B. LA CERTIFICATION DE LA DONNÉE PERMET D'ASSEOIR LA CRÉDIBILITÉ DES ENGAGEMENTS DES ÉMISSIONS DES ACTEURS PRIVÉS ET DE RÉDUIRE LE RISQUE D'ÉCO-BLANCHIMENT

1. La certification de la donnée est primordiale pour identifier les actifs verts et faire en sorte que la taxinomie européenne ne soit pas détournée de ses objectifs
a) Pour les émissions d'obligations vertes

Proposé dans le cadre du standard européen sur les obligations vertes, le renforcement des exigences imposées aux fournisseurs de seconde opinion, qui seraient désormais désignés sous le vocable de vérificateurs externes , est primordial pour donner toute sa portée à la définition du vert prévue par la taxinomie et pour valider son identification .

Le recours à des vérificateurs externes par les émetteurs d'obligations vertes présente par ailleurs un avantage sur le marché, celui de réduire les asymétries d'information entre les émetteurs et les investisseurs, ce qui permet de renforcer la confiance des acteurs et d'assurer la crédibilité d'un marché sur lequel le risque réputationnel est extrêmement élevé.

Ce bénéfice a un coût pour les émetteurs , à la fois direct , avec le paiement des services du fournisseur de seconde opinion, et indirect , avec les mesures à mettre en oeuvre pour assurer la conformité avec le référentiel choisi pour l'émission des obligations vertes. Toutefois, les évaluations empiriques tendent aussi à démontrer que les obligations vertes émises par des entreprises et bénéficiant d'une seconde opinion s'échangent à un prix plus élevé que les obligations vertes non vérifiées , au bénéfice donc des émetteurs 90 ( * ) .

Le vérificateur intervient à deux étapes :

- en amont de l'émission, pour vérifier 1) que les projets qui feront l'objet du financement sont bien éligibles sous le standard retenu (ex. les principes applicables aux obligations vertes de l'ICMA) et 2) que l'émetteur a mis en place les processus internes nécessaires au suivi de l'utilisation des fonds levés ;

- en aval de l'émission, pour vérifier que les fonds ont bien été alloués aux projets verts en accord avec les règles établies dans le standard retenu par l'émetteur (son « document cadre »).

Le changement de désignation proposé par le standard, de l'agence mandatée pour une seconde opinion au vérificateur externe, est loin d'être anodin. Il témoigne en effet de la volonté d' aller plus loin que la simple vérification de la conformité des processus mis en place par les émetteurs par rapport au standard européen . Les vérificateurs externes sont ainsi invités à s'engager sur la stratégie globale des émetteurs en matière de durabilité ainsi que sur l'alignement sur la taxinomie de leurs projets, en tenant donc davantage compte de la qualité de la donnée.

Le rapporteur spécial estime dès lors qu'un tel changement d'approche devrait se doubler de la mise en place d'une certification « étagée » et non pas binaire (certification ou non). Les vérificateurs externes pourraient par exemple proposer, à l'instar de ce qui est prévu pour la notation financière, une échelle de notes sur le vert (ex. notation AAA ou AA+) , en incluant une perspective (négative, stable, positive) . Un tel système, certes plus difficile à mettre en place, donnerait aussi une information plus précise aux investisseurs, qui seraient également en mesure de procéder à des comparaisons, à la condition que cette notation s'appuie sur des données sources de qualité comparable (disponibilité de la donnée).

Recommandation n° 12 (ministère de l'économie et des finances) : instaurer, pour la vérification des obligations vertes émises par un acteur privé, une échelle de notation incluant une appréciation du vérificateur sur l'évolution probable à moyen terme de la crédibilité des engagements de l'émetteur. Pour encourager les vérificateurs à mettre en place cette nouvelle grille, organiser un groupe de travail animé par la direction générale du Trésor.

b) Pour le reporting de durabilité des entreprises

Dans le cadre de la future directive sur le reporting de durabilité des entreprises (directive CSRD), de nouvelles exigences sont imposées sur la vérification de ce reporting par un tiers indépendant , avec une appréciation sur le fond des objectifs de durabilité et des indicateurs de performance retenus par l'entreprise. Tout comme pour les émissions d'obligations vertes, il est en effet primordial de pouvoir certifier l'identification du vert et du durable, et ce afin d'éviter tout risque d'éco-blanchiment et de remettre en cause les objectifs mêmes de ce nouveau cadre règlementaire.

Le texte ayant fait l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen dispose que cette certification devra être faite par un certificateur indépendant accrédité et que les actionnaires auront la possibilité de demander une expertise par un autre acteur que l'auditeur financier .

Avant l'annonce de l'accord, le rapporteur spécial s'était longuement interrogé sur la pertinence de confier cette mission de certification aux commissaires aux comptes (CAC), comme le proposait la Commission européenne dans la version initiale de la CRDS. Des informations obtenues à l'issue des auditions, il ressort que de nombreuses entreprises ont établi une relation de confiance avec leurs CAC, qui disposent d'une connaissance approfondie des entreprises qu'ils auditent, tant sur leurs comptes que parfois également sur leur déclaration de performance extra-financière. Le recours à un acteur unique peut par ailleurs inciter à des rapprochements et à des synergies entre l'audit financier et l'audit extra-financier .

Aux termes de la directive, la mission de certification pourra donc être, sauf avis contraire des actionnaires, confiée aux CAC, à la condition toutefois qu'ils soient formés et eux-mêmes certifiés à cet effet , une préoccupation qui rejoint celle exprimée par le standard européen pour les obligations vertes pour ce qui concerne les vérificateurs externes.

En réponse à une crainte du rapporteur spécial sur l'existence d'un nombre suffisant d'acteurs formés à cette vérification , la direction générale du Trésor a répondu que la France disposait sur ce terrain d'un léger avantage concurrentiel . Elle est en effet le premier pays européen à avoir mis en place un reporting extra-financier pour les entreprises, les commissaires aux comptes établis en France ont donc eu le temps de développer leurs méthodes et leurs processus.

2. Il sera dès lors primordial de disposer des compétences nécessaires pour procéder au travail de certification
a) Encadrer les vérificateurs, certifier les certificateurs

Le standard européen sur les obligations vertes propose un encadrement plus strict des fournisseurs de seconde opinion , qui seraient désignés sous le terme de vérificateurs externes . Le renforcement des exigences en matière de contrôle interne, de prévention des conflits d'intérêt et de compétence, sanctionné par un enregistrement obligatoire auprès de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), pourrait contribuer à renforcer la crédibilité des vérificateurs, et donc des émissions vertes .

Le soutien apporté à ce volet de la proposition européenne ne veut pas dire que le travail des fournisseurs de seconde opinion est aujourd'hui soumis à interrogation, simplement, comme pour les conflits d'intérêt dans la sphère publique, il y a d'une part le sujet du réel et d'autre part celui de l'apparent. Or, le marché du vert reposant sur un équilibre fragile, appuyé sur la transparence et la crédibilité des engagements des parties prenantes, il ne peut être qu'opportun de renforcer ses piliers.

Si l'imposition de ces nouvelles règles pourrait dans un premier temps conduire à une concentration des acteurs, la direction générale du Trésor a assuré au rapporteur spécial qu' il ne fallait pas craindre, sur ce segment également, une attrition des acteurs à moyen terme : tous les fournisseurs de seconde opinion seraient prêts à s'enregistrer, tout comme certains cabinets de commissaires aux comptes.

Quant à la certification du futur reporting de durabilité des entreprises, elle pourrait être assurée, d'après les informations publiées sur la future directive, par les commissaires aux comptes (CAC), sauf à ce que les actionnaires ne demandent que l'auditeur mandaté ne soit pas l'auditeur financier. Le texte préciserait que ces auditeurs devraient être accrédités, un terme qui reste assez flou en l'absence de publication de la mouture finale.

Le rapporteur spécial estime en effet primordial que les CAC souhaitant certifier le reporting de durabilité aient reçu en amont une certification de leurs compétences en la matière. Sous la réserve que ne soit imposée une accréditation au niveau européen, ce serait à l'AMF, qui accompagne déjà les entreprises dans leurs préparatifs à la mise en oeuvre de la future directive CSRD, et au Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C), autorité de régulation de la profession, de délivrer ces certificats.

Selon les marges de manoeuvre laissées par la future directive, il devrait être envisagé de délivrer les certificats et d'accréditer les auditeurs externes pour une durée limitée , par exemple de trois ans, obligeant ainsi les CAC à devoir démontrer régulièrement qu'ils tiennent compte des évolutions règlementaires et qu'ils actualisent leurs processus de certification à cet effet. Les CAC ayant par ailleurs demandé le statut de vérificateur externe auprès de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) pourraient bénéficier d'une procédure allégée.

Recommandation n° 13 (législatif, puis Autorité des marchés financiers et Haut conseil du commissariat aux comptes) : sauf à ce qu'une accréditation soit prévue au niveau européen, imposer aux commissaires aux comptes désignés par les entreprises pour certifier leur reporting de durabilité de disposer d'une certification de l'Autorité des marchés financiers et du Haut conseil du commissariat aux comptes à cet effet. Ce certificat serait délivré pour une durée de trois ans.

Les procédures que devraient suivre les auditeurs externes, comme les commissaires aux comptes, pourraient conduire à renchérir le coût de leur prestation pour les entreprises, qui devront par ailleurs demander un double audit financier et extra-financier . Il conviendra donc d'être attentif à ce que coût ne pénalise pas les petites et moyennes entreprises.

b) Un enjeu commun : la formation

S'il est un angle mort des discussions européennes sur l'harmonisation des normes applicables à la finance verte et sur la création d'un cadre unifié, c'est bien celui de la formation, initiale et continue, de l'ensemble des parties prenantes (investisseurs, acteurs financiers et non financiers, agences de notation, vérificateurs externes, commissaires aux comptes, etc.).

Or cet enjeu va devenir de plus en plus pressant, que ce soit pour concevoir de nouveaux produits durables et pour informer les épargnants, ou pour répondre aux exigences nouvelles imposées aux entités mandatées pour vérifier les émissions d'obligations vertes, pour certifier les données utilisées dans le reporting de durabilité des entreprises et pour accompagner les entreprises dans la construction de leur comptabilité carbone (cf. infra ). Il faudra bien à cet égard pouvoir compter sur un vivier de compétences : ce sont des normes et non des subjectivités qui doivent être appliquées .

Pour ce faire, il faut pouvoir disposer d'une assurance raisonnable quant à la qualité de la formation initiale et continue suivie dans le domaine de la finance verte . C'est d'autant plus important que la concurrence est forte dans ce domaine. Pour citer le directeur général de l'Institut Louis Bachelier - organisme qui finance, diffuse et valorise la recherche en économie et finances - « la finance verte, c'est du brain business. On a la capacité de former les gens, encore faut-il le faire ».

L'AMF a ainsi commencé par inclure dans la certification professionnelle un module optionnel « finance durable ».

La certification professionnelle « finance durable »
de l'Autorité des marchés financiers

Les collaborateurs ou les futurs professionnels des prestataires de services d'investissement (PSI) ainsi que les conseillers en investissement participatif (CIF) doivent passer un examen de certification professionnelle pour garantir qu'ils disposent bien d'un socle minimal de connaissances et de compétences. Cet examen est organisé par les centres de formation certifiés par l'AMF.

Le Collège de l'AMF a souhaité au début de l'année 2021 que les connaissances minimales des PSI et des CIF en matière de finance durable soient renforcées, dans le cadre du dispositif obligatoire de certification professionnelle. Un nouveau module de certification « finance durable », encore optionnel, a ainsi vu le jour et, à la fin de l'année 2021, six organismes de formation étant certifiés par l'AMF.

Source : Autorité des marchés financiers, rapport d'activité pour l'année 2021 , 18 mai 2022

Recommandation n° 14 (Autorité des marchés financiers) : rendre obligatoire au 1 er janvier 2024 la présence d'un module de certification « finance durable » au sein du parcours de certification professionnelle proposé par les organismes de formation certifiés par l'Autorité des marchés financiers pour les conseillers en investissement participatif et pour les collaborateurs ou les futurs professionnels des prestataires de services d'investissement.

L'entité en charge de la promotion de la place financière de Paris, rattachée à Paris Europlace , Finance For Tomorrow (F4T), propose d'aller plus loin en créant une procédure de labellisation des formations , et notamment des masters en finance « traditionnelle ». Seuls les masters disposant d'un socle minimal de formation à la finance durable pourraient obtenir ce label. Sur ce sujet, F4T travaille avec des professionnels de la Place et des représentants du monde académique.


* 90 Serena Fatica et Roberto Panza, « Green bonds as a tool against climate change ? », 10 novembre 2020; Flammer, «Green Bonds : effectiveness and implications for public policy », 2020.

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