N° 778
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juillet 2022
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le premier bilan du financement des maisons France services ,
Par M. Bernard DELCROS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
L'ESSENTIEL
I. DES MSAP AUX FRANCE SERVICES : POUR UN MEILLEUR ACCÈS AUX SERVICES PUBLICS
A. UN DÉPLOIEMENT RÉUSSI GRÂCE À LA MONTÉE EN GAMME DU PROGRAMME FRANCE SERVICES
Inscrit comme une priorité de l'Agenda rural avec pour ambition de faciliter l'accès aux services publics pour tous les usagers, le réseau France Services créé en 2019 résulte en partie du dispositif des 1 300 maisons de services au public (MSAP), lui-même né de la structuration au niveau national d'initiatives locales antérieures. Il s'agit d'un réseau de services publics mutualisés devant permettre aux usagers d'effectuer différentes démarches administratives dans un lieu unique.
L'évolution des MSAP vers les France services a permis une réelle montée en gamme des maisons grâce à un cadre plus clair, un cahier des charges exigeant et des partenariats conclus avec des opérateurs nationaux, permettant ainsi de répondre partiellement aux insuffisances de certaines MSAP.
Neuf partenaires nationaux sont désormais associés au réseau France services et participent à son financement : la CNAF ; la CNAM ; la CNAV ; la MSA ; Pôle Emploi ; La Poste ; la direction générale des finances publiques (DGFiP) ; le ministère de la Justice et enfin l'agence nationale des titres sécurisés (ANTS) rattachée au ministère de l'intérieur. Les maisons France services ont également intégré de nombreux acteurs locaux, atteignant parfois jusqu'à une quarantaine de partenaires.
Le nombre de maisons France services a presque doublé en deux ans pour atteindre 2 197 maisons en avril 2022, contre 1 123 MSAP labellisées en 2019, à la fois en secteur rural et en quartiers prioritaires de la ville. 3,5 millions de demandes cumulées ont été enregistrées en 2021.
La mise en place de bus en complément des structures fixes constitue en outre une réelle plus-value : 106 bus France services sont aujourd'hui déployés . Ce mode d'offre mobile peut utilement être développé pour répondre aux besoins locaux.
L'intérêt du programme France services est indéniable et réside essentiellement dans la proximité et la dimension « humaine » de l'accompagnement apporté aux usagers, dans un contexte de numérisation de la société et de développement de plateformes téléphoniques excluant une partie de la population de l'accès aux services publics.
Le dispositif est d'ailleurs bien perçu, comme l'ont confirmé les auditions et déplacements effectués par le rapporteur spécial : 93,4 % des usagers sont satisfaits de leur démarche en France services. Quant aux 520 élus locaux interrogés par la plateforme de consultation du Sénat, seuls 6,5 % considèrent que le dispositif n'est pas pertinent .
B. UN MAILLAGE TERRITORIAL À PARFAIRE
L'objectif de départ était d'implanter une maison France services par canton, à moins de 30 minutes du domicile de chaque usager, ce qui correspond à une cible de 2 500 maisons, soit un maillage environ deux fois plus dense que celui des MSAP.
L'extension des périmètres des cantons découlant de la loi du 17 mai 2013 rend ce maillage inadapté. Le réseau France services doit coller davantage à la proximité et à la réalité du quotidien des usagers . Le maillage le plus pertinent en secteur rural est celui d'une maison France services dans chaque petite centralité, autrement dit dans chaque bourg centre jouant un rôle de pôle de services pour le bassin de vie environnant.
Les maisons France services sont en majorité portées par des collectivités territoriales , qui représentent 64 % des structures . La Poste porte quant à elle 18 % des maisons et le réseau associatif 15 % . Le reste est partagé entre l'État (1 % des France services sont localisées dans des sous-préfectures) et la MSA. Le nombre de maisons et leur fréquentation connaissent également d'importantes variations selon les départements.
II. VERS DES MAISONS FRANCE SERVICES NOUVELLE GÉNÉRATION
A. UN CAP À FRANCHIR : RENFORCER L'OFFRE ET LA QUALITÉ DES SERVICES
1. Améliorer la formation et la valorisation professionnelle des agents France services
Le métier d'agent France services nécessite à la fois des capacités d'accueil et de médiation, tendant parfois vers de l'accompagnement social, et une maîtrise de fond des procédures administratives de l'ensemble des opérateurs. Il s'agit donc d'un poste très polyvalent qui fait appel à des compétences bien plus larges que pour les MSAP.
Le bon fonctionnement des MFS ne peut donc s'appuyer uniquement sur des contrats de courte durée ou des services civiques. Aujourd'hui l'enjeu est de stabiliser les équipes d'accueil, de mieux les former et de mieux reconnaître ces métiers devenus essentiels.
Si le cadre national de formation constitue effectivement un progrès par rapport aux MSAP, celui-ci apparaît encore trop limité et insuffisamment opérationnel , trop condensé, inadapté aux demandes spécifiques de chaque territoire et son contenu n'est pas toujours en phase avec l'exercice réel de ce métier.
La formation continue doit aussi être développée et réorientée vers davantage de formations au niveau départemental en lieu et place des webinaires nationaux et en priorisant les formations les plus en adéquation avec le quotidien des agents, selon les territoires.
2. Consolider l'offre de services actuelle et mieux respecter le cahier des charges
L'idée fondamentale de France services est l'apport d'une aide dite « de premier niveau » par les agents France services . Dès lors qu'une demande est plus complexe, l'agent France Services doit théoriquement prendre contact avec l'opérateur, dont l'investissement local est très variable selon les partenaires et les départements. Il est donc indispensable de s'assurer que les opérateurs respectent bien leurs obligations figurant dans le cahier des charges national, en particulier un interlocuteur dédié et des lignes téléphoniques directes avec les agents France services.
De nouveaux services peuvent également être mis en place par les partenaires actuels. Ainsi, dans une approche de proximité, il parait opportun d'équiper chaque maison située dans une commune n'offrant pas ce service, d'un dispositif de recueil d'empreintes permettant d'établir des titres sécurisés .
La mise en place d'un cahier des charges exigeant et commun à l'ensemble des maisons avec la présence de deux agents dans chaque structure est un vrai progrès en termes d'égalité d'accès aux services publics. Il serait regrettable de revenir sur cette avancée en réduisant l'ambition du cahier des charges dans certaines zones, ouvrant ainsi la voie à un réseau France services à deux vitesses.
Par ailleurs, les conseillers numériques adossés aux maisons France services jouent un rôle essentiel en faveur de l'inclusion numérique et doivent absolument être pérennisés. Ce dispositif doit garantir une véritable visibilité budgétaire au programme en maintenant le niveau actuel de participation de l'État sur la durée.
3. Renforcer l'ambition des France services en intégrant de nouveaux opérateurs nationaux
France services est un réseau dynamique dont le déploiement ne peut être considéré comme achevé à l'heure actuelle. En effet un grand nombre d'opérateurs nationaux ont vocation à rejoindre le réseau France services et la plupart des ministères devraient à terme y être associés .
À titre d'exemple, il apparaît indispensable que France Rénov', pour lequel le besoin d'accompagnement individuel est considérable, soit formellement associé à France services et qu'à ce titre le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires devienne un nouvel opérateur national.
Il parait également souhaitable que les départements, dont les prérogatives font écho aux objectifs du réseau France services, puissent être davantage associés, si possible en tant qu'opérateurs.
Toutefois les maisons France services ne peuvent en aucun cas constituer un substitut à l'offre existante de services publics dont elles sont complémentaires. L'absence de décharge de l'État et des opérateurs sur le réseau France services, sans accord préalable des collectivités locales et compensation financière, doit rester la règle.
4. Repenser le pilotage à toutes les échelles pour renforcer l'animation du réseau France services
Le rôle d'impulsion, de coordination et de pilotage du réseau est assuré par l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). La Banque des territoires participe également à l'animation du réseau. La mutualité sociale agricole (MSA) et La Poste, qui portent des maisons France services, sont également associées à la gouvernance nationale.
La multiplicité des acteurs impliqués dans le programme France services implique de mettre l'accent sur l'animation du réseau à l'échelle départementale. La mobilisation des préfectures est une condition essentielle de la réussite du programme France services . L'ANCT doit formaliser un cadre départemental d'animation en s'inspirant des bonnes pratiques dans certains départements. Le réseau des animateurs départementaux de l'ANCT , en cours de mise en place, qui consiste à déployer dans tous les départements un agent dédié sur la base d'un demi-ETP, semble aller dans le bon sens. Le pilotage plus fin du réseau France services passe également par une fiabilisation du système de suivi et des données fournies par les agents d'accueil.
En outre, afin d'ancrer le dispositif France services dans les territoires au plus près des habitants, l'animation du réseau ne peut se faire sans un lien étroit avec les communes, notamment en maintenant un contact continu avec les secrétaires de mairie, qui constituent historiquement le premier relais de services publics de proximité.
B. UNE NÉCESSITÉ : LA CONSOLIDATION DU FINANCEMENT DU PROGRAMME FRANCE SERVICES
1. Un système de financement associant État, opérateurs et porteurs de projets
Le système de financement des maisons France services est le fruit de l'accord trouvé en 2019 entre l'État et les opérateurs . La montée en puissance du nombre de maisons France services rend indispensable une remise à jour de ces paramètres, s'agissant tant du niveau de financement apporté par l'État et les opérateurs que du mode de calcul des contributions.
Actuellement, chaque France services est financée par un forfait de 30 000 euros par an et par maison . Ce financement s'appuie sur le fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), côté État et sur le fonds national France services (FNFS), côté opérateurs.
En 2022, les crédits du FNADT dédiés aux maisons France Services ont atteint 36,4 millions d'euros, contre 28,3 millions d'euros en 2021 . Cette hausse est liée à l'augmentation rapide du nombre de maisons.
La contribution de chaque partenaire (opérateur ou ministère) au fonds national France Services (FNFS) a été calculée suivant une clé de répartition à partir des visites annuelles constatées et de leurs usagers potentiels au niveau national. Les niveaux de contribution ont augmenté au cours des dernières années, proportionnellement au rythme de la densification du réseau. Toutefois, ces montants doivent être mis en regard des budgets respectifs des différents opérateurs et des bénéfices que ceux-ci tirent parfois du désengorgement de leurs antennes locales par le biais de France services.
Plusieurs opérateurs ont exprimé le souhait de réviser le système de financement pour calculer celui-ci en fonction des données réelles de fréquentation observées sur le réseau France services. Si la révision des modalités de calcul des contributions peut paraître à terme nécessaire et juste, elle ne doit pas conduire à basculer vers une forme de paiement à l'acte qui présenterait de nombreux inconvénients. Le mode de calcul doit in fine être repensé mais cette évolution doit être progressive.
2. Revoir la participation financière de l'État qui doit être à la hauteur des ambitions affichées du programme France services
a) Un financement devenu insuffisant et essentiellement à la charge des collectivités territoriales
Le coût de fonctionnement annuel moyen d'une maison France services est d'environ 110 000 euros et 150 000 euros pour les France services postales. Le reste à charge moyen pour les porteurs de projet, une fois décompté le forfait de 30 000 euros, est donc de 80 000 euros par an et par maison. En d'autres termes, le forfait finance actuellement à peine plus du quart du coût de fonctionnement réel d'une maison France services . Il n'a pas évolué depuis les MSAP, alors même que le coût de fonctionnement des maisons est nettement supérieur en raison d'un cahier des charges beaucoup plus exigeant.
Ce modèle financier n'est plus soutenable pour les porteurs de projet , notamment pour les collectivités rurales qui assurent parfois le fonctionnement et le financement de plusieurs maisons en raison de la faible densité de population et de l'étendue de leur territoire, alors même que leurs capacités financières sont souvent les plus faibles.
Le rapporteur spécial a en outre pu constater que ces coûts de fonctionnement sont assez fréquemment sous-estimés localement , certaines collectivités ne prenant pas en compte l'intégralité des frais liés à la maison France services.
b) Une nécessité : mieux accompagner les collectivités pour atteindre l'ambition du programme France services porté par l'État.
Pour tenir compte de ces réalités, la participation cumulée de l'État et des opérateurs nationaux devrait être portée à 50 % du coût minimum d'une maison France services, soit 50 000 euros par maison , pour un reste à charge compris en 50 000 et 70 000 euros en moyenne.
Cela représente une hausse de 20 000 euros par maison, soit, sur la base de 2 500 France services, 25 millions d'euros supplémentaires pour l'État et 25 millions d'euros pour les opérateurs. L'arrivée des nouveaux opérateurs pourrait permettre d'absorber la hausse du niveau de financement, qui ne serait pas supportée par les partenaires actuels.
Il est particulièrement important que le financement des maisons reste forfaitaire et ne soit en aucun cas modulé selon la fréquentation. Cela pénaliserait les collectivités rurales, les plus fragiles du fait d'une faible densité de population et qui doivent parfois assurer le financement de plusieurs maisons en raison de l'étendue de leur territoire.
Le rapporteur spécial ajoute qu'aucune conclusion sur le bon fonctionnement d'une maison ne peut s'appuyer sur la fréquentation en valeur absolue. Seule la mesure d'une fréquentation relative à la population desservie par la maison France services peut contribuer à évaluer la réussite et le bon fonctionnement d'une maison.
Dans la mesure où France services est aujourd'hui l'une des actions phares de l'État pour maintenir des services publics dans tous les territoires, celui-ci doit impérativement accompagner financièrement les porteurs des maisons France services à la hauteur de l'ambition du programme.