer des tarifs plus élevés lorsque la demande l'est, et inversement, fait partie de la liberté tarifaire des entreprises dans la rentabilisation de leurs opérations. C'est une conséquence de la libéralisation prise dans son ensemble ». Lors de son audition par l'Assemblée nationale le mercredi 14 décembre 2022 à l'occasion d'une table ronde avec les principaux responsables des compagnies aériennes desservant les outre-mer, et à laquelle vos rapporteurs avaient été aimablement associés, Michel Monvoisin, PDG d'Air Tahiti Nui, confiait que sur sa compagnie, il existait plus de 600 tarifs et que 10 à 20 % d'entre eux changeaient chaque jour.
Toutefois, cette saisonnalité des prix paraît excessive outre-mer.
Ce ressenti d'une anomalie saisonnière est confirmé par les chiffres.
La DGAC constate en effet que la saisonnalité des tarifs est plus importante pour les liaisons outre-mer que pour les liaisons long-courrier internationales au départ de la France. Ainsi, les prix augmentent plus fortement en période de forte demande (+ 25 % en juillet-août par rapport aux moyennes annuelles vers les DOM contre + 14 % pour les long-courriers internationaux) et chutent plus vivement en basse saison (- 15 % en septembre par rapport aux moyennes annuelles vers les DOM contre - 3 % vers l'international long-courrier). Cette saisonnalité est encore plus vive pour les voyageurs qui achètent leur billet tardivement.
Selon Mme Bibi Chanfi, 5ème vice-présidente du conseil départemental de Mayotte, chargée du développement économique et de la coopération centralisée, en haute saison (juillet), le prix est plus élevé de 40 % sur le trajet Dzaoudzi-Paris par rapport au tarif La Réunion-Paris.
Le cas extrême est sûrement celui de Wallis-et-Futuna. Selon M. Munipoese Muli'aka'aka, président de l'Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, un aller simple Wallis-Paris a pu atteindre 4 000 euros en classe économique.
La forte concurrence sur certaines lignes ne suffit pas à atténuer ce phénomène et à absorber la hausse de la demande. M. Jonathan Gilad, directeur de la sécurité de l'aviation civile océan Indien (DSAC OI), souligne pourtant la forte adaptabilité de l'offre. Ainsi, sur la ligne La Réunion-Paris, les fréquences varient entre 24 rotations hebdomadaires sur les semaines les plus creuses à 59 rotations hebdomadaires en période de pointe ; sur la ligne Mayotte-Paris de 6 à 12 et sur la ligne La Réunion-Mayotte de 9 à 23.
Cette volatilité saisonnière est ressentie avec brutalité par les ultramarins. Comme le résume d'une manière frappante et imagée Saïd Ahamada, directeur de LADOM, « ce qui produit ce ressenti d'augmentation (qui n'est pas juste un ressenti mais une vraie augmentation), c'est l'écart type entre la période de haute saison et la période de basse saison qui est plus important outre-mer qu'ailleurs. Comme les personnes partent surtout en période haute, ils subissent de plein fouet l'augmentation, qui est plus importante que sur les autres destinations. Tel est le mécanisme à l'oeuvre. Il est souvent question de moyenne, mais ce n'est pas représentatif. Prenons un exemple : si vous avez les pieds dans le four et la tête dans le frigo, en moyenne, vous êtes bien, mais ce n'est qu'une moyenne. Il faut parvenir à un écart type qui soit plus raisonnable ».
La volatilité des prix sur les périodes sensibles des vacances scolaires notamment, a des effets collatéraux importants.
En effet, pour atténuer l'impact sur les budgets des ménages, des stratégies d'évitement se déploient. Dans l'éducation nationale par exemple, comme l'a souligné Philippe Dulbecco, recteur de l'académie de Guyane, de nombreux personnels obtiennent des arrêts maladie de complaisance juste avant ou juste après des vacances scolaires, afin d'échapper aux tarifs prohibitifs de la haute saison. On ne peut que regretter de telles pratiques, mais elles sont compréhensibles pour des personnels souvent loin de leurs familles et qui n'ont d'autres choix que l'avion pour se déplacer.
Y a-t-il pour autant un abus des compagnies aériennes exploitant les lignes vers les outre-mer ?
La DGAC ne s'est pas prononcée en ce sens en remarquant que si la rentabilité du marché aérien avec les outre-mer était avérée, les grandes compagnies européennes s'y seraient positionnées. L'étroitesse du marché, les fortes variations de la demande et la nécessité de rentabiliser les lignes sur l'ensemble de l'année sont certainement les facteurs explicatifs de cette volatilité accentuée des prix des billets dans les outre-mer.
5. L'impact du fret maritime sur le coût de la vie
Le fret a un impact fort sur la vie chère outre-mer, c'est une évidence. Elle varie néanmoins beaucoup d'un territoire à l'autre, selon la qualité de la desserte. Les territoires situés sur les routes principales et desservis par les navires les plus grands sont moins pénalisés que ceux situés au bout de lignes secondaires.
Grégory Fourcin, directeur central des lignes maritimes de CMA CGM, estime la part du prix du fret dans la valeur de la marchandise une fois vendue en Martinique et en Guadeloupe entre 6 % et 8 %. Ce taux varie beaucoup selon la valeur du produit, un conteneur de pâtes ou un conteneur de champagne n'ayant pas la même valeur à la vente. En effet, les tarifs de fret sont forfaitaires par conteneur, indépendamment de la valeur de la marchandise transportée.
En Guyane, le prix du fret serait plus élevé. Michel Chaya, 1er vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie de Guyane, estimait ainsi la part des frais d'approche sur ses produits :
- 28 à 38 % pour le fret maritime en EVP (conteneur équivalent vingt pieds) ;
- 35 à 45 % pour le fret maritime en groupage ;
- 55 à 100 % pour le fret aérien.
Cette cherté propre à la Guyane s'explique par l'éloignement, le positionnement de la Guyane à l'écart des routes principales et le retour à vide des conteneurs faute de filières d'exportation, à la différence des Antilles.
À Maripasoula, il faut encore ajouter le coût du transport par pirogue sur le fleuve qui varie selon son niveau. En période sèche, le niveau de l'eau empêche de charger au maximum les pirogues. Les entreprises, en particulier dans le BTP, s'organisent pour concentrer les livraisons et l'acheminement des matériels lourds pendant la saison des pluies (le niveau du fleuve est élevé) pour démarrer les travaux en saison sèche.
À Marie-Galante, les représentants du monde économique estiment le surcoût du fret entre la Guadeloupe continentale et l'île entre 15 et 30%.
Le double ou le triple enclavement augmente d'autant l'impact du fret sur la vie chère.
Compte tenu de sa prééminence outre-mer, l'armateur CMA CGM a une responsabilité particulière dans ces territoires. Parfois accusé de position dominante (qui se renforce dans les Antilles par exemple avec le récent retrait de Maersk de ce marché), CMA CGM s'en défend et juge avoir au contraire préservé autant que possible les outre-mer français.
Selon Grégory Fourcin, l'explosion des prix du fret pendant la période post-Covid a surtout concerné les produits en provenance d'Asie et destinés à l'Amérique du Nord, l'Amérique du sud et l'Europe, une « bulle » créée par la compétition et le manque d'espace sur le marché.
Les territoires ultramarins, quant à eux, importent massivement des produits en provenance d'Europe. Or, les taux de fret sur lesdits produits ont été gelés à partir de mai 2021 et le groupe a décidé de réduire forfaitairement le tarif de 750 euros pour chaque conteneur de quarante pieds à destination des outre-mer. Cette réduction est valable pendant un an et prendra fin au 31 juillet 2023.
Cette réduction n'a toutefois pas eu d'impact sur la vie chère.
6. Des obligations de service public marginales
L'article 22 du règlement n°1008/2008 sur le marché intérieur de l'aviation prévoit que « les transporteurs aériens communautaires [...] fixent librement les tarifs des passagers et les tarifs de fret pour les services aériens intracommunautaires ».
Toutefois il existe, dans le cadre d'obligations de service public (OSP) fixées en 1997 et renouvelées en 2007, publiées au journal officiel de l'Union européenne, des réductions tarifaires en faveur des enfants (2 et 12 ans) ainsi que des jeunes (moins de 18 ans) pour les trajets entre les DOM et la métropole. Il existe aussi une obligation de service public concernant les personnes endeuillées qui oblige les compagnies aériennes à débarquer des passagers s'il le faut et à proposer le prix le plus bas sur le vol à ces personnes. Elles sont conformes à l'article 16.1 du règlement précité. Les transporteurs reportent le coût de ces mesures favorables sur les autres passagers (péréquation entre les passagers). Ces obligations sont indolores pour les finances publiques. Il n'y a pas de compensation des pouvoirs publics.
Florence Svetecz, secrétaire générale de LADOM, a toutefois indiqué que l'OSP bénéficiant aux personnes endeuillées serait difficilement respectée.
Un travail est sans doute à faire auprès des compagnies aériennes pour s'assurer du respect effectif de cette obligation.
7. Des DSP nécessaires en cas de défaillance de l'offre, mais aux effets et coûts contestés
Comme vu supra, sur l'immense majorité des liaisons vers ou au départ des outre-mer, le principe est la concurrence. Quelques liaisons sont néanmoins soumises à des OSP dites fermées dans le cadre de délégations de service public, conformément au droit européen.
Pour rappel, la continuité territoriale inter-îles ou intérieure relève normalement de la région ou de la collectivité, comme cela a été réaffirmé par l'article 24 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités. L'État n'est pas compétent, sauf exceptions.
a) En Guyane, un fonctionnement difficile
En Guyane, l'enclavement des communes de l'intérieur n'a pas laissé d'autres choix que de soutenir des liaisons aériennes suffisantes vers ces communes et leurs populations. Les lignes aériennes sont un fil de vie pour ces territoires.
Ce lien est si vital que la Guyane est le seul territoire où l'aide à la continuité territoriale de l'État s'applique à des trajets intérieurs11(*). L'ACT, d'un montant de 27 euros pour un aller-retour intérieur, s'applique aux liaisons entre les communes suivantes :
- Cayenne et Maripasoula ;
- Cayenne et Grand-Santi ;
- Cayenne et Saül ;
- Saint-Laurent-du-Maroni et Grand-Santi ;
- Saül et Maripasoula.
Cette aide est directement versée par LADOM à la collectivité territoriale de Guyane qui le répercute sur les billets des usagers. La convention de 2011 mériterait néanmoins d'être réactualisée. La collectivité se plaint de nombreux retards de paiements. L'antenne locale de LADOM a aussi pointé la lourdeur de la procédure administrative, chaque aide devant faire l'objet d'une double instruction (l'ACT n'est versée à la collectivité que pour les voyages réalisés par les voyageurs éligibles, c'est-à-dire sous condition de ressources et uniquement pour des allers-retours).
En matière de liaisons d'aménagement du territoire internes, la collectivité territoriale de Guyane (CTG), conformément à la loi NOTRe du 7 août 2015, est l'initiatrice des obligations de service public et l'organisatrice des appels d'offres. L'État, via la DGAC, apporte néanmoins un soutien et participe financièrement à la DSP en cours (voir infra).
Jusqu'en 2021, les lignes intérieures s'opéraient dans le cadre concurrentiel classique, bien qu'une seule compagnie exploite ces lignes (Air Guyane). La collectivité et l'État apportaient une aide sociale par passager transporté avec un plafond à 42 000 passagers par an. Entre 2009 et 2021, le trafic ayant doublé, la dotation versée par la collectivité territoriale et l'État a suivi le même chemin, passant de 4,5 millions d'euros à 9 millions d'euros par an.
Afin de maîtriser cette forte hausse des coûts, la CTG a décidé de mettre en DSP depuis avril 2021 six liaisons intérieures pendant 5 ans :
- Cayenne - Maripasoula ;
- Cayenne - Saül ;
- Cayenne - Grand-Santi ;
- Saint-Laurent-du-Maroni- Maripasoula via Grand Santi ;
- Cayenne - Camopi ;
- Saint-Georges - Camopi.
L'État contribue au financement de deux liaisons (Cayenne - Maripasoula et Cayenne - Saül), la collectivité territoriale de Guyane prenant en charge le complément. La DSP est donc tripartite.
Au total, le coût de cette DSP s'élève à 10 millions d'euros par an, dont 8,5 à la charge de la collectivité et 1,5 de la DGAC.
Air Guyane, seul acteur aérien sur ces liaisons depuis plus de 20 ans et qui a accompagné le développement de l'aérien dans ces territoires, est le titulaire de la DSP.
Toutefois, cette DSP fait l'objet d'une pluie de critiques, en particulier depuis quelques mois.
En premier lieu, la DSP a été mal conçue au départ. Excessivement rigide, elle ne permet pas d'adapter le planning des vols à la demande. Le nombre de rotations par jour et par semaine est strictement défini. Lors des vacances scolaires par exemple, l'offre ne peut pas s'adapter à la demande. Par ailleurs, le nombre total maximal de voyageurs autorisés par la DSP par an a été fixé à un niveau bas : 37.000 alors qu'avant la DSP, environ 36.000 voyageurs empruntaient déjà ces liaisons.
En deuxième lieu, les conditions d'exploitation, en particulier le niveau d'équipement des aérodromes (état de la piste, instrument de navigation, balisage...), contrarient énormément la régularité des vols et éprouvent les aéronefs. Les aérodromes ne sont pas aux normes OACI.
En dernier lieu, la flotte de la compagnie sur ces liaisons (trois LET 410) a rencontré de nombreuses pannes, en particulier ces derniers mois. D'autres difficultés d'exploitation ont pu s'ajouter pour la compagnie.
La mauvaise qualité du service délivré à la population a atteint un tel niveau d'exaspération et de colère que des collectifs se sont constitués.
b) Un système péréqué en Polynésie française
Le pays a mis en place une DSP locale pour maintenir les liaisons vitales, mais déficitaires, vers certaines îles. Pour rappel, la Polynésie française, qui compte 78 îles habitées, est plus vaste que l'Europe. Son étendue nécessite, d'une part, de se déplacer en avion et, d'autre part, de maintenir certaines lignes déficitaires.
Cette DSP permet de maintenir ces lignes sur 34 aéroports du territoire, tandis que les 13 autres lignes restent dans le domaine concurrentiel. Elle a été mise en place il y a deux ans pendant la crise sanitaire, au motif que la compagnie locale Air Tahiti ne pouvait plus assumer les pertes engendrées par certaines lignes, alors que les lignes profitables venaient jusqu'alors compenser les pertes de ces lignes (au départ de 34 aéroports sur les 47 aéroports que compte le pays). Le modèle économique de Air Tahiti ne pouvait plus tenir sans un soutien public.
À cette fin, le pays a créé un fonds de continuité territoriale alimenté par une contribution sur chaque billet d'avion payé par l'ensemble des passagers, selon deux tarifs différenciés : un tarif pour la zone de libre concurrence et un tarif pour la zone des îles les plus éloignées. Aujourd'hui, ce fonds permet d'équilibrer les 34 lignes déficitaires et principalement les lignes qui desservent les îles Marquises, Tuamotu et Australes.
Dans le cadre de ce dispositif, le niveau tarifaire et les fréquences sont fixés par un arrêté du gouvernement. En fonction de la situation, ces mesures peuvent être révisées annuellement. La compagnie peut, quant à elle, décider de fixer des tarifs moins élevés.
Selon Jean-Christophe Bouissou, ministre du logement, de l'aménagement en charge du transport interinsulaire du gouvernement de la Polynésie française, la situation favorable de ce fonds12(*) permet d'entrevoir pour l'année 2023 une baisse des tarifs sur les lignes qui desservent les îles éloignées et une augmentation de la fréquence des vols pour ces îles qui souhaitent se développer ou développer le tourisme. Aujourd'hui, ce fonds dispose de 10 millions d'euros environ.
Le gouvernement de la Polynésie française a néanmoins formulé une demande auprès de l'État pour que celui-ci participe aussi à ce fonds. Dans les îles, le défi de la continuité territoriale commence en effet dès le domicile, pas seulement à partir de l'aéroport international de Tahiti.
c) À Saint-Pierre-et Miquelon, des DSP polémiques
À Saint-Pierre-et-Miquelon, il faut distinguer plusieurs DSP.
Une DSP aérienne intérieure pour relier Saint-Pierre et Miquelon-Langlade. Celle-ci est organisée et financée par la collectivité territoriale. Le coût du trajet de 10 minutes est de 32 euros. Il est aligné sur le tarif du trajet équivalent par le ferry. Sur chaque trajet, 190 euros restent à la charge de la collectivité. Cette DSP assure de facto des missions de continuité territoriale relevant de la santé et de l'urgence, et donc de l'État normalement.
S'agissant du transport maritime de passager entre les deux îles, la collectivité assure le service en régie avec deux navires ferry récents capables de transporter des marchandises et des véhicules. Toutefois, les ferrys ne peuvent transporter que du petit fret, du fret accompagné ou des véhicules à bord des ferrys.
En effet, l'État a conservé à Saint-Pierre-et-Miquelon l'organisation du fret maritime entre les deux îles et vers le Canada. Le fret maritime fait donc l'objet d'une DSP à part de l'État.
Cette organisation du fret maritime fait l'objet de contestations de la collectivité territoriale qui souhaiterait que l'État tienne notamment compte des capacités offertes par ses deux navires et d'une nécessité de revoir en profondeur la desserte globale du territoire intégrant, notamment, les potentiels de développement transatlantiques. La DSP n'a pas été organisée pour permettre à la collectivité d'y répondre.
À ce jour, l'État n'a pas donné suite aux demandes de la collectivité pour un transfert ou un partage de compétences. Toutefois, le 08 août 2022 le gouvernement a accepté d'expérimenter le développement du transport de biens entre Terre-Neuve et Saint-Pierre-et-Miquelon par les navires de la Collectivité. Le Conseil territorial a adopté le projet de convention avec l'État le 19 décembre 2022. Elle prévoit notamment que la Collectivité' transportera sur ses lignes régulières un volume de 2 équivalents vingt pieds (EVP) par voyage en moyenne annuelle. Toute rotation supplémentaire ou augmentation de volumes fera l'objet d'un accord exprès du préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon. Cette expérimentation, qui sera renouvelable en fonction du résultat observé, ne fera l'objet d'aucune subvention de l'État.
S'agissant de la continuité aérienne vers l'extérieur, l'État organise là encore seul les liaisons. Une nouvelle DSP vient d'être conclue avec Air Saint-Pierre qui assure les liaisons vers le Canada, ainsi que 12 rotations par an en direct vers la métropole. Le coût du nouveau contrat a augmenté de 50 %13(*), mais avec deux rotations de moins par semaine vers le Canada.
Cette dégradation du service rendu a été très mal perçue par la population et la collectivité pour laquelle la continuité territoriale est la condition sine qua non d'un développement de l'île.
De manière générale, Bernard Briand, président du conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, reproche à l'État de travailler seul sur ces dossiers de continuité territoriale, alors que cette politique est une des clefs du développement économique, social et culturel de l'île. La coconstruction devrait être la règle. Il manque un espace de concertation.
d) À Wallis-et-Futuna, des flux réduits
Seul le transport aérien entre les îles de Wallis-et-de-Futuna est l'objet d'une DSP confiée à Aircalin depuis 198714(*).
Le coût de cette DSP est très important compte tenu du faible trafic et de la nécessité d'entretenir deux Twin-Otter malgré tout. La DSP actuelle a vu son coût augmenter potentiellement de 85 % par rapport à la précédente (5,7 millions d'euros maximum par an sur 5 ans). L'Etat (à 55%) et le Territoire (à 45%) cofinancent la compensation financière.
* 10 L'IPTAP relatif aux DOM reflète l'évolution des prix des voyages du mois pour les passagers au départ de cinq départements d'outre-mer vers la métropole et sur des liaisons entre DOM.
* 11 L'article 1803-4 du code des transports ouvre cette possibilité. L'État n'en a fait usage que pour la Guyane à ce jour.
* 12 La reprise de l'activité touristique en Polynésie a été très rapide et forte, au-delà des prévisions.
* 13 La subvention serait passée d'environ 3,2 millions d'euros par an à 4,9 millions d'euros potentiellement.
* 14 Le transporteur retenu pour la prochaine DSP qui prendra effet à compter du 1er janvier 2024 jusqu'au 31 décembre 2028 est Air Loyauté.