B. LA FRANCE TOUCHÉE PAR LES PERTURBATIONS DU CYCLE DE L'EAU
1. Un changement global du régime des pluies mais encore beaucoup d'incertitudes
La France ne sera pas épargnée par les changements du cycle de l'eau dans les décennies qui viennent . D'une manière générale, l'Europe du Sud se situe en bordure haute de la zone qui devrait connaître, en moyenne, de moindres précipitations annuelles. La partie septentrionale du pays est moins susceptible d'être affectée par cette raréfaction, sans en être totalement exempte pour autant.
Les experts n'anticipent pas une baisse générale du volume annuel des précipitations sur l'ensemble de la France hexagonale . Le seul consensus scientifique est celui d'une diminution des pluies en été (de l'ordre de 16 à 23 %), comme mis en évidence par le projet Explore 2070 27 ( * ) , qui devrait être compensée par une augmentation des précipitations l'hiver. Les pluies, lorsqu'elles se produisent, devraient aussi être plus intenses et donc potentiellement plus dévastatrices .
Avec le réchauffement climatique, nous devrions connaître des étés plus chauds et plus secs, avec des tensions sur la ressource qui dureront bien plus longtemps qu'aujourd'hui.
D'après les données transmises par les experts de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) lors de leur audition, ce sont nos eaux de surface qui seront les plus affectées. Nous devrions connaître une baisse des débits moyens annuels des cours d'eau assez prononcée , de l'ordre de 10 à 40 %, en particulier sur les bassins Seine-Normandie et Adour-Garonne et une baisse encore plus forte des débits d'étiage. Les débits minimum biologiques pourraient être atteints sur de nombreux cours d'eau, en particulier dans le Sud-Ouest.
Source : INRAE
Mais les eaux souterraines sont elles aussi concernées par les changements à venir. Le rythme de recharge des nappes devrait se ralentir, avec des temps de recharge plus longs, à pression anthropique constante. Autrement dit, pour conserver un niveau piézométrique constant de nos nappes, il faudra probablement moins les exploiter.
Plus généralement, les experts considèrent que nous allons être exposés à une plus grande variabilité intra-annuelle et interannuelle des précipitations , avec un accroissement des contrastes spatiaux et temporels. La forte variabilité du régime des précipitations que connaîtra chaque territoire induira une grande variabilité de la ressource, qui deviendra mécaniquement plus difficile à prévoir et donc à gérer. Il s'agit là d'un défi organisationnel important auxquels seront confrontés un nombre croissant de territoires.
Les projections d'Explore 2070 et des autres travaux de modélisation permettent de dégager une tendance générale, mais il est difficile de les décliner à une échelle géographique fine. Il pourrait ainsi y avoir d'importantes variations régionales voire infrarégionales, d'où la nécessité de construire des scénarios locaux.
2. Une déclinaison différenciée selon les bassins
Source : Office International de l'eau
a) Le bassin Adour-Garonne
Le bassin Adour-Garonne est un territoire très rural, avec une urbanisation concentrée le long de la Garonne et sur le littoral. Le réseau hydrologique est principalement constitué de petites rivières, nichées dans des petites vallées, avec des débits modestes. La ressource en eau est déjà en tension. On constate aujourd'hui une pression significative sur environ 20 % des masses d'eau du bassin en période d'étiage, majoritairement à cause de l'irrigation agricole, dans les plaines alluviales de la Garonne, de l'Adour, de la Charente et la Neste. Le phénomène est particulièrement prononcé pour les nappes profondes, dont 22 % sont jugées en état médiocre.
Le plan d'adaptation au changement climatique (PACC) adopté par l'Agence de l'eau Adour-Garonne 28 ( * ) anticipe un déficit quantitatif en eau sur l'ensemble du bassin passant de 200 à 250 millions de m 3 par an actuellement à 1 milliard de m 3 en 2050 à stocks et usages constants . Or, dans le même temps, on anticipe une hausse de la population d'environ 1,5 million d'habitants, ce qui conduit à augmenter les besoins en eau potable, actuellement puisée essentiellement en surface. Or, une partie du territoire (comme la Charente-Maritime) est déjà sous tension concernant l'eau potable.
Le bassin a une grande sensibilité à la hausse de température. L'évapotranspiration du sol et des plantes pourrait augmenter de 10 à 30 %, entraînant une hausse de la sécheresse des sols. Le réchauffement climatique devrait aussi augmenter la température moyenne des cours d'eau. Les débits moyens des cours d'eau pourraient baisser de 50 %, dans un contexte où les pluies efficaces devraient se réduire d'un tiers.
Dans ce contexte, il paraît indispensable d'économiser l'eau, mais aussi de compenser la modification de l'hydrologie en favorisant les transferts et/ou les stockages pour rendre l'eau disponible l'été.
b) Le bassin Rhône-Méditerranée-Corse
L'Agence de l'eau, sur ce bassin, a effectué le bilan des connaissances scientifiques sur les effets du changement climatique pour l'eau en 2012, en 2016 et dernièrement en 2022.
Ces projections confirment la tendance établie au réchauffement et à l'assèchement, qui devraient s'aggraver du fait du changement climatique. La recharge pluviale des nappes et les débits des cours d'eau devraient diminuer. La baisse serait plus marquée en période d'étiage (-10 à -60% à l'horizon 2070 selon les cours d'eau). Elle est également plus marquée au sud du bassin. D'ores et déjà, le secteur des Alpes du Sud, alimenté par la Durance et le Verdon, connaît une réduction des débits, qui a été particulièrement spectaculaire cet été, avec des grandes retenues (lac de Sainte-Croix, lac de Serre-Ponçon) dont le niveau était de 10 mètres en dessous de leur niveau habituel à la même période.
Les précipitations neigeuses ont sensiblement diminué lors des 60 dernières années. Le couvert neigeux devrait se réduire fortement dans les décennies à venir, ce qui modifiera les régimes hydrologiques du fait de la perte du rôle de stockage/déstockage de la neige.
La contribution des glaciers à l'hydrologie des cours d'eau diminue progressivement et pourrait devenir quasi nulle d'ici la fin du siècle . Le Rhône, au sein du bassin, a un comportement atypique, avec un débit fortement soutenu durant l'été par la fonte des glaciers. Mais cette situation ne devrait durer que jusque vers 2070-2100, date à laquelle les glaciers auront totalement disparu.
Débits moyens des fleuves français et
débit moyen en août
(source : Agence de l'eau
Rhône-Méditerranée-Corse)
Sera-t-on capable de maintenir des prélèvements bruts (hors stockage et hors refroidissement de centrales) à environ 5,2 milliards de m 3 par an sur le bassin ? 20 % des prélèvements se font dans le Rhône ou sa nappe et 80 % dans ses affluents ou leurs nappes. Les prélèvements sont concentrés sur l'aval du bassin, en particulier sur la Durance, avec de forts besoins pour le remplissage des barrages alpins en mai et de forts besoins (60 % des prélèvements) pour l'irrigation agricole en juillet. Toutefois, même au plus fort de la saison sèche, en juillet, les prélèvements ne correspondent qu'à 15 % des 3,7 milliards de m 3 qui coulent alors dans le Rhône. Les prélèvements futurs pourraient donc s'accroître sans grande difficulté (de 70 à 140 millions de m 3 pour l'agriculture et de 67 millions de m 3 par an pour l'alimentation en eau potable du fait de la croissance démographique du bassin rhodanien).
Les inquiétudes se situent plutôt au niveau des affluents du Rhône et dans la capacité à gérer les contrastes inter-saisonniers , avec plus de pluies l'hiver et moins de pluies l'été. Le plan de bassin d'adaptation au changement climatique (PBACC) prévoit ainsi une fragilisation des têtes de bassin et une baisse probable du niveau des nappes, ce qui induit une stratégie d'économie d'eau et de limitation de l'assèchement des sols, mais aussi de développement d'usages moins sensibles aux aléas.
c) Le bassin Loire-Bretagne
Le bassin Loire-Bretagne est certainement moins touché que d'autres par la problématique du réchauffement climatique et l'est plus sur sa partie Est que sur sa partie Ouest, où prédomine le climat océanique. Les perspectives sont cependant loin d'être stables :
- La température de l'air devrait augmenter, principalement sur le sud des Pays-de-la-Loire, le Poitou-Charentes, le Centre-Val-de-Loire et la Bourgogne. Le nombre de jours anormalement chauds en Auvergne pourrait passer de 60 à 120 jours par an. La température de l'eau devrait aussi s'élever d'environ 1,6°C pour les eaux de surface et davantage encore pour les plans d'eau.
- L'évapotranspiration et la sécheresse des sols devraient se développer principalement en Bretagne, Limousin et Auvergne.
- Le cumul de précipitations annuelles devrait peu changer, mais les pluies devraient être moins fréquentes en été et on anticipe entre 1 et 4 jours supplémentaires de précipitations extrêmes.
- Le débit moyen annuel des cours d'eau devrait baisser, certes moins que sur le bassin Adour-Garonne, mais de manière significative, entre 10 et 40 % selon les cours d'eau. Pour leur part, les débits d'étiage devraient baisser très fortement et la vitesse de recharge des nappes pourrait se réduire.
Les prélèvements s'élèvent à 4,2 milliards de m 3 par an et les et devraient peu évoluer. L'eau potable mobilise ainsi 1 milliard de m 3 par an, avec une tendance légèrement décroissante. Mais la pression est forte durant l'été en matière d'irrigation agricole, qui nécessite 500 millions de m 3 par an, dont 80 % sont consommés durant les trois mois d'été, ce qui représente près des deux tiers des consommations d'eau à cette période. La baisse tendancielle de la ressource en eau en période estivale constitue donc un défi majeur pour l'agriculture, particulièrement importante sur l'ensemble du bassin (32 % de la production agricole française est issue du bassin Loire-Bretagne) et très diversifiée (grandes cultures, viticulture, maraîchage). La gestion de la ressource en eau pendant la période d'étiage est donc appelée à devenir de plus en plus difficile.
d) Le bassin Seine-Normandie
Sur le bassin Seine-Normandie, fortement marqué par l'urbanisation et les activités industrielles, environ 4 millions de m 3 d'eau sont prélevés annuellement (hors prélèvements pour les canaux), 56 % des prélèvements provenant des cours d'eau et 44 % des nappes souterraines. La part des prélèvements dans les nappes est en progression. 93 % des masses d'eau souterraines sont en bon état quantitatif. Il existe cependant quelques secteurs fragiles : nappe de Beauce, nappe de Champigny, nappes de l'Albien et du Néocomien, nappes des calcaires du bajo-bathonien de la plaine de Caen et du Bessin. Il en est de même pour les eaux superficielles 29 ( * ) .
Le bassin Seine-Normandie est actuellement moins soumis à des tensions quantitatives sur la ressource en eau que les bassins du Sud. Néanmoins, le changement climatique va avoir d'importants effets :
- Une baisse des débits de 10 à 30 % à l'horizon 2070-2100 avec notamment des étiages aggravés en été, la baisse pouvant intervenir dès la période 2030-2060.
- Un niveau moyen des nappes correspondant à celui des 10 % d'années les plus sèches connues à ce jour.
- Le nombre de jours de sécheresse agricole pourrait être multiplié par trois et le nombre de jours de sécheresse hydrologique pourrait être multiplié par dix à l'horizon 2030-2060. Ces sécheresses seront ainsi moins exceptionnelles et plus longues.
- L'évapotranspiration pourrait s'accroître de 20 % d'ici à 2030-2060, ce qui pourrait favoriser une évaporation supplémentaire des quatre grands lacs de Seine qui soutiennent l'étiage du fleuve.
- Enfin, les évènements extrêmes de fortes pluies devraient être plus fréquents.
Dans la région parisienne, une baisse du débit de la Seine en été, aggravée par une éventuelle baisse des capacités de remplissage d'étiage des grands lacs en hiver, risquerait d'entrainer une réduction de la capacité à utiliser les eaux superficielles.
Le premier besoin en eau du bassin, compte tenu de sa forte urbanisation, est l'alimentation en eau potable, qui consomme 1,4 milliards de m 3 par an. La consommation quotidienne peut augmenter de 15 à 20 % l'été lors des fortes chaleurs. La croissance démographique de l'Ile-de-France, combinée au réchauffement climatique, devrait mécaniquement augmenter les besoins en eau domestique, conduisant le bassin Seine-Normandie à devoir résoudre une double équation, quantitative et qualitative : disposer d'eau en quantité suffisante et exempte de pollution .
e) Le bassin Artois-Picardie
On ne manque pas d'eau dans le Nord. Voici une idée reçue contrebalancée par les faits. La principale caractéristique hydrographique du bassin Artois-Picardie est l'absence de grand fleuve, des cours d'eau aux débits faibles, et l'absence de relief important. Un peu plus de 500 millions de m 3 d'eau sont prélevés dans le milieu naturel dans le bassin, aux trois-quarts dans les eaux souterraines et à 94 % pour l'alimentation en eau potable. Or, le volume d'eau mobilisable dans le bassin n'est pas tellement supérieur au volume actuel des prélèvements.
Le bassin doit faire face à des sécheresses estivales récurrentes, qui résultent d'une recharge insuffisante des nappes combinée à une progression de la quasi-totalité des usages : usages agricoles, usages domestiques dans les villes, ou encore usages industriels (embouteillage, industrie de la bière, usines de transformation de pommes de terre).
Il est d'ores et déjà nécessaire, pour alimenter la métropole lilloise en eau potable, d'aller chercher de l'eau dans la vallée de la Lys. L'eau potable représente sur le bassin environ 60 % des prélèvements.
Or, les projections à l'horizon 2050 montrent que les nappes pourraient se remplir plus lentement, réduisant la capacité de prélèvements autour de 400 millions de m 3 . Le secteur littoral des Wateringues et des bas champs picards devrait être affecté également par la hausse du niveau de la mer, ce qui compliquera la capacité à mobiliser l'eau sur ces zones.
Il y a donc un impératif de mettre en oeuvre rapidement une stratégie de sobriété , pour ne pas avoir à gérer régulièrement des pénuries d'eau.
f) Le bassin Rhin-Meuse
Le bassin Rhin-Meuse a une dimension transfrontalière forte puisqu'il se déploie à la fois sur la France, l'Allemagne, le Luxembourg et la Belgique.
Les multiples usages de l'eau (eau potable, industrie, irrigation agricole) ne sont pas menacés mais on va à l'évidence vers moins de confort hydrique à l'horizon 2050-2070. Les études montrent que les précipitations seront globalement plus abondantes mais différemment réparties : elles interviendront davantage en hiver et moins en été. La hausse des températures va également modifier la saison végétative.
L'augmentation du stress hydrique reste globalement gérable à 20 ou 30 ans, même si l'on observe quelques difficultés sectorielles : le massif vosgien dont l'enneigement diminue, est ainsi de moins en moins pourvoyeur d'eau et ne peut plus soutenir autant que dans le passé le bassin de la Moselle. Sur la tête de bassin versant de la Meuse on attend une baisse de débit de 30 % en 2050.
Pour leur part, les nappes, comme la nappe d'Alsace, se rechargeront fortement en hiver, ce qui compensera en partie la baisse des débits des eaux de surface en été.
Les aléas climatiques vont être forts. Il faut donc anticiper pour réguler les crues à l'amont.
Conclusion
La France se situe sur la frange septentrionale de la zone de l'Europe du Sud, qui devrait être la plus touchée par la baisse des précipitations du fait du changement climatique, à l'horizon de la fin du siècle. La hausse de la température moyenne de la planète, en modifiant le régime des précipitations et en asséchant l'air, va immanquablement perturber le cycle de l'eau sur l'ensemble du territoire hexagonal. Aucune partie du territoire ne peut totalement y échapper même si les conséquences locales peuvent être très différenciées. Il est d'ailleurs difficile de réaliser des projections sur des petits secteurs. La réalité de la transformation du cycle de l'eau peut ainsi être très variable à quelques kilomètres d'écart, entre deux bassins versants séparés par une ligne de partage des eaux.
Nous savons de manière certaine que nous allons connaître des étés plus précoces, plus longs, plus chauds et plus secs, qui feront peser une pression plus forte sur la ressource en eau avec des étiages plus longs et plus prononcés. Cette pression sur l'eau sera d'autant plus puissante que les usages pourront être en concurrence et fortement demandeurs d'eau en période estivale, comme l'agriculture, mais aussi les activités récréatives (campings, sports d'eau vive).
Le croisement des courbes d'une moindre disponibilité de l'eau durant l'été et d'une hausse de la demande, notamment dans les zones touristiques ou celles accueillant de nombreuses résidences secondaires, pourrait tout simplement conduire à des pénuries prolongées, comme nous avons déjà pu le vivre ponctuellement durant l'été 2022. En août, plus de 100 communes se sont retrouvées sans eau potable et ont du s'approvisionner par camion-citerne 30 ( * ) . Il s'agit pour le moment de petites communes et pas de grandes agglomérations dont le réseau d'approvisionnement est plus robuste, mais il s'agit là d'un signal d'alerte à ne pas négliger.
Les zones littorales pourraient être impactées par des difficultés supplémentaires d'accès à l'eau du fait de la progression du biseau salé, nécessitant de fermer certains captages d'eau potable trop proches de la mer.
Au final, si la France ne va pas se transformer en désert et si nous n'allons pas voir tous nos cours d'eau à sec en juillet et en août de chaque année, la prise de conscience d'une baisse rapide et très prononcée de nos facilités d'accès à la ressource en eau durant l'été est nécessaire . Elle touchera toutes les régions, ce qui nécessite d'agir partout pour faire face à la nouvelle donne.
* 27 Explore 2070 est un projet de recherche mené entre 2010 et 2012 par l'État et ses partenaires scientifiques pour évaluer les impacts du changement climatique sur les milieux aquatiques et la ressource en eau à l'échéance 2070. Une actualisation de cette étude (explore 2) est en cours depuis 2021 et devrait aboutir d'ici à 2024.
* 28 https://eau-grandsudouest.fr/usages-enjeux-eau/changement-climatique/plan-adaptation-changement-climatique-pacc
* 29 Pour les eaux superficielles, l'équilibre est considéré comme fragile lorsque le volume mensuel consommé à l'étiage est supérieur à 20% du débit mensuel quinquennal sec (plus petit débit mensuel sur 5 ans).
* 30 https://www.lagazettedescommunes.com/821167/secheresse-une-centaine-de-communes-toujours-sans-eau-potable/