II. UN NOMBRE DE JEUNES EN RUPTURE SCOLAIRE QUI DEMEURE ÉLEVÉ
La stratégie Europe 2020 fixe pour cette date un taux maximal de 10 % de jeunes de 18 à 24 ans qui quittent le système scolaire sans diplôme et sans suivre de formation. Dans le cadre de cette stratégie, la France s'est engagée à abaisser le taux de jeunes en dehors de tout système de formation et sans diplôme du second cycle d'enseignement secondaire 47 ( * ) à 9,5 % en 2020. Il était de 12,6 % en 2010. En 2020, ce taux d'abandon scolaire a diminué pour atteindre 8,2 %.
La part des sortants de formation initiale sans diplôme ou détenant au plus le brevet était de 12 % en moyenne de 2017 à 2019, soit environ 89 000 jeunes par an . Si le flux des sortants sans diplôme a baissé depuis 2010 - il était alors de 140 00 jeunes sortant chaque année du système scolaire sans diplôme ou détenant au plus le brevet - il stagne ces dernières années.
En 2018, 963 000 jeunes de 15 à 24 ans ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation (soit 12,9 % de ces classes d'âge) 48 ( * ) .
Enfin, en ce qui concerne la nouvelle obligation de formation pour les 16-18 ans, environ 95 000 jeunes sont concernés , avec des fluctuations en fonction de la période : davantage de jeunes sont sans solution durant l'été, et moins sur le premier trimestre du fait de la rentrée scolaire. Selon les chiffres transmis par la DGESCO, 70 000 jeunes relevant de l'obligation de formation ont bénéficié d'un retour à l'école depuis septembre 2020. Dans l'académie de Bordeaux, de septembre à décembre 2021, 890 jeunes ont été pris en charge au titre de l'obligation de formation des 16-18 ans.
III. LA NÉCESSITÉ DE RENDRE PLUS EFFICIENTE LA LUTTE CONTRE LE DÉCROCHAGE SCOLAIRE
A. UNE MULTITUDE D'ACTEURS QUI CONTINUENT DE FONCTIONNER EN SILO
1. Une organisation complexe
La multiplicité des acteurs et les compétences qui se recoupent rendent plus que nécessaires le partage de l'information et la bonne coordination de l'ensemble des acteurs.
En effet, la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale a confié aux régions, en lien avec les rectorats , la coordination des actions en faveur des jeunes sortant sans qualification de formation initiale. Cette compétence doit s'articuler avec le nouveau rôle confié aux missions locales , chargées du respect de l'obligation de formation entre 16 et 18 ans depuis la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019.
Lors de leurs auditions et déplacements, les rapporteurs ont constaté l'existence de nombreux acteurs et structures, dont le rôle de chacun n'est pas forcément connu . L'utilisation de la semaine de la persévérance scolaire dans l'académie de Bordeaux témoigne de cette nécessité qu'ont les acteurs de mieux se connaître . Alors qu'elle a été initialement conçue pour valoriser auprès des parents et des partenaires externes les actions menées en matière de lutte contre le décrochage scolaire, Émilie Dupont, coordinatrice académique de la mission de lutte contre le décrochage scolaire de l'académie de Bordeaux, souligne qu'« elle n'est plus tournée ces dernières années dans l'académie de Bordeaux vers le grand public, mais elle s'adresse à l'écosystème de la lutte contre le décrochage scolaire ». En 2022, cette semaine a mis l'accent sur le rôle des référents décrochage scolaire au sein des établissements scolaires.
Le rapport sur l'obligation de formation des 16-18 ans de Sylvie Charrière et Patrick Roger de janvier 2020 49 ( * ) soulignait que « la mise en synergie des ressources des missions locales et des MLDS (mission de lutte contre le décrochage scolaire) dépend souvent de la bonne volonté des acteurs. Elle ne s'inscrit pas dans une démarche de coopération généralisée qui serait susceptible de renforcer la connaissance mutuelle et les liens de confiance ». À cet égard, lors de leurs auditions, les rapporteurs ont entendu les problèmes rencontrés par certains réseaux FOQUALE pour tisser des liens avec d'autres établissements scolaires, ou encore avec les autres acteurs au sein des PSAD. Aussi, les rapporteurs saluent l'initiative prise par les acteurs du territoire de Bayonne pour mieux se connaître et être plus réactifs face à des décrocheurs potentiels . Un premier séminaire a réuni 80 à 100 personnes venant du centre d'information et d'orientation (CIO), de la mission locale, des établissements scolaires du territoire, des collectivités territoriales et du centre de formation d'apprentis. Il a notamment porté sur la présentation de la nouvelle obligation de formation pour les 16-18 ans.
2. Un partage d'informations perfectible pour permettre une prise en charge plus rapide
S'il existe depuis dix ans un système de croisement d'informations afin d'établir des listes de jeunes « décrochés », son fonctionnement demeure fortement perfectible .
Certes, depuis début 2022, les informations doivent être transmises mensuellement, afin de permettre une meilleure réactivité dans la prise de contact des jeunes décrocheurs. Une transmission au fil de l'eau est prévue courant 2023. Néanmoins, l'application utilisée pour la transmission d'informations - « RIO SUIVI » - connaît actuellement des dysfonctionnements , à tel point que Régions de France se dit « dubitatif sur les effets du passage au repérage en temps réel » prévu en 2023. Dans le même temps, chaque ministère dont sont susceptibles de relever des jeunes en situation de décrochage (ministère de l'agriculture au titre de l'enseignement agricole, ministère du travail pour les apprentis et les jeunes suivis par la mission locale) a des priorités propres en matière d'évolution de leurs systèmes informatiques qui ne sont pas nécessairement le suivi de l'obligation de formation . Cette dernière peut alors passer en second plan, rallongeant d'autant les délais de mise en place de bases communes ou a minima de dialogues entre les bases.
L'interopérabilité entre RIO SUIVI, utilisée par l'éducation nationale, et I-Milo, le système informatique de suivi des missions locales géré par la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail, n'est toujours pas complètement effective . Malgré des annonces d'amélioration au niveau ministériel, sur le terrain peu de progrès sont constatés. Aussi par courrier en date du 21 mars 2022, Régions de France a demandé au ministre de l'éducation nationale de « bien vouloir prendre au plus vite les mesures nécessaires pour la fiabilité de ce service commun à l'État et aux Régions ».
De son côté, la direction générale de l'enseignement scolaire reconnaît que les données actuelles ne permettent pas de couvrir l'ensemble des situations dans lesquelles peuvent se trouver les jeunes de 16 à 18 ans ayant interrompu leurs parcours initial de formation : par exemple, les données liées à l'apprentissage restent à être consolidées et connues en temps réel.
Recommandation n° 5 : assurer l'interopérabilité des systèmes d'information de suivi des jeunes décrocheurs, afin de permettre une prise en charge au fil de l'eau et un suivi entre les différents intervenants plus performants ( ministère de l'éducation nationale, ministère de l'agriculture, ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion ).
3. Un manque de porosité dans la prise en charge des différents publics de jeunes
Plusieurs personnes auditionnées ont regretté la perception encore trop binaire des jeunes décrocheurs par l'éducation nationale . « Pour celle-ci, soit l'enfant est scolarisé, et relève alors de la compétence de l'éducation nationale, soit il ne l'est pas - et relève alors des missions locales », selon Ahmed El-Khadiri, délégué général adjoint de l'Union nationale des missions locales .
Certes, l'éducation nationale s'est fortement mobilisée ces dernières années afin d'accompagner les élèves en échec scolaire ou en voie de décrochage. Néanmoins, les rapporteurs regrettent cette vision de l'éducation nationale en silo : trop peu d'établissements scolaires ont le réflexe de contacter les missions locales afin d'échanger sur un jeune âgé de 16 à 18 ans qui est en train de décrocher et dont un accompagnement par la mission locale pourrait lui être bénéfique. Cela permettrait pourtant de limiter le temps de latence avant la prise en charge du jeune lorsque celui-ci a effectivement décroché. Par ailleurs, les jeunes qui fréquentent les micro-collèges ou micro-lycées et ceux suivis par la PJJ sont souvent les mêmes, sans qu'il existe de partage d'informations institutionnalisées entre les deux institutions .
La notion même de décrocheur scolaire, au sens de l'éducation nationale, interroge : à l'occasion de l'audition de l'union nationale des missions locales, il a été indiqué aux rapporteurs que pour qu'un jeune de 16 à 18 ans scolarisé apparaisse sur les listes de décrocheurs scolaires transmises aux missions locales, il doit avoir souhaité « démissionner de sa formation par une lettre signée par ses représentants légaux ». En effet, en application de l'article L. 313-7 du code de l'éducation, les établissements scolaires transmettent « à des personnes et organismes désignés par le président du conseil régional ainsi qu'à la mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes visée à l'article L. 5314-1 du code du travail compétente ou, à défaut, à l'institution visée à l'article L. 5312-1 du même code, les coordonnées de ses anciens élèves ou apprentis qui ne sont plus inscrits dans un cycle de formation et qui n'ont pas atteint un niveau de qualification fixé par voie réglementaire ».
Or, dans de nombreux cas, l'élève - notamment lorsqu'il décroche en cours d'année scolaire - ne vient plus en cours sans pour autant qu'il n'y ait de démarche formelle de désinscription de sa formation . Il est donc toujours considéré officiellement en situation scolaire, empêchant ainsi toute contractualisation avec la mission locale. Il en ressort ainsi l'impression que l'éducation nationale « ne veut pas laisser partir ses élèves alors même qu'elle n'est pas toujours la mieux placée pour les prendre en charge » et leur permettre de trouver leurs voies, comme l'a regretté Agnès Canayer, sénateur et présidente de l'association régionale des missions locales de Normandie.
* 47 Baccalauréat, capacité en droit, diplôme d'accès aux études secondaires, brevet professionnel, brevet de technicien.
* 48 « Les jeunes, ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEET) : quels profils et quels parcours ? » DARES, février 2020, n° 006.
* 49 Formation obligatoire des 16-18 ans : passer d'un droit formel à un droit réel , Sylvie Charrière et Patrick Roger, rapport au Premier ministre, janvier 2020.