CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES
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Contribution du groupe RDPI
Le sujet de la concentration dans les médias s'inscrit dans un contexte délicat car il implique de conjuguer deux impératifs parfois contradictoires : d'un côté la défense de nos intérêts économiques, de l'autre le respect du pluralisme et la défense du consommateur. Si la loi du 30 septembre 1986 semble avoir rempli nombre de ses objectifs et reste pertinente à bien des égards, l'avènement du numérique a rendu nécessaire un certain nombre d'ajustements.
I) Une concentration des médias à relativiser et un juste équilibre à trouver dans un environnement concurrentiel et mondialisé
Contre toute attente, le paysage audiovisuel est aujourd'hui moins concentré qu'au 30 septembre 1986, date de l'adoption de loi relative à la liberté de communication qui acte le passage d'un monopole d'Etat à un secteur ouvert. En effet, la France compte aujourd'hui plus de 1000 chaînes de radio dans l'Hexagone et l'Outre-mer -- auxquelles il faut ajouter les web radios qui connaissent une croissance exponentielle -- ainsi que 30 chaînes nationales de la TNT et plus de 200 services de télévision ayant conclu une convention afin d'être diffusés sur des réseaux non hertziens. En outre, il ne fait nul doute que la multiplication des écrans (smartphones, ordinateurs, tablettes, etc.) et l'accès à la télévision par Internet -- qui concerne 40% des Français -- a largement contribué à l'expansion de l'offre.
Par ailleurs, dans un environnement mondialisé et concurrentiel, il paraît plus que jamais nécessaire de défendre nos intérêts économiques et notre souveraineté -- en favorisant, par exemple, certaines concentrations pour être en mesure de peser devant les géants américains ou chinois --; et en même temps de défendre le consommateur et de préserver le pluralisme des courants de pensée et d'opinion, lequel constitue un objectif de valeur constitutionnelle régulièrement réaffirmé par la jurisprudence (s'agissant du pluralisme des médias, par la décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009 notamment). Loin des postures idéologiques et manichéennes, il apparaît indispensable d'opter pour une voie d'équilibre qui favoriserait l'émergence de champions nationaux tout en protégeant le consommateur et le citoyen.
II) Les nouveaux enjeux du numérique rendent nécessaire une adaptation du dispositif anti-concentration prévu par la loi de 1986
Il semblerait qu'un certain nombre de dispositions anti-concertation instaurées par la loi de 1986 restent pertinentes, tant pour la défense du pluralisme que pour celle de notre souveraineté culturelle. C'est le cas du plafonnement à 20 % de capitaux extraeuropéens pour les chaines de la TNT demeure pertinent à l'heure où la guerre en Ukraine montre combien notre souveraineté culturelle et l'indépendance de l'information sont essentielles à notre démocratie. Quant aux seuils de population, relevés de 12 à 19 millions par le projet de loi audiovisuel adopté en 2021, ils restent, là encore, un levier relativement efficace -- bien qu'améliorable -- au service du pluralisme et de la diversité du paysage audiovisuel.
Aussi, plus que de s'attaquer à l'édifice de la loi de 1986, sans doute faut-il plutôt l'adapter à ce nouvel écosystème engendré par l'avènement du numérique. Dans son avis de 2019, l'Autorité de la concurrence constatait par exemple une asymétrie réglementaire conduisant à un déséquilibre entre les géants du numériques et les opérateurs installés, en particulier dans les médias audiovisuels. L'avénement du numérique et des plateformes OTT rendent en effet indispensables des ajustements. À ce titre, certaines règles peuvent être interrogées : c'est le cas de la règle des « 2 sur 3 » ou bien de l'interdiction, pour un éditeur d'une autorisation nationale, de détenir plus de 33% d'un service local qui paraît, dans la pratique, inopérante.
De manière générale, tous les dispositifs anti-concentration cités plus haut se limitent cependant aux seuls services diffusés par voie hertzienne qu'il s'agisse de diffuseurs d'information ou non et sans prise en compte de l'audience, dans un contexte où la consommation de contenus intervient de plus en plus sur Internet.
Enfin, s'agissant des aides à la presse, une réflexion sur leur ciblage pourrait être amorcée. S'il apparaît populiste et dangereux de couper les aides aux titres de presse controlés par un grand groupe, il serait peut-être opportun d'orienter davantage ces aides vers des médias indépendants.
Contribution du groupe GEST
L'information n'est pas une marchandise. Elle est un bien public qui conditionne le libre exercice de l'esprit critique, et le bon exercice de la vie démocratique. Pour fonctionner, une démocratie a besoin de médias indépendants et pluriels afin de contribuer à la libre circulation des idées, des opinions. Au devoir d'être informé correspond le devoir d'informer. La commission d'enquête a ainsi réalisé un travail considérable depuis sa création à la demande du groupe SER le 24 novembre 2021. Nous tenons à remercier le groupe Socialiste et son rapporteur, le sénateur David Assouline, pour cette initiative.
Plusieurs initiatives sont dans une temporalité proche, ainsi les ministres de l'Economie et de la Culture, M. Le Maire et Mme Bachelot ont engagé une mission gouvernementale via l'IGAC et l'IGF. Celle-ci a pour objet de dresser un état des lieux, établir une analyse du cadre juridique et émettre des propositions qui feront l'objet d'études d'impact. Nous regrettons que cette initiative, qui revêt un caractère confidentiel, arrive trop tardivement et ne puisse remettre en cause l'objet même de son existence. Malheureusement, les conclusions de cette mission ne seront pas connues d'ici la publication du rapport de notre commission d'enquête. Qui plus est, elles ne pourront pas influer sur les dynamiques de concentration en cours.
Néanmoins, l'objectif initial a été atteint : le débat public a eu lieu. Les multiples auditions ont permis d'attirer les regards sur le thème de la concentration dans les médias. Nous espérons que le rapport aura une utilité pour la suite et sera à l'origine d'évolutions législatives.
Le cadre législatif actuel est à réviser puisque le constat de son obsolescence est manifeste. La législation en vigueur ne défend pas efficacement le pluralisme qui est pourtant un objectif à valeur constitutionnelle. La loi Léotard du 30 septembre 1986 qui défendait le pluralisme et la liberté de communication a très peu été modifiée en 35 ans et est devenue obsolète avec l'essor d'Internet et des réseaux sociaux. Les textes de lois actuellement en vigueur présentent de nombreuses lacunes. En effet, pour l'audiovisuel, ils ne portent que sur la diffusion hertzienne. Concernant l'édition, ils ne portent que sur la diffusion papier. Cette loi ne permet donc pas de mesurer le pluralisme de l'information aujourd'hui. Aussi, la dernière grande réflexion sur le sujet remonte à la commission Lancelot, autrement dit à 2005. La loi n'est donc pas à amender mais bien à ré-écrire intégralement, n'en déplaise à celles et ceux qui disent ne pas voir de problème dans les dynamiques de concentration à l'oeuvre et qui prennent pour exemple l'époque de l'ORTF ou les grandes heures du groupe Hersant. Si l'on considère le nombre de chaînes TV et radios aujourd'hui, qu'elles soient publiques ou privées, alors la comparaison, qui tend à ignorer complètement la révolution numérique portée par l'informatique et internet n'a donc pas lieu d'être. Il s'agit bien d'une obsolescence législative qu'il convient de corriger. Tel devra être le sens des propositions qui figureront dans le rapport de la commission d'enquête.
Propositions
I/-Garantir l'indépendance et l'éthique
Redonner toute leur place aux salariés et journalistes dans la gouvernance des médias :
ï Instaurer une gouvernance paritaire des organes de contrôle des entreprises entre actionnaires et salariés. Gouvernance composée pour moitié de salariés, parmi lesquels deux tiers de journalistes.
ï Le choix du directeur de la rédaction devra échoir à l'organe de gouvernance paritaire. Pour être valide, cette nomination sera soumise à l'approbation, à la majorité des votants et avec un taux de participation d'au moins 50%de l'ensemble des membres de la rédaction.
ï Droit d'agrément effectif dès lors qu'une cession de titres se traduit par un changement de propriétaire. Quand un changement d'actionnaire principal est opéré, des mesures sociales doivent être proposées.
ï Donner à l'instance représentative des journalistes un réel statut juridique pour garantir à leurs membres une plus grande indépendance dans leur travail (Conseil de rédaction, Société des journalistes, Pôle indépendance).
II/-Renforcer la liberté d'exercice des journalistes
ï Restreindre aux informations commerciales la définition du secret des affaires adoptée en 2018.
ï Faire primer l'accès aux documents administratifs sur le secret des affaires, notamment ceux qui concernent les mesures sanitaires.
ï Protéger des journalistes et leurs sources contre l'intimidation et les violences
ï Renforcer les normes de protection de la liberté d'expression contre la pratique des procédures-bâillons et le recours abusif aux poursuites judiciaires destinées à intimider les journalistes et leurs sources.
ï Rétablir le droit à la diffusion d'images, notamment pour garantir le droit à l'information sur les violences policières, abroger l'article 36 de la loi “séparatisme” de 2021.
ï Renforcement de la liberté de la presse. Compléter la loi Dali de janvier 2010 avec des mesures qui permettraient de mettre à l'abri les journalistes et leurs sources des intrusions facilitées par la loi Renseignement. Permettre un meilleur accès aux informations et documents publics et autoriser le libre accès des journalistes à l'ensemble des lieux recevant du public sans demande d'autorisation préalable.
ï Lutter contre la précarisation du métier de journaliste. Respecter un seuil minimum de journalistes salariés au sein de la rédaction. Respecter le droit social et les conventions collectives. Assurer une égalité salariale entre les femmes et les hommes. Mettre en place une cellule de signalement des violences sexistes et sexuelles.
III/-Réinventer l'économie de la presse et des médias
Aides à la presse: conditionner les aides à la presse et des conventions audiovisuelles au respect de plusieurs critères
ï Repenser le système des aides à la presse en renforçant, simplifiant et en le rendant plus transparent.
ï Respecter la composition paritaire des organes de gouvernance
ï Flécher les aides à la presse pour les groupes dont la presse est l'activité principale, voire unique. Aujourd'hui, plus de 50% des aides vont à des groupes qui n'ont pas la presse comme activité principale.
Plafonner le versement de dividendes de la part des entreprises de presse et de l'audiovisuel
ï Limiter chaque année le versement de dividendes à hauteur de 30% des bénéfices réalisés, le reste devant être dédié à une réserve statutaire consacrée au maintien ou au développement de l'activité de l'entreprise de presse/audiovisuel.
Instaurer des «Bons pour l'indépendance des médias»
ï L'objectif est de solliciter l'implication citoyenneet d'encourager le pluralisme des médias. Permettre à chaque Français, dès l'âge de 16 ans, d'attribuer une certaine somme d'argent au(x) média(s) de son choix. Seules les entreprises respectant les conditions définies précédemment (droit d'agrément, transparence sur les actionnaires, etc) pourraient bénéficier de ces aides.
Favoriser l'émergence de nouveaux médias indépendants
ï L'aide de la BPI pourrait être sollicitée pour aider au lancement et à l'accompagnement de nouveaux médias.
Améliorer la transparence du financement des entreprises éditrices de presse
ï Dès lors qu'un actionnaire détient au moins 5% des parts d'un média (contre 10% aujourd'hui), son identité physique devra être rendue publique
ï De même, les lecteurs devront être informés lorsqu'un article traite d'un sujet en lien avec un actionnaire détenant au moins 5% du capital de l'entreprise éditrice.
Réviser la législation pour faire respecter les droits voisins
ï Poursuivre le processus engagé par l'OCDE pour un taux minimal d'imposition des GAFAM et des multinationales en général.
ï Taxer les annonceurs à hauteur de 1% de leurs dépenses publicitaires en ligne.
ï Affecter une partie de la taxe GAFAM au soutien à l'audiovisuel public et la presse d'information.
Garantir l'avenir de l'AFP et de l'audiovisuel public
ï Sanctuariser les institutions que sont l'AFP et l'audiovisuel public. Celles-ci doivent demeurer indépendantes.
ï Remplacer l'actuelle contribution sur l'audiovisuel public par une redevance obligatoire, universelle évolutive en fonction des revenus, qui porte sur l'ensemble des supports (TV, smartphone, tablette, ordinateur).
Publicité
ï Obliger les annonceurs à diversifier leur achat d'espaces publicitaires dans les médias. Interdiction d'investir plus de 25% sur le même support: télévision, radio, Google ou Facebook.
ï Respecter le principe de «à programme local, publicité locale» et ne pas remettre en cause le dispositif encadrant la publicité segmentée.
Encourager la production française et européenne pour faire face aux GAFAM
ï Lancer une plateforme européenne pour garantir une souveraineté numérique en termes de production face aux plateformes américaines. Une initiative que la France devrait prendre pendant la présidence de l'Union européenne.
IV/-Accroitre l'autorité du régulateur
L'ARCOM dispose d'un large éventail de sanctions, celles-ci sont cependant peu utilisées et perdent de ce fait leur caractère préventif puisque le volet répressif n'est pas ou peu appliqué.
ï Renforcer ses prérogatives pour sanctionner de façon effective. Ajout d'une sanction de rétrogradation dans les créneaux hertziens mis à disposition par l'Etat lors de la révision du contrat.
ï Nomination à l'ARCOM: Mettre fin à la nomination du président de l'ARCOM par la Président de la République. Réformer le mode de nomination des membres de l'ARCOM afin de garantir leur réelle indépendance. Ainsi, la moitié d'entre eux pourrait être désignée par les salariés des entreprises placés sous son autorité.
ï Interdiction pour les dirigeants de faire des aller/retour entre entreprises de l'audiovisuel public ou privé.
ï Augmenter le budget de l'ARCOM. Elle doit pouvoir exercer pleinement ses fonctions avec un budget qui lui permette de remplir ses missions renforcées.
ï Création d'un «observatoire du pluralisme et de la transparence dans les médias» à l'échelle de l'UE. Il pourrait être l'embryon d'une future agence de l'Union européenne qui centraliserait les informations des entités nationales équivalentes et pourrait saisir les entités juridiques de l'UE en cas de non-respect des principes de liberté de la presse, de transparence, de respect du pluralisme.
V/-Développer l'éducation à l'information et aux médias
ï Instaurer un module d'enseignement consacré à l'information et aux médias afin de réduire la vulnérabilité face aux fausses informations et rétablir la confiance envers le travail des journalistes professionnels en s'inspirant du modèle finlandais.
ï Ouvrir un débat sur le fait que les fournisseurs d'accès à interne puissent avoir également la main sur les contenus via la propriété de médias.
VI/ -Renforcer les comités déontologiques et/ou les chartes éthiques
ï Ces comités doivent exercer un véritable pouvoir de contrôle et faire respecter les chartes éthiques. Ils pourront être saisis par les sociétés des journalistes, un journaliste, un syndicat, une instance de direction, etc.
Contribution du groupe CRCE
par Pierre LAURENT, membre de la commission d'enquête
La commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias et son impact sur la démocratie a travaillé pendant quatre mois. A travers 48 auditions, elle a contribué à mettre sous les projecteurs un problème crucial pour notre avenir démocratique.
Les auditions menées ont largement confirmé l'ampleur et l'accélération des concentrations en cours sur tous les champs du spectre médiatique. Pourtant, les principaux acteurs industriels de ces concentrations ont systématiquement cherché devant la commission à les minimiser. En effet ces groupes ne veulent à aucun prix un renforcement de la régulation de ces concentrations, alors que la loi actuelle s'avère inapte à faire face aux bouleversements en cours.
C'est le second constat au terme de cette commission d'enquête : sans de nouvelles mesures législatives, ce mouvement de concentrations va s'accélérer et porter atteinte plus gravement encore au pluralisme de l'information, à la diversité et à la création culturelle.
Une accélération spectaculaire des concentrations et recompositions médiatiques
Nous assistons à deux mouvements parallèles qui s'alimentent l'un l'autre.
Sous l'effet de la révolution numérique, d'une diminution de la presse papier (la plus riche avec la radio en terme de valeur ajoutée journalistique), et d'un bouleversement des usages, nous assistons à une transformation industrielle des entreprises de presse vers des projets globaux numériques (écrit, vidéo et autres services) qui cherchent de moins en moins leur rentabilité dans la qualité de la plus-value journalistique, et de plus en plus dans la « capture de l'attention » pour générer du flux sur les supports contrôlés par ces groupes globaux.
Ces mutations, qui n'ont pas trouvé à ce jour leur modèle économique durable, sont l'occasion d'une concentration accélérée de la presse écrite nationale et régionale et du secteur audiovisuel entre les mains d'une poignée de grandes familles capitalistes françaises. Huit groupes contrôlent l'essentiel du paysage métropolitain et ultramarin.
Bouygues, bientôt en alliance avec Bertelsmann si la fusion TF1-M6 se réalise, le groupe Bolloré, avec Vivendi et Lagardère-Hachette qu'il est en train d'avaler, le groupe LVMH-Bernard Arnault avec Le Parisien et Les Echos , Patrick Drahi avec Altice qui va de BFM à Libération en passant par L'Express et RMC, et Xavier Niel qui contrôle, entre autres titres avec Mathieu Pigasse, Le Monde et Télérama , sont les principaux groupes capitalistes impliqués. Trois de ces industriels sont des acteurs majeurs de la téléphonie (Bouygues, SFR et Free), ce qui accroit la dimension globale de ces concentrations.
Dans la presse écrite, la crise du modèle économique et la masse d'investissements nécessaires dans le numérique ont contraint de nombreuses sociétés éditrices de presse à se concentrer et à chercher des investisseurs capables de les recapitaliser à fonds perdus. Les grands groupes industriels se sont engouffrés dans la brèche en cherchant à renforcer leur pouvoir d'influence. Ces groupes visent leur rentabilité dans les médias en cherchant à capter les recettes publicitaires, en concurrence avec les plateformes américaines qui aspirent ces recettes en pillant les contenus éditoriaux.
La concentration des régies publicitaires dans les mains de ces groupes est donc devenu un phénomène structurant de la période, avec des effets de contrôle indirect contre le pluralisme, de droit de vie ou de mort sur les médias concurrents. Le taux de concentration atteint 70 % pour la publicité en ligne, et atteindrait ce même taux dans l'audiovisuel si la fusion TF1-M6 se réalisait.
Dans l'audiovisuel - la télévision en particulier - l'augmentation du nombre de chaînes masque un puissant mouvement de soumission des médias à l'audimat et à la logique de « capture de l'attention ». La concurrence des plates-formes nord-américaines pousse à la concentration dans une sorte de fuite en avant généralisée qui risque à terme de miner les ressorts et les financements d'une création diversifiée.
Des dangers multiples pour la démocratie, la qualité de l'information, et la culture
L'accélération en cours de la mainmise de grands groupes industriels capitalistes sur les médias fait courir des menaces, non seulement de contrôle politique de l'information, mais aussi de contrôle des usages culturels et des habitudes de consommation.
Dans le domaine du contrôle de l'information, la reprise en main agressive des rédactions d'iTélé, devenu Cnews, et d'Europe 1 est la partie la plus brutale, et la plus visible de l'iceberg. Mais la course à une info « spectacularisée » au détriment de sa qualité abîme partout la qualité des métiers et le pluralisme de l'information.
Les médias façonnent à long terme les imaginaires et agissent sur les structures sociales, politiques et culturelles. Dans le contexte actuel, l'uniformisation des modèles culturels est donc une menace. Les programmes qui favorisent l'efficacité publicitaire sont survalorisés, au détriment des fonctions pédagogiques, d'information et d'alerte. Cela conduit à l'appauvrissement et l'alignement des contenus.
La construction d'une « opinion publique » dominante refoule dans le silence nombre de points de vue, minoritaires ou non d'ailleurs, alimentant une spirale de défiance croissante, qui favorise en retour le succès de rumeurs complotistes sur les réseaux sociaux ou le succès de médias dits « antisystème », penchants en général à l'extrême-droite... parfois à leur tour relayés par les grands médias qu'ils critiquent.
Les logiques financières poussent de surcroît à l'effacement de la frontière entre information et communication, contribuant à la dévalorisation du métier de journaliste et à sa précarisation, au bénéfice d'un journalisme de service plutôt qu'à l'exigence journalistique.
Un urgent besoin de soutien et de protections nouvelles pour la qualité et le pluralisme de l'information
Contrairement au groupe Les Républicains qui a défendu dans la commission, à l'unisson des grands patrons acteurs des concentrations actuelles, qu'il n'y avait pas de concentrations excessives, et donc pas besoin de régulations nouvelles, le groupe CRCE considère urgent de remettre la loi sur le métier au plus vite pour mettre un coup d'arrêt aux concentrations et repenser la vitalité et le pluralisme de l'information et des médias.
Compte tenu des lourds désaccords qui l'ont traversée, la commission d'enquête n'a pas pu adopter de recommandations à la hauteur de la situation. Le débat au Parlement toutefois mentionné dans ses recommandations devra être saisi dès 2022 pour avancer des propositions nouvelles.
Le groupe CRCE soutient notamment les pistes de travail suivantes :
1) le renforcement des seuils anti-concentrations par une révision indispensable de la loi de 1986, pour réformer en profondeur leur niveau et leur conception. Il est nécessaire de tenir compte de la dimension globale et multisectorielle des concentrations actuelles. En plus des seuils de contrôle capitalistique, l'audience cumulée d'un groupe et la part occupée par un groupe sur le marché publicitaire tous médias confondus doivent être retenus. La piste de la mesure de la « part d'attention » exercée par un groupe, recommandée par la commission, nous semble devoir elle aussi être poursuivie.
2) le soutien accru au pluralisme , qui passe notamment par :
- une réforme des aides à la presse . Les plus grands groupes sont les plus gros bénéficiaires de ces aides. Le Parisien (LVMH), Le Monde (Xavier Niel), et Le Figaro touchent au total trois fois plus d'aides que l'ensemble des quotidiens à faible ressources publicitaires. Outre la proposition de la commission (tenir compte du chiffre d'affaires global des groupes bénéficiaires), le groupe CRCE propose le doublement de l'aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires.
- la reconstruction d'un système de distribution coopératif , garantissant l'accès de tous les titres à la distribution.
- l'appui à des projets de « fondations » garantissant l'indépendance des titres ne souhaitant pas être adossés à un groupe capitaliste.
3) l'application pleine et entière par les géants du numérique des lois et directives sur les droits d'auteur et les droits voisins. Nous soutenons la sortie du secret des accords passés de gré à gré entre un groupe éditeur et les plateformes, au bénéfice de la recherche continue d'un accord collectif et coopératif mutualisant les recettes générées par la contribution des plateformes en vertu de l'application de ces lois. Ces recettes pourraient notamment alimenter les projets de développement numérique des entreprises de presse, avec des critères de répartition pluralistes, ne permettant pas la captation de ces recettes par les seuls plus grands groupes.
4) le renforcement des garde-fous protégeant l'indépendance des journalistes, et les garanties juridiques protégeant l'exercice du métier , en étudiant et évaluant toutes les pistes mises en débat lors des auditions (statut juridique des rédactions, droit de veto sur la désignation des directeurs de rédaction, création d'un délit de « trafic d'influence en matière de presse...).
5) la création d'un Conseil supérieur des médias, en lieu et place de l'ARCOM, démocratiquement constitué, incluant dans ses missions le respect de lois anti-concentrations renforcées, la consolidation du pluralisme, le développement de la création française dans les programmes culturels et de loisirs à la télévision.
Contribution du groupe Socialiste, écologiste et républicain
Commission denquête « concentration dans les médias »
Contribution pour le Groupe SER de David Assouline,
Sylvie Robert, Laurence Haribey,
Rachid Temal
Après un travail très soutenu, avec 48 auditions durant trois mois (dont certaines ont été vues des centaines de milliers de fois) , 82 personnalités entendues, représentant plus de 100 heures de réunions, la commission d'enquête créée à l'initiative de notre groupe, a rencontré un écho considérable dans le pays et provoqué un grand débat public, avec plus de 500 articles ou échanges sur ses travaux dans les médias.
C'était le premier objectif tant cette question essentielle pour notre démocratie, notre production culturelle et la liberté de l'information, restait un sujet marginalement traité par la société, par la politique en général, et par la représentation nationale en particulier.
Ce travail considérable, précis et très documenté sur la situation des médias en France démontre non seulement l'ampleur du développement de ces concentrations, mais aussi leurs mutations à la faveur des bouleversements technologiques en cours et de la révolution numérique qui a bouleversé les processus de fabrication, de diffusion, de l'information, comme des usages des citoyennes et des citoyens. Au-delà des appréciations sur leurs nécessités économiques souvent défendues par les actionnaires, la commission a pu révéler par une analyse fine de leurs complexité, l'impact qu'elles pouvaient avoir sur le pluralisme, l'indépendance et la liberté des médias.
Malgré une violente offensive des sénateurs LR de la Commission pour tenter d'empêcher sa publication, remettant en cause personnellement les motivations du rapporteur, la conduite des travaux, les données et analyses qu'il contient, les constats qu'il met en évidence en particulier sur le groupe Bolloré et CNews, le rapport a été adopté à l'unanimité . Cette adoption a été rendue possible par le sens du compromis et la responsabilité dont le rapporteur et le président de la commission ont fait preuve, avec le soutien actif des commissaires socialistes, communistes, écologistes et centristes. Nous sommes convaincus que malgré ces compromis nécessaires pour quil soit autorisé à la publication (limitant la portée de ce qui a été constaté pendant ses travaux et de ce qui doit être proposé pour protéger les rédactions), il est et sera un document de référence pour que le débat se poursuive , de façon éclairée et accessible au plus grand nombre.
Aussi le Groupe SER souhaite revenir sur le constat réalisé et sur les propos tenus par certaines des personnalités auditionnées.
La limitation de la concentration dans les médias constitue, dans une démocratie comme la France, un impératif majeur, au nom de la poursuite dun objectif, celui du maintien du pluralisme au sein du secteur. Lapplication de ce principe de pluralisme garantit la liberté et lindépendance de la presse et des médias, linformation libre et diversifiée de tous les citoyens et constitue la déclinaison, dans ce secteur, des principes constitutionnels de liberté de pensée et dexpression qui fondent une démocratie. La « préservation du caractère pluraliste des courants dexpression socioculturels » a dailleurs été érigée en objectif constitutionnel par le Conseil constitutionnel.
Or, il apparaît quil existe, à lheure actuelle, une situation importante de concentration dans les médias français mettant en danger lexercice de la démocratie, même si la législation permet de limiter les cumuls dactivités dans le secteur, de façon utile, dans certains cas.
La concentration en France nest limitée que partiellement par la loi sur le plan horizontal , en limitant la détention de médias sur un même support et sur le plan diagonal , en autorisant le cumul dactivités dans les médias, sur seulement deux des trois supports. Seuls les supports (télévision, radio et presse) existant en 1986 , lors de la rédaction de de la loi relative à la liberté de communication et de celle portant régime juridique de la presse ont été pris en compte ; les enjeux liés au numérique ne lont été que très partiellement malgré les très nombreuses modifications de la législation, intervenues depuis.
La concentration verticale nest, en revanche, pas prise en compte par notre législation . Ce vide juridique permet ainsi aux acteurs des médias de cumuler des activités sur lensemble « de la chaine », depuis le contrôle des « tuyaux », en passant par la création, l'édition et la production de contenus. Le cumul dactivités dans ce secteur des médias et dans celui de lindustrie et de la commande publique nest pas davantage pris en compte par la loi française. De ces deux types de concentrations peuvent naître des situations de favoritisme, de conflits dintérêts et de trafic dinfluence.
Ces insuffisances de la législation et ces vides juridiques autorisent certains acteurs des médias ou de lindustrie (dont, pour certains, le métier initial était fort éloigné de la presse ou de laudiovisuel) à créer des empires et ainsi un danger pour le maintien du pluralisme et le bon fonctionnement de la démocratie .
Les sénateurs SER sont préoccupés depuis plus dune décennie de ces entraves au pluralisme et de ces potentiels conflits dintérêts et ont successivement déposé des propositions de loi visant à réglementer les cumuls dactivités et à garantir lindépendance des médias et rédactions : proposition de loi visant à réguler la concentration dans le secteur des médias, dès 2008 (afin dinterdire le cumul dactivités dans les médias et dans la commande publique) ; proposition de loi relative à lindépendance des rédactions, en 2010, suivie dune initiative commune avec les députés socialistes, en 2016, devenue la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, lindépendance et le pluralisme dans les médias.
Plusieurs propositions du rapport, issues dun constat partagé de lensemble des membres de la commission denquête, vont dans le bon sens. Il en va ainsi de celles proposant de compléter la loi du 14 novembre 2016, en permettant de renforcer lindépendance des rédactions et leurs conditions de travail. En revanche les constats et positions entre groupes politiques sont plus divergents sur les situations de concentration dans les médias et le traitement à leur réserver.
Les sénateurs SER souhaitent donc davantage insister sur deux cas particulièrement préoccupants :
Le groupe Bolloré : Les sénateurs SER ont la conviction que, lors de laudition de lactionnaire majoritaire du groupe, Vincent Bolloré, tout n'a pas été dit, et la réalité quelque peu malmenée. Lactionnaire a ainsi fourni à la commission denquête des éléments de comparaison biaisés : comparaison de la valorisation du groupe avec celle des géants internationaux alors quau niveau national, avec 5 milliards €, il est en tête des groupes français ; affirmation d'être le cinquième acteur français en terme daudience quand la comparaison entre chaîne payante et chaîne gratuite na aucun sens et que le groupe est le premier de ceux diffusant en clair, par son chiffre daffaires (5,5 MD€ contre 3MD€ pour France télévisions ; 2,1 pour TF1 et 1,3 pour M6) ; pour le secteur de l'édition, citation des positions au niveau mondial et non national où Hachette (propriété de Lagardère, en passe d'être absorbé par le groupe) est numéro 1 et Editis (propriété de Vivendi) est numéro 2.
Le groupe Bolloré, initialement investi dans des activités de transport et d'énergie, notamment dans des pays extérieurs au continent européen, détient désormais de nombreux groupes dans le secteur des médias, de la presse, de l'édition, de la publicité et du jeu vidéo. Ce cumul dactivités fait apparaître une véritable concentration verticale et des risques de trafic dinfluence, extrêmement dangereux pour notre démocratie. Cette concentration est dautant plus inquiétante que Vincent Bolloré semble désormais poursuivre un véritable projet politique. Il n'est pas possible de donner raison à ses affirmations, tenues devant la commission denquête, de non interventionnisme au sein des rédactions des différents médias du groupe. Le rôle et le poids de Vincent Bolloré, notamment, dans les « liquidations » des rédactions d'ITélé, fin 2016 et dEurope 1, à l'été 2021, sil na pas été confirmé par lintéressé devant la Commission denquête, ne fait pas beaucoup de doute et a fait lobjet de nombreux témoignages. Le départ des journalistes opposés à ses méthodes dingérence et à l'émergence dune Fox News à la française, lui ont permis de créer CNews, chaîne façonnée pour un projet idéologique, transformé en outil de soutien de promotion d'un candidat dextrême droite à l'élection présidentielle, Eric Zemmour (préalablement employé de la chaîne à linitiative du président du groupe). Pour nous, il ne sagit aucunement dune simple chaîne de débats, comme ses dirigeants se plaisent à la qualifier mais dune véritable chaîne dopinion qui ne correspond à aucune des catégories retenues par lancien CSA (désormais ARCOM) pour lattribution des fréquences TNT et dont la ligne éditoriale est contraire aux termes de la convention signée par la chaîne avec linstance. Cette convention définit CNews comme une chaîne « consacrée à linformation » et la soumet à des obligations déontologiques, plus particulièrement de « pluralisme dexpression des courants de pensée et dopinion » (article 2-3-1 de la convention), d' « honnêteté de linformation et des programmes »(article 2-3-7), d'« indépendance éditoriale de la rédaction » (article 2-3-8). La chaîne a dailleurs reçu une mise en demeure de linstance de régulation, en décembre 2021, pour manquement à ses obligations conventionnelles en matière de pluralisme politique.
Le projet de fusion - en cours dinstruction - de TF1 et M6 fait partie des sujets dinquiétude en termes de concentration des médias.
Cette nouvelle concentration qui réunirait principalement les deux chaines historiques privées en clair du paysage audiovisuel français, serait préoccupante tant sur le plan économique, que sur le plan politique :
ï le groupe capterait un taux daudience cumulé sans équivalent : 41,5% de laudience en clair, particulièrement préoccupant aux heures de diffusion des journaux télévisés des deux grandes chaines au regard de lobjectif constitutionnel de « préservation du caractère pluraliste des courants dexpression socioculturels » et par rapport à la concurrence faite aux journaux diffusés par le service public. Le groupe sera certes obligé, en vertu de la loi, de se séparer de 3 des 10 chaines qui appartiennent cumulativement à TF1 et M6 et, fin février, le groupe Altice de Patrick Drahi a indiqué avoir signé deux promesses dachat pour TFX et 6ter. Ces promesses dachat confirment que le groupe ne se départira que de chaines pesant très peu de points daudimat ;
ï en termes de concentration verticale, les inquiétudes sont nombreuses : le groupe capterait 75% des parts de marché publicitaire de la télévision en clair, situation potentiellement constitutive dun abus de position dominante ; sur le marché des droits de production, les projections indiquent une capacité d'investissement globale de TF1-M6 dans la production de 1,3 milliard € ; le groupe détiendrait plusieurs boîtes de production ; les services du groupe, par la possession de Bouygues Télécom, auraient également accès prioritairement aux réseaux ; le nouveau groupe détiendrait également des intérêts dans la commande publique (comme cest aussi déjà le cas pour TF1), via Bouygues Construction et Bouygues Immobilier.
Largument développé par Martin Bouygues à lappui de la fusion selon lequel des géants français sont nécessaires pour contrer ceux mondiaux, ne tient pas. A titre dexemple, Netflix investit 17,4 milliards € en 2022 quand TF1 et M6 regroupés en attendent 1,3 milliard €.
Ce regroupement ne servira donc pas les intérêts français au niveau international mais limitera de façon importante le pluralisme au niveau national. Cette fusion est en cours et ira probablement à son terme. L'Autorité de la concurrence et l'ARCOM en décideront, selon certaines conditions. Nous serons vigilants à ce que les règles de la concurrence sur le marché publicitaire et la valeur des droits audiovisuels soient préservées, tout comme l'indépendance et le maintien des services d'information des chaînes des deux groupes, et enfin que le pluralisme sur la TNT ne soit pas mis à bas.
Ces deux exemples particulièrement éclairants prouvent que, dans un objectif de maintien du pluralisme dans le secteur des médias français, il conviendrait, dune part, de poser des limites législatives tant à la concentration verticale qu'à celle impliquant de possibles conflits dintérêt ou trafics dinfluence afin dassurer une réelle étanchéité entre les différentes activités (média et autres) des groupes et, dautre part, de garantir aux rédactions et aux journalistes de pouvoir effectuer leur travail en toute indépendance .
Les 32 propositions consensuelles adoptées par la Commission denquête permettront dapporter des améliorations pour répondre problèmes constatés entachant le secteur des médias mais, avec le rapporteur, nous pensons qu'il faut aller plus loin :
1 - limiter les concentrations verticales - lexercice savère difficile par limpossibilité, en droit français, à rendre rétroactive une loi ; une loi limitant les concentrations verticales conforterait ainsi les situations de concentration existantes et empêcherait l'émergence de potentiels nouveaux entrants susceptibles de contrebalancer la situation des groupes en situation dominante. Des pistes peuvent être cependant tracées :
ï combler le vide juridique français, notamment en prévoyant des limitations aux participations dun même groupe ou dune même personne dans les différentes activités de lensemble de cette chaîne de valeurs verticale et notamment en interdisant le cumul avec des activités dans la publicité ou la fourniture daccès ;
ï se doter, à linstar de certains pays, dune législation interdisant d'être actionnaire majoritaire dans les médias tout en détenant des contrats dans la commande publique (reprenant ainsi lesprit de la proposition de loi des sénateurs socialistes de 2008) ;
ï créer un délit de trafic dinfluence spécifique au secteur de linformation ;
ï rendre incessible le capital des médias, par la généralisation de modèles économiques tels la fondation à but non lucratif ou grâce à une séparation entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui détiennent le capital, par la création de fonds de dotation, à linstar de ce qui existe à Médiapart ou au Monde.
2- garantir lindépendance des rédactions - Si le groupe SER se félicite des avancées apportées sur ce point par la commission denquête, plus particulièrement celles complétant la loi du 24 juillet 2019 -dont le groupe SER est à lorigine- pour instituer une réelle obligation de transparence des accords et des montants de juste rémunération des droits voisins des éditeurs de presse et agences de presse par les GAFAM, celles visant à donner un droit de regard à lARCOM sur les chartes et comités d'éthique manquent d'ambition du fait du groupe LR . Quelques mesures complémentaires seraient cependant les bienvenues :
ï rendre davantage indépendants les directeurs de publication ou de rédaction de lactionnaire. Nous souhaitons que la nomination dun directeur de publication ou de rédaction, dans lensemble des médias, soit validée par au moins 60% de la rédaction, à linstar du modèle appliqué à la rédaction du Monde ;
ï renforcer les pouvoirs de lARCOM afin quelle puisse, en cas de soupçon dingérence dun actionnaire dans une rédaction, procéder à des enquêtes indépendantes, et prendre, le cas échéant, des sanctions adaptées ;
ï imposer une charte d'éthique et un comité d'éthique dans toutes les rédactions et renforcer les pouvoirs de lautorité de régulation afin quelle puisse vérifier la mise en oeuvre de ces chartes et quoutre la validation de la composition réellement indépendante des comités d'éthique et du médiateur, elle puisse aussi infliger des sanctions en cas de manquement constaté dans leur fonctionnement ;
ï conforter les membres du comité d'éthique en faisant acter leur nomination par lArcom. Cette reconnaissance serait de nature à donner un supplément de légitimité aux membres ;
ï prévoir explicitement la prise en compte, dans le cadre de lexamen du renouvellement des fréquences, des mises en demeure et sanctions prononcées durant la précédente période.
3 - renforcer le service public de laudiovisuel face à un secteur privé de plus en plus puissant, conformément à la position constante et aux amendements défendus par les sénateurs SER depuis plusieurs décennies - La proposition 27 visant à réfléchir à la mise en place dune ressource « indépendante et pérenne » constitue une avancée mais il convient de sécuriser davantage les ressources de laudiovisuel public et ses missions :
ï assurer un financement, garant de lindépendance du secteur, par une ressource, non seulement « pérenne et indépendante » mais aussi dynamique et universelle : en procédant à une taxation forfaitaire, assise sur lensemble des appareils de réception ; en faisant contribuer à la création les GAFAM et les plateformes de contenus ; en prévoyant une progressivité annuelle et incontournable de la ressource ;
ï assurer au service public une priorité à la diffusion de certains événements dimportance majeure et en garantir le financement ;
ï mettre en place un système incitatif pour le financement de productions destinées au service public.
4 - Contraindre les plateformes internationales à respecter le droit français et les soumettre aux mêmes obligations légales que les acteurs français du secteur des médias , en transposant rapidement les textes européens en cours dadoption qui visent à contraindre les grandes plateformes implantées en Europe à respecter les règles nationales sappliquant aux contenus et à la concurrence.
Contribution du groupe Les Républicains
Objet : Commission d'enquête sur la concentration des médias
Proposition de contribution du groupe LR
Selon les termes de l'exposé des motifs de la résolution tendant à créer la commission d'enquête sur la concentration des médias en France, le groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain du Sénat a souhaité « mettre en lumière les conditions d'achat et de regroupement qui ont abouti à un paysage de la presse et de l'audiovisuel très concentré ». Citant plusieurs regroupements de sociétés, l'exposé évoque « la situation préoccupante de la presse, livrée à des intérêts économiques qui peuvent s'éloigner des enjeux de pluralisme et de déontologie des médias ». Et ajoute que « les concentrations, mutualisations et synergies passées ou futures (...) touchent inévitablement les programmes, l'information, les contenus des services et titres nouvellement concentrés, mettant en péril le pluralisme de l'offre culturelle, l'indépendance des rédactions et des journalistes et la diversité et la qualité de l'information dont disposent nos concitoyens ».
Une telle présentation et le choix-même du format d'une commission d'enquête révélaient des a priori que la lecture du rapport ne fait que confirmer. Certaines préconisations, suite à une instruction à charge, visent à réparer un affaiblissement supposé de l'information du citoyen dont la démonstration n'a pourtant nullement été faite.
Tout en soulignant l'importance d'être vigilants au regard de l'évolution du paysage médiatique, le groupe Les Républicains appelle à davantage d'objectivité, en particulier à un moment où la défiance de l'opinion publique à l'égard des médias n'a jamais été aussi forte. Dans un esprit constructif, les membres de notre groupe faisant partie de la commission d'enquête ont souhaité adopter le présent rapport en lui apportant certains rectificatifs et précisions qui ont permis la diffusion des travaux. Ils font cependant part de leurs réserves concernant des conclusions qui n'appartiennent qu'au rapporteur.
Le sujet de la concentration des médias impliquait de mener une réflexion à la fois sur le maintien d'une information fiable et pluraliste et sur l'équilibre économique du secteur.
Concernant la qualité de l'information, il apparait que la France bénéficie d'une réglementation particulièrement protectrice de la liberté, du pluralisme et de l'indépendance des médias.
Celle-ci repose principalement sur la loi du 30 septembre 1986, qui prévoit des dispositifs visant à limiter la concentration et à favoriser la diversité des sources d'information et d'expression des courants de pensée et d'opinion. Des critères réglementant la détention de parts de capital ou les autorisations d'émettre empêchent tout risque de situation de monopole. D'autres textes sont venus renforcer la protection de la liberté d'information, comme par exemple la loi dite Bloche du 14 novembre 2016 sur l'indépendance des journalistes. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), issue de la fusion du CSA et de la Hadopi, assure le contrôle du respect de la loi et dispose de pouvoirs de sanction. Pour tout projet de concentration, l'Autorité de la concurrence mesure le respect de l'équilibre entre la concurrence, l'intérêt industriel du pays et le maintien de l'emploi.
Il existe donc de nombreux outils garantissant le pluralisme des médias et leur indépendance. Le rapport prend d'ailleurs acte de l'existence de groupes audiovisuels et de presse nombreux et différents. Il conclut finalement que le panorama actuel des médias français n'est pas constitué de concentrations excessives, notamment au regard de la situation des autres pays européens.
Cela n'exclut pas cependant d'envisager un certain nombre de réformes.
Sur ce point, les objectifs poursuivis par le rapporteur ne correspondent pas à ceux visés par notre groupe. Le rapporteur s'est attaché à dénoncer les risques d'une accentuation des phénomènes de concentration qui, selon lui, conduirait à affaiblir le pluralisme, la liberté et l'indépendance des médias. Dénonçant une potentielle main mise de grands groupes industriels sur les acteurs de l'information, il a souhaité renforcer les contraintes, les contrôles et les interdictions pesant sur les acteurs privés. Le contexte de la fusion TF1-M6 et du développement du groupe Vivendi n'est évidemment pas étranger à cette volonté de créer un lien entre concentration et atteinte aux droits de l'information, assumée dès les premières auditions.
Notre groupe regrette que le rapport s'éloigne ainsi des véritables enjeux que rencontre le secteur des médias aujourd'hui.
Comme le soulignent de nombreuses études, la loi de 1986 a été pensée dans un contexte très différent de celui que nous connaissons actuellement. Une mission confiée par le Gouvernement à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale des affaires culturelles a jugé le cadre juridique hérité de la loi de 1986 largement « obsolescent et lacunaire », avec notamment une absence totale de prise en compte des médias numériques qui combinent, de plus en plus, puissance économique et capacité d'influence sur l'opinion. L'Autorité de la concurrence a également rendu un avis reconnaissant l'asymétrie des conditions de concurrence entre les nouveaux et les anciens acteurs du secteur des médias, rendant nécessaire de revoir le dispositif anti-concentration.
Le rapport de la commission d'enquête du Sénat ne prend pas réellement la mesure de la puissance des plateformes américaines, qui ne subissent quasiment aucune contrainte dans leur progression.
Depuis plusieurs années, le Sénat défend le développement de groupes de médias traditionnels suffisamment forts pour avoir les moyens de rivaliser avec les acteurs internationaux. Il l'a rappelé lors de l'examen du projet de loi « relatif à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique ». Notant l'absence de réforme engagée par le Gouvernement, le Sénat a d'ailleurs adopté à cette occasion des dispositions visant à relever les seuils de concentration concernant la radio et les réseaux de chaînes de télévision locale.
Ainsi que l'a relevé le sénateur Jean-Raymond Hugonet (LR) 177 ( * ) lors de la présentation du présent rapport, « le véritable sujet consiste aujourd'hui non pas à imaginer de nouvelles contraintes à imposer aux entreprises françaises mais, au contraire, à alléger le poids des contraintes existantes pour permettre à nos médias de se battre à armes égales avec leurs concurrentes américaines ».
L'examen du rapport a permis l'adoption de plusieurs amendements de M. Hugonet. Certains sont venus distinguer les convictions personnelles du rapporteur des conclusions des membres de la commission d'enquête, concernant notamment les appréciations portées sur la chaîne CNews et les grands groupes privés.
L'exclusion par le rapport de tout débat sur l'indépendance du service public a été soulignée. La création d'administrateurs indépendants veillant à l'impartialité de l'information, prévue par le rapporteur dans les conseils d'administration des sociétés de l'audiovisuel privées, a d'ailleurs été étendue à celles de l'audiovisuel public.
D'autre part, les membres de la commission d'enquête ont souhaité supprimer plusieurs propositions visant un contrôle de l'ARCOM sur les médias privés. Ils ont estimé que les conditions d'indépendance de cette Autorité vis-à-vis du Gouvernement n'étaient pas réunies pour lui permettre de donner son aval à la nomination d'administrateurs indépendants veillant sur les questions d'indépendance des rédactions et de conflits d'intérêts. De même l'accord de l'ARCOM a été supprimé pour la nomination des membres des comités d'éthique. En effet, mettre en place un mécanisme de contrôle ex ante de l'information et des rédactions par l'ARCOM constituerait une atteinte grave à la liberté de communication, comme l'argumentait déjà le Sénat lors du vote de la loi « Bloche » en 2016.
D'autres amendements sont venus supprimer des propositions conduisant à entraver le développement des entreprises.
Les Républicains du Sénat appellent plus globalement à assouplir la réglementation s'appliquant aux médias et à favoriser le développement des acteurs nationaux. Le présent rapport doit être l'occasion de souligner que la convergence des médias constitue une formidable opportunité pour permettre à des groupes français d'émerger en maîtrisant l'ensemble de la chaîne de valeur.
* 177 M. Jean-Raymond Hugonet est rapporteur pour avis de la loi de finances sur l'Audiovisuel et les avances à l'audiovisuel public