B. LA FRANCE PEUT ENCORE AVOIR UNE AGRICULTURE FORTE, DURABLE ET ACCESSIBLE À TOUS, SI ELLE S'EN DONNE LES MOYENS AU TRAVERS D'UN VASTE PLAN « COMPÉTITIVITÉ 2028 »
1. Axe 1 : faire de la compétitivité de la Ferme France un objectif politique prioritaire
Pour ce faire, les rapporteurs recommandent de nommer un haut-commissaire à la compétitivité de la Ferme France, chargé notamment du pilotage de ce plan.
Il sera le référent « compétitivité » de l'ensemble des filières et des pouvoirs publics.
Il aura pour mission de rédiger un point de situation, tous les trois ans, sur le sujet, dans un rapport remis au Gouvernement et au Parlement, en s'appuyant sur l'expertise des services économiques de FranceAgriMer ainsi que sur les chercheurs spécialisés de l'Inrae.
Il présidera les conférences publiques de filières, d'ores et déjà prévues à l'article L. 631-27-1 du code rural et de la pêche maritime, mais qui n'ont pas trouvé à ce stade leur place, faute de la publication de décrets d'application par le Gouvernement. Ces conférences publiques, réunissant notamment les représentants des producteurs, des organisations de producteurs, des entreprises et des coopératives de transformation industrielle des produits concernés, de la distribution et de la restauration hors domicile, a pour mission d'examiner « la situation et les perspectives d'évolution des marchés agricoles et agroalimentaires concernés au cours de l'année à venir ». Ces conférences, dans le contexte actuel, sont clairement utiles et doivent être un outil pertinent de remontée des informations par filière auprès du haut-commissaire chargé du plan « Compétitivité 2028 ».
Recommandation n° 1 : nommer un haut-commissaire chargé de la compétitivité de la Ferme France afin d'assurer le pilotage et le suivi du plan « Compétitivité 2028 » et le doter d'une mission de collecte d'information sur le sujet, en le plaçant au plus près des filières réunies en conférences chaque année, ainsi qu'une mission d'alerte des pouvoirs publics sur le sujet par la publication d'un rapport triennal sur la compétitivité de la Ferme France.
2. Axe 2 : maîtriser les charges de production pour regagner de la compétitivité prix
a) Priorité 1 : faire de l'administration un partenaire, et non un frein à la compétitivité
Aujourd'hui, l'administration française est unanimement perçue comme une source de complexité pour les producteurs agricoles ou agroalimentaires.
Sans rappeler dans le détail des exemples de dysfonctionnements majeurs, comme le retard de paiements des mesures agroenvironnementales et climatiques entre 2015 et 2020, la relation administration-agriculteurs doit être repensée. Aujourd'hui, trop de fonctionnaires locaux ou nationaux oublient leur stricte neutralité en matière agricole et excèdent leurs prérogatives. Les interventions de certains agents de l'Office français de la biodiversité ou de certaines directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement ont, souvent, fait l'objet de critiques en ce qu'elles retiennent des interprétations contestables de normes juridiques pour parvenir à des fins politiques.
S'ajoute à cette difficulté, qui ne changera que par la pratique, celle de la multiplication des échelons administratifs qui aboutit, régulièrement, à des divergences d'interprétation selon les services. Trop souvent, les agriculteurs d'un département se voient appliquer une règle différente de celle du département voisin. Le flou de ces décisions doit vite être dissipé et l'administration centrale doit jouer, plus rapidement encore, son rôle de juge de paix.
Enfin, l'administration peut même jouer contre son agriculture en multipliant les surtranspositions. Elles peuvent être législatives et réglementaires mais sont bien souvent davantage « pratiques », résultant d'une interprétation extensive et contestable des services du ministère.
Or un principe évident doit régner : pas de surtranspositions détériorant la compétitivité de nos filières agricoles. En agriculture, une norme en plus, c'est une charge supplémentaire, donc un handicap de trop pour les producteurs.
Les exemples cités dans la deuxième partie de ce rapport sont trop nombreux. Cesser les sur-transpositions, c'est, sans aucun surcoût, redonner une bouffée d'air frais à l'agriculture française, dans le plein respect des normes européennes reconnues comme étant les plus strictes, exigeantes et les plus durables du monde.
Pour donner corps au principe « Stop à la surtransposition », trop longtemps invoqué sans jamais être appliqué, plusieurs mesures techniques pourraient être prises afin de responsabiliser les acteurs :
- enrichir les missions du Conseil d'État dans ses fonctions consultatives sur les lois et les décrets, à l'article L. 112-1 du code de justice administrative, afin de prévoir une mission d'identification des surtranspositions avec le droit européen. En procédant à un contrôle de conventionnalité des mesures qui lui sont soumises dans la plupart de ses avis consultatifs, il a déjà à connaître du droit européen. Selon un principe de transparence, il pourrait dès lors inclure dans ses avis un principe d'alerte en cas de surtransposition voulue par le Gouvernement ou un parlementaire en cas d'examen d'une proposition de loi ;
- confier au haut-commissaire chargé du suivi du plan Compétitivité 2028 mentionné dans l'axe 1 une mission de recueil des plaintes des organisations professionnelles agricoles représentatives quant à une éventuelle surtransposition. Il aura pour mission d'en informer le Parlement et le Gouvernement s'il les juge avérées et, au besoin, d'enjoindre l'administration de modifier sa pratique103(*) ou de proposer des mesures pratiques pour en atténuer les effets104(*).
- en réponse aux demandes du haut-commissaire, rendre obligatoire la fourniture, par les services du Gouvernement, d'un calcul de surcoût éventuel de la mesure de surtransposition afin de mieux responsabiliser l'administration sur l'impact de ces surtranspositions. Ces études d'impact, courtes et lisibles, comprenant une fourchette du surcoût, seraient transmises dans un délai inférieur à un mois au haut-commissaire qui devra les transmettre, immédiatement, au Parlement.
- pour donner une base juridique à ce principe, il importe d'ancrer, dans la loi, le principe qu'il est d'intérêt général de lutter contre la surtransposition dans le domaine agricole et agroalimentaire pour éviter des pertes de compétitivité qui se traduisent, mécaniquement, par une hausse des importations alimentaires et une réduction de la production agricole française, au détriment de ses externalités positives.
Recommandation n° 2 : donner corps au principe « Stop aux surtranspositions » en :
- conférant une valeur législative au principe de non surtransposition, sauf motif d'intérêt général suffisant ;
- renforçant la transparence sur les surtranspositions en confiant au Conseil d'État la mission de les identifier dans ses avis sur les projets et propositions de loi et dans ses avis sur les décrets ;
- rendant obligatoire la production d'une estimation du surcoût d'une surtransposition par le Gouvernement dans un délai bref ;
- confiant au haut-commissaire à la compétitivité une mission de collecte des plaintes des organisations agricoles représentatives quant à des surtranspositions, une mission d'information du Parlement à ce sujet ainsi qu'une mission de proposition pour en limiter les effets laquelle sera assortie, pour certaines surtranspositions, d'un pouvoir d'injonction d'y mettre fin.
Sur le sujet épineux des intrants, aux yeux des rapporteurs, il importe de trouver un équilibre entre le principe de précaution et celui de réalité économique.
Bien entendu, en cas de nouvelle connaissance scientifique largement partagée par plusieurs acteurs établissant un danger grave pour l'environnement et la santé d'une substance active, il importe de l'interdire dans les plus brefs délais.
Dans ce cas, la priorité doit aller à une interdiction au niveau européen car la dangerosité sera la même pour tous. Pour mener une telle politique de précaution, c'est au niveau de l'Union européenne qu'il faut agir.
Toutefois, dans bien des cas, des interdictions brutales, répondant au principe de précaution, aboutissent à mettre des filières entières dans des impasses techniques. Outre les effets économiques de ces mesures, le bilan environnemental de la mesure pourrait devenir négatif, dès lors que les agriculteurs se voient recommander, parfois par les mêmes autorités scientifiques, d'utiliser des combinaisons d'autres produits phytopharmaceutiques, en plus grande quantité pour compenser la moindre efficacité de ces derniers.
Pis encore : les consommateurs français importent des denrées alimentaires traitées avec les mêmes substances justement interdites par les autorités nationales, déplaçant simplement le problème environnemental ailleurs, sans résoudre le problème sanitaire.
Pour conjurer cet effet, au bilan environnemental plus problématique, les rapporteurs proposent de compléter les missions de l'Anses afin que ses avis et ses délivrances ou retraits d'autorisations de mise sur le marché dressent un bilan « bénéfices/risques » des effets d'une éventuelle interdiction d'une substance active au regard du contexte, notamment des effets des solutions alternatives voire de l'absence de solution alternative.
Étant une agence scientifique indépendante dont le rôle est d'évaluer les risques sanitaires et environnementaux, l'Anses ne retiendra pas, dans son bilan « bénéfices - risques », des arguments de type économiques, qui ne relèvent pas de sa mission et pour lesquels elle n'est pas compétente.
Sa décision sera ainsi fondée sur un ensemble d'éléments objectifs lui permettant de pondérer de manière adéquate son avis en tenant compte des effets de bord environnementaux d'une éventuelle interdiction.
Elle pourra ainsi mieux l'assortir de mesures d'accompagnement dans l'utilisation d'alternatives et pourra prévoir le pas de temps le plus optimal en cas d'interdiction d'un intrant.
Recommandation n° 3 : Garantir une application pondérée du principe « pas d'interdiction sans alternative et sans accompagnement », en l'absence de situation d'urgence, en complétant les missions de l'Anses afin qu'elle dresse, dans ses avis et retraits d'autorisation de mise sur le marché, un bilan « bénéfices-risques » d'une interdiction, notamment pour mesurer les effets de bord environnementaux d'une éventuelle interdiction à court-terme d'une substance active, le cas échéant en prévoyant un laps de temps nécessaire à l'émergence d'alternatives crédibles et assortir toute nouvelle interdiction d'un accompagnement technique et financier adapté des professionnels ainsi que d'un plan prioritaire de recherche d'alternatives.
b) Priorité 2 : réduire le coût de la main d'oeuvre en agriculture et dans l'agroalimentaire sans réduire l'attractivité des filières et résoudre les problèmes d'embauches du secteur
Le coût de main-d'oeuvre est clairement ce qui ressort des rencontres avec les professionnels comme étant un des facteurs les plus pénalisants pour l'agriculture et l'industrie agroalimentaire française.
Certaines filières et industries agroalimentaires, fortement intensives en main d'oeuvre, sont très lourdement pénalisées par des différences de charges et de coût horaire du travail.
Il faut tenter d'aborder le problème par deux types de réponses : les réponses à court terme, qui passent par des réductions de charges sociales et par un meilleur appariement entre offre et demande d'emploi ; les réponses à long terme, qui limitent l'intensité en main d'oeuvre de la production par une plus grande mécanisation.
Pour agir à court terme, il convient de rappeler qu'outre la sempiternelle problématique liée à la directive « travailleurs détachés », qui pose des problèmes particuliers, la France est pénalisée par des choix historiques aboutissant à ce qu'elles présentent des charges sociales plus élevées qui pénalisent la production.
L'objectif n'est pas de réduire les salaires des travailleurs saisonniers : cela serait un choix problématique pour l'attractivité de ces métiers, déjà mise à mal ces dernières années.
En revanche, les cotisations sociales sont clairement un levier d'amélioration de la compétitivité, ne pénalisant pas le niveau des salaires :
- les exonérations de cotisations sociales pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emploi dans le monde agricole (dispositif dit « TO-DE ») doivent être enfin pérennisées. Le Gouvernement, après avoir entendu les supprimer en 2018 et devant la fronde parlementaire, en a finalement prolongé l'existence jusqu'en début 2023. Toutefois, à ce stade, elles sont condamnées à disparaître. Leur pérennisation doit être enfin écrite dans la loi, ce que le Gouvernement refuse depuis 2018 ;
- il pourrait être envisagé une extension des baisses de charges à d'autres professionnels des secteurs agricoles et agroalimentaires (salariés permanents dans certaines activités saisonnières, filières rencontrant des difficultés particulières comme le lait de montagne...) ;
- l'application d'un bonus-malus aux contrats courts à compter de septembre 2022 concerne le secteur de la fabrication de denrées alimentaires, ce qui est de nature à alourdir les charges de production des entreprises. Cette réforme, surtout, s'applique uniformément, sans prendre en compte la saisonnalité des productions. À cet égard, les industriels de la tomate d'industrie estiment que « l'instauration d'un système de bonus-malus pour les contrats courts n'a pas pris en compte la saisonnalité inhérente à nos métiers et va avoir pour conséquence de n'offrir que des perspectives de malus pour les entreprises caractérisées par une forte activité saisonnière. En 2018, près 60 % des recrutements ont été des recrutements de saisonniers. Ces CDD (ou contrats de missions) saisonniers sont indispensables pour nos entreprises et ne peuvent que très difficilement être remplacés par des contrats à durée indéterminée. La responsabilisation des entreprises pour lutter contre la précarité, et in fine limiter les contrats courts, supposerait que la durée des contrats, proposés par les entreprises de notre secteur, résulte strictement d'un choix de leur part et non d'un aléa externe, tel que la saison des récoltes et de transformations des fruits et légumes. Or c'est méconnaître la réalité de l'activité. » Les rapporteurs appellent à mettre en oeuvre une dérogation pour le secteur ou, à tout le moins, d'en exclure les entreprises fabriquant des denrées alimentaires selon une saisonnalité marquée, ce qui les contraint à recourir massivement à des contrats courts.
En parallèle, la France doit s'engager dans une meilleure gestion des modalités d'accueil de ses travailleurs saisonniers étrangers, prenant exemple sur d'autres modèles, comme celui du Canada, qui est plus exigeant en matière de droit du travail tout en étant moins généreux.
Recommandation n° 4 : Réduire les coûts de main d'oeuvre par une politique de baisse des charges sociales sur les travailleurs saisonniers agricoles en pérennisant le dispositif dit “TO DE“, en l'étendant à certains secteurs et en sortant les entreprises agroalimentaires saisonnières de l'application du bonus-malus sur les contrats courts.
Un autre problème majeur se pose pour les acteurs agricoles : les difficultés qu'ils ont à recruter.
La note de conjoncture de janvier 2021 de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA) est très claire à ce sujet : 30 000 emplois sont non pourvus dans l'industrie agroalimentaire en 2020, contre 10 000 en 2013. Aujourd'hui, plus d'une entreprise sur deux rencontre des difficultés de recrutement, notamment dans les zones les plus rurales.
En mars 2022, 89 % des entreprises membres de l'ADEPALE constataient, de leur côté, des difficultés à recruter des salariés.
Et ce problème semble particulièrement prégnant dans le monde agricole et alimentaire compte tenu de la pénurie d'attractivité chez les étudiants, constatée par le rapport sénatorial de la mission d'information sur l'enseignement agricole105(*) : « une étude ManageriA/RegionsJob estime que 6 jeunes sur 10 disent avoir une bonne image du secteur mais seulement 30 % d'entre eux déclarent qu'ils aimeraient y travailler, la majorité s'estimant plutôt mal informés sur les métiers du secteur (59 %), et plus encore sur les formations qui y mènent (65 %) ».
C'est à un véritable déficit d'attractivité que la filière agricole et agroalimentaire doit faire face.
Aux yeux des rapporteurs, l'enseignement agricole, qui pourtant devrait favoriser la formation de la main d'oeuvre des industries agroalimentaires, ne parvient pas à réaliser suffisamment ce fléchage car uniquement 4 % des élèves de l'enseignement agricole sont inscrits dans des filières de formation destinée à la transformation agroalimentaire.
Il est essentiel de mieux prendre en compte les besoins des agriculteurs et des transformateurs agroalimentaires lors de la construction des programmes de l'enseignement agricole et des formations supérieures ou professionnelles menant à des métiers dans ces secteurs.
À cet égard, les pénuries de main d'oeuvre dans ces secteurs doivent justifier une meilleure connexion avec Pôle emploi afin de mieux orienter les personnes à la recherche d'emplois vers des filières en demande, même s'il faut envisager ce fléchage sous conditions.
Le président de la République a annoncé, dans son programme, une réforme de l'accessibilité du revenu de solidarité active à une obligation d'activité de 15 à 20 heures par semaine, afin de mieux accompagner les demandeurs d'emploi vers l'insertion professionnelle. Cette obligation pourrait être soit une formation soit une activité dans une entreprise.
Dans le cadre de cette réforme à venir, il est essentiel que l'agriculture et l'agroalimentaire figurent parmi les secteurs prioritaires afin de répondre à leurs besoins de main d'oeuvre en développant la connaissance du secteur et l'employabilité des demandeurs d'emploi, mais, aussi, dans une logique de compétitivité, en donnant un coup de pouce aux entreprises concernées qui accueilleraient ces publics.
Un calcul rapide, proposé par une personne entendue de la filière pomme, présente l'avantage d'une telle mesure : pour lui, une réduction d'environ 30 % des coûts de main d'oeuvre lui permettrait de reconquérir des marchés. Pour donner un ordre d'idées de la marche à franchir, cela reviendrait à faire prendre en charge par l'État environ 6 000 emplois annuels de 15 heures par semaine par les pouvoirs publics.
Recommandation 5 : activer tous les leviers pour résoudre les problèmes d'embauche du secteur en :
- renforçant la connaissance des métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire ;
- prenant mieux en compte, dans la constitution des formations, notamment au sein de l'enseignement agricole, les besoins des industries agroalimentaires ;
- créant un partenariat entre les secteurs agricoles et agroalimentaires et Pôle emploi pour en faire un secteur prioritaire afin que Pôle emploi puisse, après leur avoir proposé des formations adaptées, davantage flécher vers ces secteurs dans les offres raisonnables d'emplois qu'il propose aux personnes à la recherche d'un poste ;
- s'assurant, en cas de réforme des conditions d'accès au revenu de solidarité active, que les secteurs agricoles et agroalimentaires soient prioritaires et deviennent ainsi éligibles pour les Français concernés, afin d'en améliorer l'employabilité dans un secteur qui cherche à recruter.
À plus long terme, il importe, dans les secteurs les plus intensifs en main-d'oeuvre qui sont confrontés à des problématiques de compétitivité dues au coût du travail, de favoriser la substitution du capital au travail.
Cette politique apparaît d'autant plus urgente que les pénuries de main d'oeuvre saisonnière étrangère sont de plus en plus probables compte tenu des difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises sur les territoires106(*).
Recommandation n° 6 : mettre en place un mécanisme de suramortissement ou un crédit d'impôt pour les investissements de mécanisation dans l'agriculture ou l'agroalimentaire en faveur de la réduction des coûts du travail dans les secteurs les plus intensifs en main d'oeuvre confrontés à des difficultés de compétitivité.
c) Priorité 3 : utiliser davantage la carotte que le bâton pour accélérer les transitions environnementales
Le poids des consommations intermédiaires des agriculteurs français a beaucoup augmenté ces dernières années, en raison d'une politique volontaire de l'État d'augmentation du coût des intrants dans les comptes d'exploitation des agriculteurs.
Les mécanismes sont connus : interdiction des remises, rabais et ristournes sur la vente de produits phytopharmaceutiques et biocides, votée dans la loi Egalim et hausse de la redevance pour pollutions diffuses sur les pesticides les plus dangereux.
Sur la période 2017-2022, la majorité a, au moins au début de la législature, adopté une politique peu incitative en matière environnementale.
Il importe d'arrêter cet engrenage mortifère et de privilégier la transition par l'incitation à la transition par la punition.
D'autant que ces mesures comportementales augmentant le prix des intrants reposent sur un raisonnement contestable, lequel estime que si les produits phytopharmaceutiques sont plus chers, les agriculteurs en utiliseront moins. C'est estimé que l'élasticité-prix de la consommation d'intrants est forte alors, qu'empiriquement, elle est faible pour la raison suivante : les agriculteurs n'utilisent pas des intrants par plaisir ou car ils auraient bénéficié d'une promotion dessus ! Les produits phytopharmaceutiques et les engrais sont avant tout des charges contraintes pour les agriculteurs qu'ils entendent, à tout prix, réduire. Toutefois, dans leurs itinéraires culturaux, ils n'ont souvent pas le choix que d'y recourir.
C'est cette erreur qui explique que ces mesures n'ont pas abouti à une quelconque baisse des usages des intrants alors qu'elles ont considérablement augmenté les charges des producteurs, au profit des caisses de l'État.
Bien sûr, d'aucuns répondront que ces mesures ne s'appliquent pas aux solutions autorisées dans l'agriculture biologique ou aux solutions de biocontrôle, ce qui crée un différentiel de prix incitant à recourir à ces dernières. Toutefois, ces substances sont insuffisamment nombreuses et laissent, bien souvent, les agriculteurs dépendants d'une ou deux substances actives par besoin. Si leur prix augmente, ils n'ont pas d'autres choix que de payer plus cher, tout en consommant autant.
Il existe en revanche un cas où cette politique de différentiels de prix est pertinente : lorsqu'il existe des alternatives et que l'agriculteur, par différence de prix et par le poids des habitudes, demeure attaché aux anciennes solutions.
C'est sans doute au regard de ce principe qu'il convient d'adapter les mesures sur les remises, rabais et ristournes et sur la redevance pour pollution diffuse adoptées ces dernières années : concentrer les interdictions de remises, rabais et ristournes et la hausse de la redevance pour pollutions diffuses mise en oeuvre en 2019 aux seuls produits particulièrement nocifs pour lesquels il existe une alternative dûment constatée par l'État. Dans ce cas, ces mesures seront réellement incitatives pour recourir à d'autres solutions plus pertinentes en matière environnementale.
Enfin, il convient de s'interroger sur le bilan de la réforme de la séparation de la vente et du conseil en matière de produits phytopharmaceutiques, également votée lors de la loi Egalim. Tous les acteurs entendus par la mission ont fait part aux rapporteurs de la création d'un « monstre » réglementaire pour les acteurs, qui aboutit à ce qu'il n'y ait pas moins de vente dans les fermes, mais bien moins de conseil.
Au contraire, le conseil devrait être conçu comme un outil promu par l'État pour optimiser les charges d'intrants des agriculteurs à leur strict besoin en fonction des caractéristiques de leur exploitation. Sur ce point, pourtant, le chantier est encore long.
En tout état de cause, ces mesures mériteraient d'être évaluées, en mettant en regard de leur efficacité sur la quantité d'intrants consommés le surcoût induit pour les agriculteurs et, partant, les effets nocifs sur la compétitivité prix des exploitants.
Recommandation n° 7 : lancer, sous un an, un bilan des mesures du précédent quinquennat s'agissant de la consommation d'intrants (loi Egalim, mesures fiscales comme la hausse de la redevance sur les pollutions diffuses...) afin de mettre en regard l'évolution induite des quantités d'intrants consommées et le surcoût supporté par les agriculteurs.
d) Priorité 4 : ne pas saper nos atouts en termes de compétitivité prix par excès de zèle ou en restant inactif face à des crises internationales
La France a également des atouts en matière de compétitivité prix : il importe de ne pas les affaiblir.
Parfois, pourtant, le régulateur s'en donne à coeur joie.
La filière pomme estime par exemple que l'entrée en vigueur du règlement européen n° 2016/2031 conduit à un désengagement des pouvoirs publics dans la surveillance biologique du territoire par l'arrêt du financement des organismes de quarantaine non prioritaires, l'arrêt du financement des bulletins de santé du végétal ou l'arrêt du financement des modèles qui alimentent les outils d'aides à la décision qui permettent un usage de produits phytosanitaires réduit. Ces mesures peuvent paraître anodines mais elles remettent en cause un avantage comparatif de la France induit par cette surveillance biologique reconnue dans le monde entier, cette dernière constituant un élément fondamental de la compétitivité de la filière des fruits et légumes parce qu'elle assure à la fois la préservation des productions, lève les contraintes sur les conditions d'export quant aux risques sanitaires et permet une consommation sereine des produits. Elle coûte entre 6 et 8 millions d'euros par an à l'État mais pourrait coûter davantage à terme à la filière.
Il est donc essentiel que l'État soit le garant, et non le faussaire, des atouts français en matière de compétitivité, que cela soit sur le coût de l'aliment, sur le coût de l'énergie, sur le coût du foncier ou sur la sécurité sanitaire des produits.
Dans ses décisions en cours ou à venir, il doit s'efforcer de ne toucher à ces secteurs qu'avec une main tremblante, notamment dans le cas d'une éventuelle loi foncière : une loi pour offrir des garanties pour l'avenir oui ; une loi pour garantir des contraintes supplémentaires pour le futur des agriculteurs, non.
Un autre point essentiel à court terme est de conjurer les risques d'une crise majeure de compétitivité due aux coûts actuels de l'énergie.
D'une part, devant le risque de voir les producteurs cultivant sous serre chauffée être rationnés en gaz l'hiver prochain, il est essentiel de considérer les productions agricoles de l'amont comme mission d'intérêt général au sens du décret n° 2022-495 du 7 avril 2022 relatif au délestage de la consommation de gaz naturel et modifiant le code de l'énergie.
D'autre part, la hausse des coûts de l'énergie fait peser des risques majeurs non seulement de compétitivité mais aussi de soutenabilité pour nombre d'exploitations agricoles et pour les industries agroalimentaires. Avec des cours de l'énergie aussi élevés durablement, des arrêts de production vont avoir lieu. Aux yeux des rapporteurs, il faut, au contraire, traverser cette crise avec l'idée claire de conserver nos atouts en termes de compétitivité sur les coûts de l'énergie.
Les entreprises de l'agroalimentaire ont clairement anticipé la crise en s'engageant dans un plan de baisse de la consommation énergétique depuis plusieurs années, dont les résultats sont très encourageants. Toutefois, il convient de rappeler une évidence : l'utilisation d'électricité et de gaz est essentielle à la production et à la conservation d'aliments. Faute de ces apports énergétiques, c'est une partie de la souveraineté alimentaire qui sera remise en cause. En outre, un surcoût durable sans mécanisme de compensation pénalisera lourdement les producteurs et industriels, qui perdront là un avantage comparatif par rapport à leurs concurrents. Des mécanismes à court terme doivent être mis en place pour limiter ce surcoût pour les productions agricoles et agroalimentaires. Cela peut passer par une révision des critères d'éligibilité au bouclier énergétique ou des compensations fiscales plus importantes, par le biais de la taxe carbone.
Lors de la crise de la Covid-19, l'agriculture et l'agroalimentaire ont été considérés comme des « secteurs indispensables » à l'économie. Pourquoi en serait-il autrement dans les décisions à venir ?
Enfin, à long terme, une réflexion prospective doit impérativement être menée pour revoir les modes de production les plus énergétivores afin de limiter les effets d'une nouvelle crise énergétique sur ces entreprises. L'État doit clairement jouer son rôle en la matière en accompagnant la filière agroalimentaire ainsi que la filière agricole sur des projets innovants permettant de renforcer l'autonomie énergétique en agriculture (photovoltaïque, stockage de l'énergie produite...) : c'est un enjeu d'avenir.
Recommandation n° 8 : mettre en oeuvre, à court terme, un plan de résilience de l'agriculture et de l'agroalimentaire face à la crise énergétique en considérant ces secteurs comme essentiels et indispensables en temps de crise, en leur garantissant un approvisionnement suffisant pour préserver notre souveraineté alimentaire et en les rendant éligibles aux aides mises en place pour les activités prioritaires.
e) Priorité 5 : faire du levier fiscal un atout en matière de compétitivité
Enfin, les rapporteurs estiment qu'il est nécessaire d'utiliser le levier fiscal pour redonner de la compétitivité prix à nos productions.
Il importe, avant tout, de s'assurer que la réforme proposée par le Gouvernement de gazole agricole en remplacement du remboursement partiel de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques sur le gazole non routier (TICPE) se fasse au bénéfice des producteurs. La réforme ne doit pas aboutir à augmenter la TICPE sur le gazole utilisé par les agriculteurs dans le cadre de leurs missions et le reste à charge doit rester le même.
D'autres mesures fiscales incitatives pourraient être imaginées.
Parmi elles, les rapporteurs plaident d'abord pour revaloriser les seuils d'éligibilité ou d'exonération dans la législation fiscale pour mieux les adapter à la réalité du monde agricole. Bien souvent, faute d'actualisation pour prendre en compte la hausse moyenne du chiffre d'affaires des exploitations due à l'effet agrandissement et à l'inflation, ces seuils s'appliquent désormais à une base taxable beaucoup plus large et sont totalement décorrelés de la Ferme France d'aujourd'hui. Leur non-actualisation a abouti à augmenter le poids relatif de la fiscalité dans les exploitations. Plusieurs mesures pourraient ainsi être prises rapidement pour corriger le tir :
- une hausse des seuils d'éligibilité aux régimes d'imposition agricoles doit être envisagée pour mieux être calibrée à l'évolution des chiffres d'affaires agricoles, que cela soit le seuil du passage au régime micro-BA ou celui au régime réel normal, qui crée des charges comptables supplémentaires. Faute de revalorisation, avec l'inflation à venir et la probable explosion des valeurs des stocks, il s'agit d'éviter des effets de bord inutiles pour les agriculteurs ;
- une actualisation du seuil d'exonération des plus-values réservé aux petites entreprises.
Une autre mesure, plus prospective, pourrait être envisagée : une hausse de l'exonération partielle de taxe foncière dont bénéficient aujourd'hui les terres agricoles, la taxe foncière s'apparentant à un impôt de production, dès lors qu'elle est compensée pour les collectivités territoriales.
Enfin, la fiscalité peut être également un levier incitatif à de bonnes pratiques pour dégager des marges de manoeuvre. La dotation pour épargne de précaution (DEP) permet un véritable lissage des agriculteurs entre les années difficiles et les bonnes années : pour le valoriser, il convient d'en augmenter le plafond de déduction. À cet égard, ce plafond pourrait être maximisé pour certaines pratiques. Certains acteurs entendus par la mission ont ainsi fait part aux rapporteurs d'une idée vertueuse : augmenter le plafond de la dotation pour épargne de précaution pour des céréaliers et des éleveurs engagés dans un contrat pluriannuel d'approvisionnement afin de lisser le coût de l'aliment et d'absorber la volatilité des cours. Cette idée doit être creusée.
Recommandation n° 9 : prendre, dès la loi de finances pour 2023, plusieurs mesures de baisses d'impôt en faveur de la production agricole ou agroalimentaire (absence de hausse de la TICPE sur le gazole agricole, actualisation des seuils d'exonération et d'éligibilité, baisse de la taxe foncière sur la propriété non bâtie applicable aux terres agricoles, hausse du plafond de la dotation pour épargne de précaution...).
3. Axe 3 : relancer la croissance de la productivité de la Ferme France en faisant de la France un champion de l'innovation dans le domaine environnemental
Outre les problèmes de charges, la compétitivité de la Ferme France passe par une attention particulière à la productivité de son agriculture.
Si aujourd'hui elle a clairement des atouts en la matière, ce qui lui permet de compenser son choix d'un modèle familial qui la handicape sur les marchés internationaux face à des concurrents ayant choisi des modèles plus intensifs avec des tailles plus importantes, l'étude des 5 filières par les rapporteurs démontre que cet avantage s'étiole, par une stagnation voire une baisse des rendements dont la diffusion atteint la quasi-totalité des filières.
La productivité est pourtant la clé pour que la France agricole puisse préserver son modèle familial si pertinent en ces temps actuels. Il convient donc d'agir sur trois leviers pour redonner de la croissance aux courbes de rendement : mettre la France à la pointe de l'innovation environnementale ; doper les investissements productifs ; limiter les effets des aléas climatiques sur les exploitations.
a) Priorité 1 : faire de la France un champion de l'innovation en matière environnementale
Face au changement climatique, qui impactera les pratiques agricoles durablement, il importe d'être à la pointe de l'innovation. C'est une source de rendement mais c'est aussi un facteur de compétitivité hors prix pour la France à l'heure où les préoccupations environnementales pourront être de plus en plus scrutées par les acheteurs et consommateurs.
Les perspectives sont en effet prometteuses et la France doit jouer le rôle de locomotive en matière de transition environnementale pour préserver ces acquis et les développer dans un monde changeant.
Les rapporteurs, tout au long de leur rencontre, ont été enthousiasmés par le foisonnement d'innovations dans chacune des filières, toute portant une espérance très grande dans l'avenir. La seule barrière à l'entrée, à chaque fois mentionnée, est le coût de déploiement de ces innovations, malgré leurs externalités économiques et environnementales positives.
Les solutions alternatives sont de plusieurs ordres. Toutes doivent être activées pour réussir le défi immense qui consiste à dessiner l'agriculture de demain.
Elles sont chimiques, mais l'innovation a plutôt tendance à se ralentir du fait du manque d'attractivité des marchés européens et français en particulier, elles-mêmes liées au degré d'exigence réglementaire.
Elles sont mécaniques, avec certaines solutions permettant de réduire considérablement les quantités épandues pour de l'agriculture de précision.
Elles consistent à faire émerger des solutions de biocontrôle, à partir de substances naturelles, qui aujourd'hui n'a pas une gamme suffisamment profonde, notamment sur le marché des grandes cultures.
Elles sont culturales, des petits gestes, des petites techniques à la fois sur les dates de semis, les mélanges variétaux, les rotations, les combinaisons de cultures pouvant avoir des effets combinés intéressants. Pour améliorer l'efficience de la fertilisation par exemple, le recours aux inhibiteurs ou aux outils d'aide à la décision est de nature à réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre. À ce titre, dans un marché qui n'a jamais été aussi incertain, il est essentiel d'accélérer les investissements vers les engrais azotés décarbonés permettant de réduire la dépendance au gaz importé.
S'ajoute l'agriculture biologique, qui est une pratique qui évolue, se solidifie, se structure et doit encore suivre sa courbe d'apprentissage pour augmenter les rendements et limiter les pertes de productivité.
Elles sont enfin génétiques. L'Union européenne a tort d'écarter, d'emblée, sans débat, la solution des « new breeding techniques » (NBT), qui sont pourtant une technique très prometteuse pour faire émerger des plantes plus résistantes au changement climatique et moins consommatrices en intrants. Accepter ne veut pas dire ne pas réglementer : au contraire, l'Union européenne a intérêt à être pionnière en la matière pour imposer ses normes, plutôt que de laisser la main à ses concurrents.
Ces solutions existent pour la plupart déjà. Si elles sont perfectibles, elles offrent des résultats très convaincants, conciliant économie et écologie. Mais elles ont un coût et, dans le contexte actuel, de nombreux agriculteurs ne franchissent pas le pas, ce qui pourrait s'aggraver encore avec la remontée des taux d'emprunts.
Des plans d'investissement ont été déployés ces dernières années. Ils ont tous rencontré un vif succès en quelques heures, démontrant les fortes attentes des filières en la matière.
C'est par exemple le cas du plan de relance agricole de 2020 ou des programmes d'investissement d'avenir au service de la troisième révolution agricole : la forte mobilisation des filières a démontré qu'ils répondaient à des besoins, mais sans doute bien supérieurs à ceux que le Gouvernement attendait. Cet accompagnement doit donc se poursuivre.
Recommandation n° 10 : prolonger le volet « Troisième révolution agricole » du plan France 2028 en :
- augmentant les crédits des plans d'investissement portant sur l'innovation agricole dans tous les domaines ;
- portant, au niveau européen, la volonté d'autoriser en réglementant les new breeding techniques, plutôt qu'une interdiction de principe.
Mais, en parallèle, la préparation de l'avenir se fait au niveau de la recherche. À cet égard, tous les acteurs agricoles entendus par la mission sont unanimes : le paradigme actuel n'est pas satisfaisant.
D'un côté, l'institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) est perçu comme trop centré sur de la recherche fondamentale ou sur certains aspects généraux et transversaux. Il est doté d'un budget supérieur à un milliard d'euros, en constante augmentation.
D'un autre côté, les instituts techniques et les entreprises concentrent leurs efforts sur de la recherche technique, afin de faire émerger des solutions opérationnelles aux problématiques actuelles des agriculteurs, mais avec un budget très limité.
Plusieurs témoignages regrettent que l'Inrae ne s'investisse pas davantage auprès des instituts techniques et des groupements d'agriculteurs faisant des expérimentations agricoles, quittant ainsi la recherche transversale et fondamentale pour investir les domaines plus techniques et agronomiques. Qu'on ne s'y trompe pas : les rapporteurs estiment la recherche fondamentale absolument primordiale. Toutefois, la France pourrait disposer d'une recherche technique davantage en phase avec les besoins des agriculteurs, ce qui nécessite de revoir le rôle de l'Inrae pour qu'il soit partie prenante à cette évolution.
Les politiques de recherche en matière agricole, ces dernières années, reposent sur un ancien paradigme : celui où les agriculteurs étaient confrontés, par filière, avec une fréquence acceptable, à de nouvelles problématiques et qu'ils disposaient de pléthore de solutions.
Aujourd'hui, l'agriculture est en état d'urgence : disparition progressive des solutions chimiques, accélération, en raison du changement climatique, de l'apparition de problèmes agronomiques liés à des pathogènes, réduction du nombre d'agriculteurs donc du champ d'expérimentation possible, mondialisation des zoonoses...
Les agriculteurs attendent, avant tout, de la recherche publique et privée, l'émergence de solutions rapides à leurs difficultés. C'est tout le paradoxe du débat sur des interdictions d'intrants : au moment où une interdiction est décidée, ce qui est bien entendu de plus en plus fréquent, les acteurs doivent trouver en quelques mois des solutions alternatives en mobilisant les instituts techniques, ces derniers concentrant leurs efforts sur ce défi, en abandonnant les autres, faute de temps et de budget.
À cet égard, la volonté, à peine voilée depuis des années, du Gouvernement de supprimer le compte d'affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar), pourtant véhicule principal permettant le financement des instituts techniques, est symptomatique de l'absence de prise en compte de ces demandes des agriculteurs en faveur d'une recherche davantage orientée vers des solutions techniques.
C'est tout l'inverse qu'il conviendrait de faire : préserver le Casdar et les budgets dédiés aux instituts techniques, tout en trouvant des leviers pour les augmenter.
Les rapporteurs s'interrogent donc sur l'opportunité de renverser la table, et de mieux valoriser la recherche technique agricole, soit en affectant une partie du budget de l'Inrae aux instituts techniques, soit en confiant formellement à l'Inrae des missions de recherche technique, qui l'obligerait à dédier une partie de ses effectifs sur ces missions au service de la Ferme France.
Recommandation n° 11 : remettre la recherche agricole davantage au service des besoins techniques des agriculteurs en :
- étudiant la possibilité d'augmenter les crédits dédiés par l'Inrae à la recherche de solutions techniques pour les agriculteurs, par une redéfinition de ses missions, ou en étudiant le transfert d'une partie de son budget aux instituts techniques ;
- préservant les budgets des instituts techniques payés par les agriculteurs au travers du compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural (Casdar).
b) Priorité 2 : doper l'investissement en agriculture en faveur de la productivité et du renouvellement de l'appareil productif
L'investissement d'aujourd'hui fait la productivité de demain. Or un des points faibles de la France est justement la lente décroissance de la productivité de son industrie agricole et agroalimentaire, due principalement à des marges trop faibles compte tenu de la guerre des prix entre grandes surfaces dont l'industrie agroalimentaire est l'otage.
Un grand plan favorisant l'investissement agricole et agroalimentaire doit être une priorité pour que la France agricole remonte la pente.
Cela passe avant tout par un plan de simplification massif sur les projets d'investissement. Cette réforme, qui n'a aucun coût, est susceptible de doper l'investissement de manière massive.
Des industriels entendus par la mission estiment que « les procédures pour les installations et les agrandissements d'outils sont beaucoup plus lourdes que chez nos voisins : il faut compter au minimum 12 à 18 mois de procédure administrative entre le dépôt du dossier du permis de construire et l'autorisation d'exploiter. Avec les recours, ces initiatives peuvent prendre des années107(*). »
En outre, des aides existent mais les conditions d'éligibilité ou la lourdeur des procédures de candidature créent des effets d'éviction au détriment de nos entreprises. Par exemple, les maraîchers serristes réclament un accompagnement dans leur transition énergétique par une simplification des conditions d'obtention d'aides par l'ADEME par le fonds chaleur.
Recommandation n° 12 : lancer un plan de simplification sous un an pour mettre en oeuvre un dispositif « accélérateur » limitant le champ des procédures administratives qui ralentissent aujourd'hui trop les agrandissements ou le développement de sites de production dans des secteurs stratégiques, le cas échéant en prévoyant une modification la loi.
Vient également la nécessité de soutenir tous les investissements dans le secteur afin de doper la productivité des acteurs.
Les rapporteurs ont fait, dans leur rencontre, trois types de constatations sur ce point :
- des investissements productifs doivent être réalisés mais, faute de marges, les industriels comme les agriculteurs les repoussent. Pour compléter les plans d'investissement, qui portent sur des mesures ciblant la transition environnementale, un mécanisme pourrait être intéressant dans ce contexte économique particulier : le suramortissement ;
- des investissements, à force d'être repoussés, menacent l'équilibre de la filière. Dans le blé par exemple, les silos à grains sont vieillissants et ne sont plus adaptés au changement climatique. Ce sont plusieurs milliards d'euros d'investissement qui sont à réaliser dans les années à venir inéluctablement pour conserver l'avantage compétitif de la France en la matière. Ils doivent être accompagnés par un grand plan « Silos » ;
- des investissements, enfin, peuvent amorcer toute une économie de filière. Dans la tomate d'industrie par exemple, de nombreux acteurs pourraient se lancer mais les investissements initiaux sont trop lourds. Faute de fournisseurs, des sites de production ne se créent pas, ce qui induit un cercle vicieux, au profit de nos concurrents étrangers qui captent le marché.
Toute la difficulté, dans les mois à venir, réside dans la nécessité d'investir massivement, qui se heurtera au cycle de désinvestissement lié à l'inéluctable hausse des taux bancaires.
La hausse des taux est susceptible de venir réduire les crédits disponibles et considérablement obérer l'investissement dans les domaines agricoles et agroalimentaires qui est pourtant absolument nécessaire compte tenu des défis agricoles, environnementaux et de souveraineté que la France doit relever.
Dans ces conditions, et pour prévenir toute raréfaction du crédit aux acteurs agricoles susceptible de dégrader la compétitivité française, il importe de mobiliser l'ensemble des Français, attachés à leur agriculture, qui sont prêts à s'engager pour préserver leur souveraineté alimentaire et à épargner dans des véhicules qui ont du sens.
Cela pourrait être l'objet du « livret Agri », dont le fonctionnement serait calqué sur le livet développement durable et solidaire (LDDS), et qui aurait vocation à drainer l'épargne vers le financement d'investissements dans les secteurs agricole et agroalimentaire.
Ce dispositif a déjà été adopté au Sénat en 2015 et 2016, à l'initiative du président Jean-Claude Lenoir, mais l'Assemblée nationale l'a refusé.
Depuis, les conditions ont considérablement évolué. L'explosion des taux rend ce dispositif pertinent pour proposer certains emprunts à des taux inférieurs à ceux du marché pour des politiques publiques pertinentes. Surtout, la France doit désormais faire face au plus extraordinaire défi agricole des cinquante dernières années : le renouvellement des générations.
Plus d'un quart des exploitants agricoles en 2020 ont plus de 60 ans (+ 5 points par rapport à 2010). 58 % des exploitants agricoles actifs ont plus de 50 ans. Cela signifie que, sur les vingt prochaines années, de nombreux jeunes devront racheter les fermes d'agriculteurs partant à la retraite. Sans une aide bancaire suffisante avec des taux attractifs, ce renouvellement ne se fera pas, au détriment de la souveraineté française. C'est aussi pourquoi ce « livret Agri » est une mesure essentielle.
En parallèle, un plan de relance productif massif doit être proposé par l'État. Dans le contexte budgétaire actuel, il est évident que plusieurs financements accordés ces dernières années, dans le domaine agricole comme ailleurs, n'ont pas été tirés ou ont accompagné des projets dont on ne voit pas le résultat. Par redéploiement, il est possible, dès demain, d'axer ces financements vers des projets réellement porteurs de valeur dans le monde agricole.
Recommandation n° 13 : préserver l'investissement agricole et agroalimentaire malgré la hausse des taux en :
- mettant en place un suramortissement ou un crédit d'impôt pour les investissements dans le secteur agricole et agroalimentaire ;
- prévoyant un plan d'investissement massif piloté par l'État pour la production agricole et agroalimentaire (par exemple un grand plan « Silos ») ;
- créant un « livret Agri », livret réglementé sur le modèle du livret de développement durable et solidaire, afin de faciliter l'accès à l'emprunt du secteur agricole et agroalimentaire à des conditions raisonnables, notamment à l'heure du renouvellement des générations.
c) Priorité 3 : lutter contre les effets du changement climatique sur les exploitations pour limiter les pertes en cas d'aléas
Le changement climatique, par la multiplication des aléas, a des impacts sur la compétitivité française en réduisant les rendements et en créant de l'incertitude auprès de certains partenaires commerciaux, en quête d'une stabilité des approvisionnements. En réduisant les revenus des agriculteurs les mauvaises années, il est de nature à amputer les investissements nécessaires pour maintenir l'exploitation à flot.
C'est pourquoi il est essentiel de se doter d'outils pour limiter, au maximum, les conséquences économiques des aléas climatiques sur les exploitations agricoles.
(a) Se donner les moyens techniques de limiter les effets des aléas climatiques
Au premier rang des mesures préventives figurent tous les dispositifs de nature à faciliter l'accès à l'eau.
Tous les acteurs, reconnaissant l'intérêt indéniable du Varenne de l'eau, tenu en 2021, déplorent le fait que les projets soient encore et toujours au point mort.
Bien souvent, les projets sont bloqués au stade administratif puis par une série de contentieux, de nature à dissuader les plus partisans du stockage de l'eau.
Pourtant, cette mesure relève du bon sens, en permettant d'accumuler l'eau en excès dans les saisons des pluies pour mieux faire face aux sécheresses.
L'article 33 quater de la loi ASAP, adoptée par le Parlement en 2020 avant d'être retoqué par le Conseil constitutionnel faute d'un lien même indirect avec le texte, prévoyait que les cours administratives d'appel étaient compétentes en premier et dernier ressort des recours dirigés contre des projets d'ouvrages de prélèvement d'eau. Cette solution était de nature à réduire la durée des contentieux et mériterait d'être enfin mise en oeuvre.
En matière d'eau, la France se distingue, là encore, par une politique de surtransposition problématique. Sans compter certaines interprétations de la réglementation par des agences de l'eau, qui sont aujourd'hui en cours de contentieux et sur lesquels il n'appartient pas aux sénateurs de se prononcer, ces cas de surtranspositions « pratiques » posent des problèmes dès lors qu'ils entravent la réutilisation de l'eau, malgré ses atouts environnementaux. Deux exemples le démontrent. D'une part, « les entreprises agroalimentaires ont l'obligation de laver leurs camions avec de l'eau potable, ce que ne font pas leurs concurrents », et ce qui nuit, surtout, au recyclage de l'eau. D'une part, les industries agroalimentaires plaident depuis des années pour réutiliser l'eau issue de la transformation du lait, obtenue par évaporation ou concentration, par exemple lors de la production de poudre de lait, qui est aujourd'hui considérée comme non potable et, comme telle, non utilisable dans les processus extérieurs à la production agroalimentaire. Selon des personnes entendues, pour la filière laitière, c'est une capacité de 11 millions de mètres cubes d'eau qui pourrait être directement mobilisable pour l'irrigation. D'après les mêmes personnes, cela serait déjà le cas d'Espagne, de la Belgique ou des Pays-Bas. Pourquoi attendre en France ?
Il importe de revoir la politique publique de l'eau française afin de promouvoir une gestion collective et locale des bassins, seule à même de créer un consensus suffisant permettant de capter l'eau au meilleur moment pour l'affecter, en période de sécheresse, aux usages locaux prioritaires, parmi lesquels figurent les besoins agricoles.
En parallèle, pour mieux prévenir les effets des aléas climatiques, d'autres solutions techniques existent et sont relativement efficaces. Mais elles sont insuffisamment déployées en raison de freins administratifs, alors qu'elles existent à l'étranger (aspersion par exemple pour la pomme) ou elles ont un coût trop élevé à l'hectare (filets para-grêle). Là encore, des mesures de simplification ou d'incitation pourraient utilement être mises en oeuvre pour consolider la compétitivité de la France en la matière.
Recommandation n° 14 : renforcer la résilience des exploitations agricoles face au changement climatique en :
- favorisant les investissements destinés à réduire les dégâts liés à ces aléas par des aides dédiées comme un crédit d'impôt ou un suramortissement (stockage d'eau, filets paragrêle...) ou en simplifiant les procédures en vigueur (aspersion par exemple) ;
- développant rapidement une ambitieuse politique de gestion de stockage de l'eau autour de projets locaux de bassins versants afin de promouvoir des projets de stockage par des aides financières dédiées tout en simplifiant le déploiement de ces ouvrages, en limitant les effets délétères des contentieux abusifs contre des projets d'ouvrages de prélèvement d'eau en confiant le contentieux en premier et dernier ressort aux cours administratives d'appels.
(b) Ne pas saper la réforme de l'assurance récolte : respecter la loi à la lettre et réformer le système de la moyenne olympique
En parallèle, il est essentiel que les conséquences financières de la survenance d'aléas climatiques soient des plus limitées pour les exploitants agricoles, afin de ne pas obérer leur équilibre économique et réduire leurs investissements. C'est pourquoi il est essentiel de disposer d'un système d'indemnisation des risques climatiques adéquat.
À ce titre, la réforme adoptée par le Parlement début 2022 de l'assurance récolte regorge de promesse... à la condition qu'elle soit pleinement appliquée !
Les rapporteurs rappellent que le Parlement a annexé un rapport à la loi précisant la trajectoire voulue par les députés et les sénateurs en commission mixte paritaire en matière de budget.
Les rapporteurs se contentent donc d'écrire, une nouvelle fois, noir sur blanc les lignes rouges votées par le Parlement il y a moins de six mois :
- pleine application des possibilités laissées par le droit européen pour subventionner les contrats d'assurance récolte, ce qui permet de réduire les charges des exploitants tout en promouvant un modèle indemnisant plus rapidement des pertes moyennes subies par les exploitants. C'est simplement appliqué le règlement dit « Omnibus » qui permet de subventionner les contrats d'assurance à partir d'un seuil de 20 % de seuil de franchise à hauteur de 70 % du niveau de la prime. Les premières négociations sur le sujet laissaient entendre que le Gouvernement n'appliquera pas ce que le Parlement a voté. C'est pourtant la condition de la réussite de la réforme ;
- maintien, les premières années, d'un seuil de déclenchement de l'indemnisation fondée sur la solidarité nationale à hauteur de 30 % pour les filières les moins assurées ;
- lancement rapide de la réforme de la moyenne olympique au niveau européen et au niveau international pour disposer d'un système d'indemnisation réellement adaptée à la nouvelle donne : la fréquence des aléas ne doit pas aboutir à ce que les agriculteurs soient moins indemnisés, sauf à vouloir les dissuader définitivement de s'assurer.
Depuis, le Président de la République a pris l'engagement, début septembre, de reprendre les taux susmentionnés. Il aura fallu plusieurs mois, animés de pléthore de réunions de la dernière chance, pour aboutir à ce résultat. Il ne fait que s'approprier tous les apports majeurs obtenus dans la négociation par les sénateurs derrière leur rapporteur, feignant d'oublier la grande réticence de la majorité gouvernementale à l'époque pour les inscrire dans la loi. Disons-le clairement : sans le Sénat, ces avancées n'auraient pas été obtenues. Ainsi, aux félicitations des professionnels adressées au Gouvernement, le Sénat se contente de saluer le fait, somme toute normal, que le Gouvernement se décide... à simplement appliquer la loi adoptée par les parlementaires et profondément modifiée par le travail de fond mené par le Sénat.
Recommandation n° 15 : appliquer pleinement et à la lettre la loi sur l'assurance récolte, comme l'a voté le Parlement, en utilisant au maximum les possibilités laissées par la réglementation européenne et s'engager dans une réforme internationale de la moyenne olympique pour l'adapter aux conséquences du changement climatique.
4. Axe 4 : conquérir les marchés d'avenir, reconquérir les marchés perdus, doper sa compétitivité hors prix
Toute politique de compétitivité ne saurait, toutefois, être uniquement défensive. La politique agricole doit redevenir résolument conquérante et afficher comme objectif de regagner les parts de marché perdues ou en voie de perdition.
Pour maintenir une France agricole exportatrice et fournissant une alimentation durable et accessible à tous sur son sol, plusieurs pistes peuvent être envisagées.
a) Priorité 1 : à l'extérieur, conquérir de nouvelles parts de marché
L'ensemble des acteurs entendus par la mission ont fait état aux rapporteurs de leur sentiment d'être moins accompagnés que leurs concurrents dans la prospection de nouveaux marchés à l'exportation. L'État, en l'espèce, est défaillant.
En matière de politique d'aide à l'exportation, il convient de passer d'une politique de procrastination technocratique, aboutissant à l'élaboration de plans stratégiques tous oubliés plus vite que les précédents, à une politique de projection économique. Entre 2012 et 2018, neuf « plans stratégiques » gouvernementaux ont été adoptés pour améliorer le sort du commerce extérieur, soit presque deux par an. Le résultat est catastrophique : alors que les administrations phosphorent dans le but d'écrire des plans stratégiques servant, au mieux, à caler les armoires, les acteurs agricoles et agroalimentaires à l'export connaissent une situation de plus en plus dégradée.
Il est temps de prendre des engagements clairs et des mesures concrètes sur les moyens mis en oeuvre pour aider résolument nos acteurs économiques dans la conquête de marchés extérieurs.
La Cour des comptes ne dit pas autre chose : « aujourd'hui, le rôle de l'État n'est plus de fixer des cibles géographiques ou sectorielles pour l'action internationale des entreprises, mais de définir et de protéger les intérêts offensifs et défensifs du pays dans les négociations commerciales internationales. Les professionnels se montrent en effet dubitatifs sur l'intérêt de certaines opérations de promotion et souhaitent plutôt que les efforts visent à lever les restrictions non tarifaires aux importations dans les pays tiers. Or, une telle stratégie interministérielle appuyée sur une analyse partagée fait défaut s'agissant de l'agriculture et de l'agroalimentaire108(*). »
Cela pourrait se traduire par une politique diplomatique ambitieuse permettant d'aider à développer des exportations agroalimentaires sur les marchés les plus dynamiques, où la France dispose de parts de marché relativement plus faibles que ses concurrents.
Cela pourrait se traduire aussi et surtout par des mesures d'aides à l'assurance-crédit à l'export sur le modèle allemand, la pérennisation et l'optimisation des outils de couvertures adaptés aux besoins des filières, par une réforme de la compétitivité des ports français, par des outils de soutien aux PME exportatrices afin de favoriser la prospection.
L'objectif est bien de faire de l'État une véritable force de propulsion à l'exportation, un capitaine pour aider les entreprises à « chasser en meute ».
À cet égard, la France devrait s'inspirer du modèle exportateur italien.
Les rapporteurs rappellent qu'il faut toujours mettre en regard le déficit commercial français, de 85 milliards d'euros en 2021, avec l'excédent commercial italien de près de 50 milliards d'euros en 2021.
S'agissant du domaine agroalimentaire, depuis 2012, les exportations de produits agroalimentaires de l'Italie affichent une croissance soutenue, continue et plus dynamique que la moyenne mondiale : entre 2012 et 2019, + 40 % contre + 27 % en moyenne dans l'UE et + 5 % par an sur la période contre + 3,5 % dans le monde. Cette croissance est encouragée par une vraie politique ambitieuse qui déploie une stratégie de « système pays » de promotion des produits nationaux à l'étranger, s'appuyant sur les ressorts permis par le cadre normatif international en matière de commerce extérieur.
Sur le terrain, en Italie, les rapporteurs ont pu constater l'extraordinaire performance des exportateurs, prêts à chasser « en meute » avec l'aide d'une administration offrant les outils pertinents aux acteurs économiques pour y parvenir et en s'appuyant sur une image de marque reconnue internationalement.
Recommandation n° 16 : entamer sous un an une révision globale de la politique d'accompagnement à l'exportation dans les domaines agricoles et agroalimentaires en France en proposant aux acteurs économiques des outils répondant réellement à leurs besoins (assurance-crédit export, aides à la promotion, accès plus aisé à la logistique, ...).
Le modèle exportateur italien : un exemple à suivre
L'Italie a su doter sa production d'une véritable image de marque, le made in Italy. En charge du soutien à l'internationalisation des entreprises, le Ministère des affaires étrangères a délégué la promotion du made in Italy au Ministère du Développement économique. Celui-ci attribue régulièrement des subventions et des prêts bonifiés pour soutenir la participation des microentreprises, des startups et des PME à des salons internationaux et financer divers événements et actions de communication sur les marchés étrangers (réunions bilatérales avec des associations étrangères, séminaires en Italie avec des opérateurs étrangers). En 2021, le ministre du développement économique a porté l'enveloppe financière à 2,5 M€/an (+ 1M€ par rapport à 2020). Il fixe le montant de la facilitation à 70 % des dépenses engagées avec un plafond à 150 000 € par sujet et élargit l'audience des bénéficiaires. Le ministère des politiques agricoles attribue chaque année des dotations financières pour la promotion des filières sur les marchés extérieurs (environ 100 M€/an pour le secteur vitivinicole sur les 5 dernières années). En sus, les consorzi jouent un rôle clé de représentation des intérêts des filières et des producteurs auprès autorités :
i) lobbying pour le bénéfice des fonds de l'UE, lobbying pour la protection des appellations face à la concurrence étrangère (vinaigre balsamique slovène, proek croate)
ii) demande d'autorisations au gouvernement central pour la création et la valorisation de produits transformés avec des ingrédients certifiés (4600 autorisations actives en 2020).
Des programmes de soutien et des financements sont parfois portés de manière spontanée par les régions : plan de soutien aux PME et à l'internationalisation, appels à projets pour la relance des filières agricoles et alimentaires, création d'un fonds de garantie pour les investissements des entreprises de l'agroalimentaire.
Plusieurs organismes et instituts spécialisés italiens participent à la mise en oeuvre de la stratégie nationale de soutien au commerce extérieur grâce à un florilège d'outils, à l'image de l'Italian Trade Agency (ICE). En 2020, l'Agence italienne de crédit à l'exportation SACE (Servizi Assicurativi del Commercio Estero) a mobilisé 25Md€ d'aide à l'export et à l'internationalisation des entreprises (+ 18 % par rapport à 2019). Grâce à de solides liens avec les systèmes confindustriels locaux, les établissements d'éducation et les universités, SACE a créé des programmes de formation et d'accompagnement à destination des entreprises sur l'export, l'internationalisation et l'élaboration de stratégies. L'investissement dans les outils numériques a porté ses fruits au moment de la pandémie : 78 webinaires ont été organisés en 2020 et l'utilisation des plateformes de dialogue avec les entreprises s'est largement accru (+ 70 % d'entreprises enregistrées sur Education to Export en 2020 vs. 2019)20. Le portail export.gov propose plusieurs outils de conseil et de soutien à l'internationalisation : identification des pays-cibles, aides à la négociation de contrats commerciaux, planification de l'entrée sur le nouveau marché, élaboration d'une stratégie de croissance.
En sus, les entreprises peuvent prétendre à des prêts bonifiés, des contributions à l'exportation, des garanties (Garanzie Finanziamenti, Credito Acquirente) et des assurances crédits contre le risque d'insolvabilité. En septembre dernier, l'ISMEA (Istituto di Servizi per il Mercato Agricolo Alimentari) annonce le lancement d'un nouvel outil de soutien économique aux projets de développement dans la chaîne agroalimentaire italienne, y compris des activités commerciales et logistiques liées à l'internationalisation (Ismea Investe).
Source : Ambassade de France en Italie, service économique de Rome.
En parallèle, tout en bénéficiant des avantages d'une politique de compétitivité prix indispensable, comme on l'a vu, pour maintenir des exportations dynamiques sur des marchés segmentés, les filières continueront, bien entendu, à trouver des marchés spécifiques où elles pourront se différencier. La segmentation au bénéfice de la compétitivité hors prix sur les marchés internationaux doit se poursuivre et doit davantage s'appuyer sur les atouts dont bénéficie la France en termes d'image.
C'est pourquoi une autre piste est à creuser : s'appuyer sur l'image de la « gastronomie française » pour exporter des produits français.
C'est sans doute une lacune de l'image des produits français : outre les difficultés liées à la compétitivité, ils ne parviennent pas à être exportés en même temps que les recettes françaises. En exportant les recettes de leur pizza, les Italiens sont parvenus à exporter leur mozzarella. Il faut que les Français fassent de même : en exportant la recette du pain, les Français doivent exporter du blé français.
Les industriels laitiers rappellent, par exemple que, « positionnés sur les mêmes gammes de prix, l'Italie et la France connaissent une évolution différente. Les fromages italiens profitent d'une meilleure image que les fromages français jugés trop complexes et « élitistes ». Les fromages italiens sont facilement utilisés dans la gastronomie, le parmesan avec les pâtes, la mozzarella avec la pizza ou en salade de tomate. »
C'est une vraie révolution d'image qu'il faut préparer pour que des recettes françaises, érigées en plats iconiques au niveau international, soient le moteur d'exportateurs de produits français.
Recommandation n° 17 : consolider l'idée de la marque France en s'appuyant davantage sur l'image de la gastronomie française pour doper les exportations de produits français.
b) Priorité 2 : sur le marché intérieur, reconquérir l'assiette des Français
Sur le marché intérieur, c'est une entreprise ambitieuse de reconquête de l'assiette des Français qu'il faut poursuivre. Cela passe par une politique claire de compétitivité prix. Mais cela passe aussi par d'autres pistes réclamées de longue date par les parlementaires qui nécessitent une adaptation de notre corpus juridique.
C'est par exemple le cas de l'étiquetage de l'origine des produits agricoles et alimentaires pour mettre fin aux tromperies subies par le consommateur sur des denrées, principalement transformées ou distribuées dans la restauration hors foyer ou en grandes surfaces, sur la provenance de ce qu'il mange.
Il s'agit également d'harmoniser, au niveau européen, certaines définitions en vigueur. Ainsi, le cidre français, produit à partir uniquement de pommes en lien direct avec une production locale de fruits dédiés et une transformation intégrale à la récolte nécessite de fortes capacités de pressage et de stockage, n'a rien à voir avec les « ciders » anglo-saxons, où la pomme est quasi inexistante, uniquement sous forme de concentrés acquis sur les marchés de commodités pour être mélangés avec de l'eau et du sucre. Pourtant, faute d'une définition harmonisée au niveau européen, le « cider » anglo-saxon relève de la même famille que le cidre normand ou breton et, partant, il est plus difficile au consommateur non averti de s'y retrouver.
Enfin, comme souvent, sans politique de contrôle claire et renforcée en la matière, tout renforcement des normes verra son efficacité altérée.
Recommandation n° 18 : mettre en place une réelle transparence sur l'origine des denrées agricoles et alimentaires en :
- proposant, dans le cadre de la révision du règlement INCO, l'extension de l'affichage obligatoire de l'origine à toutes les denrées agricoles (animales et végétales) et, pour les produits alimentaires transformés, en rendant obligatoire l'affichage de l'origine des trois principaux ingrédients composant le produit ;
- harmonisant les dénominations et les définitions des produits alimentaires en Europe ;
- augmentant la fréquence et le nombre de contrôles réalisés par les autorités compétentes sur ces affichages trompeurs sur l'origine ainsi que sur la traçabilité des produits importés dans les ports d'arrivée.
Une autre piste peut être d'utiliser la commande publique pour être un levier de compétitivité de nos filières agricoles.
Depuis l'adoption de la loi Climat et résilience, les circuits courts sont désormais intégrés dans les produits dont l'approvisionnement est à privilégier dans la restauration collective publique et privée109(*). Toutefois, les procédures sont encore très lourdes en la matière compte tenu d'un cadre juridique flou. Or ces produits locaux doivent être mieux valorisés encore pour que, dans le respect du droit européen, les collectivités territoriales puissent davantage les mettre en avant dans l'approvisionnement des cantines. Pour ce faire, il convient de simplifier le droit européen existant en affirmant clairement que l'approvisionnement en produits locaux doit être privilégié dans ces services de restauration collective.
Une autre piste essentielle et pratique a été adoptée, à l'initiative du Sénat l'année dernière, pour faciliter l'atteinte de cet objectif : le renforcement du poids des collectivités territoriales dans la gestion de ces approvisionnements par la signature d'une convention entre le chef d'établissement scolaire, qui assure la gestion du service de demi-pension, et la collectivité territoriale, à qui s'appliquaient les objectifs d'approvisionnement110(*).
Bien entendu, se pose la question financière à l'heure actuelle, les collectivités territoriales ne pouvant assumer seules le fardeau d'une hausse des prix des denrées alimentaires dans les services de restauration dont elles ont la charge.
Recommandation n° 19 : poursuivre et intensifier la priorité donnée aux approvisionnements en produits locaux et nationaux dans la restauration collective afin de reconquérir ce circuit de distribution largement perdu au profit des importations, par la promotion d'une évolution des règles en vigueur au niveau européen pour clairement favoriser des approvisionnements issus de produits locaux.
Enfin, cela demande de mener cette politique de reconquête des parts de marché en priorité dans les filières les plus concurrencées par des produits importés, à la condition, bien entendu, que leur production soit possible au niveau français et européens. Il pourrait être pertinent, pour matérialiser ce degré de priorité, en accord et avec l'appui des interprofessions concernées, de prendre en compte le degré de concurrence par les importations dans l'attribution des aides agricoles ou des aides aux investissements.
Recommandation n° 20 : maximiser les aides agricoles et investir dans l'innovation des productions les plus menacées par une substitution par les importations.
c) Priorité 3 : dire non à la décroissance agricole
Enfin, toutes ces mesures ne fonctionnent qu'à une condition : mettre fin à toute entreprise mettant en péril notre potentiel productif agricole.
À ce titre, cela nécessite une révision profonde de la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » qui porte en elle les germes d'une décroissance agricole de nature à accroître nos dépendances sur les produits importés.
D'un côté, la stratégie en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030 fixe un seuil de 10 % de la surface agricole dédiée en des particularités topographiques à haute diversité biologique, ce qui peut impliquer un taux minimal de mise en jachère, par essence non productive. De surcroît, la stratégie « De la ferme à la fourchette » décline en réalité le « Pacte vert » à l'agriculture européenne, sur la base d'un objectif de diminution de 50 % de l'utilisation des pesticides et de ventes d'antibiotiques pour les animaux d'élevage, de baisse de 20 % de celle d'engrais et d'un quadruplement (à hauteur de 25 %) des terres converties à l'agriculture biologique.
Outre l'affichage de tels objectifs dans un pas de temps réduit, qui questionne leur réalisme, les études publiées par diverses institutions établissent un risque avéré de diminution de la production agricole européenne dans des proportions de 10 % à 20 %, voire davantage suivant les filières et les scénarios étudiés. Les facteurs expliquant cette chute sont la chute attendue des rendements liés à cette stratégie ainsi que la baisse des surfaces cultivées et du volume des récoltes. Il en résulte une diminution des revenus des producteurs, une l'augmentation des importations et une baisse des exportations conduisant in fine à la dégradation de la balance commerciale européenne.
Cette stratégie mérite d'être actualisée compte tenu du contexte et de ces études pour mieux concilier objectifs environnementaux et objectifs économiques en vue d'un réel développement durable.
Recommandation n° 21 : amender la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette » pour faire émerger un meilleur équilibre entre les objectifs quantitatifs en matière de production pour renforcer la souveraineté alimentaire du continent et les objectifs environnementaux.
5. Axe 5 : protéger l'agriculture française de la concurrence déloyale
Le débat est déjà tranché : le défi environnemental répond à une urgence vitale pour la survie de notre agriculture. Il implique une nécessaire et rapide évolution des pratiques des exploitations agricoles européennes, évolution qui a débuté il y a bien longtemps dans les campagnes françaises.
Ces évolutions, les agriculteurs les pratiquent et sont prêts à accélérer. Mais à une condition : qu'ils ne voient pas à la place de leurs produits dans les rayons européens des produits venus de pays tiers ne répondant pas aux normes requises en Europe.
C'est pourquoi il est indispensable qu'il y ait des contrôles accrus sur les denrées importées, afin de s'assurer que ces mêmes réglementations soient respectées.
Dès lors que des substances ou des pratiques sont interdites en Europe pour protéger le consommateur européen ou l'environnement, elles ne peuvent être même tolérées dans des denrées alimentaires importées. À défaut, le bilan de ces interdictions est au mieux nul : elles sapent la compétitivité de nos agriculteurs et favorisent des importations de produits ne respectant pas les normes européennes ; cela ne protège pas le consommateur ; cela déplace le problème environnemental dans d'autres pays.
La politique de compétitivité ne va pas sans protection. L'avenir de notre agriculture se joue, aussi, dans les négociations commerciales à venir qui doivent impérativement prendre en compte ces éléments. À cet égard, l'intégration de clauses miroirs dans tous les accords commerciaux est un impératif, comme le recommande le Sénat depuis des années. Rappelons, à ce titre, qu'il a inscrit, dans la loi française, le principe des clauses miroirs en proposant par voie d'amendement de sa rapporteure et de plusieurs groupes politiques, dès 2018, l'article 44 de la loi Egalim, qui a été adopté en l'état par les députés.
Recommandation n° 22 : défendre notre compétitivité européenne en s'engageant à mieux faire respecter les normes minimales de production requises au sein de l'Union européenne en :
- poursuivant le déploiement de clauses miroirs dans les législations européennes en matière agricole, notamment dès 2023 sur les textes relatifs au bien-être animal ou aux additifs destinés à l'alimentation des animaux, ainsi que dans les accords de libre-échange ;
- s'engageant plus activement dans les instances internationales de normalisation (notamment Codex Alimentarius) afin de faire évoluer l'ensemble des pratiques agricoles.
Clauses miroirs : des progrès encourageants
« Le blocage de l'OMC depuis le cycle de Marrakech ouvre la voie à une période de bilatéralisme commercial ayant pour conséquence, pour le monde agricole, une attention plus forte à l'égard des barrières non tarifaires. Dans cette nouvelle dialectique commerciale, l'Union européenne, à l'initiative de la France, entend promouvoir un recours accru aux clauses miroirs dans le domaine agricole afin d'assurer une plus grande réciprocité dans les accords commerciaux conclus avec les pays tiers. Ces clauses permettraient d'imposer aux pays qui souhaitent exporter leurs produits agricoles vers l'Union européenne de se conformer au préalable à ses normes sanitaires et environnementales.
C'est un changement de paradigme important dans le logiciel de la Commission européenne. En effet, dans le cadre juridique actuel, l'Union européenne estime que tout produit importé en provenance de pays tiers doit être sûr, ne représenter aucun danger pour la santé des consommateurs et être conforme à la législation sanitaire et phytosanitaire (SPS) de l'UE en matière d'importation et de commercialisation. Outre certains contrôles à l'arrivée, notamment au regard de limites maximales de résidus (LMR) pour les végétaux, la Commission européenne assure régulièrement des audits des pays tiers fournisseurs, afin de s'assurer que les normes européennes sanitaires et phytosanitaires sont bien respectées. En revanche, l'UE n'exige pas que les importations en provenance de pays tiers respectent l'ensemble de ses normes liées aux modes de production, dès lors qu'elle considère que certaines de ces normes n'impliquent pas mécaniquement de risques pour la santé du consommateur. Dès lors, l'adoption de clauses miroir vient rompre avec cette logique historique. [...]
Depuis, des évolutions positives en faveur du déploiement de ces clauses miroirs dans les futurs accords de libre-échange ont permis d'aboutir à des avancées concrètes :
· l'article 118 du règlement (UE) n° 2019/6 interdit l'utilisation de certains antimicrobiens ou certains usages d'antibiotiques, par exemple en tant qu'activateurs de croissance, pour les animaux élevés dans les pays tiers dont les produits seraient importés dans l'Union européenne - c'est sans doute l'une des premières clauses de ce type intégrées au droit européen ;
· la position de la Commission européenne évolue. Elle a par exemple reconnu, dans sa communication sur le réexamen de la politique commerciale du 18 février 2021, que « dans certaines circonstances définies par les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il est pertinent que l'UE exige que les produits importés respectent certaines exigences de production ».
À l'occasion de la réforme de la PAC, le Conseil européen, le Parlement européen et la Commission européen ont adopté des déclarations soulignant l'importance de mieux appliquer les normes de production de l'UE aux produits importés et ont demandé à la Commission de produire un rapport sur le sujet, qui n'a pas été rendu à la date de rédaction du présent rapport mais dont les premières conclusions semblent démontrer qu'il n'existe pas d'obstacles juridiques majeurs s'opposant à la mise en oeuvre de ces clauses miroirs. »
Source : extrait du rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mmes Sophie PRIMAS, Amel GACQUERRE et M. Franck MONTAUGÉ, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 juillet 2022, sur la souveraineté économique de la France.
Toutefois, ces clauses miroirs ne doivent pas se transformer en l'alpha et l'omega de la politique agricole, sorte de remède miracle capable de résoudre tous les maux de l'agriculture française, car elles peuvent être un miroir aux alouettes.
D'une part, elles ne résolvent pas les différentiels de compétitivité liés au manque d'harmonisation des conditions de production au sein même de l'Union européenne, ce qui, on l'a vu, détériore au premier chef le solde commercial français.
D'autre part, ces clauses seront inapplicables sans une profonde réforme de la politique de contrôles des denrées alimentaires importées.
Les précédents rapports du Sénat, là encore, ont constaté sur le terrain des défaillances majeures :
· les contrôles aléatoires officiels, les plus efficaces, sont insuffisants : ils sont aujourd'hui centrés, quand ils concernent des denrées végétales, sur une matrice d'analyse de risques, identifiant les denrées exposées à un risque en fonction de leur origine. Cette liste étant publique, elle porte en elle des risques de contournements. Interrogée, la Commission européenne estime que rien ne s'oppose à ce que les États membres aillent au-delà, au contraire. Mais ces derniers se renvoient la balle ;
· certaines substances interdites ne sont plus contrôlées en pratique. Si l'Union européenne recense et réglemente 1 498 substances actives, elle en interdit formellement 907 parmi elles. Le plan de contrôle européen, décliné par les États membres, ne prévoit, de son côté, que 176 substances à analyser. Certes, la France va plus loin en analysant, dans ses contrôles de résidus de pesticides, 568 substances. Toutefois, au regard des 1 498 substances à contrôler, cela signifie tout de même que plus de 900 substances actives ne sont aujourd'hui presque jamais contrôlées par les autorités sanitaires ;
· le nombre de contrôles aléatoires est insuffisant faute d'un budget adapté aux enjeux de sécurité sanitaire.
Reprenant la recommandation déjà formulée à plusieurs reprises par la commission des affaires économiques du Sénat, les rapporteurs insistent sur l'urgence de l'entrée en vigueur de ces mesures.
Recommandation n° 23 : durcir les contrôles sur les denrées alimentaires importées pour garantir le respect des normes minimales requises au sein de l'Union européenne en agissant :
- à court terme, au niveau national pour relever le niveau d'exigences, notamment i) en augmentant les effectifs des contrôles nationaux, profitant du transfert de la compétence sanitaire de la DGCCRF à la DGAL pour constituer une vraie « police sanitaire nationale » ; ii) en renforçant le nombre de contrôles aléatoires intégrés au plan de contrôle et en durcissant le contenu des analyses, notamment en renforçant le nombre de substances actives effectivement contrôlées par les laboratoires nationaux ;
- à moyen terme, au niveau européen en promouvant la constitution d'une task force européenne sur la sécurité alimentaire pour des interventions harmonisées au niveau européen, afin d'éviter les comportements de détournement des contrôles franco-français par une entrée dans d'autres pays.
Enfin, l'Union européenne dispose d'autres leviers pour rééquilibrer la concurrence. C'est le cas, par exemple, des droits à l'importation. La politique de gestion de ces outils doit être plus dynamique et prendre en compte les stratégies concurrentielles des partenaires commerciaux.
Sur la tomate, la non-revalorisation de la valeur forfaitaire d'importation pour répondre à la montée en gamme des producteurs marocains sur de la tomate cerise aboutit à rendre inefficace le dispositif de protection pourtant imaginé dès la signature de l'accord de libre-échange avec le Maroc. Ce point doit rapidement être réévalué, ce que plusieurs États membres demandent depuis plusieurs années (cf. la partie dédiée à la tomate, plus haut).
Recommandation n° 24 : mener une politique active d'actualisation des valeurs forfaitaires d'importation pour répondre aux stratégies concurrentielles des partenaires commerciaux et préserver l'efficacité des outils de protection prévus dans les accords de libre-échange.
* 103 Quand la surtransposition résulte, notamment, d'une pratique ou d'une interprétation manifestement problématique.
* 104 Principalement pour les lois et les décrets.
* 105 Rapport d'information déposé le 30 septembre 2021 de Mme Nathalie Delattre, fait au nom de la mission d'information sur l'enseignement agricole n° 874 (2020-2021).
* 106 C'est ce que rappelle le rapport d'information n° 755 (2021-2022) de Mmes Sophie PRIMAS, Amel GACQUERRE et M. Franck MONTAUGÉ, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 6 juillet 2022, sur la souveraineté économique de la France (p 179 à 182).
* 107 Contribution écrite de SONITO.
* 108 Cour des comptes, référé du 5 mars 2019 sur les soutiens publics nationaux aux exportations agricoles et agroalimentaires.
* 109 Modification de l'article L. 230-5-1 du code rural et de la pêche maritime adoptée à l'initiative de la rapporteure du Sénat, Anne-Catherine Loisier.
* 110 Article L. 421-23 du code de l'éducation, modifié par l'article 258 de la loi dite Climat et résilience et complété par l'article 145 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, lequel instaure une autorité fonctionnelle potentielle de l'exécutif de la collectivité territoriale compétente sur l'adjoint du chef d'établissement chargé de l'approvisionnement des cantines.