QUATRIÈME PARTIE

PRÉPARER LA RÉINSERTION DU MINEUR DÉLINQUANT : ÉVITER LA RÉCIDIVE PAR LES APPRENTISSAGES

I. UN POSITIONNEMENT PARFOIS DIFFICILE DE LA PJJ

A. LA PJJ EST PAR NATURE CHARGÉE DE LA RÉINSERTION DES MINEURS DÉLINQUANTS

1. Malgré la perte de ses compétences en matière civile, la PJJ reste impliquée dans la protection de l'enfance en danger

Les fragilités qui conduisent à la mise en place de mesures de protection judiciaire civile peuvent, dans un nombre de cas réduit et non établi statistiquement de manière rigoureuse, conduire à la délinquance . À l'inverse, mais de manière tout aussi incertaine sur le plan statistique, les rapporteurs ont plusieurs fois entendu le témoignage d'acteurs de la prise en charge de mineurs délinquants faisant état du fait qu'une partie d'entre eux avait antérieurement fait l'objet de mesures de protection. Malgré le recentrage de ses compétences sur le domaine pénal, la PJJ conserve un rôle dans la détection des mineurs en danger et dans les décisions prises par les magistrats .

À partir de 1999, le ministère de la justice a choisi de retirer progressivement à la PJJ la protection judiciaire civile, compétence confiée d'abord concurremment aux départements à partir de 1983 et dont ils ont désormais la charge exclusive. Si les rapporteurs n'ont pas traité la question de l'enfance en danger, ils notent que la question de l'articulation entre les prises en charge par les éducateurs spécialisés de l'aide sociale à l'enfance, la magistrature et la PJJ est perfectible, comme le note le rapport des états généraux de la Justice remis à la Première ministre le 13 juillet dernier 62 ( * ) .

La PJJ conserve néanmoins une mission d'aide à la décision des magistrats concernant les mineurs tant en matière civile qu'en matière pénale et assure, sur le fondement de l'article 1183 du code de procédure civile, la conduite des mesures judiciaires d'investigations éducatives (MJIE) destinées à recueillir des éléments sur la personnalité du mineur, sa situation familiale et sociale et les difficultés qu'il rencontre. Ces mesures représentent près de 20 % de l'activité de la PJJ à la demande des juges. Elles sont assurées à 60 % par le secteur associatif habilité.

D'une durée maximale de 5 mois, les MJIE doivent présenter les éléments de manière à ce que le juge des enfants puisse déterminer si la situation d'un mineur justifie l'intervention de la justice dans son éducation. Or cette identification des fragilités et les mesures prises pour y remédier sont parfois le premier niveau de prévention de la délinquance par la justice. Les enfants maltraités, en danger ou à protéger peuvent plus facilement être la proie de réseaux criminels. Certains peuvent devenir auteurs d'infractions.

Sur la base de leur expérience, le constat a été maintes fois fait par les juges des enfants et les éducateurs de la PJJ qu'une part importante des mineurs présentés au pénal sont ou étaient suivis en matière civile. Comme précédemment indiqué, l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille estime que 55 % des mineurs délinquants sont suivis en protection de l'enfance car eux-mêmes victimes d'une maltraitance ou d'une carence éducative familiale . L'ampleur exacte de ce phénomène n'est cependant pas étayée statistiquement 63 ( * ) .

Le suivi des dossiers par les juges des enfants qui sont appelés à traiter des affaires concernant un mineur tant au civil qu'au pénal, et le travail d'information mené par la PJJ sont, parallèlement à leur mission première de protection de l'enfance en danger, un élément de lutte contre la délinquance. Ce suivi souffre cependant du manque de moyens humains de l'institution judiciaire à tous les niveaux , manque de moyens qui conduit au retard dans la prise en compte des situations et la mise en oeuvre des mesures, empêchant de prévenir la dégradation des situations. Ces mêmes difficultés se retrouvent en matière pénale, dans ce qui constitue le coeur de l'action de la PJJ.

2. Un rôle essentiel : la prise en charge des mineurs délinquants et les mesures éducatives en matière pénale

Les près de 30 000 mesures éducatives décidées en matière pénale par le juge et mises en oeuvre chaque année par la PJJ sont le coeur de son activité et la première forme de prise en charge de la délinquance .

Ces mesures étaient nombreuses et diverses, fruit de l'évolution des prises en charge depuis l'ordonnance du 2 février 1945, relative à l'enfance délinquante. Elles couvraient plusieurs aspects complémentaires de la prise en charge des mineurs, la prise de conscience de l'acte avec, notamment, l'admonestation, la reprise du travail éducatif avec la remise à parents, mais aussi la mise en place d'obligations de formation et d'interdiction et la réparation de l'acte .

Le code de la justice pénale des mineurs (CJPM), entré en vigueur le 30 septembre 2021, a profondément remanié les mesures éducatives pour améliorer leur lisibilité afin de renforcer « la cohérence et l'adaptabilité de l'accompagnement éducatif ». Ainsi, une mesure éducative judiciaire (MEJ) peut être complétée par des modules (insertion, scolarité, santé et placement) ainsi que des obligations et des interdictions. L'admonestation, la remise aux parents et l'avertissement solennel sont fondus en une mesure dénommée « avertissement judiciaire ». Les mesures de réparation, d'activité de jour et de placement sont reprises par les différents modules de la mesure éducative judiciaire. Celle-ci reprend également le principe du suivi éducatif de la mise sous protection judiciaire et la liberté surveillée.

S'il est trop tôt pour évaluer l'impact de cette rationalisation, les rapporteurs ont pu constater la permanence des difficultés anciennes et peut-être structurelles qui limite leur efficacité .

La première tient à la nécessité d'adapter les mesures à la réalité des territoires . Elles sont donc par nature diverses selon les neuf directions inter-régionales de la PJJ. La volonté de mettre en oeuvre des mesures proches du lieu de vie des mineurs renforce cette variété d'un ressort de tribunal à un autre, voire d'un bassin de vie à un autre. Cette mise en oeuvre dépend cependant souvent moins des besoins propres à chaque population que de l'offre publique ou élaborée par le secteur associatif habilité . Plusieurs dispositifs anciens que la PJJ souhaiterait développer, comme les familles d'accueil, souffrent au niveau national d'un manque d'offre de qualité. Au niveau des territoires, les rapporteurs ont pu constater la difficulté de mettre en oeuvre des stages ou des prises en charge éducatives en milieu ouvert, qui se heurtent parfois au manque d'éducateurs spécialisés et parfois de moyens dédiés . Le manque de ressources humaines et de moyens rend plus fragiles les dispositifs dont la pérennité n'est pas assurée, ce qui limite leur efficacité.

Ces fragilités rejoignent une difficulté pointée depuis au moins vingt ans et que de multiples textes, à commencer par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale 64 ( * ) et jusqu'au CJPM, ont tenté de surmonter sans pour le moment y parvenir : celle des délais de mise en oeuvre , qui font l'objet d'un suivi par indicateur dans le cadre de l'examen budgétaire.

Si les délais de mise en oeuvre des mesures éducatives se réduisent en moyenne, on constate d'importants écarts selon les types de mesures. Ainsi, les mesures jugées prioritaires, notamment de placement, peuvent être mises en oeuvre en l'espace de quelques jours, réduisant le délai moyen tandis que d'autres ne sont mises en place que dans un temps beaucoup plus long.

Le temps nécessaire à la mise en oeuvre des mesures éducatives résulte du nombre de dossiers dont sont chargés les éducateurs et de la difficulté d'inscrire un mineur dans les dispositifs existants en fonction du nombre de places disponibles ou suffisamment proches. Il en résulte, surtout pour les stages, un écart de plusieurs mois entre la prise de décision et sa mise en oeuvre. Ceci conduit parfois à un sentiment d'impunité ou de faiblesse de la réponse pénale .

Le rapport des États généraux de la justice, remis au Président de la République en juillet 2022, décrit l'impact grave de cette situation sur les personnels et la « souffrance éthique » « des travailleurs sociaux de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) contraints de prendre en charge tardivement les mesures éducatives ordonnées par le juge des enfants alors que la situation du mineur s'est dégradée ». Le manque d'attractivité du métier d'éducateur conduit à un recours accru à des contractuels, sous contrats précaires, parfois recrutés sur des critères faibles comme le « parcours de vie » et qui contribuent à la fragilité du suivi des mineurs .

Tout aussi ancienne est la critique du manque d'évaluation de l'efficacité des mesures éducatives, le suivi se limitant généralement à leur exécution . La PJJ souligne à juste titre que l'évaluation fait partie des missions des personnels et acteurs du secteur associatif habilité. Elle indique par ailleurs que le logiciel Parcours devrait permettre un suivi plus efficace de la prise en charge des mineurs et donc une évaluation de l'impact des mesures éducatives dont ils ont bénéficié.

Comme l'ont fait valoir aux rapporteurs de nombreux acteurs de terrain, le travail de la PJJ est par nature centré sur des individus aux parcours de vie complexes. Si une standardisation des procédures est envisageable à des fins de rationalisation, il ne peut en aucun cas y avoir de généralisation de quelques prises en charge qui seraient systématiquement ou uniformément efficaces. C'est donc d'abord une méthodologie de l'évaluation des mesures que la PJJ devrait mettre en place, en accord avec les acteurs de terrain , afin que la diversité nécessaire des solutions permette effectivement de répondre à la diversité des situations des mineurs et que des solutions inefficaces ne consomment pas des moyens humains et financiers limités. Les évaluations qui pourraient être ainsi conduites participeraient à renforcer le sens de l'action des éducateurs en faisant valoir à tous leur impact sur la vie des mineurs.

Recommandation n° 9 : mettre en place un programme d'évaluation des différentes mesures éducatives dont les centres éducatifs fermés ( ministère de la justice ).

3. Le succès inégal des centres éducatifs fermés

Depuis vingt ans, la réponse donnée par les pouvoirs publics aux formes de délinquance des mineurs les plus sévères a été la création des centres éducatifs fermés , créés par la loi dite « Perben I » du 9 septembre 2002. S'y trouvent placés des groupes de 8 à 12 mineurs pour une période de six mois, renouvelable une fois. Sous tutelle de la PJJ, ces centres publics ou confiés au secteur associatif habilité réunissent à la fois un enseignement dispensé par l'éducation nationale et des activités éducatives confiées aux éducateurs de la PJJ.

En l'absence d'évaluation globale , ressort surtout la grande variété de ces centres dont certains ont été présentés aux rapporteurs comme des modèles justifiant le recours à ces dispositifs, tandis que d'autres ont été fermés du fait de graves défaillances dans la gestion des jeunes. Ici encore, tout dépend de la qualité et de la mobilisation de l'équipe en charge, qu'elle soit issue du secteur public ou du secteur associatif habilité. Les difficultés de recrutement que connaît le secteur social se trouvent accentuées par le problème d'implantation de ces centres parfois éloignés de tout bassin d'emploi, ce qui pose des problèmes pour les personnels, mais aussi pour les activités extérieures éventuelles des jeunes ainsi que pour leurs familles souhaitant leur rendre visite.

Fondamentalement, les centres éducatifs fermés peinent à surmonter la mission paradoxale qui leur est assignée . Alternative à la prison pour des mineurs déjà ancrés dans des parcours de délinquance ou, selon les régions, lieu d'accueil de fait pour une sur-proportion de mineurs en errance, les centres doivent à la fois être fermés et éducatifs. Or plusieurs représentants des forces de sécurité ont regretté le caractère insuffisamment fermé de ces centres dont certains connaissent de nombreuses fugues. À l'inverse, les syndicats des personnels de la PJJ ont, pour partie d'entre eux, considéré que le travail éducatif envers les mineurs ne peut être mené adéquatement dès lors qu'une infraction au règlement entraîne l'incarcération. Nicolas Sallée, professeur agrégé au département de sociologie de l'Université de Montréal, a décrit la manière dont les éducateurs et les personnels des centres doivent systématiquement évaluer si une infraction doit entraîner ou non l'incarcération du jeune . Ils sont de fait placés devant le choix de ne pas sanctionner une violation car ils considèrent que la sanction nuirait au parcours vers la réinsertion, ou de décider en pratique de l'incarcération.

Au regard de la difficulté de leur gestion, de leur coût et du poids que les CEF représentent dans le budget de la PJJ, les rapports du Sénat, singulièrement le rapport de la mission d'information sur la réinsertion des mineurs enfermés 65 ( * ) et les rapports budgétaires de Maryse Carrère, ont appelé à rompre avec la focalisation des moyens sur ces centres au profit du financement des dispositifs de prise en charge éducative existants, dans leur diversité. En effet, si certains centres permettent à la fois d'éviter l'incarcération et de permettre la réinsertion, la concentration de moyens nécessaire à leur bon fonctionnement s'avère de plus en plus difficile à réunir et s'effectue au détriment d'autres formes de prise en charge , moins contraignantes et possiblement aussi efficaces.

Ceci implique désormais l'arrêt de la création de nouveaux centres, qui s'avère par ailleurs lent et complexe, et la réorientation des budgets alloués à ces créations.

Recommandation n° 10 : réorienter les moyens destinés à la création de nouveaux centres éducatifs fermés vers le financement de la mise en oeuvre des mesures existantes (ministère de la justice) .


* 62 « Rendre justice aux citoyens », rapport des États généraux de la Justice : « Le positionnement et les missions de l'aide sociale à l'enfance (ASE), tant en amont qu'en aval de l'intervention judiciaire doivent être clarifiés, tout comme la place du juge. Il y a en particulier lieu de mieux penser la transition en aval entre protection judiciaire et protection administrative. Pour faciliter cette transition, la question de la double habilitation ASE-justice des services d'AEMO et de placement est incontournable. »

* 63 Le nombre de jeunes suivis au pénal et au civil, 2 091 en 2018 soit 2,4 % des mineurs suivis au pénal par la PJJ, s'avère difficilement exploitable et ne reflète que la part des mineurs faisant l'objet simultanément de mesures des deux types.

* 64 Loi n° 2002-2.

* 65 Rapport d'information n° 726, « une adolescence entre les murs : l'enfermement dans les limites de l'éducatif, du thérapeutique et du répressif », 2017-2018.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page