C. AUDITION DE M. RENÉ TROCCAZ, CONSUL GÉNÉRAL DE FRANCE À JÉRUSALEM (23 FÉVRIER 2022)
M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, merci de vous être rendu disponible pour nous éclairer sur la situation dans les territoires palestiniens et sur l'avenir du processus de paix. Votre dernière audition s'était tenue le 9 juin 2021, quelque temps après la crise de Gaza et le cessez-le-feu du 21 mai, qui venait clore un épisode d'affrontements aussi inattendus que violents entre le Hamas et l'armée israélienne, mais également entre Israéliens juifs et arabes.
Depuis, la situation demeure fragile, car les ferments du conflit israélo-palestinien restent les mêmes, en dépit de la nouvelle donne politique israélienne. Nous avons entendu la semaine dernière la cheffe de la Mission de Palestine en France, madame l'ambassadrice Hala Abou Hassira. Celle-ci nous a rappelé la position de l'autorité palestinienne, ainsi que le consensus international en faveur de la solution à deux États et de la reconnaissance d'un État palestinien dans ses frontières de 1967 incluant la bande de Gaza et la Cisjordanie, avec Jérusalem Est comme capitale. Elle en a appelé à la France pour prendre l'initiative d'une conférence internationale afin de relancer la solution à deux États, je la cite, « avant qu'il ne soit trop tard ». En effet, force est de constater que le processus de paix est dans une impasse. Nous aurons besoin, monsieur l'ambassadeur, de votre analyse.
Comme vous le savez, le Sénat débat régulièrement de cette question. Nous avons examiné en décembre dernier la proposition de résolution de notre collègue Pierre Laurent en faveur de la reconnaissance d'un état palestinien aux côtés d'Israël. Certes, le Sénat n'a pas adopté cette proposition, mais ce n'était pas un geste d'hostilité à la création d'un État palestinien. De notre point de vue, une reconnaissance unilatérale n'accorderait qu'une souveraineté de papier, sans effet sur le processus de paix que nous appelons unanimement de nos voeux. Je rappelle qu'une précédente résolution de notre collègue Gilbert Roger avait été adoptée en 2014 pour inviter le gouvernement français à reconnaître l'État de Palestine.
Comme vous le savez, malgré le contexte international qui pourrait occulter le conflit israélo-palestinien, nous continuons à suivre avec beaucoup d'attention le sort du peuple palestinien. Grâce à vous, nous nous rendrons prochainement en Israël et dans les territoires palestiniens, avec une délégation exceptionnellement composée de neuf sénateurs, comprenant des présidents des groupes politiques représentés au sein de cette commission, afin de marquer l'importance que nous attachons à cette mission plusieurs fois retardée.
De votre point de vue, une alternative à la solution à deux États est-elle envisageable ? Vous nous direz si, du point de vue palestinien, l'option à un seul État assortie d'une égalité de droits de tous les sujets, qu'ils soient juifs ou arabes, est un point de réflexion.
Avant ce déplacement délicat, je voudrais vous remercier d'avoir mobilisé vos équipes. Je souhaite que vous nous livriez votre analyse sur deux questions complémentaires. Pensez-vous que la nouvelle coalition israélienne ne s'est pas formellement engagée dans la relance du processus de paix ? Elle délivre des messages qui nous apparaissent contradictoires, en soutenant d'une part l'Autorité palestinienne et en poursuivant d'autre part la colonisation. Quelle voix la France doit-elle porter pour aller dans le sens de la paix ?
Du côté palestinien, le report sine die des élections législatives et présidentielles, qui devaient avoir lieu en 2021, est difficilement tenable. Comment peut-on admettre que le peuple palestinien soit privé de droit de vote depuis près de 15 ans ? Quel crédit pouvons-nous accorder à l'annonce du président Abbas d'organiser ces élections dès que les scrutins pourront se tenir à Jérusalem ? Cet argument n'est-il pas mis en avant pour retarder le calendrier électoral ? De même, vous pourrez nous éclairer sur les perspectives de réconciliation interpalestiniennes.
Enfin, j'ai tenu à ce que nous puissions visiter la bande de Gaza et nous rendre compte par nous-mêmes de la réalité de sa situation humanitaire. Je vous invite donc à évoquer l'action de la France, et plus particulièrement de l'AFD - citée par Mme Abou Hassira comme un partenaire de référence. À l'inverse, la nouvelle ambassadrice d'Israël considère l'AFD comme « une ONG nationale qui en finance d'autres, qui elles-mêmes financent des armes côté des Palestiniens ».
M. René Troccaz, Consul général de France à Jérusalem. - Monsieur le président, merci beaucoup pour votre accueil et pour ces mots aimables. Comme toute mon équipe à Jérusalem, je suis ravi de cette mission importante par la qualité et le nombre de ses participants. Elle un double caractère : un segment israélien organisé par nos collègues et par mon ami Éric Danon, ambassadeur de France à Tel-Aviv, que vous avez récemment auditionné, ainsi que par le consulat général à Jérusalem et dans les territoires palestiniens.
Depuis ma dernière audition, en juin dernier, un nouveau gouvernement israélien a été nommé. Je ne l'évoquerai pas en détail, car j'imagine que mon collègue Eric Danon a eu l'occasion de le faire, mais je pourrai évoquer ses incidences sur le processus de paix. S'agissant de la perspective d'une relance diplomatique, dont nous sommes loin, nous constatons un attentisme américain. La situation de tension se poursuit, notamment en Cisjordanie. Comme vous l'avez évoqué, s'y ajoutent l'immobilisme et la paralysie des institutions palestiniennes et de l'Autorité palestinienne. Tout cela crée un paysage qui n'est pas satisfaisant, mais qui n'est pas non plus éternel. Nous sentons la montée d'une fébrilité généralisée à Jérusalem, dans les territoires palestiniens et en Israël, dans la perspective de l'arrivée du ramadan, au mois d'avril, qui coïncidera au demeurant avec les fêtes de Pâques juives et chrétiennes. Il s'agit d'un moment de grande tension potentielle, que nous devons garder à l'esprit. Je tiens à signaler les efforts, notamment des Américains, pour éviter que la situation ne déborde.
Dans ce contexte, le gouvernement français reste actif. Le 19 février s'est tenue une réunion du groupe dit « de Munich », qui réunit les ministres des affaires étrangères français, allemand, jordanien et égyptien. Ce « groupe des quatre » a réaffirmé la nécessité de fixer un horizon politique au processus de paix, alors même que l'actualité internationale, d'une part, et l'enlisement de la situation locale, d'autre part, créent le risque d'un certain découragement. Il est essentiel, de mon point de vue, de rester mobilisés sur ce sujet.
Le nouveau gouvernement israélien est hétéroclite et plus allant dans son discours vis-à-vis de la communauté internationale. Sur le terrain, la situation est toutefois plus nuancée. Ainsi, force est de constater que les violences des colons en Cisjordanie se poursuivent, posant la question du contrôle de ces personnes par les autorités. L'extension des colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est continue. Plus fondamentalement, nous constatons une sorte de dualité et de répartition des rôles entre le Premier ministre, Naftali Bennett - qui a fait savoir publiquement qu'il ne rencontrerait pas le président palestinien, Mahmoud Abbas, et qu'il ne considérait pas qu'il y ait lieu d'envisager la création d'un État palestinien -, et le ministre de la Défense, Benny Gantz, qui a rencontré à deux reprises le président Abbas à Ramallah et l'a reçu dans sa résidence de Jérusalem. L'homme du dialogue israélo-palestinien est donc le ministre de la Défense.
L'approche israélienne, telle que nous la comprenons, est assez sécuritaire - d'où le soutien à l'Autorité palestinienne sous ce prisme. D'une part, Israël dit publiquement son souci d'accompagner et d'aider l'Autorité palestinienne ; d'autre part, nous observons un certain nombre d'entraves, notamment s'agissant du transfert des recettes et revenus collectés par Israël pour le compte de l'Autorité palestinienne, particulièrement en ce qui concerne les droits de douane, systématiquement versés en retard. La conséquence est que les fonctionnaires palestiniens ne sont payés qu'à 70 % ou 80 % depuis des mois, y compris les forces de sécurité, ce qui provoque un risque de démobilisation. Nous parlons ici de 30 000 hommes armés des services de sécurité palestiniens.
L'approche d'Israël est plus allante sur le discours. Elle se veut principalement concentrée sur l'amélioration du quotidien des Palestiniens, ce qui peut se traduire par l'augmentation du nombre de permis de travail, tant en Cisjordanie qu'à Gaza, ce qui a une incidence considérable pour l'économie palestinienne. La priorité d'Israël est la sécurité, mais nous n'avons pas le sentiment d'une volonté de relance qu'un quelconque processus de paix.
Ces tensions sont quotidiennes en Cisjordanie et extrêmement sensibles à Jérusalem Est, qui constitue le coeur du conflit. Ainsi, les évictions, démolitions de maisons en vertu de titres de propriété contestés, installations de colons dans des domiciles occupés par des Palestiniens créent un contexte très fragile et potentiellement explosif dans ce très petit territoire.
Par ailleurs, le gouvernement israélien, sans doute inspiré fortement par les Américains et par la pression de la communauté internationale, souhaite faire des gestes de report de certaines mesures - en matière d'évictions ou s'agissant du report d'un grand plan de reconfiguration du mont des Oliviers. La pression sur la tension politique nécessite de ne pas aller trop vite et de manier tout cela avec précaution.
L'approche américaine épouse les contours de l'approche israélienne et vise à gérer le conflit de basse intensité, sans débordements, tout en améliorant la vie des Palestiniens - ce qui suppose un investissement dans l'économie, les modalités d'existence et les permis de travail, mais pas nécessairement la relance d'un grand plan de règlement du processus de paix. Nous ne pouvons pas comparer l'action de l'administration Biden avec celle de l'administration Trump. Celle-ci a en effet réaffirmé son soutien à la solution à deux États et s'est réengagée financièrement. Ainsi, les Américains ont apporté 450 millions de dollars non à l'Autorité palestinienne, mais aux Palestiniens - l'essentiel de ces montants étant la subvention américaine à l'UNRA. L'US Aid revient dans les territoires palestiniens, avec un budget de 130 millions de dollars annuels. Il y a donc une certaine forme de retour américain, lié à l'aide humanitaire, au développement de la société civile et des projets, ainsi qu'au domaine sécuritaire.
La promesse de campagne du candidat Biden de réouverture du consulat général américain à Jérusalem reste une question non tranchée à ce stade. A l'évidence, les Israéliens n'en veulent pas. Ayant eu l'occasion d'en parler avec des collègues américains à Jérusalem, j'ai compris que de nombreuses discussions étaient en cours à Washington pour tenter d'honorer cette promesse, sans décision concrète à ce stade.
Trois terrains doivent être distingués. Premièrement, en Cisjordanie, la situation est plus tendue qu'au cours des cinq dernières années, du fait de micro-incidents presque quotidiens qui rendent la vie très compliquée dans ce territoire où un habitant sur quatre est un colon israélien. La question de la viabilité de l'État palestinien se trouve posée par cette géographie physique, humaine et sécuritaire. Deuxièmement, la situation à Gaza se caractérise par un calme relatif et précaire grâce au retour de certains financements. Par l'intermédiaire du Qatar, quelque 30 millions de dollars mensuels permettent d'honorer les factures de fioul, l'aide aux familles les plus démunies, ainsi que par un biais détourné le financement des fonctionnaires de l'autorité de fait - le Hamas. Tout ceci est assuré en intelligence étroite avec Israël, l'objectif étant de maintenir le cap dans la bande de Gaza, avec la reconstruction de Gaza après la guerre de l'année dernière. Le ministre des Affaires étrangères israélien, Yaïr Lapid, a présenté un plan qui mérite d'être précisé, mais qui repose sur une équation « sécurité contre amélioration des conditions économiques à Gaza ». Je signale au passage que l'envoyé spécial des Nations Unies, M. Tor Wennesland, que j'ai rencontré avant de venir à Paris, travaille beaucoup sur Gaza avec pour priorité d'éviter que le Hamas ne fasse main basse sur l'économie locale, afin que celle-ci reste en capacité de se développer.
Troisièmement, en tant que coeur religieux et politique, Jérusalem est la mèche susceptible d'embraser la situation. Je ne reviendrais pas sur les risques, expulsions et tensions quasi quotidiennes. J'insiste sur le fait que les Américains, de manière discrète, mais très mobilisée, ont en réalité un agenda de sécurité concerté avec les autorités israéliennes qui consiste à calmer le jeu et éteindre les débuts d'incendie pour éviter une tension généralisée comme l'an dernier. Les Européens et la France sont dans une politique d'accompagnement et de plaidoyer, qui a son importance pour le rappel des fondamentaux et des obligations du droit international. Je citerai l'ancien ambassadeur d'Israël à Paris, désormais retraité, Élie Barnavi, homme de très grande valeur et acteur incontestable du camp de la paix, qui lors d'une conférence donnée dans l'un de nos centres culturels à Jérusalem, affirmait que « Jérusalem n'a jamais été aussi divisée ». Je rappelle que 40 % de la population de Jérusalem est palestinienne - ou plutôt qu'il s'agit d'Arabes israéliens ayant un statut de résident à Jérusalem.
Quatrièmement, l'immobilisme et la paralysie de l'Autorité palestinienne. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, les élections ont été reportées. La prochaine échéance est constituée par les élections municipales, prévues le 23 mars. Si celles-ci se tiennent - et nous l'espérons, dans de bonnes conditions -, elles donneront une indication de tendance sur le rapport de force politique au sein de la société palestinienne. Dans les grandes villes, ces élections sont toutefois largement facteur de tractations entre grandes familles.
La récente réunion, les 6 et 7 février, du conseil central de l'OLP, a montré des jeux d'appareil qui se traduisent par le contrôle croissant du président palestinien et de son entourage immédiat. Nous le voyons au travers de la promotion d'un certain nombre de personnes, tout particulièrement Hussein Al-Sheikh, qui fait figure d'étoile montante et de potentiel dauphin. Il convient toutefois de prendre en compte l'état de l'opinion et de la rue, car il s'agit d'un homme d'appareil. Nous notons en effet une forte défiance vis-à-vis de l'Autorité palestinienne faute d'élections, ainsi qu'une incompréhension et une critique croissante de cette dernière par l'opinion palestinienne.
D'une certaine manière, l'Autorité palestinienne est peut-être davantage soutenue par la communauté internationale, et paradoxalement par Israël, que par sa propre population. Ainsi, l'assassinat cet été de Nizar Banat, activiste des droits de l'homme et blogueur palestinien, par des services de sécurité palestiniens, a provoqué un fort émoi dans les territoires palestiniens. J'en veux également pour illustration les manifestations massives contre la vie chère de ces derniers jours dans les territoires palestiniens. Par ailleurs, si l'économie palestinienne rebondit après la crise du Covid, elle n'est pas en capacité d'absorber l'augmentation de la population. De plus, l'Autorité palestinienne attend toujours ses financements de l'Union européenne pour 2021, dont les modalités de versement sont actuellement débattues à Bruxelles. Depuis dix ans, l'Autorité palestinienne reçoit dix fois moins de financements extérieurs qu'en 2010.
En conclusion de cet exposé liminaire, monsieur le président, vous avez évoqué la solution à deux États. De plus en plus de voix doutent de sa faisabilité, y compris côté palestinien. Ayant à l'esprit les violences d'avril et mai 2021, nous pouvons nous interroger sur l'État unique qui serait alors mis en place. La question de sa majorité démographique pourrait se poser, point essentiel qui suscite des débats en Israël, point qui suscite des débats en Israël. Il pourrait également prévoir deux statuts différents pour ses citoyens. Rappelons toutefois que la moitié de la population entre le fleuve du Jourdain et la Méditerranée est palestinienne et culturellement arabe, avec des statuts différents (Jérusalem Est, citoyens de Cisjordanie, bande de Gaza, Arabes israéliens). Par ailleurs, 70 % de la population palestinienne a moins de 30 ans. D'ici 25 ans, au regard de la croissance démographique continue, il y aura à peu près 14 millions de Palestiniens et 3 millions d'Arabes israéliens, soit un ensemble humain de culture palestinienne de l'ordre de 18 à 19 millions d'habitants. Le différentiel de niveau de vie entre la Cisjordanie - sans même parler de la bande de Gaza - et Israël est d'un à quatorze. Ces statistiques sont celles du bureau des statistiques palestinien, qui recense aujourd'hui 3 millions de Palestiniens en Cisjordanie, plus de 2 millions dans la bande de Gaza, 350 000 résidents de Jérusalem-Est palestiniens et 2 millions de citoyens israéliens arabes, soit 20 % de la population israélienne. Ce total représenterait, à date, la moitié des citoyens de la solution à un État.
Les événements d'avril et mai dernier, dont nous espérons qu'ils ne se reproduiront pas, constituaient la première réaction unie depuis 1948 de tous les Palestiniens, quel que soit leur lieu de résidence : Jérusalem, Cisjordanie, bande de Gaza ou villes mixtes au sein même d'Israël. Le ministre de la Défense israélien, Benny Gantz, a ainsi estimé que ces tensions et violences entre citoyens israéliens, parfois très fortes, sont plus graves pour l'avenir d'Israël que ce qui se passe dans la bande de Gaza.
M. Christian Cambon, président. - Merci, monsieur l'ambassadeur, pour cet éclairage. Quel langage la France tient-elle par rapport aux autorités palestiniennes ? Quelles sont leurs attentes, quelle est la doxa en la matière ? Nous souhaitons en effet vous aider et ne pas créer de problèmes, sachant qu'un mot de trop peut créer beaucoup de difficultés.
M. René Troccaz. - La doxa est rappelée aujourd'hui ou demain au Conseil de sécurité des Nations Unies, qui tient une séance sur le processus de paix : deux États vivant côte à côte en sécurité, la reconnaissance des deux souverainetés israélienne et palestinienne, et Jérusalem comme capitale des deux États. Ce positionnement peut paraître répétitif, mais plus le temps passe et plus cette répétition est compliquée à maintenir.
Vous arriverez, par ailleurs, auréolés de la sympathie que portent les Palestiniens à la France. Ils se souviennent ainsi de l'hommage rendu par Jacques Chirac suite à la mort de Yasser Arafat et sont conscients du soutien que nous apportons quotidiennement - qu'il s'agisse de l'Agence française de développement (AFD), de l'action de la France dans tous les domaines de coopération, de notre soutien politique ou de nos positions constantes et équilibrées.
M. Christian Cambon, président. - Quelles seront les demandes des Palestiniens ?
M. René Troccaz. - Nous avons sollicité une entrevue politique avec le président Abbas, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. M. Abbas dirige les affaires avec une certaine fermeté, malgré ses 86 ans. Le Premier ministre, plus jeune, est un homme de valeur et a une bonne connaissance des affaires de développement ; toutefois, je crois comprendre que son avenir politique est peut-être questionné. Le ministre des Affaires étrangères avait été reçu en entretien par le président Larcher en novembre dernier.
Selon mon expérience, les questions posées sont toujours assez classiques et attendues. L'entretien commence généralement par des remerciements pour le soutien de la France de manière générale, puis se poursuit par une demande de reconnaissance de l'État palestinien. La ministre allemande des Affaires étrangères, lors de sa récente visite dans les territoires palestiniens, a eu droit à un plaidoyer en ce sens. Enfin, vos interlocuteurs indiqueront certainement que contrairement à ce qui est projeté auprès de la communauté internationale, le gouvernement israélien ne fait pas les gestes nécessaires pour permettre la relance du processus de paix ou conforter l'Autorité palestinienne.
L'objet de ce déplacement, tel que nous vous le soumettons, est de vous montrer le plus de facettes possible, c'est-à-dire le pouvoir politique, mais également la Palestine qui gagne, avec des jeunes remarquables qui répliquent, quelque part, le modèle israélien - start-uppeurs, banquiers d'affaires -, mais également la réalité de Gaza, qui est une singularité à elle seule, ainsi que la problématique de Jérusalem, où la France est présente au travers de ses domaines nationaux et de son action de coopération.
M. Gilbert Roger. - À chaque visite en Israël et en Palestine, j'ai eu le sentiment que la société civile palestinienne était extrêmement éloignée de l'Autorité palestinienne à Ramallah, et qu'elle attendait beaucoup d'une solution. Vous avez évoqué la piste de la création d'un État unique. En tant que parlementaire de l'OTAN, j'ai posé franchement cette question à deux reprises aux proches de M. Biden : ceux-ci n'arrivent pas à croire qu'un seul État, avec respect des droits de tous, soit une possibilité. Qu'en pensez-vous ?
Ma deuxième question concerne les chrétiens d'Orient. Je lisais encore récemment dans Le Figaro que l'affaire de la forêt sur le mont des Oliviers ne vise pas uniquement à créer un espace vert, mais bien à annexer tout un territoire au profit des juifs. Nos collègues constateront en passant devant le Tombeau des rois que celui-ci est quasiment fermé pour le protéger et le garder à disposition des religions.
Enfin, j'essaie, avec le ministre des Affaires étrangères, d'obtenir des informations sur la situation de notre compatriote franco-palestinien Salah Hamouri, qui vient d'être privé de tous ses droits en matière de protection sociale et santé. Ce dossier a-t-il avancé ?
M. Jacques Le Nay. - Monsieur l'ambassadeur, vous avez parlé de l'UNRA, et notamment des financements américains, ainsi que l'action menée par l'AFD en Palestine. Quelle place occupe l'enseignement du français dans les territoires palestiniens ? Quelle est la proportion de chrétiens dans la population palestinienne, et quelle place occupent-ils dans ces territoires ? Vivent-ils mieux que leurs voisins musulmans ?
Mme Isabelle Raimond-Pavero. - Alors que les autorités israéliennes ont toujours suivi d'un oeil particulièrement inquiet la reprise des négociations internationales à Vienne concernant le programme nucléaire iranien, les récentes avancées dans ce dossier laissent entrevoir la perspective d'un accord. Considérez-vous qu'il existe des divergences entre Israël et les États-Unis à ce sujet ? Pouvez-vous nous faire part de la position qu'adopteront les Israéliens, notamment vis-à-vis de l'Iran et de ses alliés, dans l'éventualité où cet accord venait à être entériné ?
M. Guillaume Gontard. - Merci pour cette description précise de la situation. L'ambassadrice de Palestine a estimé que la situation à deux États était en train de mourir et que la situation est particulièrement grave actuellement. Cependant, quelle pourrait être la solution d'un seul État, notamment en termes d'égalité des citoyens ? À votre sens, quelle est la position de la population sur ce point, sachant qu'elle compte 70 % de moins de 30 ans ? Comment cette jeunesse, qui n'a jamais exercé son droit de vote, pour les plus jeunes, perçoit-elle la situation ? Vous avez évoqué les élections municipales qui ont eu lieu dans les petites villes, et qui seront organisées dans les grandes en mars. L'ambassadrice a estimé que des législatives sans Gaza seraient une trahison. Ne s'agit-il pas d'un moyen de reconnaissance et d'appui du peuple palestinien ? Je souhaiterais en outre connaître votre avis sur le rôle des pays arabes voisins. Enfin, quelle est l'importance de la coopération décentralisée, et comment percevez-vous le fait que Gaza en soit exclue ?
M. René Troccaz. - Je confirme que la société civile est massivement éloignée de l'Autorité palestinienne. Je n'entends dans les territoires palestiniens que des propos critiques vis-à-vis de celle-ci. S'agissant de l'éventualité d'un État unique, jusqu'à présent, la solution à deux États pouvait constituer un problème tant pour Israël, qui a des réserves, que pour les Palestiniens, qui doit fournir un effort pour y parvenir. Dès lors que cette perspective disparaît, le problème devient celui d'Israël, à qui il appartiendra de définir ce que sera cet État, d'autant plus que depuis 1948, les Palestiniens installés dans l'espace géographique de l'ancienne Palestine sous mandat britannique ne partent pas. Cette question ouverte serait donc un problème israélien à l'avenir. Par ailleurs, les Américains ne parviennent pas à croire à la solution à un seul État, car sa nature risquerait d'être contestée par la démographie.
S'agissant des chrétiens d'Orient, le projet de reconfiguration du Mont des Oliviers en parc archéologique est un sujet extrêmement sensible. C'est à mon sens pour cette raison que les autorités israéliennes ont reporté la décision, sous la pression discrète mais ferme des Américains.
Vous m'avez interrogé sur la situation de notre compatriote franco-palestinien, Salah Hamouri. J'ai demandé la semaine dernière à mes services de se mettre en rapport avec lui, pour voir si nous pouvions le faire bénéficier de droits à la sécurité sociale française.
L'enseignement du français a une place modeste dans les territoires palestiniens, dont il reste la seconde langue, loin derrière l'anglais. Avec le ministère palestinien de l'Éducation, nous travaillons à la mise en place d'un mécanisme permettant de présenter le français au baccalauréat. Dans ce cadre, l'Institut français prendrait en charge un certain nombre d'épreuves. Ce point s'inscrit dans les recommandations du rapport de Charles Personnaz sur les chrétiens d'Orient.
À ce sujet, il est à noter que seul 1 % des Palestiniens sont chrétiens, contre 10 % en 1948. En revanche, 20 % des élèves scolarisés dans les territoires palestiniens en Cisjordanie le sont dans des établissements chrétiens du patriarcat latin. Il s'agit donc d'une minorité très active, mais démographiquement réduite.
Madame Raimond-Pavero, je suis embarrassé pour vous répondre sur le nucléaire iranien, car mes collègues de Tel-Aviv ou de Téhéran seraient plus compétents en la matière. Il s'agit d'un sujet d'importance pour Israël, certainement plus prégnant que la question des territoires palestiniens. Cette menace pour Israël ne doit pas pour autant conduire à négliger la réalité du conflit israélo palestinien.
Monsieur Gontard, vous avez reposé clairement la question de la définition d'un seul État, à laquelle nous ne pouvons répondre que par des points d'interrogation perplexes et préoccupés. À mon sens, ce cheminement se fait dans les cercles politiques et sécuritaires d'Israël, qui mettent en garde contre le risque d'une remise en cause de toute la construction d'Israël depuis 1948. Les pays arabes voisins sont inquiets ; le plus inquiet d'entre eux est la Jordanie, dont 70 % de la population est d'origine palestinienne et dont le roi a un rôle de protecteur des lieux saints musulmans à Jérusalem. Le Waqf, autorité cultuelle jordanienne, administre notamment l'esplanade des Mosquées, la sécurité extérieure en étant assurée par les Israéliens. Les Égyptiens sont à la manoeuvre dans la bande de Gaza ainsi que dans le dialogue entre les factions palestiniennes. Les Russes leur ont probablement confié le relais des discussions entre le Hamas et le Fatah. De fait, rien ne se fait dans la bande de Gaza sans l'aval de l'Égypte.
Il y a quatre jours, j'ai accompagné à Jérusalem une délégation sur la coopération décentralisée composée d'une cinquantaine d'élus, représentants de municipalités, experts, ainsi que de représentants du Réseau de coopération décentralisée avec la Palestine (RCDP). Ce dernier a mis en place un programme particulièrement riche à Jérusalem Est et dans les territoires palestiniens. Il s'agit d'une dimension importante de l'activité du consulat général de Jérusalem.
M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, confirmez-vous que plus de 500 ONG interviennent dans les territoires palestiniens ?
M. René Troccaz. - Cet ordre de grandeur me semble correct, en comptant les ONG palestiniennes et internationales, notamment françaises, mais également les ONG israéliennes. Parmi ces dernières, les ONG de plaidoyer de la paix, à l'instar de B'Tselem, sont particulièrement critiques de l'action des autorités israéliennes dans les territoires palestiniens.
Mme Vivette Lopez. - Je souhaiterais un complément d'information sur la situation de la jeunesse. Comment les jeunes palestiniens vivent-ils la situation, s'agissant de leurs études ? Partent-ils étudier à l'étranger ? Des échanges sont-ils organisés, des étudiants étrangers viennent-ils étudier dans les territoires palestiniens ? Par ailleurs, qu'en est-il de la protection du patrimoine ? Enfin, les événements en Russie et en Ukraine sont-ils un sujet de préoccupation pour les Palestiniens ?
M. Pierre Laurent. - Monsieur l'ambassadeur, je vous remercie pour le rappel des équilibres démographiques, qui mettent en perspective la question de la solution à un ou deux États. Cependant, enterrer la solution à deux États revient à prendre le risque d'entériner le fait accompli, soit un État - Israël - et des « réserves », camps et territoires occupés par des citoyens sans droits, pourtant très nombreux.
Une initiative citoyenne européenne vient d'être lancée pour rassembler un million de signatures afin de demander un débat sur l'interdiction de la commercialisation des produits issus des colonies. Au-delà de cette question, où en sont vos rapports avec vos partenaires de l'Union européenne, actuellement présidée par la France ? Dans le cadre de l'Union européenne, de nouvelles initiatives sont-elles possibles, au-delà de la réaffirmation formelle ?
Enfin, le calendrier des élections palestiniennes se précise-t-il ?
M. François Bonneau. - Monsieur l'ambassadeur, vous avez évoqué dans votre propos liminaire le mois d'avril. Pouvez-vous revenir sur la situation entre les communautés religieuses et au sein de chaque communauté ? Dans le monde musulman, quelles sont les relations entre les chiites, sunnites et les Druzes ? Existe-t-il des tensions au sein des communautés chrétiennes ? En Israël, qu'en est-il des relations entre les ultra-orthodoxes et le reste de la population juive ?
M. Hugues Saury. - L'Agence française de développement est très présente dans ces territoires et indique consacrer 865 000 euros répartis sur trois ans afin de donner « des repères citoyens » aux enfants et aux jeunes Palestiniens de Jérusalem-Est. Le but semble être de leur assurer un accompagnement, afin que ces derniers s'engagent durablement, à l'intérieur et à l'extérieur du cadre scolaire. Pouvez-vous expliquer le constat qui a conduit à cette opération et en présenter un premier point d'étape ?
Mme Nicole Duranton. - Monsieur l'ambassadeur, que pensez-vous des statistiques officielles du ministère français de l'Intérieur et de l'Agence juive, en Israël, qui précisent que lorsque l'antisémitisme augmente en France, les départs vers Israël augmentent l'année suivante ? Ces dernières années, 60 000 personnes seraient ainsi parties vivre en Israël. Est-ce une réalité ?
M. Yannick Vaugrenard. - Ne pensez-vous pas que la solution pour Israël soit plutôt à deux États ? Elle semble en effet évidente lorsque 70 % de la population palestinienne a moins de 30 ans, avec toutefois des réserves sur les terres colonisées. Par ailleurs, vous avez indiqué que le ministre de la Défense avait une approche logiquement sécuritaire et était en première ligne dans la négociation. De plus, les Palestiniens semblent se tourner davantage vers des votes radicaux que vers l'OLP. Ne pensez-vous pas qu'Israël et la communauté internationale doivent apporter des réponses aux conditions sociales des Palestiniens, et en particulier des jeunes ?
Vous avez souligné que certains de ces jeunes envisageaient de créer des start-ups, sur le modèle occidental, mais une grande partie de cette jeunesse fait face à des conditions sociales d'existence délicates. Ne pensez-vous pas que le rôle d'Israël et de la communauté internationale serait de renforcer l'approche économique et sociale pour éviter que des votes radicaux remplacent l'OLP ?
M. René Troccaz. - Les Palestiniens étudient en premier lieu en Palestine, qui compte 18 universités, en majorité privées. La plus grande d'entre elles, située à Naplouse et forte de 30 000 étudiants, reçoit un tiers d'étudiants arabes israéliens, notamment en médecine. Dans le nord de la Cisjordanie, à Djénine, la proportion d'étudiants arabes israéliens accueillis est encore supérieure. Les Palestiniens étudient également dans le reste du monde arabe (Jordanie, Égypte), puis tout particulièrement en Turquie, qui attribue dix fois plus de bourses d'études complètes que la France. La Turquie réalise à bas bruit un très important travail de soft power dans la région et dans les territoires palestiniens. Enfin, certains jeunes Palestiniens étudient aux États-Unis, au Royaume-Université ou en France. Je serai ainsi demain à Campus France pour présenter le cadre des études aux universités françaises, en présence de l'ambassadrice de Palestine à Paris. De plus, un événement Campus France réunissant les anciens étudiants palestiniens a regroupé plus de 300 personnes en début d'année. Il est à noter que les Palestiniens sont parmi les peuples les plus formés et éduqués de la région.
La question de la protection du patrimoine est embarrassante, car celui-ci est menacé de toute part, que ce soit par le temps qui passe, la modernité ou par la situation des territoires palestiniens. La question est de savoir qui protège quoi. Ainsi, 60 % de la Cisjordanie est sous contrôle israélien ; les Palestiniens n'ont donc pas la capacité d'en protéger le patrimoine.
La planète entière s'intéresse au conflit russo-ukrainien et la Russie est un acteur majeur du Proche-Orient. Il s'agit cependant à ce stade d'un sujet secondaire pour les Palestiniens, et certainement également pour les Israéliens.
Monsieur Pierre Laurent, le risque que vous évoquez est déjà valable sur le terrain, où la situation d'entre-deux laisse le champ libre à une dégradation lente. La communauté internationale ne doit pas abandonner la solution à deux États, que soutiennent toujours les États-Unis. Sur la durée, la solution d'un État comprenant des droits différenciés selon les populations s'avérerait très difficile à imposer au regard de la vigueur, de la compétence, du niveau de formation et de l'exigence de la jeunesse palestinienne.
Les rapports avec l'Union européenne sont un débat constant, car tous les Européens n'ont pas la même sensibilité et la même approche du conflit israélo-palestinien. La France réaffirme le droit international, mais certains pays européens ont adopté une approche assez différente telle que la Hongrie.
La question des élections palestiniennes engendre une grande frustration. Compte tenu de sa jeunesse, plus de la moitié de la population aurait voté pour la première fois de sa vie lors des élections de 2021 qui ont finalement été reportées. La mobilisation était forte, avec 93 % d'inscrits sur les listes électorales et 90 listes. L'annulation des élections a généré une grande frustration.
Au sujet des relations entre groupes religieux, nous avons trop souvent affirmé que le conflit israélo-palestinien n'était pas un conflit religieux. Il me semble en effet difficile d'en évacuer totalement cette dimension. Les relations sont relativement étanches, avec une pratique du « chacun chez soi ». Il existe parfois beaucoup de distance au sein même des groupes religieux. En Israël, nous constatons une évolution du judaïsme et une évolution démographique confortant année après année la proportion des juifs orthodoxes. De 12 % de la population israélienne, leur démographie galopante les porterait à 30 % d'ici 25 ans. Composée de 40 % de citoyens arabes, 30 % d'Israéliens laïques et 30 % d'orthodoxes, Jérusalem offre, par anticipation, une image de ce que pourrait être Israël d'ici 20 ou 30 ans. Il existe parfois des tensions entre chrétiens, mais si ceux-ci restent une force symbolique importante, ils ne représentent que 1 % de la population de Jérusalem. Ils détiennent un fort patrimoine, qui attise les convoitises et les tensions vis-à-vis de ceux qui convoitent ces biens ainsi qu'en interne, au sein des églises chrétiennes. Les territoires palestiniens ne comportent pas de chiites. Les Druzes sont majoritairement israéliens et très fidèles à Israël. Il convient toutefois de poser la question de la montée de l'islamisme dans les territoires palestiniens et en Israël, sur lequel m'avait alerté Monseigneur Michel Sabbah, ancien patriarche latin de Jérusalem. Il convient de rappeler que toutes les tensions et manifestations d'avril-mai dernier à Jérusalem ne sont pas le fait de Palestiniens des territoires occupés, mais de personnes résidant à Jérusalem et d'Arabes israéliens qui s'y sont rendus.
L'AFD a un programme de 8 millions d'euros à Jérusalem visant à soutenir la société civile. Elle réalise un travail de pointillisme - soutien aux activités de la société civile, à des activités associatives, économiques, sportives et culturelles. De manière pragmatique et politique, son action permet maintenir la solution à deux États ainsi que la diversité de Jérusalem. Ce programme est critiqué par certaines ONG, certains groupes ou lobbys, qui reprochent à l'AFD et à l'union européenne d'agir pour préserver la diversité culturelle et humaine de Jérusalem.
Madame Duranton, vous m'avez interrogé sur l'Alyah, soit le départ de nos concitoyens juifs de France face à l'antisémitisme. J'ai plutôt à l'esprit un ordre de grandeur de 3 000 départs par an. La question est de savoir ce qu'est un départ, car de nombreuses personnes réalisent des aller-retour entre France et Israël. Ainsi, nous recensons 45 000 Français ou Franco-Israéliens dans la circonscription consulaire de Jérusalem, dont 22 000 inscrits au Consulat général et 17 000 en âge de voter. Certaines personnes viennent en Israël pour des raisons idéologiques et spirituelles, d'autres parce qu'elles se sentent menacées en France, d'autres pour des raisons fiscales et d'autres encore pour rejoindre de la famille.
Enfin, serait-il préférable pour Israël d'avoir deux États ? Ce n'est pas à moi de répondre, mais le sentiment de beaucoup d'Israéliens y est favorable. De tous les pays au monde, Israël est sans doute celui qui a le plus intérêt à la stabilisation des territoires palestiniens. L'indispensable amélioration des conditions de vie des Palestiniens pour éviter la radicalisation des esprits, à laquelle travaillent les Américains et la communauté internationale, ne remplacera pas l'avenir politique. Nous ne ferons pas l'économie d'un traitement du fond de ce sujet. La perspective de deux États semble s'étioler ; toutefois, après deux ans et demi à Jérusalem, j'ai la conviction forte que la question palestinienne est une question d'avenir.
M. Christian Cambon, président. - Monsieur l'ambassadeur, de votre point de vue, quel est le plus grand obstacle à la solution à deux États ? Est-ce la géographie « en peau de panthère » héritée de l'histoire et de la colonisation, ou bien est-ce la situation de Jérusalem-Est, régulièrement remise en cause par Israël ?
M. René Troccaz. - Ces deux questions influent, quoi que de manière différente. Comme vous le verrez, la colonisation concerne un très petit territoire. En effet, la Cisjordanie a la superficie d'un département français. Sa population est composée pour un quart d'Israéliens, qui n'ont pas les mêmes voies d'accès, qui bénéficient d'une liberté de déplacement accrue, mais qui ne peuvent se rendre dans certains endroits. Nous ne voyons pas de continuité territoriale ou de viabilité de ce micro-archipel particulièrement touffu. La question de Jérusalem est autre, car elle est coupée de la Cisjordanie. En revanche, Jérusalem reste le coeur sensible de la région. Il serait naïf de considérer que les Palestiniens se désintéresseraient de Jérusalem, d'autant plus que celle-ci constitue un sujet mondial pour l'ensemble des musulmans. Il n'est pas possible d'y toucher sans risque.
M. Christian Cambon, président. - Cette réalité géographique semble en effet difficile à appréhender tant qu'on ne l'a pas vue.
Merci, monsieur l'ambassadeur, pour cette communication précise et passionnante. Avec votre soutien, nous nous attacherons à porter un certain nombre de messages au cours de cette mission parlementaire. L'une des problématiques est que les crises qui éclatent dans le monde tendent à repousser le conflit israélo-palestinien en « seconde division » dans notre opinion publique. Pourtant, nous savons que ce conflit en conditionne bien d'autres et est utilisé pour faire prendre les armes, y compris parfois dans certains de nos quartiers.