D. LES ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS À BUT NON LUCRATIF : UN MODÈLE POUR L'ÉVOLUTION DE L'HÔPITAL PUBLIC ?
Faut-il faire évoluer le cadre juridique applicable aux hôpitaux publics pour leur donner davantage d'autonomie et de souplesse, favoriser la rapidité des décisions et les capacités d'adaptation, permettre une meilleure implication des personnels médicaux et soignants ?
La question revient périodiquement dans le débat public, particulièrement à la faveur d'une crise sanitaire au cours de laquelle la mise en suspens d'un certain nombre de règles et procédures a permis aux établissements de pleinement mobiliser leurs forces vives et de remplir leurs missions face à la vague épidémique.
Les établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), établissements privés à but non lucratif, sont régulièrement pris pour modèle 71 ( * ) , combinant le respect des missions et obligations de service public, une grande liberté d'organisation et une pleine responsabilité financière.
Opérant sous statut d'association ou relevant de fondations ou de mutuelles, ils couvrent une large gamme d'établissements, y compris les centres de lutte contre le cancer. Ils représentaient en France 14 % des lits d'hospitalisation (contre 62 % pour les hôpitaux publics et 24 % pour les cliniques), un poids relativement modeste comparé à d'autres pays développés : près de 30 % en Allemagne, autour de 60 % aux États-Unis et en Allemagne, plus de 70 % en Belgique, alors que les Pays-Bas ont confié l'intégralité de la gestion des hôpitaux au secteur privé sans but lucratif 72 ( * ) .
Répartition du nombre de lits entre les hôpitaux publics, privés à but non lucratif et privés à but lucratif en 2018 et nombre de lits en moyenne pour 1 000 habitants dans des institutions sans but lucratif
Comme les hôpitaux publics, les Espic assurent le service public hospitalier, avec les obligations qui en découlent : permanence de l'accueil et de la prise en charge, égal accès aux soins et, jusqu'à une date récente, absence de dépassement de tarifs 73 ( * ) .
Dans la quasi-totalité d'entre eux, les médecins sont salariés, sans possibilité d'exercice libéral, ce qui n'est pas le cas à l'hôpital public.
Ils disposent en revanche d'une grande liberté dans la définition de leur gouvernance interne et dans le recrutement et la gestion de leurs personnels .
La gouvernance donne un rôle prééminent au conseil d'administration, qui définit la stratégie et l'organisation interne de l'établissement, décide des évolutions d'activité, sélectionne et recrute le directeur qui est responsable devant lui.
Les personnels sont recrutés sous contrat de droit privé et relèvent d'une convention collective spécifique 74 ( * ) . Celle-ci constitue un socle minimal, notamment en matière de rémunération, des dispositions plus favorables pouvant être arrêtées par l'établissement.
Au regard de l'uniformité qui régit les établissements publics de santé et le statut des personnels hospitalier, les Espic font fréquemment valoir les atouts que représente la possibilité de s'adapter aux spécificités de leur activité et de leur territoire , que ce soit en matière d'organisation ou d'individualisation des carrières et des rémunérations. Il est notamment souligné qu'à l'hôpital public, les rémunérations des praticiens sont identiques quelles que soient les spécialités, de même qu'elles sont uniformes, pour l'ensemble des personnels, dans toutes les régions d'exercice sans véritable prise en compte de paramètres tels que le coût du logement en région parisienne.
Par ailleurs, l'impossibilité de recourir au soutien de l'État ou d'un actionnaire privé en cas de déficit persistant serait un puissant aiguillon .
Ces éléments ont inspiré de nombreuses propositions tenant à modifier le statut des hôpitaux publics.
En 2008, la commission Attali proposait de « permettre aux hôpitaux publics d'opter pour un statut équivalent à celui des hôpitaux privés à but non lucratif », afin « notamment de gérer le personnel hospitalier dans le cadre de conventions collectives (hors personnel souhaitant être maintenu dans la fonction publique hospitalière) plus souples motivantes et de faire appel à des règles et procédures d'achat moins contraignantes que le code des marchés publics » 75 ( * ) .
Plus récemment, plusieurs tribunes ont appelé à « transformer les hôpitaux publics en établissements privés à but non lucratif, avec les mêmes missions et obligations de service public que celles qu'ils exercent aujourd'hui » 76 ( * ) ou « en fondation hospitalière » 77 ( * ) , des contractualisations étant passées avec les facultés de médecine pour assurer les missions de recherche et d'enseignement actuellement dévolues aux CHU.
Il apparaît toutefois qu' il ne faut pas surévaluer les différences liées à la nature juridique des établissements (établissement public administratif dans un cas, association, fondation ou établissement mutualiste dans l'autre). Certaines évolutions tendent à faire converger les règles qui leurs sont applicables. Ainsi, les Espic sont désormais soumis à des règles de publicité et de mise en concurrence pour leurs achats 78 ( * ) .
Interrogé sur ce point, Jacques Léglise, président de la conférence des directeurs d'établissements privés non lucratifs, indiquait, à propos de la gestion des ressources humaines : « elle n'est pas nécessairement plus simple avec le code du travail qu'avec le statut . Il existe des avantages, mais également des inconvénients. Il y a des latitudes, mais les contraintes sont parfois plus fortes qu'en statut. La vraie différence, en réalité, vient de la taille. Il existe des hôpitaux à taille humaine dans lesquels la discussion est permanente ».
En effet, c'est souvent leur taille relativement modeste au regard des CHU ou des grands centres hospitaliers qui, combinée à leur liberté d'organisation et de gestion , favorise une plus grande proximité entre les différents acteurs de l'établissement, des relations plus directes, des circuits décisionnels courts et une plus grande réactivité. On peut ajouter que le secteur privé non lucratif intervient en complémentarité de l'offre de soins constituée par les hôpitaux publics qui, quant à eux, comportent une gamme d'établissements de toutes tailles, tantôt inférieure tantôt supérieure à celle que l'on pourrait considérer comme optimale, afin de couvrir l'ensemble du territoire et d'assurer l'ensemble missions de soins, d'enseignement et de recherche.
À ce stade, la nécessité d'une modification du statut juridique des établissements n'apparaît pas déterminante au regard des difficultés de l'hôpital public. Cela n'exclut pas, bien au contraire, de continuer à adapter les règles applicables à celui-ci. Le fonctionnement des établissements privés non lucratifs, notamment leurs possibilités de différenciation en matière d'organisation et de gestion des ressources humaines, par opposition à l'application de règles uniformes, doit constituer une source d'inspiration.
Recommandation : poursuivre l'adaptation des règles applicables à hôpital public en s'inspirant des possibilités de différenciation en matière d'organisation et de gestion des ressources humaines dont disposent les établissements privés à but non lucratif.
* 71 « Hôpital : un autre modèle est possible », Jean-Louis Buhl, président de la Fondation hôpital Foch, Le Monde , 17 janvier 2018.
* 72 Drees, Les dépenses de santé en 2020 , Édition 2021.
* 73 L'article 21 de la loi du 26 avril 2021 permet aux praticiens salariés d'un Espic de pratiquer des dépassements d'honoraires.
* 74 Convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951.
* 75 Rapport de la commission pour la libération de la croissance française, décision 275, janvier 2008.
* 76 « Diriger un hôpital est un vrai métier », tribune collective, Le Figaro , 27 mai 2020.
* 77 « Le pilotage du système de santé doit être confié aux régions », Antoine Brézin, Guy Collet, Gérard Vincent, Le Monde , 24 février 2022.
* 78 En application de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.