B. MIEUX PRENDRE EN CHARGE LE DÉCROCHAGE SCOLAIRE AVANT 16 ANS

1. La rupture scolaire avant 16 ans : angle oublié des politiques publiques de lutte contre le décrochage scolaire

L'action de lutte contre le décrochage scolaire s'est concentrée sur les élèves sortant du système scolaire sans qualification ou avec au plus le brevet .

Or, comme l'a souligné le recteur de l'académie de Créteil, le décrochage invisible en maternelle ou en élémentaire - un élève qui accumule les retards et difficultés 50 ( * ) - s'exprime à partir du collège, et notamment de la classe en fin de 5 ème et en classe de 4 ème . Ainsi, en janvier 2020, on dénombre 4,4 % d'élèves absentéistes au collège. Ce taux moyen cache des disparités importantes entre les collèges : la moitié des collèges présente moins de 2 % d'élèves absentéistes, mais les 10 % des collèges les plus touchés par l'absentéisme ont plus de 10,4 % de leurs élèves absentéistes. 2 % des jeunes de 15 ans seraient inactifs selon les chiffres de l'INSEE 51 ( * ) . Cela représente environ 15 500 jeunes, pourtant soumis à l'obligation scolaire .

À titre d'exemple, les jeunes accueillis par l'école numérique des apprentissages à Avignon qu'ont pu visiter les rapporteurs ont, en moyenne, arrêté l'école pendant un an, alors même que certains ont moins de 16 ans. De même, les échanges qu'ont pu avoir les rapporteurs avec les responsables de centres fermés et lieux de détention et leurs équipes éducatives témoignent de l'existence d'un décrochage scolaire bien avant 16 ans pour certains mineurs : selon Sylvie Paré, responsable de l'unité locale d'enseignement de la maison d'arrêt de Nanterre, « lors du premier entretien, certains mineurs [enfermés] me disent être déscolarisés depuis le CE2, ce qui peut paraître inconcevable mais est pourtant une réalité », ou encore pour les services de la protection judiciaire de la jeunesse des Hauts-de-Seine, « en milieu ouvert, nous avons très régulièrement des jeunes déscolarisés depuis leurs 11 ou 12 ans ».

Paradoxalement, l'obligation scolaire s'imposant à tout mineur de moins de 16 ans rend plus difficile la prise en charge de jeunes en rupture avec l'école . En effet, les missions locales ne sont pas compétentes pour accueillir des jeunes de moins de 16 ans. Quant aux parcours aménagés de formation initiale (PAFI), ils ne sont pas accessibles aux élèves de moins de 15 ans. Ceux-ci peuvent pourtant constituer un dispositif pertinent pour certains élèves plus jeunes, en leur permettant de suivre d'autres activités moins scolaires et qui pourraient leur convenir et le remotiver. L'élève conserve son statut scolaire et un lien avec son établissement d'origine. Ce « temps de respiration et de découverte » est encadré et fait l'objet de bilans réguliers entre l'équipe pédagogique, le jeune et ses représentants légaux. Ahmed Messaoudi, principal du collège Chambéry à Villenave d'Ornon, rencontré lors du déplacement à Bordeaux, regrettait de ne pas pouvoir proposer ce dispositif avant 15 ans 52 ( * ) .

Les rapporteurs tiennent à le souligner : un abaissement de l'âge d'accès au PAFI a vocation à concerner un nombre très limité d'élèves . Néanmoins, pour ceux-ci, le fait de devoir actuellement attendre quelques mois voire un an avant de pouvoir en bénéficier - et donc de rester jusqu'à cette échéance dans un parcours classique qui ne leur convient pas - risque d'entraîner une rupture avec l'institution scolaire, qu'il serait ensuite plus difficile à réparer .

Le parcours aménagé de formation initiale (PAFI)

Expérimenté dans quatre académies en 2016 avant d'être généralisé, le PAFI permet d'encadrer et de formaliser la possibilité pour un élève âgé de 15 à 18 ans, en risque de décrochage ou en décrochage scolaire, de pouvoir sortir temporairement d'un établissement et plus largement du milieu scolaire afin de « respirer » et de prendre du recul, tout en intégrant des activités encadrées (de nature associative, culturelle, professionnelle, sportive...), proposées par l'établissement ou bien par le jeune lui-même.

Cette parenthèse a pour objectif principal d'éviter l'interruption sèche et définitive de la scolarité et la sortie sans solution. L'élève demeure sous statut scolaire pendant toute la durée du PAFI.

Dans le cadre de son PAFI, l'élève peut par exemple valider de façon modulaire et progressive les diplômes du CAP et du baccalauréat.

Recommandation n° 6 : permettre à un élève de moins de 15 ans d'avoir accès au parcours aménagé de formation initiale ( ministère de l'éducation nationale ).

2. Les classes relais : une parenthèse « enchantée » ?

Créées par la circulaire n° 98-120 du 12 juin 1998, les classes relais ont pour but d'accueillir « des élèves, faisant parfois l'objet d'une mesure judiciaire d'assistance éducative, qui sont entrés dans un processus évident de rejet de l'institution scolaire et qui ont même souvent perdu le sens des règles de base qui organisent leur présence et leur activité au collège. La plupart du temps, ce rejet prend la forme de manquements graves et répétés au règlement intérieur, d'un comportement marqué par une forte agressivité vis-à-vis des autres élèves ou des adultes de la communauté scolaire, d'un absentéisme chronique non justifié, aboutissant à des exclusions temporaires ou définitives d'établissements successifs. Mais ce désintérêt profond vis-à-vis du travail scolaire peut également se manifester par une extrême passivité, une attitude de repli et d'autodépréciation systématique, un refus de tout investissement réel et durable ».

Les élèves peuvent être accueillis dans ces classes à effectifs réduits - au maximum de douze élèves - pour une période allant de quelques semaines à plusieurs mois - pour les élèves poly-exclus. Ce dispositif a été complété par les ateliers relais - qui accueillent les élèves pour une durée de quatre à six semaines renouvelables trois fois et font appel à des associations -, et les internats tremplins, destinés à « accueillir des élèves en rupture profonde avec les exigences de la vie des établissements ou en incapacité de faire évoluer leur comportement au sein d'un établissement sans un accompagnement spécifique 53 ( * ) ». On dénombre en 2020-2021, 404 dispositifs relais - 265 classes relais, 131 ateliers et 8 internats tremplins.

La PJJ et les services du département (notamment l'ASE) participent à la commission départementale qui se réunit sous l'autorité du DASEN afin d'examiner les dossiers des élèves proposés pour l'admission en dispositif relais ou en dispositifs de sortie.

Profil des élèves accueillis en dispositif relais

En 2019-2020, environ 7 270 élèves ont effectué au moins un séjour dans un dispositif relais.

Les élèves de quatrième, les plus nombreux, représentent 38 % des effectifs de ces dispositifs relais. Les élèves de sixième sont les moins nombreux (4 %) et leur part est en baisse.

Les élèves accueillis en dispositifs relais présentent de nombreuses difficultés : 32 % d'entre eux ont un retard scolaire d'au moins un an, 38 % ont une scolarisation intermittente ou sont absents depuis plus de deux mois, 25 % au moins sont sous mesure éducative, sachant que le taux de non-réponse à cette question est particulièrement élevé (15 %). Les filles représentent un quart des effectifs des dispositifs relais, et y sont en moyenne orientées plus tardivement que les garçons.

Source : Les élèves des dispositifs relais en collège , RERS 2021

Les rapporteurs ont entendu les doutes exprimés sur l'efficacité de ces dispositifs pour permettre le « réancrage scolaire » . Selon Daniel Auverlot, recteur de l'académie de Créteil, les classes relais « sont un dispositif merveilleux » , mais dont « l'efficacité interroge » . Elles fonctionneraient « trop bien » : le jeune accueilli s'y trouve souvent bien, en raison des effectifs extrêmement réduits, de la présence d'enseignants spécifiquement formés, d'activités autour de la citoyenneté, de projets artistiques et des enseignements scolaires avec une « pédagogie très bienveillante ». Le retour dans sa classe d'origine - ou dans une classe « classique » d'un autre établissement en cas d'exclusion - peut être très brutal , remettant l'enfant face à ses difficultés scolaires : il n'est en effet pas possible de corriger ses retards dans les apprentissages en quelques semaines ou quelques mois. Le risque d'un nouveau décrochage est élevé . D'ailleurs, il arrive régulièrement qu'un même élève effectue plusieurs séjours dans un dispositif relais au cours d'une année. Des doutes similaires ont également été entendus à l'occasion du déplacement à Avignon.

Les rapporteurs constatent que le nombre d'élèves accueillis a baissé de 16 % entre les années scolaires 2017-2018 et 2020-2021. Cette baisse est particulièrement significative pour les élèves en classe relais (- 32 % sur quatre années scolaires), conséquence notamment de la fermeture par le ministère de l'éducation nationale de plusieurs classes relais.

Nombre d'élèves accueillis en dispositifs relais ces quatre dernières années

Nombre de séjours

Nombre d'élèves ayant effectué au moins un séjour

Âge : 14 ans et plus

2017/2018

Classes relais

6 400

5 900

47 %

Ateliers

2 900

2 600

41 %

Internats relais

100

-

76 %

Total

9 400

8 500

2018/2019

Classes relais

6 200

5 700

46 %

Ateliers

3 200

2 800

34 %

Internats relais

100

100

59 %

Total

9 500

8 600

2019/2020

Classes relais

4 406

4 129

50 %

Ateliers

3 257

3 041

38 %

Internats relais

108

100

54 %

Total

7 771

7 270

2020/2021

Classes relais

4 305

4 040

47 %

Ateliers

3 233

3 017

34 %

Internats relais

105

96

54 %

Total

7 643

7 153

42 %

Source : DGESCO

La circulaire du 19 février 2021 relative aux dispositifs relais prévoit « un suivi des dispositifs relais par la DGESCO, à partir notamment des données recueillies par le biais de l'enquête renseignée au fur et à mesure de l'entrée des élèves dans le dispositif » .

Ce suivi reste aujourd'hui très partiel : selon les chiffres transmis par la DGESCO, la situation de 63 % des élèves de sixième, 43 % pour ceux de cinquième, 31 % pour ceux de quatrième, 42 % pour ceux de troisième ou 30 % pour ceux dans une autre situation au moment de leur intégration du dispositif relais lors de l'année scolaire 2019-2020 n'est pas connue en juin 2021.

L'efficacité du dispositif devrait également être mesurée à l'aune de la capacité du jeune à faire évoluer son comportement, pour respecter les règles de vie de l'établissement scolaire. À cet effet, l'un des indicateurs de suivi recense le nombre de jeunes pour lesquels un conseil de discipline a dû être convoqué dans les six mois suivant son passage dans un dispositif relais. Or, le renseignement de cet indicateur est lacunaire pour 40 % des jeunes.


* 50 Deux des jeunes accueillis par l'école numérique des apprentissages ont très fréquemment été absents de l'école depuis le CE2.

* 51 Source : État de l'école 2021, DEPP.

* 52 À titre de comparaison, les stages d'initiation en milieu professionnel sont possibles dès l'âge de 14 ans. L'élève peut y effectuer des activités et, sous surveillance, des travaux légers autorisés aux mineurs par le code du travail.

* 53 Il s'agit principalement, selon le ministère, des élèves hautement perturbateurs ou de tout élève concerné par une deuxième exclusion définitive prononcée au cours d'une même année scolaire (cf. troisième partie).

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