N° 289

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 26 janvier 2023

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) relatif à la simplification des normes imposées aux collectivités territoriales ,

Par Mme Françoise GATEL et M. Rémy POINTEREAU,

Sénateurs

(1) Cette délégation est composée de : Mme Françoise Gatel, présidente ; MM. Rémy Pointereau, Guy Benarroche, Mme Agnès Canayer, MM. Jean-Pierre Corbisez, Bernard Delcros, Mmes Corinne Féret, Michelle Gréaume, MM. Charles Guené, Éric Kerrouche, Antoine Lefèvre, Mme Patricia Schillinger, M. Pierre-Jean Verzelen, vice-présidents ; MM. François Bonhomme, Franck Montaugé, Cédric Vial, Jean Pierre Vogel, secrétaires ; Mmes Nadine Bellurot, Céline Brulin, MM. Bernard Buis, Laurent Burgoa, Thierry Cozic, Mmes Chantal Deseyne, Catherine Di Folco, MM. Thomas Dossus, Jérôme Durain, Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Jean-Michel Houllegatte, Mmes Muriel Jourda, Sonia de La Provôté, Christine Lavarde, Anne-Catherine Loisier, MM. Pascal Martin, Hervé Maurey, Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Philippe Mouiller, Olivier Paccaud, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Mme Sylvie Robert, MM. Jean-Yves Roux, Laurent Somon, Lucien Stanzione.

SYNTHÈSE

Le président et le bureau du Sénat ont confié à la délégation aux collectivités territoriales la mission de simplification des normes applicables à celles-ci . Cette mission est confiée notamment à Rémy Pointereau, son premier vice-président.

De nombreux travaux sur le sujet ont déjà été menés par la délégation : rapport puis proposition de loi de simplification du droit de l'urbanisme, proposition de loi constitutionnelle relative à la compensation de toute aggravation par la loi des charges et contraintes applicables aux collectivités territoriales, résolution tendant à limiter le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à l'urbanisme et à la construction, rapport puis résolution relative à la consolidation du pouvoir de dérogation aux normes attribué aux préfets...

Évidemment, le chantier est immense et beaucoup reste à faire. Ainsi, un sondage réalisé en novembre 2020 par l'institut CSA, à l'initiative de notre délégation, révèle que la simplification des normes applicables aux collectivités demeure nettement en tête des priorités des élus. Ces derniers regrettent que les tentatives opérées jusqu'à présent de maîtrise du flux des textes n'aient pas produit des résultats à la hauteur des enjeux. Plus grave : de nombreux élus déplorent que chaque vague de simplification soit l'occasion de la production de nouveaux textes et donc d'une nouvelle couche de complexité . C'est pourquoi le présent rapport privilégie des solutions « structurelles » ou « systémiques » portant sur la fabrique même de la norme, pour que cette dernière soit élaborée dans un triple souci d'utilité, de qualité et d'efficacité .

1. LA COMPLEXIFICATION DES NORMES, UN ÉTAT DES LIEUX PRÉOCCUPANT

1- UNE TENDANCE LOURDE

La prolifération et la complexification des normes s'inscrivent dans une tendance lourde dont les causes sont nombreuses. Deux d'entre elles peuvent être citées :

- en premier lieu, l'ordre juridique doit bâtir des équilibres toujours plus subtils et plus complexes , jamais pleinement satisfaisants, entre des demandes toutes légitimes mais souvent contradictoires , par exemple lorsqu'il s'agit de respecter des objectifs environnementaux sans nuire au développement des territoires. L'objectif du zéro artificialisation nette est de ce point de vue emblématique. On peut également citer la nécessité de développer l'innovation dans les territoires mais dans le respect des libertés individuelles et de la protection des données personnelles. La poursuite de politiques publiques aussi diverses dans leur finalité est, par nature, créatrice de normes ;

- en second lieu, l'emballement normatif tient également à une croyance quasi-mystique dans la norme miraculeuse qui protégerait voire guérirait. Il s'agit là d'un mal très français : quand ils ne savent pas répondre à une question, qu'ils veulent répondre à une « émotion » ou qu'ils manquent de moyens financiers, les pouvoirs publics cèdent volontiers à la création de la norme « magique » , afin de donner l'impression, voire l'illusion, qu'ils ont réglé la question dans l'intérêt général.

2- UN COÛT POUR LES COLLECTIVITÉS ET UN FREIN AU DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES

Non seulement l'inflation normative complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation, mais, en outre, elle en augmente significativement le coût , notamment pour les petites communes aux ressources techniques et financières limitées. La multiplication des normes constitue donc indéniablement un frein au développement des territoires , dans le contexte budgétaire contraint que chacun connait. Or, la loi doit avant tout permettre et non entraver .

La direction générale des collectivités territoriales a indiqué qu'on pouvait évaluer à près de deux milliards d'euros le coût total pour les collectivités locales de cette inflation normative, au cours de la période 2017-2021. Ce montant est, en tout état de cause, à rapprocher du montant d'un milliard d'euros que coûterait en 2023 l'indexation de la DGF sur l'inflation, indexation pour l'instant rejetée par le Gouvernement.

Pour compléter ce tableau, il serait utile de disposer d'une donnée nationale essentielle : le nombre de prescriptions auxquelles sont soumises les collectivités locales et leur évolution dans le temps . Or, il n'existe actuellement aucun thermomètre permettant de mesurer la fièvre normative . Le chiffre de 400 000 normes, parfois avancé, ne repose sur aucun recensement rigoureux. À défaut, l'évolution du code général des collectivités territoriales (CGCT) et celle du code de l'urbanisme fournissent des indications pertinentes sur l'inflation normative.

S'agissant du CGCT, il a triplé de volume entre 2002 et 2022 . Certes, cette évolution résulte en partie de l'adaptation des règles à la diversité des territoires. Toutefois, la différenciation territoriale ne peut expliquer à elle seule cette situation, étant précisé que le CGCT pourrait, au 1 er janvier 2023, dépasser le million de mots , compte tenu de l'adoption en 2022 de la loi dite « 3DS ». Quant au code de l'urbanisme , son évolution est également préoccupante même si sa croissance est plus « raisonnable » : le code est ainsi passé de près de 185 000 mots au 1 er janvier 2012 à environ 265 000 mots au 1 er janvier 2022, soit une augmentation de quelque 44 % . Dans ce contexte, certains élus n'hésitent pas à parler de « harcèlement textuel » et d' « addiction aux normes ».

Les lois de simplification ne font parfois que rajouter une couche de complexité et les rapporteurs sont convaincus de la nécessité de transformer le mode d'élaboration de la norme pour la rendre plus frugale. Tel est le sens des recommandations et observations qu'ils formulent.

2. L'IMPORTANCE DE MIEUX ÉVALUER EX ANTE LES PROJETS DE NORMES APPLICABLES AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

La loi organique du 15 avril 2009 a instauré l'obligation de joindre une étude d'impact à certains projets de loi. L'article 8 dispose ainsi que les documents rendant compte de l'étude d'impact « définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l'intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation ». Toutefois, cette réforme n'ayant pas produit les effets escomptés, le rapport propose certaines évolutions qu'il est possible de mettre en oeuvre à droit constant, par simples engagements du Gouvernement. Certes, une révision constitutionnelle permettrait de renforcer le contenu des études d'impact. En effet, le Conseil constitutionnel par son contrôle très limité , se bornant à constater que le Gouvernement a rempli l'obligation formelle d'établir une étude d'impact, sans prendre en compte son contenu, a de fait, largement neutralisé l'apport des études d'impact . Toutefois, le rapport fait le choix de privilégier des solutions simples atteignables grâce à de simples engagements politiques du Gouvernement.

A) Les deux principales recommandations (à droit constant)

1- Donner au Parlement plus de visibilité sur les textes envisagés par le Gouvernement dans le domaine des collectivités territoriales (recommandation n°1)

Le rapport invite le Gouvernement à présenter, à chaque début de session, à l'occasion d'un débat parlementaire en séance ou en commission/délégation, les principales mesures législatives et réglementaires relatives aux collectivités territoriales, envisagées par le gouvernement pour l'année à venir. Ce débat d'orientation permettrait aux parlementaires d'inviter le Gouvernement, le cas échéant, à réfléchir à des propositions alternatives à droit constant, sans création de normes nouvelles.

2- Pour une étude d'impact plus sincère, plus objective et mieux contrôlée (recommandation n°2)

Les études d'impact sont, trop souvent, un outil d'autojustification ou de « plaidoyer pro domo » au lieu d'être une aide objective à la décision .

C'est pourquoi le rapport formule deux recommandations à l'égard du Gouvernement :

- en premier lieu, il recommande au Gouvernement, s'agissant des projets de loi « collectivités » de réaliser l'étude d'impact en deux temps : pour les normes les plus importantes, un premier rapport, dénommé « étude d'options » ou « étude d'opportunité », permettrait d'évaluer l'intérêt même d'une nouvelle norme, c'est-à-dire de comparer les mérites de l'intervention d'un texte avec les autres solutions possibles, y compris l'option « zéro norme ». Cette démarche, possible sans modification de la loi organique de 2009, nécessite :

o d' évaluer précisément les dispositions législatives en vigueur que le projet de loi envisage de modifier ou compléter ; ce point rejoint la nécessité de développer notre culture de l'évaluation, notoirement insuffisante en France ;

o de soumettre, dans des délais satisfaisants, cette étude d'options au CNEN, afin qu'il en assure une certification indépendante ;

o d'organiser en séance publique ou en réunion restreinte (commission/délégation) un débat d'orientation, avant l'examen du texte lui-même.

- en second lieu, le rapport recommande au Gouvernement, si ce dernier estime nécessaire de créer de nouvelles normes, de soumettre au CNEN une première version de l'étude d'impact au moins un mois avant l'examen de ladite norme ; le CNEN devra également être chargé de certifier la sincérité, l'objectivité et la complétude de l'étude d'impact. En effet, c omme pour toute démarche qualité et à l'instar des pratiques dans certains pays voisins de la France, un regard extérieur indépendant et impartial doit être porté sur l'étude d'impact , en particulier lorsqu'elle accompagne un projet de loi portant sur les collectivités territoriales.

B) Les autres propositions du rapport (à droit constant)

Le rapport formule trois autres propositions.

1- Le contenu des études d'impacts

Vos rapporteurs constatent que les projets de loi concernant les collectivités territoriales souffrent d'un défaut majeur : ils ne justifient pas suffisamment du respect des principes de simplification, de libre administration, de subsidiarité et d' autonomie financière .

Les trois premiers principes n'apparaissent pas dans la liste des éléments que doit comporter l'étude d'impact . Quant au principe d'autonomie financière , il ne ressort pas clairement des exigences prévues par la loi organique précitée de 2009. Le rapport note que le Gouvernement pourrait utilement enrichir le contenu des études d'impact, étant précisé qu'il peut procéder ainsi par simple volonté , sans modification de la loi organique précitée.

2- l'évaluation non-financière ex ante des textes réglementaires applicables aux collectivités territoriales

Le rapport juge pertinent d'étendre l'obligation d'évaluation ex ante aux impacts non financiers des textes réglementaires .

Cette obligation fait largement défaut à l'heure actuelle. Certes, en vertu de la circulaire du Premier ministre du 12 octobre 2015, une fiche d'impact doit être remplie afin d'évaluer l'impact financier du projet de norme pour les collectivités territoriales. Toutefois, cette analyse est incomplète puisqu'elle ne porte pas sur les aspects non-financiers de la norme, notamment sur le respect des principes de libre administration et de subsidiarité. En particulier, il serait pertinent que le producteur de la norme réglementaire justifie, dans l'étude d'impact, qu'il n'empiète pas sur le pouvoir réglementaire local. Ce changement peut se faire sans modifier les textes, tout au plus par une actualisation de la circulaire précitée.

3- Le risque de surtransposition des directives

La fabrique de la norme doit intégrer une exigence forte : les mesures assurant la transposition d'une directive communautaire ne doivent pas excéder pas les objectifs qu'elle poursuit. Le rapport invite le Gouvernement à mieux prendre en compte cet impératif dans sa pratique afin de prévenir le risque de surtransposition, et donc d'inflation potentielle des prescriptions imposées aux collectivités territoriales.

3. L'ÉVALUATION EX POST : UNE DÉMARCHE COMPLÉMENTAIRE INDISPENSABLE

Bien légiférer nécessite de bien évaluer. En effet, l'évaluation d'une norme ne doit pas seulement intervenir avant son adoption (étude d'impact ex ante ) mais aussi après son entrée en vigueur (évaluation ex post ). Les démarches évaluatives ex ante et ex post sont pleinement complémentaires . Le rapport souligne l'intérêt de deux mécanismes susceptibles de contribuer à une meilleure évaluation des normes :

1- Expérimenter, dans les lois à fort impact sur les collectivités territoriales, des clauses de réexamen et, le cas échéant, en dernier recours, des clauses « guillotine » (recommandation n°3)

La mission d'évaluation des politiques publiques est placée au coeur de l'action du Parlement (article 24 de la Constitution). Pourtant, l es démarches évaluatives demeurent encore trop rares en France. C'est pourquoi le rapport recommande que chaque loi territoriale prévoie, pour ses dispositions les plus importantes, des clauses de réexamen , à l'instar de qui se pratique au Royaume-Uni (« review clauses »). Ces clauses comporteraient un échéancier prévoyant, par exemple une première évaluation à deux ou trois ans, pour mesurer les premiers effets de la réforme, et une seconde à cinq ou six ans pour dresser un bilan complet avec le recul nécessaire. L'objectif est de vérifier si la réforme a renforcé la performance de l'action publique locale jusqu'au dernier kilomètre et au dernier habitant .

Ces clauses de réexamen pourraient elles-mêmes être assorties, dans certains cas, de clauses de caducité (ou « guillotine »). Ce système, appelé « sunset clause » outre-manche, entraîne la disparition pure et simple du texte en l'absence d'une évaluation effective ou en présence d'une évaluation négative. Vos rapporteurs sont toutefois conscients des réserves que suscitent de telles clauses. D'une part, la différenciation territoriale permet l'adaptation pragmatique des normes aux réalités territoriales et évite donc le recours à des mécanismes radicaux, tels que les clauses de caducité. D'autre part, ces dernières, créant des « normes législatives à durée déterminée », génèrent une forme d' insécurité juridique et découragent ainsi parfois les acteurs à s'engager dans des projets de long terme.

Pour ces raisons, vos rapporteurs estiment que les clauses guillotine doivent être utilisées en dernier recours et qu'il convient de privilégier, dans un premier temps, le mécanisme pragmatique de l'expérimentation, dont le régime a été amélioré par la loi organique du 19 avril 2021 relative à la simplification des expérimentations engagées sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution. En effet, d'une part, cette loi a instauré une évaluation intermédiaire pour chacune des expérimentations engagées, d'autre part, elle a assoupli le régime de l'expérimentation locale : ainsi, cette dernière peut désormais aboutir au maintien des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales ayant participé à l'expérimentation, ou dans certaines d'entre elles, et leur extension à d'autres collectivités territoriales, dans le respect du principe d'égalité

Cette recommandation n°3 ne nécessite pas de modification constitutionnelle ou organique : elle peut en effet être mise en oeuvre par simple volonté du législateur lors de l'examen des textes territoriaux . Elle suppose, en complément, une profonde évolution de la culture des fonctionnaires. Le rapport suggère ainsi d'enseigner l'évaluation - sa méthodologie et ses procédures - dans les écoles de la fonction publique (INSP, INET, IRA, ENSP...) et de l'intégrer aux cours de formation continue des agents des trois fonctions publiques.

Cette recommandation suppose également d'évaluer, au vu des récentes lois territoriales, si le domaine de la loi a toujours été respecté. En effet, en application de l'article 34 de la Constitution, la loi doit simplement « déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ». En d'autres termes, le législateur a compétence pour définir des objectifs généraux et il appartient ensuite aux collectivités d'en déterminer les modalités d'application, dans le cadre du pouvoir réglementaire local.

2- Une autre proposition du rapport (à droit constant) : l'importance du dialogue État / collectivités

Le rapport rappelle une autre proposition destinée à mieux évaluer a posteriori les normes applicables aux collectivités territoriales. Elle porte sur l'importance du dialogue entre les services déconcentrés de l'État et les élus : en effet, d epuis plusieurs années, le Sénat propose d'instaurer auprès du préfet une instance de concertation, composée de représentants des services de l'État et des collectivités locales . Cette instance aurait notamment vocation à être saisie de tout différend sur l'interprétation d'une norme, et d'exprimer une position unique de l'État sur des projets complexes pour éviter aux élus d'être confrontés à une multitude de services différents aux positions parfois incompatibles. Le rapport regrette le rejet de la proposition du Sénat d'instaurer une telle instance, qui permettrait à tous les acteurs locaux, élus ou fonctionnaires, d'oeuvrer ensemble à améliorer les normes applicables aux collectivités territoriales. Le rapport observe toutefois que l'instance de concertation pourrait être mise en place sans vecteur législatif , par une simple circulaire du ministre de l'intérieur auprès des préfets, ce qui permettrait à ces derniers d'en éprouver l'efficacité et le cas échéant de l'abandonner si cette instance ne produit pas localement les effets escomptés.

4. LE CONSEIL NATIONAL D'ÉVALUATION DES NORMES, UN ACTEUR MAJEUR DE LA QUALITÉ DES NORMES APPLICABLES AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Créé à l'initiative du Sénat par la loi du 17 octobre 2013, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) est chargé d'évaluer l'impact technique et financier des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics . Le rapport recommande de renforcer le CNEN afin d'en faire un organe charnière inspiré du Nationaler Normenkontrollrat (NKR) allemand, comme l'a opportunément proposé M. Rémy Pointereau dans sa proposition de résolution déposée en juin 2022 1 ( * ) . Ce renforcement , qui fait l'objet de la recommandation globale n°4 , passe par plusieurs propositions :

1- Reconnaître son importance par des mesures à portée symbolique

Deux mesures symboliques sont proposées et nécessitent respectivement de modifier la loi et le règlement : réaffirmer l'indépendance du CNEN et le rattacher au Premier ministre, ce qui marquerait à la fois son importance et la transversalité de son action, par nature interministérielle.

2- Rendre plus visibles les travaux du CNEN vis-à-vis du Sénat

Au-delà des mesures symboliques, le rapport estime nécessaire de donner plus de visibilité aux travaux du CNEN . Aussi conviendrait-il que ce Conseil assure une transmission directe au Sénat de ses avis négatifs , motivés de manière précise et dès leur adoption. En outre, il conviendrait d' annexer ses avis aux études d'impact des projets de loi afin de faire bénéficier celles-ci de l'expertise développée par le Conseil dans l'évaluation de l'impact des normes sur les collectivités territoriales. Cette disposition est portée par le Sénat depuis plusieurs années.

3- Étendre et conforter ses missions

• Confier au CNEN la certification des études d'options et des études d'impact des textes imposés aux collectivités territoriales ;

• Permettre au CNEN de travailler dans des conditions sereines : en effet, environ 20 à 25 % des textes examinés par le Conseil s'inscrivent dans le cadre d'une procédure d'urgence voire d'extrême urgence, alors même que certains d'entre eux sont publiés plusieurs mois après cette saisine « urgente » ;

• Donner explicitement au CNEN mission pour se prononcer sur le respect des principes de simplification, d'autonomie financière, de libre administration et de subsidiarité ;

• Étendre le champ de compétence du CNEN aux impacts des réformes de l'État territorial sur les collectivités territoriales ;

• Contraindre le gouvernement à une seconde délibération en cas d'avis négatif rendu par le CNEN sur un projet de loi ;

• Renforcer les moyens humains et financiers du CNEN.

5. LA NÉCESSITÉ POUR LE SÉNAT D'ÊTRE ALERTÉ LE PLUS TÔT POSSIBLE DE POTENTIELLES DIFFICULTÉS, POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES, RÉSULTANT DES NORMES EN COURS D'ÉLABORATION

Le rapport estime nécessaire de créer, au sein du Sénat , une fonction de veille et d'alerte, au service des commissions permanentes compétentes, le plus en amont possible de la production des normes applicables aux collectivités territoriales (recommandation n°5).

Cette fonction, comparable pour les textes nationaux à celle qu'exercent les commissions parlementaires des affaires européennes à l'égard des normes communautaires, aurait un double objectif :

- concernant les avant-projets de loi , permettre aux commissions permanentes compétentes d'être alertées très tôt lorsqu'apparaissent certaines difficultés au regard des principes directeurs de la décentralisation (libre administration, subsidiarité, autonomie financière...) ou lorsque l'étude d'impact est manifestement défaillante ou lacunaire ;

- concernant les projets de décrets d'application , permettre à ces mêmes commissions d'être alertées avant toute publication, notamment lorsque les textes envisagées semblent méconnaître la volonté du législateur. En effet, une telle situation se présente trop souvent , notamment dans le domaine des collectivités territoriales. Les décrets ZAN 2 ( * ) en constituent malheureusement une « bonne » illustration .

Le Sénat conforterait ainsi son rôle de gardien vigilant du processus de fabrique des réformes impactant les collectivités territoriales. Cette nouvelle fonction parlementaire, qui s'inscrit dans une logique de dialogue constructif Parlement/Gouvernement, suppose un renforcement des liens du Sénat avec le CNEN . Ce dernier pourrait en effet jouer un rôle de filtre , de sorte que le Sénat exercerait cette fonction de veille et d'alerte uniquement en cas d'avis négatif du CNEN (soit environ 20 à 30 avis par an, dispositions législatives et réglementaires confondues).

La délégation pourrait par ailleurs désigner, en son sein, des « référents simplification » pour chaque commission. Ces référents seraient les porte-voix de la délégation au moment de l'examen des textes « collectivités » par lesdites commissions au sein desquelles ils pourraient développer les résultats des analyses de la fonction d'alerte et de veille sur un texte donné.

Cette proposition pourrait être mise en oeuvre à droit constant mais nécessiterait, pour être pleinement efficace, que le Gouvernement accepte de donner au Parlement accès aux projets de normes et d'études d'impact , dès examen par le CNEN, à l'instar de la décision du Président de la République en 2015 concernant la publicité des avis du Conseil d'État, qui n'a nécessité aucun texte juridique. Cet engagement du Gouvernement démontrerait sa volonté de protéger les collectivités et de respecter pleinement le rôle du Parlement, et singulièrement du Sénat, dans ce domaine.

6. L'IMPÉRATIF DE RELANCER LA SIMPLIFICATION DES NORMES PAR UNE CONCERTATION AU PLUS HAUT NIVEAU

Le rapport recommande enfin d'organiser au Sénat des États généraux portant sur la qualité, la nécessité et l'efficacité des normes imposées aux élus locaux. Cette manifestation, ouverte au public, permettrait une prise de conscience de la nécessité d'agir concrètement. (recommandation n°6). Le rapport démontre en effet que de nombreux engagements pourraient être pris rapidement et simplement, sans qu'il soit nécessaire de modifier les textes en vigueur, qu'ils soient constitutionnels, organiques ou législatifs.


* 1 Proposition de résolution n° 715 de M. Rémy Pointereau et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 16 juin 2022 ; texte disponible à cette adresse : http://www.senat.fr/leg/exposes-des-motifs/ppr21-715-expose.html

* 2 Décrets mettant en oeuvre les objectifs fixés dans le cadre de la loi dite « climat et résilience » du 25 août 2021 concernant le « zéro artificialisation nette » (ZAN).

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