TRAVAUX DE LA MISSION D'INFORMATION
Les comptes rendus des auditions et des tables
rondes
sont disponibles en ligne :
http://www.senat.fr/commission/missions/2021_culture_citoyenne.html
Réunion constitutive
Mercredi 1er
décembre 2021
Présidence de M. Jean-Pierre Decool, président d'âge
Jean-Pierre Decool, président d'âge . - Mes chers collègues, l'honneur me revient de présider l'ouverture de la réunion constitutive de cette mission d'information, constituée pour réfléchir à la dynamisation de la culture citoyenne. Cette mission d'information a été créée à la demande du groupe RDSE, dans le cadre du droit de tirage prévu à l'article 6 bis du règlement du Sénat. Les membres de notre mission ont été nommés en séance publique le jeudi 18 novembre.
C'est tout à l'honneur du Sénat, grâce à l'initiative de notre collègue Henri Cabanel, que je salue, de s'interroger sur cette question décisive pour l'avenir de notre Nation, dont la cohésion est soumise aujourd'hui à de nombreux défis. Ces derniers rendent plus que jamais nécessaire une réflexion approfondie sur ce que représente aujourd'hui la citoyenneté en France, a fortiori en cette année d'élections, dans un contexte marqué par un taux d'abstention très préoccupant.
Nous devons au cours de cette réunion procéder à la désignation de notre bureau, en commençant par celle du président. J'ai reçu la candidature de Stéphane Piednoir.
La mission d'information procède à la désignation de son président, M. Stéphane Piednoir.
- Présidence de M. Stéphane Piednoir, président -
Stéphane Piednoir, président . - Je vous remercie de votre confiance.
Avant de procéder à la désignation des onze autres membres du bureau, à commencer par celle du rapporteur, je prends acte de la participation à nos travaux de deux suppléants, qui s'ajoutent aux dix-neuf membres titulaires désignés en séance le 18 novembre : Bernard Fialaire pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) et Guy Benarroche, pour le Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST). Nos collègues suppléants recevront les convocations et calendriers prévisionnels et auront accès aux documents et informations dans les mêmes conditions que les membres titulaires. Nos auditions leur sont ouvertes. Ils ne peuvent pas, en revanche, participer aux réunions délibératives ni prendre part aux votes.
Je reviens à la constitution de notre bureau, puis nous pourrons évoquer l'organisation de nos travaux.
Le règlement du Sénat prévoit que le groupe à l'origine de la demande de création d'une mission d'information obtient de droit, s'il le demande, que le rapporteur soit désigné parmi ses membres. Dans cette logique, le groupe RDSE propose la candidature de notre collègue Henri Cabanel.
La mission d'information procède à la désignation de son rapporteur, M. Henri Cabanel.
Stéphane Piednoir, président . - Nous poursuivons la constitution de notre bureau.
Compte tenu de la désignation du président et du rapporteur, la répartition des postes de vice-présidents et de secrétaires est la suivante : pour le groupe Les Républicains : un vice-président et un secrétaire ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain : deux vice-présidents ; pour le groupe Union Centriste : un vice-président et un secrétaire ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants : un vice-président ; pour le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste : un vice-président ; pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires : un vice-président ; pour le Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires : un vice-président.
Pour les fonctions de vice-président, j'ai reçu les candidatures suivantes : François Bonneau, pour le groupe Union Centriste ; Martine Filleul et Hervé Gillé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; Marie-Pierre Richer, pour le groupe Les Républicains ; Jérémy Bacchi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ; Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires ; Thomas Dossus, pour le Groupe Écologiste - Solidarité et Territoires ; et Patricia Schillinger, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Pour les fonctions de secrétaire, j'ai reçu les candidatures de Catherine Belrhiti pour le groupe Les Républicains et de Philippe Folliot pour le groupe Union Centriste.
La mission d'information procède à la désignation des autres membres de son bureau : M. François Bonneau, Mme Martine Filleul, M. Hervé Gillé, Mme Marie-Pierre Richer, M. Jérémy Bacchi, M. Jean-Pierre Decool, M. Thomas Dossus, et Mme Patricia Schillinger, vice-présidents ; et Mme Catherine Belrhiti et M. Philippe Folliot, secrétaires.
Stéphane Piednoir, président . - Je donne la parole à Henri Cabanel pour évoquer le périmètre de notre mission, puis nous pourrons avoir un échange de vues avant d'envisager l'organisation de notre agenda.
Henri Cabanel, rapporteur . - Je suis particulièrement heureux d'être le rapporteur de cette mission d'information sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur, et sur lequel je travaille dans mon territoire, avec des acteurs de terrain que j'aurai grand plaisir à vous faire rencontrer.
Nous le savons, la notion de citoyenneté est affectée par les turbulences qui menacent la cohésion de notre Nation. Qu'il s'agisse, dans la période récente, de la crise des gilets jaunes, de la menace terroriste, de la tentation communautariste ou des défis auxquels est soumise la laïcité dans le cadre scolaire, le sentiment d'appartenance à la communauté nationale, qui va de pair avec des valeurs communes, ne va plus de soi en dehors de rares, et brefs, moments de communion nationale comme nous en avons connu en 2015.
À ces divisions préoccupantes s'ajoutent toutes les fractures auxquelles est confronté aujourd'hui notre pays : chômage, précarité, inégalités entre les territoires, entre les générations, crainte face à la montée des incivilités, violences à l'égard des élus (qui ont augmenté de 200 % l'an dernier), des enseignants ou des forces de l'ordre...
Nombre de nos concitoyens ont le sentiment d'un décalage incompréhensible entre ce qu'ils vivent au quotidien et les institutions. La crise sanitaire l'a clairement souligné. Cette crise de confiance se traduit par une usure certaine de la démocratie représentative et par une désaffection à l'égard de la politique.
L'aggravation de l'abstention est un signal fort qui nous est adressé, élection après élection, par nos concitoyens : en 2017, le taux d'abstention était de 22 % au premier tour des élections présidentielles - et encore supérieur au second tour, ce qui est inédit, puisqu'il atteignait 25 %. Il était de 51 % au premier tour des élections législatives ; il a atteint 55 % aux dernières élections municipales et 66 % au premier tour des élections régionales. Il concerne au premier chef les jeunes et invite à s'interroger sur la définition même de la notion de citoyenneté.
Dans ce contexte, le sujet de notre mission d'information concerne au premier chef la jeunesse et, à travers l'éducation à la citoyenneté, la formation des citoyens de demain.
J'observe d'ailleurs que la proposition de loi de notre collègue Martine Filleul, inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée le jeudi 9 décembre, vise à créer un « nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l'enseignement et l'engagement ».
Depuis une quinzaine d'années, les diverses crises auxquelles notre pays a été confronté ont inspiré, au fil du temps, la mise en place de politiques publiques destinées, entre autres exemples, à favoriser la formation à la citoyenneté dans le cadre de l'école et à accompagner l'engagement citoyen à travers les diverses formes de service proposées à la jeunesse - je pense plus particulièrement au service civique, créé en 2010, ou au service national universel, mis en place en 2019.
La journée Défense et citoyenneté est également au coeur de notre sujet, de même que les autres initiatives pilotées par le ministère des armées. Je pense aussi aux initiatives destinées à la transmission de la mémoire combattante, qui s'inscrivent dans la formation citoyenne.
Quel est aujourd'hui le bilan de ces politiques publiques ? Nous devrons nous atteler à cette évaluation. L'engagement associatif, qui intéresse beaucoup notre jeunesse, fait également partie de notre sujet : nous ferons le point sur cette question importante.
En parallèle, nous devrons travailler sur les nouvelles formes d'expression de la citoyenneté qui se développent aujourd'hui parallèlement à l'essoufflement du vote classique : « grand débat », consultations en ligne, pétitions, convention citoyenne, etc., qui sont de nature à mobiliser plus particulièrement les jeunes.
Une mission d'information sur la démocratie représentative, que j'ai eu l'honneur de présider en 2017 et dont le rapporteur était Philippe Bonnecarrère, a travaillé sur ces pratiques citoyennes qui rencontrent l'intérêt de nombre de nos concitoyens.
Cinq ans plus tard, le paysage de la démocratie numérique a encore évolué : l'heure est venue d'en dresser un état des lieux de ces pratiques.
Nous aborderons donc au cours de cette mission des sujets très divers, qui s'inscrivent dans trois thématiques principales : l'éducation à la citoyenneté ; l'engagement citoyen ; et la participation du citoyen à la décision, aujourd'hui affectée par des outils nouveaux, notamment numériques.
Ces diverses séquences nous conduiront à entendre des intervenants divers - politologues, universitaires, représentants d'associations, élus, etc. - et, si le contexte sanitaire nous le permet, à organiser des rencontres sur le terrain.
Nous prévoirons également des réunions destinées à établir entre nous des bilans d'étape de l'avancement de nos travaux. Il faudra probablement prévoir un premier rendez-vous de ce type avant la suspension des travaux en séance publique, fin février 2022.
Dans notre société soumise à de nombreux défis, la notion de citoyen évolue, de même que les modalités d'exercice de la citoyenneté : l'éducation à la citoyenneté, centrale pour notre mission, doit elle aussi évoluer. Les recommandations dont sera assorti notre rapport traceront ainsi, je l'espère, des perspectives pour la formation des futurs citoyens.
Stéphane Piednoir, président . - Je reprends la parole brièvement, avant notre temps d'échanges, pour évoquer notre agenda.
En ce qui concerne tout d'abord le déroulement de cette mission, je vous propose, en accord avec notre rapporteur, de nous fixer comme perspective de terminer au tout début du mois de juin, avant les élections législatives, ce qui implique que notre programme d'auditions s'achève au plus tard fin avril.
S'agissant de l'organisation de nos travaux, nous procéderons à des auditions et tables rondes en réunions plénières ou au format rapporteur. Les réunions « rapporteur » seront naturellement ouvertes à l'ensemble de la mission. Elles figureront au calendrier prévisionnel qui vous sera adressé régulièrement.
Nos réunions auront lieu pour la plupart le mardi à partir de 16 heures, le mercredi, entre 13h30 et 15 heures, puis après les questions d'actualité au Gouvernement, ainsi que le jeudi en fin de matinée. Avant la suspension des travaux du Sénat en séance publique, qui interviendra fin février, nous définirons ensemble le calendrier de nos travaux pendant les mois de mars et avril.
Marie-Pierre Richer . - Les réunions seront elles uniquement en présentiel ou bien aussi par visioconférence ?
Stéphane Piednoir, président . - Nous privilégions plutôt pour le moment le présentiel, du moins pour les réunions plénières. Les personnes auditionnées pourront naturellement être entendues à distance.
Hervé Gillé . - Organiser des réunions en visioconférence peut être source de souplesse. Une des grandes difficultés est de faire remonter la parole des citoyens et des jeunes. Nous devrons être à leur écoute, ce qui suppose d'identifier les bons interlocuteurs qui nous permettront d'éviter les réponses toutes faites.
Patricia Schillinger . - Au-delà de la problématique des élections et de l'abstention, nous pourrions aussi étudier des dispositifs innovants tels que la Journée citoyenne, qui a été lancée à Mulhouse et qui donne des résultats probants.
Stéphane Piednoir, président . - Il est vrai que l'abstention constitue un fait saillant et que nous devrons faire des propositions pour la limiter. Mais notre mission vise aussi globalement à revitaliser la culture citoyenne, dont l'engagement associatif fait partie ; toutefois, comme le champ d'investigation est potentiellement très vaste, nous considérons que l'engagement syndical ne fait pas partie de notre sujet.
Henri Cabanel, rapporteur . - La citoyenneté ne se limite pas au vote ; c'est aussi le civisme - le respect de la loi -, la civilité - le respect des personnes et des biens - et la solidarité. Il faut s'interroger sur l'équilibre entre les droits et devoirs.
Laure Darcos . - Nous pourrions aller à la rencontre de jeunes en service national universel (SNU). Cette expérience me semble formatrice. De la levée des couleurs le matin, jusqu'à des jeux de rôle simulant une campagne électorale, les jeunes que j'ai rencontrés m'ont paru très motivés.
Jean-Pierre Decool . - Cela pourrait être très intéressant, en effet. En juillet et août, avons fait une étude, avec Dany Wattebled, sur l'abstention. Je vous la transmettrai. Nous avons rencontré 180 maires du Nord et nous avons préparé quelques propositions, dont certaines sont pragmatiques.
Henri Cabanel, rapporteur . - Hervé Gillé a raison : il faut déjà réfléchir à la manière dont nous pourrons rencontrer des jeunes dont le témoignage sera éclairant pour notre réflexion.
Je suppose que, comme moi, vous allez régulièrement devant des élèves pour expliquer ce que vous accomplissez dans le cadre de votre mandat. Aujourd'hui, je travaille avec l'association des maires de mon département pour mettre en place une organisation autour de ces rencontres. De fait, mon expérience m'a appris que, dans les secteurs ruraux comme dans les quartiers difficiles des grosses communes, on peut susciter un vrai débat dans une classe sur le fonctionnement de nos institutions. Les échanges que j'ai ainsi pu avoir avec des élèves ne m'ont jamais déçu.
Je vous ai apporté les résultats d'une enquête que nous avons menée sur la citoyenneté dans toutes les communes de mon département. On sent qu'il y a une vraie attente chez les élus : nous avons eu 192 retours sur 342 communes. Au reste, les réponses qui nous ont été faites sont très significatives. Nous nous sommes fait aider, dans la réalisation de cette enquête, par une association très engagée, que nous aurons l'occasion d'auditionner très prochainement.
Cependant, c'est aussi avec des expériences locales que nous pourrons avancer. Il existe des initiatives qu'il serait bien de pouvoir faire connaître.
Stéphane Piednoir, président . - Nos échanges montrent l'importance du sujet dans le contexte actuel.
Dans le prolongement de ce qui vient d'être dit, nous pourrions, si vous en êtes d'accord, solliciter la plateforme de consultation des élus locaux du Sénat, qui est régulièrement utilisée sur un certain nombre de sujets pour recueillir des témoignages de terrain et enrichir nos réflexions.
Les auditions et les rencontres auxquelles nous allons procéder confirmeront, j'en suis sûr, le dynamisme des initiatives qui sont prises dans les territoires. Vous avez certainement connaissance d'expériences intéressantes conduites dans vos départements : je vous inviterai donc à nous faire des propositions de déplacement sur le terrain. À titre personnel, je vous proposerai, en accord avec notre rapporteur, un déplacement dans mon département du Maine-et-Loire pour visiter notamment un Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Epide), initiative remarquable à l'égard des jeunes en situation de décrochage, et peut-être également pour rencontrer de jeunes lauréats du Concours national de la Résistance et de la Déportation, car la prise de conscience de notre histoire est aussi une forme de citoyenneté.
Je propose que ces déplacements de terrain soient inscrits à notre agenda le jeudi.
Notre prochain rendez-vous aura lieu le mardi 7 décembre, avec l'audition du fondateur de l'association Empreintes citoyennes , qui accompagne les collectivités locales pour mettre en oeuvre des projets citoyens. Le 14 décembre, nous entendrons Mme Dominique Schnapper, sociologue, ancienne membre du Conseil constitutionnel. Notre programme de travail est déjà riche pour décembre et janvier.
Bilan
d'étape sur les travaux de la mission
d'information
(Échange de vues du mercredi 9 février
2022)
Présidence de M. Stéphane Piednoir, président
Stéphane Piednoir, président . - Mes chers collègues, il est temps, deux semaines environ avant l'interruption de nos travaux en séance publique, d'établir ensemble un bilan d'étape des travaux de notre mission d'information après quelque deux mois d'auditions.
Je vous propose donc de faire le point sur les auditions auxquelles nous avons procédé depuis le début du mois de décembre 2021.
Notre rapporteur Henri Cabanel va ensuite vous présenter les quelques axes de recommandations issues de ces auditions.
Puis nous ferons le point sur notre programme de travail prévisionnel pendant la période de suspension des travaux en séance publique qui, en raison des échéances électorales, durera du début de mars à la fin du mois de juin 2022.
Depuis décembre, notre agenda fait une large place, comme je vous l'avais indiqué lors de notre réunion constitutive, aux thématiques liées à la formation des futurs citoyens. Les politiques publiques destinées à la jeunesse, dans le cadre notamment de l'Éducation nationale mais aussi pour encourager et encadrer l'engagement des jeunes, occupent donc tout naturellement une place importante dans nos réflexions.
Sur le plan quantitatif tout d'abord, notre bilan s'appuie sur douze auditions plénières et six auditions « rapporteur » ; nous avons rencontré onze personnes au format « rapporteur » et vingt-quatre en réunion plénière.
Les personnes auditionnées représentent des profils divers : ministres, hauts fonctionnaires, responsables associatifs et universitaires ; les jeunes ne sont pas en reste puisque nous avons entendu dix volontaires du service civique et des jeunes engagés dans des associations. Les contacts avec la jeunesse vont d'ailleurs être plus nombreux dans les semaines à venir, notamment lors de nos déplacements.
Trois déplacements sont en effet inscrits à notre programme. Le 17 février, nous serons reçus au centre du Service national universel de Dunkerque, à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Decool ; cette visite sera l'occasion d'échanges avec de jeunes volontaires du SNU. Le 24 février, dans le département du Maine-et-Loire, nous rencontrerons des jeunes effectuant un volontariat à l'ÉPIDE de Combrée. Les 23 et 24 mars, dans l'Hérault, le programme, là encore, s'articule, à l'initiative de notre rapporteur, autour d'échanges avec des jeunes.
Par ailleurs, nous avons procédé à une consultation des élus locaux sur la plateforme du Sénat. Nous avons reçu à ce jour plus de 1 500 réponses. Les questions portent plus particulièrement sur l'accueil de volontaires du service civique par les collectivités territoriales, sur le bilan des conseils de jeunes, sur les incivilités, voire les violences, subies par les élus et sur les procédures de consultation qu'ils ont mises en place dans leurs collectivités. Nous avons également appelé nos interlocuteurs à nous donner leur avis sur le thème « Comment accroître la place des jeunes dans la vie politique locale ? ». Ces réponses auront toute leur place dans le rapport.
Henri Cabanel, rapporteur . - Mes chers collègues, à l'heure de ce premier bilan d'étape de nos travaux, je souhaite revenir sur les enjeux de cette mission.
« Comment redynamiser la culture citoyenne ? » : tel est le questionnement qui nous a réunis.
Des liens qui se délitent au fil des scrutins par l'abstention, par les votes blancs, par la montée du vote protestataire, par une défiance en l'action publique, par des actes d'incivilité, par des agressions contre les élus, par des menaces, par des fake news sur les réseaux sociaux, le tout sur fond de crise sanitaire qui dure depuis deux ans... L'enjeu fondamental est donc : comment renouer des liens de confiance entre les citoyens et les élus ?
Cependant la confiance ne se décrète pas, et la défiance ne disparaît pas grâce à la seule mise en place d'outils.
Je crains que nos travaux génèrent plus une crispation s'il s'agit d'une critique à sens unique. Je pense que nous devons, en préambule, être conscients que si le décalage avec les citoyens s'accroît, c'est que la réponse politique n'est plus en adéquation avec leurs besoins. Nous ne pouvons jeter l'opprobre sur l'individualisme de notre société et continuer à agir dans nos structures politiques avec les mêmes méthodes.
Je pense qu'il faut que nous assumions notre responsabilité dans nos décisions et dans nos actes car le constat est sans appel.
Nous avons choisi ensemble de faire un focus sur les jeunes dans le cadre de cette mission d'information, car ils sont l'avenir de notre pays. Et si les jeunes ne croient plus, s'ils n'ont plus d'espoir et s'ils s'enferment eux aussi dans une défiance envers les gouvernants, nous avons collectivement beaucoup de souci à nous faire.
L'enjeu de notre mission est donc : comment construire une culture commune autour des lois et valeurs de la République, des droits et des devoirs ? Comment construire une citoyenneté ? Cela impose un effort particulier en matière d'éducation à la citoyenneté dans le cadre scolaire. Or l'enseignement moral et civique est-il de nature à relever le défi de cette méconnaissance des institutions ?
À cette première question, les auditions auxquelles nous avons procédé à ce jour nous permettent de répondre que l'enseignement moral et civique doit être recentré sur la connaissance de l'organisation institutionnelle et des lois de la République, et qu'il doit y avoir une continuité dans le parcours pédagogique, du primaire jusqu'au bac. Il ne doit plus être un « enseignement strapontin ». Parallèlement, les jeunes enseignants doivent être mieux formés et accompagnés dans l'enseignement de l'EMC.
Dans une démarche similaire, le recentrage de la Journée défense et citoyenneté (JDC) semble primordial.
Nos auditions ont également confirmé que, parallèlement à leur rapport distancié à la politique, avec un taux d'abstention qu'il est inutile de souligner à nouveau, les jeunes sont nombreux à souhaiter s'engager pour la collectivité. L'accompagnement de l'engagement des jeunes constitue désormais une vraie politique publique, qui s'articule principalement autour du service civique et du service national universel, qui pour sa part est encore en devenir.
L'une des questions à nous poser est : comment améliorer ces politiques publiques et donner envie aux jeunes de poursuivre leur engagement au-delà de leur volontariat ?
Car s'il y a de nombreuses actions en faveur des jeunes, notamment pour favoriser leur apprentissage de la citoyenneté, l'information des jeunes sur ces diverses actions semble défaillante, en tout cas pas assez structurée.
À ce stade de nos travaux, les pistes qui ont émergé de nos diverses auditions sont prometteuses : développer les missions de service civique en milieu rural, en réfléchissant à des solutions au problème de la mobilité et du logement qui se posent plus particulièrement pour nos jeunes compatriotes des territoires ruraux ; mieux valoriser l'engagement du jeune et changer le regard sur le service civique ; encourager peut-être la possibilité de césure après le bac ; enfin, améliorer la formation citoyenne dans le cadre du service civique en augmentant le nombre de jours de formation d'éducation civique et citoyenne des volontaires, limitée actuellement à deux jours.
Lors de son audition, Mme Darrieussecq a par ailleurs jugé souhaitable que le SNU reçoive une base juridique et financière stable afin de lui permettre de s'installer dans la durée.
Voilà un premier bilan de nos travaux, à ce stade de cette mission d'information. Je ne doute pas que les autres auditions nous permettront de compléter ces premières conclusions et de les étendre à d'autres thématiques.
Stéphane Piednoir, président . - Avant de procéder à notre échange de vues, évoquons si vous le voulez bien les grandes orientations de notre programme d'auditions pour la période de suspension.
Je vous propose de nous retrouver le 9 mars, le matin et l'après-midi, puis le 23 mars au matin et enfin les 29 et 30 mars.
Nous entendrons notamment, au cours de ces diverses séquences, les Missions locales, les associations d'éducation populaire, les associations d'élus, Martin Hirsch, qui fut à l'origine du service civique, ainsi que des membres de conseils de jeunes, tant de métropole que dans les outre-mer.
Le mois de mai sera dédié à la finalisation du rapport ; pour que vous puissiez en prendre connaissance, ce document sera mis à votre disposition quelques jours avant l'examen du rapport qui est prévu, comme nous en sommes convenus lors de notre réunion constitutive, au début de juin 2022, la date étant encore à préciser.
Qui souhaite prendre la parole ?
Hervé Gillé . - Les points que vous avez abordés me semblent en effet mériter un travail particulier dans le cadre de la préparation de notre rapport.
Je voudrais m'attarder plus particulièrement sur la visibilité et surtout l'attractivité des engagements citoyens. Il faut à mon avis essayer de qualifier ces parcours citoyens et les rendre plus visibles et attractifs. Il existe en la matière des orientations qui méritent d'être consolidées. Ainsi, le compte d'engagement citoyen doit être travaillé et mis en perspective. Son déploiement demeure encore très relatif. Il s'agit en quelque sorte d'appliquer à l'engagement citoyen la logique de la validation des acquis de l'expérience : c'est une idée intéressante, qui peut s'insérer dans des dispositifs existants comme par exemple ceux qui sont mobilisés par les missions locales. Mais il faut creuser davantage. On peut y mettre des éléments de reconnaissance destinées à qualifier un parcours. Pourquoi ne pas faciliter par exemple l'accès au permis de conduire grâce aux acquis d'un parcours citoyen ? Le déploiement du compte d'engagement citoyen me semble donc important.
Martine Filleul . - Je partage le point de vue d'Hervé Gillé. Il faut s'adresser autant que possible à tous les jeunes. Nos auditions ont porté sur des jeunes qui ont déjà envie de participer d'une manière ou d'une autre à la vie citoyenne. Mais c'est l'ensemble des jeunes que nous devrons toucher par nos propositions ! De ce point de vue, le meilleur vecteur - ce n'est pas une surprise - reste l'école. Je suis très attachée à une refonte complète de notre stratégie en matière d'éducation morale et civique. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans le cadre du rapport, mais cette question est vraiment centrale.
Marie-Pierre Richer . - Je partage le constat dressé par mes collègues. La mobilité est au coeur de la citoyenneté et de la nécessité d'aller vers l'autre. Nous devons donc prêter attention aux jeunes des territoires ruraux.
Vous avez indiqué que nous allions prochainement auditionner les associations d'élus. L'une des questions qui pourrait être posée est de savoir pourquoi des jeunes, une fois élus au conseil municipal, ne restent pas. Peut-être que nous ne laissons pas assez de place aux jeunes...
L'abstention des jeunes a été évoquée. La jeunesse d'aujourd'hui est-elle pour autant moins engagée que la jeunesse d'hier ? Au final, on se rend compte que beaucoup d'adultes plus âgés ne croient plus non plus dans les institutions et ne vont pas voter. Cela fait partie de mes interrogations.
Henri Cabanel, rapporteur . - On constate un fort taux de démission dans les conseils municipaux des jeunes. Mais c'est un phénomène que l'on constate également dans d'autres instances locales. La loi a instauré des conseils de quartier. Au début, les participants sont nombreux, puis au fur et à mesure des réunions, il n'y a plus personne. Ce n'est pas en créant de nouveaux outils que l'on trouvera la solution. Il faut avant tout demander aux jeunes ce qu'ils attendent plutôt que d'essayer de refaire ce qui existe déjà. Ne tombons pas dans le piège de créer sans arrêt de nouveaux outils.
Marie-Pierre Richer . - Je me suis sans doute mal exprimée. Je ne propose pas de créer de nouveaux outils. Mes propos concernaient les jeunes élus dans les conseils municipaux. Souvent les équipes, lors de la constitution des listes, vont chercher des jeunes. Ils se portent candidats, sont élus, mais on constate qu'ils démissionnent au bout de deux ou trois ans. Les élus plus expérimentés les intègrent-ils assez ?
Laure Darcos . - L'audition de la directrice général de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, hier, était très intéressante et concrète. Il me semble qu'il faudra mettre en avant, dans notre rapport, l'insuffisante lisibilité de l'ensemble des dispositifs existants. Les outils sont nombreux, on sent une volonté politique d'intégrer les jeunes. Mais entre le service national universel, le service civique et d'autres dispositifs, les jeunes et leurs parents ne savent pas s'y retrouver. L'un des apports de nos travaux doit être de montrer que de nombreuses choses existent, plus que l'on ne pense.
Je reste un peu se ma faim s'agissant de la citoyenneté à l'école : plus personne ne parle des cours d'instruction civique. Sans doute pourrions-nous creuser cette piste.... Par ailleurs, je suis particulièrement attachée à l'apprentissage de l'esprit critique.
L'importance des conseils municipaux des jeunes n'a pas été suffisamment prise en compte. Certaines mairies l'utilisent comme un faire-valoir. Au contraire, d'autres s'approprient beaucoup plus cet outil. Les jeunes peuvent avoir des choses à dire au sein de leur municipalité. Peut-être arriverons nous à ramener les jeunes vers la chose publique s'ils sont associés plus tôt.
Enfin, est-ce notre rôle de parler du vote blanc ? J'entends de nombreux jeunes me dire « nous sommes également estomaqués par les chiffres de l'abstention, mais vous ne prenez pas en compte le vote blanc ».
Stéphane Piednoir, président . - J'entends également beaucoup cette remarque. Mais que fait-on si le vote blanc est majoritaire à une élection ? En démocratie, une majorité doit se dégager. Du reste, le vote blanc est identifié sur la feuille des résultats.
Henri Cabanel, rapporteur . - Il n'est cependant pas comptabilisé dans les pourcentages. Il y a quelque temps, dans le cadre d'un travail conduit avec un lycée de mon département, j'avais proposé aux élèves de travailler sur un sujet pouvant déboucher sur un texte, en s'inspirant des méthodes du travail parlementaire. Ils avaient choisi de réfléchir sur une proposition de loi relative au vote blanc.
Stéphane Piednoir, président . - Avec la reconnaissance du vote blanc, le seul message serait l'affaiblissement de celui qui va être élu, avec 37 % des voix au lieu de 51 % des voix.
Henri Cabanel, rapporteur . - Il y a débat. Le vote blanc est la contrepartie du devoir d'aller voter. Je pense également que cela peut avoir des incidences vertueuses sur ceux qui proposent des programmes pour davantage s'intéresser à ces populations. Le vote blanc me semble être une première étape pour changer les consciences et essayer de répondre au mieux à l'attente des citoyens.
Céline Boulay-Espéronnier . - Cette mission d'information est fondamentale. Elle correspond à l'ADN du Sénat. Il est au coeur de notre pensée politique de se demander pourquoi autant de citoyens ne veulent plus voter, pourquoi un jeune de 18 ans peut dire aujourd'hui qu'il n'a pas d'espoir dans la politique. Le pire serait de l'assortir d'une forme de culpabilisation. La question du vote blanc n'est pas à prendre à la légère.
Je suis persuadée par ailleurs que la citoyenneté s'incarne dans différentes formes d'engagement.
Sabine Drexler . - Martine Filleul rappelait l'importance de toucher l'ensemble des jeunes, y compris ceux qui ne se placent pas volontairement dans une démarche d'engagement. J'aimerais évoquer l'expérience d'Israël, où les jeunes de 15 ans ont une obligation d'engagement d'une demi-journée par semaine dans une association. Cela s'inscrit dans l'obligation scolaire et l'assiduité est contrôlée. Un des résultats de ce dispositif est que les adultes sont également plus engagés dans le monde associatif. Ce dispositif qui m'a été présenté à l'occasion d'un déplacement à Jérusalem m'a impressionnée.
Stéphane Piednoir, président . - Israël correspond en effet à un contexte spécifique, dans lequel le service militaire imposé aux jeunes hommes et aux jeunes femmes crée des conditions différentes d'engagement.
Hervé Gillé . - Le débat autour de la prise en compte du vote blanc doit se nourrir de l'évolution de la société. La notion de qualification du parcours citoyen doit tenir compte de cette évolution. La faible participation est liée au sentiment chez certains citoyens que les enjeux du vote sont limités, en particulier chez les jeunes. Ce phénomène a été observé à l'occasion des élections départementales et régionales. Le désintérêt des jeunes se nourrit d'une difficulté à distinguer l'enjeu politique de ces élections. La recréation d'un enjeu politique est le premier levier pour éviter une forme de décrochage citoyen.
Il faut également surmonter notre crainte, voire notre peur de perdre notre légitimité. Le vote blanc nourrit cette inquiétude. Le reconnaître supposerait d'affronter notre crainte de perte notre légitimité.
Stéphane Piednoir, président . - Comment expliquer dans ce cas que l'élection présidentielle, dont les enjeux sont essentiels, connait également de forts taux d'abstention, comme par exemple en 2017 ? Je pense qu'il faut envisager le fait que les citoyens d'aujourd'hui sont « gâtés ». En 1968, il y avait de vraies luttes idéologiques. Les jeunes d'aujourd'hui ne connaissent pas l'opposition idéologique, ils ne connaissent pas de menace à nos frontières. Nous avons perdu un ennemi à combattre, ce qui est dangereux.
Je maintiens ma position : le vote blanc fragilise la légitimité des élus et cette fragilisation est plus grave encore pour les citoyens que pour les élus, dans la mesure où le pouvoir sera toujours exercé, reste à savoir par qui.
Henri Cabanel, rapporteur . - S'agissant des élections présidentielles, il me semble qu'en 2017, pour la première fois, l'abstention a été plus forte au second tour qu'au premier. C'est un signe. J'insiste sur le fait qu'aujourd'hui cette légitimité a été perdue aux élections municipales. Les maires élus avec 17,5 % des électeurs ont perdu une part de leur légitimité. Il faut peut-être à ce titre nous remettre en question.
Marie-Pierre Richer . - Le cas du deuxième tour de 2017 est une situation particulière et conjoncturelle. La présence d'un parti extrême au deuxième tour a changé le rapport des citoyens à ce scrutin.
Henri Cabanel, rapporteur . - En 2002, quand le second tour a opposé Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen, les gens se sont déplacés !
Martine Filleul . - Je veux réagir à ce qu'a dit Hervé Gillé. Je cite souvent Alexis de Tocqueville qui affirme qu'« en démocratie il faut accepter l'idée qu'à chaque génération correspond un peuple différent ». Je pense à ce titre qu'il nous faut accepter que l'élection n'ait plus la même valeur qu'autrefois. Notre génération perçoit le vote comme un devoir. La jeune génération perçoit le vote comme un droit et estime qu'il est normal de ne pas voter aux élections dont les enjeux ne l'intéressent pas. Le désintérêt pour les élections locales correspond peut être à une forme d'échec de la décentralisation.
L'élection présidentielle, qui est beaucoup plus médiatisée et mise en scène, attire plus. L'électeur devient un consommateur à travers le vote. Toutefois, dans certaines circonstances, il existe un risque que le désintérêt s'étende à l'élection présidentielle elle-même.
Céline Boulay-Espéronnier . - Je pense que le maintien des élections en temps de pandémie a été un facteur de crise de la représentation. Des maires ont été élus avec un pourcentage de voix particulièrement faible. Je pense qu'il faut également tenir compte du contrepouvoir exceptionnel que constituent les réseaux sociaux, dont le rôle majeur doit être pris en considération. Un jeune a aujourd'hui un accès direct à l'information, quelle qu'elle soit, sur les réseaux sociaux - son opinion ne se fait plus nécessairement devant le journal télévisé ou les grandes émissions politiques. Il serait intéressant de se demander quelles en sont les conséquences du point de vue la citoyenneté. Ce n'est pas la même chose d'être citoyen en 1945, en 1968 et en 2022.
Stéphane Piednoir, président . - Les jeunes redécouvriront le chemin des urnes quand ils se rendront compte des enjeux en termes de démocratie. Je vous remercie.