EXAMEN EN DÉLÉGATION
M. Stéphane Artano, président. - Mes chers collègues, nous examinons à présent les conclusions de nos rapporteurs, Guillaume Chevrollier et Catherine Conconne, sur la continuité territoriale.
Avant de leur céder la parole, je voudrais saluer tout le travail accompli par nos collègues sur un sujet aux enjeux cruciaux pour les outre-mer comme pour le territoire hexagonal. La continuité territoriale est indissociable de la cohésion sociale et du développement de nos territoires.
Je vous livre d'abord quelques éléments qui témoignent de l'importance des travaux préparatoires. Cette étude a en effet donné lieu précisément à :
- 38 auditions ;
- 55 heures d'auditions ;
- 111 personnes entendues.
Elle a également occasionné deux déplacements en Guyane et en Guadeloupe où ils ont été rejoints et accompagnés par nos collègues élus sur place, ce dont je les remercie.
Pour le présent rapport, comme à l'accoutumée, les comptes rendus de toutes les auditions seront annexés au rapport d'information dont la retranscription représente quelque 150 pages, ce qui contribuera à éclairer et enrichir ce dossier promis à de prochains développements.
En effet, non seulement le ministre en charge des outre-mer et les autorités à la tête de LADOM (son président Maël Disa et le nouveau directeur général Saïd Ahamada) ont déjà fait un certain nombre d'annonces, mais nous sommes aussi à la veille d'un Comité interministériel aux outre-mer (CIOM), prévu normalement pour le milieu du mois de mai, qui ne peut faire l'impasse sur cette question. À titre d'information, depuis l'annonce et le lancement de la mission fin 2022, on a pu recenser une trentaine d'articles dans la presse sur ce sujet !
Le projet stratégique dit « LADOM 2024 » doit également conduire, à l'aménagement futur des textes de loi, à l'installation de nouveaux partenariats et à la mise en adéquation des besoins et des moyens...Indéniablement, les « choses sont en train de bouger » et notre rapport participe de cette évolution, la question véritable étant désormais celle du curseur de la réforme !
Comme d'habitude, les rapporteurs ont procédé à un large tour d'horizon et ont complété leurs travaux avec des auditions rapporteurs, y compris avec le cabinet du ministre Carenco, et les réponses écrites aux questionnaires adressés systématiquement.
Je ne doute pas de l'excellence de leurs propositions à partir de ce large état des lieux.
Pour suivre commodément les présentations de nos rapporteurs, plusieurs supports vous ont été distribués :
- une note de synthèse du rapport sous forme d'un « Essentiel » ;
- la liste des recommandations ;
- et le tableau de mise en oeuvre et de suivi, surnommé le « T MIS », (prononcé thémis) en application du « groupe de travail Gruny ».
Je vous rappelle que celui-ci permet désormais :
- de flécher l'autorité qui sera responsable de la mise en oeuvre de chaque recommandation qu'elle émane d'une commission ou d'une délégation ;
- de préciser le support juridique nécessaire (loi, règlement, décret etc.) ;
- et le calendrier de réalisation souhaitable.
Par ailleurs, je vous rappelle qu'une conférence de presse se tiendra cet après-midi pour tenir compte du décalage horaire avec les Antilles et la Guyane où se sont rendus nos rapporteurs.
Vous êtes cordialement invités à y assister pour entourer nos collègues et évoquer les problématiques sur vos territoires respectifs.
Je vous propose sans plus tarder de céder la parole aux rapporteurs et en premier lieu à notre collègue Guillaume Chevrollier, puis Catherine Conconne selon la répartition qu'ils ont choisie.
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous parvenons au terme de cette mission très riche. De nombreuses auditions. Environ 110 personnes auditionnées, soit lors des réunions de la délégation, soit lors des déplacements. Deux territoires visités : la Guyane et la Guadeloupe, ce qui nous a notamment permis de saisir tout l'enjeu de la continuité intérieure, à côté de la continuité vers l'Hexagone. Les deux continuités sont liées.
Au cours de ces trois mois, nous avons constaté une très grande attente des outre-mer sur les conclusions de nos travaux. La couverture presse des auditions et des déplacements a été très intense.
Cela s'explique malheureusement par l'actualité. Les dernières prévisions tarifaires pour cet été montrent en effet que les prix des billets d'avion vont atteindre de nouveaux records. La tendance haussière est donc loin d'être terminée, ce qui rend la définition d'une politique de continuité intérieure à la hauteur des enjeux encore plus indispensable.
Nous avons concentré nos travaux sur la continuité aérienne et dans une moindre mesure sur la question du fret maritime.
Nos travaux ont permis de dresser un état des lieux, dans chaque territoire, et de formuler douze propositions que nous avons souhaitées aussi opérationnelles que possibles.
Je vous présenterai l'état des lieux de la continuité territoriale outre-mer et les leviers d'actions permettant de faire baisser les prix ou d'améliorer les dessertes.
Ma collègue Catherine Conconne vous exposera plus particulièrement les manquements de la politique de continuité territoriale conduite par l'État depuis 20 ans et les remèdes.
L'état des lieux : pour les ultramarins, venir dans l'Hexagone n'est pas une fantaisie, mais est devenu un luxe. À l'heure du bashing aérien, il faut rappeler que ce mode de transport n'est pas une option, mais une nécessité première pour le développement de ces territoires et le bien-être de leurs habitants.
En effet, sans continuité, aérienne ou maritime, pas de développement économique, pas d'attractivité et le risque que les populations, en particulier les plus jeunes, quittent les territoires. Sans continuité, un territoire étouffe.
Ce sont aussi des réalités individuelles difficiles comme des malades séparés de leur famille, des étudiants isolés, en mal du pays et qui préparent plus de six mois à l'avance leur retour, des familles qui n'ont pas les moyens de rapatrier le corps de leurs proches décédés en métropole... En sens inverse, de nombreux ultramarins installés dans l'Hexagone ne peuvent revenir au pays régulièrement.
Ce sont aussi des pertes de chance. En Guyane, de nombreux jeunes renoncent aux études supérieures, voire au lycée dès 16 ans, en raison notamment du coût et des difficultés des transports. Pour les porteurs de projet, la participation à des salons ou à des rencontres avec des investisseurs est compliquée.
Ces difficultés peuvent aussi se convertir en revendication et en colère. À Maripasoula, au coeur de la Guyane, un collectif que nous avons rencontré s'est ainsi constitué pour obtenir des avancées fortes pour le désenclavement de ces territoires.
Ces constats paraissent évidents, mais il faut les rappeler, tant ces territoires restent assimilés à des destinations de vacances dans l'imaginaire hexagonal.
Nos travaux ont néanmoins mis en évidence que la desserte des outre-mer s'était globalement améliorée depuis 20 ans. Sur la quasi-totalité des destinations, plusieurs compagnies opèrent et offrent ainsi plusieurs solutions. Seules les liaisons entre les Antilles et la Guyane, entre Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie, et entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada sont exploitées par une seule compagnie. Dans les deux derniers cas, la ligne est opérée dans le cadre d'une délégation de service public (DSP).
À l'issue de la crise sanitaire, l'offre de sièges et les fréquences sont revenues à la normale, voire dépassent leur niveau de 2019 sur toutes les destinations à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon.
L'ouverture à la concurrence a donc nettement amélioré la situation et a fait baisser les prix sur le long terme.
Ainsi, la DGAC note que le prix du transport aérien entre la métropole et les DOM était en 2019, par passager et par kilomètre, 33 % inférieur à la moyenne mondiale pour des liaisons long courrier de durée comparable. À l'automne 2022, et dans un contexte d'inflation générale des prix du transport aérien dans le monde, le prix des voyages métropole - DOM était encore 41 % plus bas que la moyenne mondiale par passager et par kilomètre.
Cet acquis de la concurrence doit être préservé et soutenu, et non pas contrecarré par des DSP onéreuses qui ne favoriseraient pas la qualité de services.
Pour autant, malgré ces progrès, il est évident que les billets d'avion demeurent hors de portée pour une grande partie des ultramarins.
Surtout quand on sait que les outre-mer demeurent les régions les plus pauvres de France. Une récente publication de l'INSEE en juillet 2022 établit que la grande pauvreté est 5 à 15 fois plus fréquente dans les départements d'outre-mer qu'en France métropolitaine.
Cela est d'autant plus vrai en haute saison quand la volatilité des prix est plus élevée outre-mer qu'ailleurs. La DGAC constate en effet que la saisonnalité des tarifs est plus importante pour les liaisons outre-mer que pour les liaisons long-courriers internationales au départ de la France. Ainsi, les prix augmentent plus fortement en période de forte demande (+ 25 % en juillet août par rapport aux moyennes annuelles vers les DOM contre + 14 % pour les long-courriers internationaux) et chutent plus vivement en basse saison (15 % en septembre par rapport aux moyennes annuelles vers les DOM contre 3 % vers l'international long courrier). Cette saisonnalité est encore plus vive pour les voyageurs qui achètent leur billet tardivement.
Cette tendance à des tarifs élevés ne devrait pas s'inverser. Tous les opérateurs rencontrés ont plutôt annoncé une persistance des hausses, même si un repli des prix du kérosène se confirmait. Jusqu'à présent, les compagnies n'ont répercuté que partiellement la hausse de tous leurs coûts. Il reste donc un fort potentiel d'appréciation des prix pour rétablir les marges des compagnies aériennes. Enfin, à moyen long terme, le verdissement du transport aérien va continuer à exiger des investissements importants qui devront être financés.
Parmi les autres constats forts, il faut souligner que la continuité territoriale demeure trop souvent envisagée sous le seul angle des liaisons directes entre chaque outre-mer et l'Hexagone. Or, c'est une évidence, les outre-mer s'inscrivent chacun dans un environnement régional à part. Or, il est souvent plus aisé de se rendre à Paris que de se déplacer vers les États ou les outre-mer français proches.
Les obstacles sont de deux ordres : une offre de vol souvent réduite et des tarifs parfois équivalents à un vol intercontinental. Ce constat vaut pour tous les bassins.
Dans la zone Antilles Guyane, un vol entre Cayenne et Fort-de-France peut atteindre 1 500 euros. Se rendre de Saint-Barthélemy à Pointe-à-Pitre coûte de l'ordre de 400 euros, soit presque le prix d'un Pointe-à-Pitre Paris en très basse saison.
Autre constat enfin, celui d'une continuité intérieure compliquée et souvent précaire dans certains outre-mer.
La situation de la Guyane est une des plus sensibles. Lors de notre déplacement, nous avons pu toucher du doigt les contraintes extraordinaires du triple enclavement guyanais. Nous remercions d'ailleurs nos collègues guyanais de nous avoir accompagnés tout le long pour nous éclairer sur la situation de leur territoire.
Enclavement vis à vis de l'Hexagone, avec une ligne chère, moins portée par les flux touristiques que celle vers les Antilles, et des fréquences moindres.
Enclavement régional, avec très peu de connexions avec les États voisins et l'Amérique du sud en général.
Enclavement intérieur enfin avec un réseau de transport extrêmement réduit sur un territoire grand comme le Portugal. Pas de train, un réseau routier restreint aux villes du littoral, deux fleuves - l'Oyapock et le Maroni - officiellement non navigables et des aérodromes intérieurs rustiques qui limitent les capacités opérationnelles des aéronefs. 7 communes sur 22 ne sont accessibles que par avion ou le fleuve.
Cette situation a des conséquences sur l'ensemble des aspects économiques, sociaux et culturels de la Guyane. Ainsi le coût de la vie est indexé sur le niveau du fleuve. À Maripasoula, une bonbonne de gaz qui coûte 25 euros sur le littoral, vaut 45 euros à Maripasoula en saison humide et 100 euros en saison sèche.
Dans des conditions moins extrêmes, à Marie-Galante en Guadeloupe, la double insularité augmente encore le coût de la vie ou rend les déplacements pénibles pour se rendre à un rendez-vous médical sur le continent.
En Polynésie, pour se rendre des Marquises situées à 1 500 km de Papeete, le billet coûte 600 euros.
Enfin, j'évoquerai rapidement le fret. Comme partout dans le monde, la désorganisation et les tensions sur le fret maritime se sont fait ressentir dans les outre-mer. Des délais allongés et des tarifs plus élevés ont pesé sur l'activité économique des territoires.
Toutefois, depuis le second semestre 2022, un retour à la normale est constaté. Dans leur ensemble, les outre-mer demeurent bien desservis par le transport maritime de fret. Deux territoires restent à l'écart des principales routes maritimes : Saint-Pierre-et-Miquelon, mais surtout Wallis-et-Futuna.
Face à ce tableau, quelles sont les pistes pour réduire les prix et améliorer la qualité de services et des dessertes ?
De manière générale, les leviers d'action paraissent limités à moyen terme.
S'agissant des taxes, des exonérations existent déjà, notamment dans l'aérien. Nous n'avons pas identifié de marges importantes qui permettraient de baisser sensiblement la part des taxes et redevances (qui varient entre 15 et 50 % selon les trajets). Rappelons aussi que ces taxes et redevances doivent servir notamment à financer la modernisation des infrastructures qui sont un élément clef pour maintenir la compétitivité des territoires, leur attractivité et des solutions de transport moins chères. J'y reviendrai.
Une piste plus intéressante, en particulier pour le fret maritime, serait de faciliter l'approvisionnement local des outre-mer, en particulier en autorisant des dérogations aux normes CE ou en facilitant la normalisation des importations grâce à la création de bureaux de normalisation dans les outre-mer. C'est le leitmotiv de notre délégation depuis plusieurs rapports, en particulier en matière de construction.
En raccourcissant les routes d'approvisionnement, le coût du fret baissera. L'exemple absurde du bois brésilien obligé de transiter par l'Europe avant de revenir en Guyane doit appartenir au passé. Cela suppose un engagement fort de l'État pour négocier à Bruxelles des adaptations du droit européen, conformément à l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). C'est notre proposition n° 1.
Autre levier évoqué, celui du renforcement de la concurrence là où elle serait imparfaite.
La santé financière précaire des compagnies aériennes invite à agir avec prudence, afin de ne pas déstabiliser encore plus des opérateurs essentiels à la continuité, en particulier sur le long courrier.
S'agissant des lignes régionales ou court courrier, l'étroitesse des marchés rend également difficile la multiplication des acteurs. Certains sont d'ailleurs en DSP.
Une ligne pourrait gagner à développer la concurrence : la ligne Antilles-Guyane. Air France est en monopole et les prix sont régulièrement jugés prohibitifs en particulier en haute saison. Un aller-retour Cayenne/Fort-de-France peut en effet coûter plus cher qu'un aller-retour vers l'Hexagone.
Sur ce marché régional, on notera aussi que l'autorité de la concurrence vient d'ouvrir une enquête sur une possible entente de trois acteurs du secteur aérien inter régional, en particulier sur les liaisons au départ ou à l'arrivée de la Guadeloupe, de la Martinique et de Saint-Martin. L'identité des compagnies visées n'a pas été révélée par l'autorité.
Dans l'océan Indien, le conseil départemental de Mayotte réfléchit à créer sa propre compagnie aérienne sur le modèle d'Air Austral ou de Air Tahiti Nui, afin de stimuler la concurrence et l'offre entre La Réunion et Mayotte et entre Mayotte et Paris.
Les marges de manoeuvre paraissent néanmoins assez limitées.
En revanche, un axe primordial est celui de la modernisation des infrastructures portuaires et aéroportuaires. C'est notre proposition n° 2.
Le récent rapport de la délégation sur la stratégie maritime des outre-mer avait déjà pointé l'impératif de la modernisation de nos ports et formulé plusieurs recommandations que nous appuyons naturellement.
Les projets de CMA CGM en Guadeloupe et en Martinique démontrent l'importance stratégique pour nos outre-mer d'investir pour continuer à être desservis par les lignes principales en s'imposant comme des hubs régionaux, et ne pas se retrouver au bout de lignes secondaires, forcément plus chères.
En matière aérienne, c'est la même chose.
Deux exemples illustrent l'impact déterminant des infrastructures aéroportuaires sur la desserte d'un territoire, la qualité du service et in fine le prix des billets :
- celui de la piste de l'aéroport de Mayotte, qui ne permet pas de développer dans de bonnes conditions les liaisons directes avec la métropole, ce qui renchérit considérablement les coûts d'exploitation des compagnies ;
- celui du réseau des aéroports secondaires de Guyane qui complique l'exploitation quotidienne des liaisons aériennes (horaires limités, conditions météorologiques, type d'avion...).
Un autre levier envisageable pour faire baisser les prix pour certains publics dans l'aérien est celui des obligations de service public. La réglementation impose déjà quelques OSP pour les mineurs, les personnes handicapées ou la continuité funéraire.
Les transporteurs reportent le coût de ces mesures favorables sur les autres passagers (péréquation entre les passagers). Ces obligations sont indolores pour les finances publiques.
Il pourrait donc être envisagé d'élargir ces OSP à d'autres publics comme les personnes âgées ou les demandeurs d'emploi. Toutefois, ces OSP dites ouvertes (la concurrence est maintenue) présentent l'inconvénient d'augmenter le prix des billets des autres passagers.
Les prix actuels étant déjà très élevés, une nouvelle augmentation pour financer les OSP pourraient rendre les lignes vers les outre-mer moins compétitives par rapport à des destinations similaires concurrentes.
Enfin, une dernière solution est celle de nouvelles DSP ou des DSP existantes plus ambitieuses. C'est notamment le cas en Guyane, en Polynésie française ou à Saint-Pierre-et-Miquelon où des réorganisations sont souhaitées par les collectivités. À Marie Galante, une DSP ou un marché pourrait être mis en place pour ajouter une rotation à la mi-journée quelques jours par semaine, ou mieux prendre en charge le fret.
Sans ces DSP locales, la continuité territoriale nationale ne serait qu'une théorie sur une carte.
La question de leur financement est en revanche revenue de façon lancinante au cours des auditions et déplacements.
Les collectivités territoriales assument l'essentiel des financements sous réserve de quelques aménagements comme entre Futuna et Wallis ou en Guyane, l'État prenant en charge 1,5 million sur les 10 millions de la DSP actuelle. En Polynésie française, le désenclavement des îles est à la charge du Pays.
Ces DSP sont excessivement chères par rapport à leur équivalent en métropole et difficilement soutenables par les collectivités.
Ces conditions particulières conduisent à remettre en question le principe de la non ou faible participation de l'État au financement de ces DSP de continuité intérieure.
Dans le cas de la Guyane, l'absence d'un réseau routier digne de ce nom sur un territoire grand comme le Portugal est au coeur des débats. L'État a fait le choix il y a des décennies de ne pas développer ce réseau. Aujourd'hui, en plus du coût d'un tel réseau, l'enjeu environnemental rend encore plus incertaine la perspective d'un désenclavement routier des communes de l'intérieur.
Ces choix, qui peuvent être compréhensibles, doivent néanmoins conduire l'État à investir massivement dans d'autres solutions ou alternatives crédibles et performantes. Le désenclavement aérien et maritime doit être une priorité absolue de l'État.
Pour toutes ces raisons, un renforcement des DSP régionales dans les outre-mer est souhaitable grâce à une réévaluation de la participation financière de l'État à hauteur de 50 %, dès lors que ces liaisons n'ont aucune alternative routière. L'effort financier supplémentaire pour l'État serait d'environ une dizaine de millions d'euros pour tous les outre-mer. C'est notre proposition n° 3.
Voici les premières conclusions auxquelles nous avons abouti.
Je cède la parole à ma collègue Catherine Conconne pour vous développer nos autres propositions.
Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Mes premiers mots seront pour remercier le Président Stéphane Artano ainsi que toute la délégation d'avoir accepté d'inscrire à l'ordre du jour des missions de la délégation cette question de la continuité territoriale d'outre-mer. Je voudrais particulièrement adresser mes remerciements à toute l'équipe de la délégation. Imaginez le bonheur que j'ai aujourd'hui d'être à vos côtés pour vous livrer avec mon collègue Guillaume Chevrollier un rapport qui épouse mes valeurs politiques. Je suis de celles qui, depuis longtemps, parle de responsabilité, voire de souveraineté, en outre-mer. Ma notion de responsabilité et de souveraineté est dans l'expression des contributions que nous devons faire dans nos pays respectifs pour être plus en adéquation avec les nécessités de nos territoires. Il y a un temps où il faut s'inscrire dans une démarche vertueuse de construction d'alternatives.
C'est pourquoi je suis heureuse d'être parmi vous ce matin et de vous dire comment ce rapport est une première pierre apportée à une réflexion légitime et nécessaire à la responsabilité de l'État quant à la continuité territoriale outre-mer. C'est un événement important mais le travail ne fait que commencer. La livraison de ce rapport devra être suivie d'une détermination extraordinaire. Il y a, en effet, au-delà des considérations budgétaires, une véritable nécessité de l'État à prendre également plus de responsabilité quant à sa présence et à l'accompagnement des Français que nous sommes.
Pour rappel, ce n'est qu'en 2003 que les premières briques de la politique de continuité territoriale ont été posées. Toutefois, vingt ans plus tard, force est de constater que le chantier est inachevé. Les premières briques sont toujours là, mais elles ne suffisent pas à répondre aux enjeux de l'équité, de l'égalité des chances et de l'indivisibilité de la République.
L'effort budgétaire annuel de l'État demeure comprimé entre 35 et 52 millions d'euros selon les années. Il existe donc une sorte de plafond implicite bornant la solidarité nationale au profit de la continuité territoriale dans les outre-mer à une enveloppe budgétaire maximale de 50 millions d'euros, voire moins. Chaque fois que ce plafond a été crevé ou menacé de l'être, les conditions d'obtention des aides ont été resserrées comme en 2009 et en 2015.
Bien sûr, simultanément, pour prendre la seule période 2012-2019, l'inflation cumulée a été de 7,8 % et la population des DROM a cru de 4 %. L'effort budgétaire réel a donc baissé de plus de 30 % sur cette période.
Pourtant, les objectifs affichés sont ambitieux. Pour rappel, l'article L.1803 du code des transports, qui définit la politique de continuité territoriale, dispose que « les pouvoirs publics mettent en oeuvre outre-mer, au profit de l'ensemble des personnes qui y sont régulièrement établies, une politique nationale de continuité territoriale. Cette politique repose sur les principes d'égalité des droits, de solidarité nationale et d'unité de la République. Elle tend à atténuer les contraintes de l'insularité et de l'éloignement et à rapprocher les conditions d'accès de la population aux services publics de transport, de formation, de santé et de communication de celles de la métropole, en tenant compte de la situation géographique, économique et sociale particulière de chaque outre-mer. »
Régulièrement, l'objectif de 200 000 billets aidés chaque année est lancé, comme en 2003 lors de la naissance de la politique de continuité territoriale.
Derrière ces affichages ambitieux, les réalités de la politique nationale annoncée restent décevantes.
La politique de continuité territoriale s'articule principalement autour de plusieurs catégories d'aides, avec 5 principales :
- l'ACT qui est l'aide pour le grand public ;
- l'ACT dite spécifique pour les sportifs et artistes ;
- le passeport mobilité pour les études pour les étudiants ;
- le passeport pour la mobilité de la formation professionnelle ;
- et les aides à la continuité funéraire.
Dans l'ensemble, les critères d'éligibilité à ces aides sont sélectifs. Les conditions de ressources sont particulièrement strictes. Certains dispositifs comme l'ACT pour les sportifs sont même inconnus.
S'agissant de l'ACT, qui doit bénéficier au plus grand nombre, les résultats sont médiocres : 84 371 bons délivrés en 2012 puis une baisse régulière pour tomber à 22 838 bons en 2019 et 48 035 en 2022. Ce rebond en 2022 s'explique par le retour des demandes des Réunionnais qui avaient fui le dispositif national au profit d'un dispositif régional plus avantageux. Ce dernier ayant été revu à la baisse, les Réunionnais se tournent à nouveau vers le dispositif national.
Lancée en 2021, l'ACT spécifique pour les sportifs et les artistes est un échec complet. En 2022, 22 bons ont été émis !
Le PME qui concerne les étudiants est le dispositif qui se maintient le mieux avec une dizaine de milliers de bénéficiaires. C'est aussi le plus ancien. Les étudiants formulent néanmoins des critiques, ces aides ne prenant pas assez en considération l'intensité du déracinement des étudiants, ni la cherté de la vie. Le dispositif est aussi jugé peu souple pour s'adapter à des situations régionales particulières. Ainsi, les ACT ne prennent pas en charge les transports passagers par bateau entre la Martinique et la Guadeloupe, alors que beaucoup d'étudiants étudient entre les deux îles.
Le passeport pour la mobilité de la formation professionnelle (PMFP) est lui destiné aux personnes en formation professionnelle en mobilité et aux personnes inscrites dans une démarche d'insertion professionnelle. Les antennes territoriales de LADOM en Hexagone sont entièrement dédiées à l'accompagnement de ces demandeurs d'emploi en formation (accueil, hébergement, suivi).
Toutefois, ce dispositif est en perte de vitesse avec une baisse régulière du nombre de bénéficiaires pouvant s'expliquer notamment par l'amélioration des offres de formation sur les territoires, ce qui est une bonne chose.
Une autre critique récurrente, qui concerne les aides forfaitaires comme l'ACT, est celle de leur inadaptation à la saisonnalité forte des prix. Les aides ne s'adaptent pas au prix réel des billets.
Les bons sont censés couvrir 40 % du prix des billets (50 % depuis le 15 mars 2023). Toutefois, ce pourcentage n'est pas calculé sur la base du prix réel, ni sur celui du prix moyen constaté, mais sur la moyenne du prix d'achat des billets d'avion par les bénéficiaires de l'ACT.
En somme, l'aide forfaitaire est calculée à partir d'un plancher bas. Cette méthode de calcul, protectrice pour les finances publiques, n'est en revanche pas adaptée à la réalité de la plupart des ultramarins qui ne peuvent pas tous programmer leur déplacement six mois à l'avance ou échapper à la haute saison.
Le reste à charge se maintient à des niveaux très élevés qui poussent de nombreux bénéficiaires potentiels des aides à renoncer à leurs projets.
S'agissant de l'aide au fret, qui est un dispositif à part, non géré par LADOM, elle a surtout pour objectif d'améliorer la compétitivité des activités de production dans les outre-mer. En revanche, les importations de produits de consommation ne peuvent en bénéficier. Ce n'est donc pas un outil adapté pour diminuer la charge du fret sur le coût de la vie. Les montants disponibles, les activités éligibles et la complexité des dossiers n'en font pas un outil opérationnel.
Ces manquements apparaissent plus crûment à la lumière d'autres expériences en France ou dans l'Union européenne. L'exemple corse est une illustration d'une politique ambitieuse de continuité bénéficiant au plus grand nombre, même si ses modalités peuvent être discutées. De même, les exemples espagnols et portugais sont intéressants car il démontre qu'une politique très volontariste est possible sans pour autant affaiblir le jeu concurrentiel. Dans ces deux pays, des réductions et des tarifs résident co-existent avec un marché entièrement libre où des compagnies low cost opèrent.
Le tableau figurant dans l'Essentiel vous montre page 2 une comparaison des efforts budgétaires en faveur de la continuité territoriale. Les chiffres sont accablants.
Depuis 2021, on observe néanmoins les prémices d'un nouvel élan. Le montant des aides a été réévalué à deux reprises en 2021, puis il y a 15 jours à la suite de l'augmentation des crédits en loi de finances pour 2023.
La hausse des prix des billets et la fin du dispositif réunionnais très avantageux ne laissaient pas d'autres choix que de relever les moyens alloués.
Ce bilan très critique de la politique conduite depuis 20 ans nous conduit à formuler neuf autres propositions en complément de celles déjà exposées par mon collègue Guillaume Chevrollier il y a un instant.
Au préalable, il faut réaffirmer que la politique de continuité territoriale relève d'abord et avant tout de l'État. C'est sa responsabilité et les collectivités territoriales ne peuvent venir qu'en appui ou en complément, sous réserve de leurs capacités et selon les priorités de leurs territoires.
En conséquence, l'augmentation des enveloppes budgétaires allouées à la continuité territoriale en loi de finances nous paraît incontournable. Un doublement serait un point de départ, tant les bricolages et ajustements à la marge que nous avons connus ne sont plus à la hauteur des enjeux.
S'agissant des diverses aides existantes, une proposition commune à toutes est le relèvement du plafond de ressources. Ce critère est le plus discriminant, tant le seuil actuel est bas, malgré le contexte de forte pauvreté des outre-mer. Environ 12 000 euros de plafond pour être bénéficiaire de l'ACT ; autrement dit, ce sont des bénéficiaires qui nous touchent même pas le SMIC ! Comment peut-on imaginer que dans ces pays où le coût de de la vie est supérieur parfois de près de 35 % sur les matières alimentaires, que l'on soit dans un plafond de ressource qui est inférieur au SMIC. Il n'y a que les ultra-pauvres qui peuvent bénéficier d'une contribution sur un billet d'avion.
Nos autres propositions concernent la fréquence des aides (quatre ans pour l'ACT est manifestement trop long), les modalités - bons ou remboursements ou leur revalorisation comme pour le transfert des corps.
De manière générale, il faut aussi revoir le périmètre des aides.
Tout d'abord, pour aider les déplacements entre les outre-mer. Je rappelle, à titre d'exemple, que l'Université des Antilles est à la fois en Guadeloupe et en Martinique. Les étudiants Martiniquais qui étudient en Guadeloupe, ou de Guadeloupe qui étudient en Martinique, ne sont pas inclus dans le périmètre de l'aide. En effet, les aides, en particulier l'ACT, sont orientées quasi exclusivement vers la métropole. Un aller-retour Guyane Fort-de-France doit être aidé au même titre qu'un Pointe-à-Pitre Paris.
Ensuite, il faut prévoir des aides additionnelles spécifiques pour prendre en compte le coût du trajet depuis le domicile jusqu'à l'aéroport international, quand ce coût est prohibitif. Par exemple en Polynésie française pour les habitants des îles éloignées. Ou en Guyane depuis les communes de l'intérieur.
Enfin, il faut désormais faire de l'aide au retour une priorité. L'intégralité des responsables de collectivité entendus, mais aussi les acteurs économiques, ont alerté sur la fuite des talents et des jeunes qualifiés. Une proportion importante des étudiants ne revient pas sur les territoires.
La question du retour prend encore une autre acuité dans les outre-mer en déprise démographique, comme la Guadeloupe et la Martinique. Cette préoccupation des territoires a trouvé un écho favorable dans les réflexions en cours sur les évolutions de la continuité territoriale et des missions de LADOM. Cet axe d'actions doit se construire en plein partenariat avec les collectivités ultramarines afin de coller à leurs choix et priorités de développement.
S'agissant de l'aide au fret, un rapport demandé en loi de finances pour 2023 est attendu à la fin du semestre. Nous attendons ses recommandations. Parmi les pistes de réflexions pour simplifier le dispositif, sont déjà évoqués l'utilisation d'un barème forfaitaire pour le versement des aides européennes et le découplage de l'aide européenne et de l'aide nationale.
De manière plus structurelle, la question est celle de la réorientation ou non de l'aide au fret comme véritable outil de lutte contre la vie chère, ce qu'il n'est pas à ce jour. Si tel était l'objectif, il conviendrait d'augmenter les moyens alloués et d'étendre son bénéfice aux importations de produits agricoles et de produits de première nécessité.
Toutefois, ce changement de priorité peut aussi avoir des effets indésirables qu'il conviendra d'étudier.
J'en viens à présent au problème majeur de la saisonnalité des prix et des pics tarifaires.
Cela conduit à poser la question de la faisabilité d'un tarif résident dont l'objectif serait d'atténuer les effets les plus brutaux de la saisonnalité des tarifs.
Les exemples espagnols et portugais nous montrent qu'un tarif résident peut coexister avec un système pleinement concurrentiel, sans DSP.
Toutefois, trois risques sont à circonscrire, les trois soulevant la même question : quel tarif plafond arrêter ?
Le premier risque est celui d'une incitation des compagnies à relever leurs prix, l'État prenant en charge tous les dépassements du plafond. Ce risque paraît néanmoins limité. D'une part, parce que les résidents ultramarins ne représentent qu'une part minoritaire des passagers sur la plupart des lignes. Des prix excessifs feraient fuir les autres voyageurs.
Le deuxième risque est celui d'une perte de l'incitation des voyageurs ultramarins à rechercher le meilleur tarif.
Enfin, le troisième risque est celui d'une non maîtrise budgétaire de ce dispositif.
J'en viens enfin à LADOM qui est en charge de mettre en oeuvre la politique de continuité territoriale et qui ambitionne de devenir l'opérateur de référence de la mobilité outre-mer à l'occasion de son nouveau projet LADOM 2024.
Présente dans les 5 DROM et s'appuyant sur des antennes réparties dans l'Hexagone, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) n'a jamais réellement défini et piloté une stratégie, s'attachant plutôt à ajuster des dispositifs en fonction des contraintes budgétaires permanentes.
Je l'ai dit, les aides sont souvent mal connues. L'instruction des dossiers est complexe pour beaucoup de demandeurs. Certaines procédures sont obsolètes comme les bons papiers. Par ailleurs, LADOM est absente de plusieurs outre-mer, en particulier dans le Pacifique, ce qui se traduit par une faible sollicitation des aides en Polynésie françaises ou en Nouvelle-Calédonie. Quant aux antennes situées en Hexagone, elles nous paraissent sous exploitées.
Toutefois, une phase prometteuse s'ouvre avec le projet stratégique « LADOM 2024 », en cours d'élaboration par une nouvelle équipe dirigeante.
Ce calendrier est une chance pour refonder la politique de continuité territoriale.
Cinq défis doivent être prioritairement relevés :
- renforcer la présence et l'accessibilité dans tous les outre-mer ;
- mieux communiquer auprès des publics cibles ;
- engager un choc de simplification des procédures administratives et du traitement des demandes ;
- développer l'accompagnement des étudiants ultramarins au travers de ses antennes hexagonales ;
- et enfin faire émerger un pilotage stratégique en lien direct avec les territoires pour répondre à leurs besoins.
En effet, pour réussir ce pari, LADOM doit impérativement s'appuyer sur les collectivités ultramarines, mais aussi hexagonales, afin de faire de LADOM un opérateur au service des territoires et de leurs collectivités.
Des conventions de partenariat devraient être obligatoirement signées avec toutes les régions, départements et collectivités d'outre-mer pour compléter, adapter ou expérimenter des dispositifs en lien avec les projets de développement local.
À terme, dans l'esprit de ce qui avait été d'ailleurs imaginé initialement lors de la réforme de la LODEOM en 2009, les antennes locales de LADOM pourraient être transformées en groupement d'intérêt public (GIP).
Autour d'un tronc commun (la politique nationale de continuité territoriale), LADOM mettrait en oeuvre des politiques territorialisées. Ce n'est qu'à cette condition que l'agence rayonnera comme le guichet unique de la mobilité dans les outre-mer.
Je tiens à remercier pour conclure les collègues de Guyane pour notre déplacement sur leur territoire. C'était une véritable expédition qui nous a permis de toucher du doigt un territoire de la République totalement enclavé et ne devant son salut qu'à l'avion. Il reste à créer sur ce territoire des infrastructures pour éviter cette France à plusieurs vitesses que nous avons pu constater.
M. Philippe Bas. - Je voudrais à mon tour remercier et féliciter nos deux rapporteurs pour ce travail intense et exceptionnellement approfondi qu'ils nous livrent aujourd'hui. Cette politique de continuité territoriale a été, dès le départ, inspirée d'une politique réservée aux liaisons entre la Corse et l'Hexagone. Après la réélection du Président Jacques Chirac, elle a pris l'ampleur qu'on lui a connue pendant un certain nombre d'années. Les années 2003 à 2007 correspondent en effet au lancement de cette dotation de continuité territoriale et à son doublement, aussi bien d'un point de vue du budget que de ses bénéficiaires. Cette politique est accrue jusqu'à la fin de l'année 2011. Elle reste à un haut niveau en 2012, 2013, 2014 puis connaît un véritable coup d'arrêt en 2015. Le nombre de bénéficiaires passent de 100 000 en 2014 à 20 000 en 2015. C'est donc une décision délibérée, qui, à l'époque, a été prise pour des raisons financières. La dynamique de cette politique a été brutalement cassée en 2015 et par la suite n'a jamais été rétablie à un niveau satisfaisant. La pandémie et l'envolée des tarifs des transports aériens ont entraîné les difficultés constatées.
Ces difficultés ne sont pas seulement d'ordre financier parce qu'en réalité c'est le calibrage même du dispositif, notamment les conditions de revenu, qui est en question. Quelles que soient les aides que l'on pourra apporter à nos compatriotes ultramarins dont le revenu est inférieur au SMIC, ils ne pourront pas prendre l'avion. Par conséquent, on voit bien que le resserrement de l'accès aux aides a un effet sur l'effectif des bénéficiaires. Ces éléments justifient l'opportunité de ce rapport et posent une question politique : sommes-nous prêts en France à dégager les moyens nécessaires pour rétablir une politique qui a été délibérément abandonnée en 2015 ? Je crois qu'il est utile que le Sénat soit porteur d'un nouvel élan pour cette politique. C'est la raison pour laquelle je veux vous remercier pour vos recommandations. Naturellement, il faudra, pour être convaincant, que ces recommandations soient chiffrées. Il s'agit en effet d'un effort budgétaire important. Je pense qu'il faut le faire car c'est une façon de compenser une inégalité en se rapprochant de l'égalité. Ce serait pour nos compatriotes d'outre-mer un signal politique très fort que la représentation nationale soit unie pour réclamer le retour à une politique dynamique et ouverte de continuité territoriale.
Mme Victoire Jasmin. - Je voulais féliciter nos deux rapporteurs pour ce rapport qui suscite beaucoup d'attentes dans nos territoires respectifs. Je rejoins ce qui a été dit précédemment. Dans son intervention, Guillaume Chevrollier parlait de double insularité par rapport à Marie-Galante, mais il y a aussi Terre-de-Bas qui est isolée par rapport à Terre-de-Haut. En Guadeloupe, le fonctionnement de nos différentes institutions en est profondément affecté. Par exemple, le tribunal des prud'hommes fait l'objet de dysfonctionnements liés au fait que de nombreux représentants ou partenaires sociaux viennent de Saint-Martin ou de Saint-Barthélemy ou des îles du sud. Ce sont là des éléments complémentaires pour illustrer la nécessité de prendre en compte le problème dans sa globalité. Ce travail permettra donc d'améliorer l'existant. Il y aura peut-être des difficultés en termes de coûts, mais je crois qu'il est temps que l'on trouve le moyen de faciliter les déplacements.
La continuité territoriale funéraire est aussi un vrai sujet. Beaucoup de personnes issues de nos différents territoires vivent en Hexagone. Il y a également des difficultés pour certaines prises en charge médicales. Par exemple, pour le cancer pédiatrique, les enfants ne bénéficient pas d'une prise en charge suffisamment complète. Les familles sont souvent obligées de se déplacer pour les accompagner. Ce rapport permettra de prendre en compte des situations que nous vivons et connaissons dans les différents territoires d'outre-mer. Je crois que ce travail est un début, il faudra faire des efforts considérables pour mettre concrètement en oeuvre ces actions.
M. Dominique Théophile. - Comme ma collègue, je vous remercie. En Guadeloupe, la question du prix des billets est une question qui revient à chaque fois. En 2019, à l'époque où l'État n'avait pas encore décidé de prendre à sa charge une grande partie du coût du ramassage des sargasses, j'avais proposé au Sénat une contribution de cinquante centimes sur les billets d'avion. Et en contrepartie le Gouvernement m'avait donné son accord pour que nous puissions revoir à la baisse la taxe de solidarité dont le montant s'élève à deux euros et trente centimes. Au bilan, le billet aurait été cinquante centimes moins cher. En 2023, le prix du billet a beaucoup augmenté, mais on observe que le flux n'a pas beaucoup bougé.
Je mène actuellement une mission sur l'évaluation du sport en outre-mer, j'ai constaté que la principale préoccupation du monde sportif et culturel concerne les déplacements. Quand un jeune sportif voyage, il paie aussi pour le transport de son matériel.
S'agissant de l'organisation de LADOM, elle ne peut distribuer que ce qu'elle reçoit. La principale revendication pour nous c'est l'augmentation de l'enveloppe de LADOM. Il faudrait mettre en corrélation le fonds du FEBECS avec le fonds de LADOM, voire permettre une fongibilité des fonds avec une prise en charge complète du billet. Cela dit, faisons attention aux effets d'aubaine en relevant notamment le plafond de ressources et en tenant compte du motif du déplacement. Il faut qu'il y ait un lien entre le motif du déplacement et la gratuité du billet.
Mme Catherine Conconne, rapporteure. - On ne se pose pas ces questions en Corse.
M. Dominique Théophile. - Comparaison n'est pas raison. Il faut adapter le dispositif à notre situation. En Guadeloupe, le déplacement est plus long. Un billet aller-retour Hexagone/Pointe-à-Pitre n'est pas un billet comparable à un billet aller-retour Hexagone/Corse. Il faut mieux prendre en charge les billets lorsqu'ils sont aidés
Mme Catherine Conconne, rapporteure. - Si j'ai suggéré ce rapport d'information, c'est pour être ambitieux. Je ne vais pas m'enfermer dans un costume trop petit pour moi. Si j'ai choisi de faire de la politique c'est parce que je revendique pour mon peuple ce qu'il y a de meilleur. Aujourd'hui, l'accompagnement à la continuité territoriale s'apparente à une peau de chagrin. Donc, je vais me permettre de viser le meilleur, je refuse de parler d'effet d'aubaine. Je rappelle que, même si le billet est moins cher depuis la Corse, les Corses peuvent aller à Paris sans motif. Il y a un décalage entre ce régime là et l'aide à la continuité territoriale outre-mer qui ne peut être donnée que tous les quatre ans à hauteur de 340 euros. Je compte donc aller plus loin que cela. Oui, il faudra relever les plafonds. Aujourd'hui le plafond correspond à un revenu de 1 000 euros et c'est inacceptable. Lorsque l'on ramène au coût de la vie chez nous, les prix de l'alimentation sont supérieurs de 38 %, un smicard est bien plus pauvre. Visons haut et grand, ne nous mettons pas de limite à priori.
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - J'aimerais féliciter les rapporteurs, cela a été un plaisir de vous accompagner pendant votre séjour. Je vous remercie d'avoir mis en exergue l'enclavement des sept communes de Guyane. On ne peut pas développer un pays économiquement lorsqu'il est enclavé. La colère gronde chez nos compatriotes guyanais car ils en ont assez. Je rejoins Catherine Conconne, il faut que l'on vise plus haut. Le Gouvernement prend toujours des décisions pour nous à 8 000 kilomètres sans connaître la réalité des territoires. C'est pourquoi ce rapport pourra leur servir de base. J'espère que, grâce à vous, ce sujet de la continuité territoriale va avancer. Merci à la délégation d'avoir accepté ce thème pour nos travaux. Il faudra rappeler au ministre délégué chargé des outre-mer que ce document existe et qu'il peut servir de base.
M. Victorin Lurel. - Je tiens à vous féliciter pour ce rapport qui est absolument nécessaire parce que c'est un tel fatras avec de telles fluctuations que l'on n'y comprend plus rien. Vous faites le point sur un dossier qui occupe les esprits. Moi je préférais l'article 60 de la loi 2003 qui consistait à inscrire des dotations dans le budget. En 2009, il y a eu un changement car la ministre de l'époque avait décidé que les aides régionales n'étaient plus cumulables avec les aides de l'État. Suite à la suppression de six millions d'euros pour la Guadeloupe, j'ai engagé un recours à l'époque et on a eu gain de cause. Le Gouvernement avait décidé de supprimer ces fonds car ce n'était pas dans l'esprit du décret. La Réunion a fait un régime spécifique et a eu exactement le même problème. Il faut absolument revoir les choses.
Dans le rapport, vous évoquez les cinq types d'aides : l'ACT, l'ACT spécifique, le passeport mobilité et la continuité funéraire. J'aurais suggéré la continuité postale car cela fait partie de la continuité territoriale. Enfin, je dirais à mon collègue Dominique Théophile que s'il devait présenter à nouveau le projet de taxation des billets d'avion pour financer la lutte contre les sargasses, je voterais contre car cela renchérit les billets sans être à la hauteur des besoins financiers. Pour revenir à la continuité territoriale, sans chercher à transposer le modèle corse, force est de constater l'écart abyssal des moyens engagés. L'État fait des économies de bouts de chandelle, alors que cette politique est au coeur de la vie quotidienne des ultramarins.
M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie pour vos interventions et vous propose d'adopter le rapport, ainsi que les 12 recommandations. Je sais pouvoir compter sur nos rapporteurs pour en assurer un suivi actif à quelques semaines du Comité interministériel pour l'outre-mer (CIOM).
La délégation sénatoriale aux outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents.