B. POUR LES AUTRES ORGANISMES PUBLICS, LA MISE EN OEUVRE DU STANDARD EUROPÉEN SUR LES OBLIGATIONS VERTES NE CONSTITUERA PAS AUTOMATIQUEMENT LE CADRE LE PLUS ADAPTÉ POUR LEURS ÉMISSIONS

Après avoir entendu plusieurs acteurs publics (hors État) et institutionnels, le rapporteur spécial estime que la mise en oeuvre du standard européen sur les obligations vertes semble pour eux difficilement envisageable à court terme, eu égard aux spécificités de leurs émissions et des projets qu'ils financent .

1. De nombreux acteurs publics ou soutenus par l'État émettent des obligations vertes, sociales ou durables

Les acteurs publics hors État, que ce soit les collectivités territoriales, les agences publiques ou les entreprises publiques partiellement ou totalement soutenues par l'État se sont montrés parmi les acteurs les plus innovants en termes de diversification de leurs modes de financement. Les émissions d'obligations vertes, sociales ou durables (projets à la double vocation environnementale et sociale) forment désormais la très grande majorité de leurs émissions. La Caisse des dépôts et consignations étudierait également l'introduction des sustainability-linked bonds dans la gamme de ces instruments de financement ESG.

Les collectivités territoriales sont ainsi les premiers acteurs publics à avoir émis des obligations vertes, avec les régions Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Hauts-de-France en 2012, suivies d'entités soutenues par l'État. Dans son rapport sur la France en 2018 44 ( * ) , la Climate Bond Initiative relevait que « l'implication du Gouvernement français dans la finance verte sembl[ait] avoir eu une influence positive sur les entités appartenant entièrement ou partiellement à l'État » et citait comme exemple EDF, SNCF Réseau, la RATP ou encore la Caisse des dépôts. L'organisation relevait également l'utilisation « excellente » des avis externes, près de 97,5 % des émissions en volume ayant alors fait l'objet d'une seconde opinion. 84 % des obligations avaient fait l'objet d'une déclaration sur l'utilisation des fonds levés, un pourcentage certes inférieur à celui constaté sur d'autres marchés européens, mais qui ne devait pas masquer la qualité généralement plus élevée de ces rapports.

La Société du Grand Paris (SGP) est enfin l'un des rares acteurs publics à pouvoir être reconnu pour sa signature 100 % verte dans sa stratégie d'émissions. Elle s'est dotée d'un document-cadre pour ses émissions d'obligations vertes, mandate régulièrement un vérificateur (seconde opinion) et procède à la certification de ses obligations par la Climate Bond Initiative .

2. La taxinomie européenne et le standard européen sur les obligations vertes, conçus en priorité pour les acteurs privés, ne tiennent pas compte des spécificités de ces acteurs publics

L'un des points communs de la taxinomie verte et du standard européen sur les obligations vertes est la très grande importance accordée au travail d'analyse de l'impact environnemental des activités éligibles et des fonds levés . De telles évaluations supposent la mise en place de procédures de remontées d'information robustes .

Or, si les entreprises, et notamment les plus grandes d'entre elles, ont déjà investi dans ce coût documentaire et de reporting , eu égard aux obligations qui leur incombent d'ores et déjà en la matière (documentation extra-financière), tel n'est pas le cas par exemple des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics. Le directeur général de la SFIL a ainsi estimé, lors de son audition, que l'organisation ne serait pas en mesure de ne proposer que des obligations totalement alignées sur la taxinomie, les procédures de remontées d'information étant trop lourdes à mettre en place pour la plupart des collectivités .

La nomenclature budgétaire utilisée par les collectivités pour classer leurs dépenses apparaît en ce sens peu adaptée à ces remontées d'informations . Un exemple a été donné au rapporteur spécial : la rénovation BBC (bâtiment basse consommation) d'un lycée est inscrite en tant que dépense de formation, sans aucune composante environnementale.

Le reporting étant toutefois un aspect fondamental pour la crédibilité des obligations vertes comme durables, le rapporteur spécial estime qu' il ne faut pas entièrement renoncer à la mise en place de processus de reporting par les collectivités territoriales ni même à l'introduction de davantage de rigueur dans l'identification des dépenses éligibles , par exemple par l'intermédiaire d'un budget vert qui reposerait sur une nomenclature budgétaire différente.

En effet, les règles européennes, qui durcissent le cadre applicable aux obligations vertes, vont a minima avoir un impact indirect sur le financement des projets des collectivités territoriales, en renforçant les exigences des investisseurs à leur égard. Ainsi, il ne sera plus suffisant de faire du « vert par destination » , en s'appuyant sur le seul fait que la majeure partie des projets d'investissement des collectivités ont a priori, au regard de leurs domaines de compétence, un impact environnemental et/ou social positif. Il faudra au contraire également démontrer que ce qui est financé est bien vert , en amont et en aval, avec éventuellement des rapports d'allocation et d'analyse d'impact.

C'est une lecture confirmée par la Caisse des dépôts : un financement octroyé à une collectivité locale mais non fléché sur une thématique donnée ne peut pas passer le filtre de l'éligibilité taxinomique, avant même toute analyse de son alignement. Sans exigences minimales de transparence, il est à craindre que les collectivités se heurtent à des difficultés de financement par l'émission d'obligations vertes ou durables.

Recommandation n° 4 ( ministère de l'économique et des finances, ministères chargés de la transition écologique et des collectivités territoriales, régions et départements ) : si les collectivités territoriales veulent continuer à recourir aux financements verts et bénéficier de leurs avantages, alors elles doivent procéder à l'identification, dans leurs comptes, des dépenses ayant un impact favorable sur l'environnement. Ce travail d'identification pourrait s'appuyer sur une modification de la nomenclature budgétaire.

Une deuxième difficulté porte sur le champ des dépenses éligibles et/ou alignées sur la taxinomie . En effet, plusieurs secteurs sont aujourd'hui exclus de la taxinomie, soit parce qu'ils sont à l'origine d'une part importante des émissions de gaz à effet de serre, ce qui se justifie pleinement au regard des ambitions du règlement, soit parce qu'ils sont jugés globalement neutres, alors même qu'une partie des activités en leur sein pourrait être alignée sur la taxinomie. Ce pourrait être le cas par exemple pour le tourisme, un secteur absent jusqu'ici de la taxinomie mais pourtant fortement soutenu par des investisseurs institutionnels ou par les collectivités territoriales.

À titre intermédiaire, et comme il a pu le proposer pour les émissions d'OAT vertes, le rapporteur spécial estime que des émetteurs tels que la Caisse des dépôts ou la SFIL pourraient davantage être soumis à une obligation de moyens , celle de faire coïncider le plus possible leur cadre d'émission d'obligations vertes et durables avec le standard européen et l'alignement sur la taxinomie, sans y adhérer totalement . Dans leurs rapports d'activité, ces émetteurs pourraient utiliser une « double taxinomie », en indiquant la part des fonds levés par le biais d'obligations vertes et durables et totalement alignées avec la taxinomie européenne, et la part des fonds qui ne rentrent pas totalement dans la taxinomie mais qui respectent les objectifs (ex. les objectifs de développement durable de l'ONU pour la Caisse des dépôts) et les standards repris par l'émetteur (ex. les Green Bond Principles de l'ICMA, utilisés par exemple par la SFIL).

Une troisième difficulté tient au fait que le règlement 2020/852 ne s'applique, en plus qu'aux acteurs des marchés financiers et aux émetteurs, qu'aux entreprises qui sont soumises à l'obligation de publier une déclaration non financière 45 ( * ) , à savoir les entreprises de plus de 500 salariés 46 ( * ) .

Concrètement, cela signifie que les investisseurs institutionnels, tels que la Caisse des dépôts ou encore Bpifrance, ne pourraient inclure dans leur analyse de durabilité et dans la mesure de leur alignement avec la taxinomie que les fonds octroyés à ces grandes entreprises. Un prêt vert à destination d'une petite ou moyenne entreprise ne serait pas, en l'état actuel, comptabilisé comme aligné sur la taxinomie.

Un alignement total à la taxinomie et au standard européen n'apparait dès lors pas opportun : pour les collectivités territoriales le coût administratif pourrait être rédhibitoire, pour les investisseurs institutionnels il pourrait fragiliser leurs missions de soutien à l'économie.

Recommandation n° 5 ( acteurs publics et parapublics apportant des solutions de financement aux collectivités territoriales et aux petites entreprises ) : intégrer, dans les rapports d'activité des acteurs publics et institutionnels ne pouvant proposer des obligations finançant des projets totalement alignés sur la taxinomie verte européenne, deux calculs de l'alignement taxinomique , le premier par rapport à la taxinomie européenne, le second par rapport à la propre grille d'analyse de l'émetteur.


* 44 Rapport de la Climate Bond Initiative sur la France en 2018.

* 45 Directive 2013/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises, modifiant la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE du Conseil .

* 46 Ce seuil pourrait éventuellement être abaissé à 250 salariés si la nouvelle directive sur le reporting de durabilité des entreprises était adoptée.

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