B. DES CADRES MONDIAUX AMBITIEUX MAIS NON CONTRAIGNANTS ET DIFFICILEMENT TRANSPOSABLES
1. Les objectifs d'Aichi, chronique d'un échec facile à prévoir
Le précédent cadre mondial en faveur de la protection de la biodiversité a été établi en octobre 2010, à l'issue de la COP10 à Nagoya au Japon, avec l'adoption d'un « plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 », un cadre décennal ayant vocation à guider les efforts internationaux et nationaux de lutte contre la perte de biodiversité , mieux connu sous le vocable des « Objectifs d'Aichi » 14 ( * ) .
Cet accord avait alors été salué pour son caractère transversal et la définition de cibles élaborées à l'aune des connaissances scientifiques les plus récentes, afin d' agir sur l'ensemble des causes sous-jacentes à la perte de biodiversité , en cherchant à réduire les pressions qui s'exercent sur la biodiversité, favoriser l'utilisation durable des ressources et renforcer les avantages tirés des services écosystémiques. Le secrétariat exécutif de la Convention sur la diversité biologique avait alors salué, de façon grandiloquente, la naissance d'une « nouvelle ère de vie en harmonie avec la nature ».
Portés par une espérance forte en l'action transformatrice de l'action publique et par un élan généreux, les objectifs d'Aichi ont pâti d'une feuille de route irréaliste et de l'absence d'un cadre de suivi - avec des indicateurs extrêmement ambitieux et difficilement mesurables à atteindre « d'ici à 2020 au plus tard ». La puissante ambition insufflée lors de la COP10 biodiversité , structurée autour des 20 cibles d'Aichi, aurait pu inverser la tendance en matière de déclin de la biodiversité, si la dynamique avait été soutenue et suivie de façon à faciliter les transformations jugées nécessaires par le cadre mondial. Les négociateurs d'Aichi ont fait abstraction du fait que les engagements de ce type ne sont que des promesses qui doivent régulièrement être rappelées aux États qui les font .
Les objectifs d'Aichi définis lors de la COP10 furent un échec cuisant : aucun des objectifs n'a été atteint , faute d'avoir accompagné efficacement leur mise en oeuvre.
L'atteinte des cibles a été compliquée par une conjonction de facteurs cumulatifs : le manque d'objectifs chiffrés et d'indicateurs fiables, les difficultés de déclinaison au niveau de chaque État, l'absence d'un mécanisme de redevabilité et des moyens financiers insuffisants. L'ambition initiale n'a pas été soutenue au cours de la décennie précédente. La dynamique en faveur de la biodiversité s'est corrodée faute de points d'étape et de coordination entre les cibles mondiales et les actions mises en oeuvre par les États. Pour Sylvie Lemmet, ambassadrice déléguée chargée de l'environnement, « le cadre défini à Aichi a échoué faute de mécanismes d'accompagnement des cibles, de rapportage, de stock-taking ou encore d'état des lieux chemin faisant » 15 ( * ) .
2. Un cadre « hors-sol » qui n'a pas suffisamment intégré les contraintes politiques des États
En 2020, la cinquième édition des Perspectives mondiales de la diversité biologique 16 ( * ) , élaborée par le secrétariat de la Convention sur la diversité biologique avec la participation de l'Organe subsidiaire chargé de fournir des avis scientifiques et techniques, a dressé le constat de l'échec des objectifs d'Aichi : « la biodiversité décline à un rythme sans précédent, et les pressions à l'origine de ce déclin s'intensifient. Aucun des Objectifs d'Aichi pour la biodiversité ne sera entièrement réalisé. »
Cette même publication insiste sur le fait qu' « au niveau mondial, aucun des 20 objectifs n'a été pleinement atteint , bien que six d'entre eux soient en partie réalisés (objectifs 9, 11, 16, 17, 19 et 20) ». Si les indicateurs relatifs aux politiques et aux mesures en faveur de la biodiversité montrent des tendances globalement positives, les indicateurs relatifs aux facteurs de perte de biodiversité et à l'état actuel de la biodiversité elle-même montrent une aggravation importante des tendances. Autrement dit, l' action des États pour contrer la perte de biodiversité n'est pas à la hauteur des menaces qui pèsent sur les écosystèmes .
L'alignement des objectifs nationaux sur les Objectifs d'Aichi pour la biodiversité a été plutôt faible en ce qui concerne la portée et le niveau d'ambition : « moins d'un quart (23 %) des objectifs nationaux sont bien alignés sur les Objectifs d'Aichi et seulement 10 % de tous les objectifs nationaux sont semblables aux Objectifs d'Aichi pour la biodiversité et sont en voie d'être réalisés. » Or, la déclinaison du cadre mondial au niveau national est centrale, dans la mesure où la mise en oeuvre des mesures est laissée à la main des États , en fonction des contraintes et latitudes d'action propres à leur cadre politique et institutionnel.
Le changement transformateur n'a pas eu lieu car les mécanismes de renforcement des ambitions nationales, mal conçus, n'ont pas fonctionné. Le cadre mondial n'a pas servi d'impulsion au principe « la biodiversité dans toutes les politiques », qui permet l'intégration explicite, dans les études d'impact et les politiques publiques, de la biodiversité dans les processus décisionnels, qu'ils soient gouvernementaux, locaux mais également économiques.
Cette démarche d'évaluation des causes de l'échec d'Aichi a ceci de positif qu'elle a permis de dégager les axes d'amélioration , les erreurs à ne pas commettre et les lacunes du cadre mondial antérieur . Forts de cette « cartographie des bancs de sable », les négociateurs de la COP15 ont pu se concentrer sur les écueils à éviter et mettre l'accent sur des mesures plus réalistes, compréhensibles, mieux intégrées et évaluables .
* 14 Voir en annexe : Les 20 objectifs d'Aichi pour la biodiversité.
* 15 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20221107/atdd.html#toc6