D. L'EXCÉDENT D'EAU : UN RISQUE QUI DOIT AUSSI ÊTRE PRIS EN COMPTE
1. L'eau destructrice : la France exposée
Si l'attention du public est attirée d'abord et avant tout par les conséquences du réchauffement climatique sur la disponibilité de l'eau durant la saison chaude et sur les épisodes de sécheresse, l'eau peut, à l'inverse devenir brutalement et dangereusement surabondante. La gestion de l'eau doit ainsi prendre en compte également ces situations, qui, conséquence également du réchauffement climatique, sont aussi plus fréquentes.
Les inondations constituent le premier risque, bien connu, lié à la surabondance de l'eau. On estime qu'en France 17 millions d'habitants sont exposés aux inondations par débordement de cours d'eau et 1,4 million par submersion marine. Les inondations coûtent cher : elles représentent 60 % des indemnisations versées au titre des catastrophes naturelles soit en moyenne 7,3 milliards d'euros par an.
Les crues lentes , liées à des pluies importantes sur plusieurs semaines voire plusieurs mois, comme pour la Seine en juin 2016 et en janvier 2018, sont contenues par des aménagements réalisés depuis de nombreuses décennies : des barrages et des lacs de retenue (comme les grands lacs artificiels de Bourgogne et de Champagne, destinés à écrêter les crues de la Seine) ou encore des digues. Il s'agit d'entretenir ces ouvrages pour qu'ils continuent à protéger les zones habitées.
Les crues soudaines , qui se produisent dans les vallées ou en contrebas de collines, concernent plutôt des petits cours d'eau, déversoirs de précipitations considérables tombant sur une courte période. La recrudescence des épisodes cévenols (appelés aussi épisodes méditerranéens) expose de vastes territoires à un risque d'inondation soudaine et destructrice, comme dans les Alpes-Maritimes en 2015 ou dans l'Aude en 2018.
Des précipitations importantes, en gorgeant d'eau les sols, peuvent également provoquer des glissements de terrain tant en plaine (comme en Allemagne en 2021 à Erfstadt-Blessem) qu'en zone plus montagneuse, comme dans les vallées de la Roya, de la Tinée et de la Vésubie après le passage de la tempête Alex en octobre 2020.
Pour y faire face, la France a défini une stratégie nationale de gestion des risques d'inondation (SNGRI), visant à mieux identifier les secteurs à risque et à mener des actions de réduction de la vulnérabilité des territoires. L'État assure également une veille des risques de crue à travers le dispositif Vigicrues 47 ( * ) alimenté par les stations disposées sur les 22 000 km de cours d'eau.
La mise en oeuvre des mesures concrètes destinées à se protéger des inondations relève ensuite du niveau local, à travers les plans de prévention du risque inondation (PPRI) qui visent à contrôler le développement urbain en zone inondable et à préserver les zones d'expansion des crues, ou encore l'exercice de la compétence GEMAPI par les intercommunalités. Des programmes d'actions de prévention des inondations (PAPI) touchent aujourd'hui près d'un tiers des communes de France.
L'imperméabilisation des sols et le développement urbain ont plutôt eu tendance à accroître la vulnérabilité des territoires à des situations de surabondance de l'eau , en renforçant les effets de ruissellement au détriment de l'infiltration de l'eau dans le sol. La désimperméabilisation s'impose donc comme une politique souhaitable pour réduire l'exposition au risque et pour améliorer la résilience face aux épisodes météorologiques extrêmes.
2. Pour limiter l'ensemble des risques : favoriser les solutions fondées sur la nature.
Qu'il s'agisse de faire face aux excès d'eau ou à son insuffisance, les « ratés » de l'aménagement sont considérés comme des facteurs contribuant à l'aggravation des risques. Dans le but de maximiser les effets utiles de l'eau, la politique suivie est appelée à favoriser les solutions fondées sur la nature (SFN). Ce concept de SFN a été mis en avant depuis une dizaine d'années par l'Union internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
L'objectif de telles solutions consiste, selon l'UICN, à « protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité ». Finalement, ces solutions poursuivent en même temps le double but de protéger la nature tout en en tirant le meilleur potentiel pour satisfaire les besoins humains.
Ce concept trouve naturellement un terrain propice de mise en oeuvre dans le cadre de la gestion de l'eau. Il passe par la désimperméabilisation des sols visant à maintenir une réserve d'humidité lors des sécheresses mais aussi à favoriser l'infiltration des eaux de pluie et ainsi à limiter les risques d'inondations, la préservation ou la restauration des zones humides, la restauration hydromorphologique des cours d'eau (par exemple la restauration des lits mineurs d'un cours d'eau) ou encore la végétalisation des bassins versants et des berges des cours d'eau 48 ( * ) .
La mise en application de ces mesures n'est pas toujours facile à accepter, car elle passe par la remise en cause d'aménagements passés, comme la destruction d'anciennes digues ou d'enrochements, l'effacement de plans d'eau, la remise en place de tourbières ou de marais qui avaient été asséchés pour être mis en valeur.
Tous les SDAGE 2022-2027 qui viennent d'être adoptés prévoient d'adoption de telles solutions. Si l'idée est séduisante, leur mise en oeuvre s'avère cependant compliquée . Prévoir à l'avance la manière dont un écosystème va réagir à des aménagements de renaturation se heurte à une incomplétude des connaissances scientifiques. C'est pourquoi, ces solutions ne constituent pas une recette toute faite et facilement reproductible, mais plutôt une orientation, dont la mise en oeuvre doit faire l'objet d'adaptations locales négociées avec l'ensemble des acteurs et d'expérimentations non reproductibles puisque chaque territoire a ses caractéristiques propres.
L'imposition d'un cadre général de solutions fondées sur la nature, dans une approche administrative et bureaucratique, constituerait la pire des approches, coûteuse pour les finances publiques, suscitant le mécontentement des parties prenantes impactées, avec finalement un risque que les solutions proposées posent autant de problèmes dans la gestion de la ressource en eau à long terme qu'elles n'en résolvent, en laissant ouverts les conflits d'usage sur les territoires.
Source : UICN
Conclusion
La raréfaction de l'eau disponible, en particulier durant les périodes d'étiage, est source potentielle de conflits entre les différents utilisateurs. Si les tensions ne sont aujourd'hui pas ingérables, la sécheresse récurrente met en danger les activités agricoles, le refroidissement des centrales nucléaires ou encore l'approvisionnement en eau potable de communes dont les réseaux d'adduction d'eau sont fragiles . Parallèlement, la surexploitation de la ressource en eau est susceptible de mettre en danger les écosystèmes, d'assécher les zones humides, et au final, d'entraîner un cercle vicieux du manque d'eau.
La stratégie de sobriété est aujourd'hui privilégiée mais elle conduit à des remises en cause parfois difficiles de pratiques, notamment de pratiques agricoles, alors que les besoins en irrigation pourraient être amenés à progresser sous l'effet de l'élévation des températures.
Or, dans le même temps, les mêmes territoires qui connaissent des sécheresses récurrentes l'été peuvent recevoir des précipitations considérables et destructrices à l'automne, durant l'hiver, voire au printemps. Dès lors, la recherche d'une plus grande capacité à stocker l'eau, à travers des retenues, ou en facilitant son infiltration dans les sols afin d'en conserver l'humidité et de recharger les nappes, semble pertinente. L'acceptabilité sociale du fait de retenir l'eau est de plus en plus délicate, exacerbée par les réseaux sociaux et de nouvelles formes de militantisme. Or, retenir l'eau et la gérer font partie de l'histoire de l'humanité. C'est dans la recherche d'un partage des usages plutôt que la recherche de l'exclusivité des usages que devront certainement se développer les projets relatifs à l'eau dans les années à venir.
Échapper au conflit d'usage est quasi impossible , puisque, comme l'indique Erik Orsenna dans son dernier ouvrage « La Terre a soif », il est difficile de choisir entre les différents usages de l'eau, tous prioritaires. Le droit français ne priorise d'ailleurs pas clairement les différents usages et laisse la détermination des bons équilibres aux acteurs locaux.
Des perspectives favorables pour tous nécessitent de compléter la stratégie de sobriété par des actions visant à ralentir la course de l'eau vers la mer, pour la maintenir disponible au moment où on en aura besoin, c'est-à-dire durant la saison chaude.
* 47 https://www.vigicrues.gouv.fr/
* 48 https://uicn.fr/les-solutions-fondees-sur-la-nature-risques-eau/