C. RECENTRER ET SIMPLIFIER LES PROCÉDURES DE CONTRÔLE
Les représentants des personnels médicaux et soignants comme ceux des directeurs d'établissement décrivent unanimement un fonctionnement quotidien marqué par la sur-administration, la multiplication des instructions et des contrôles, les demandes croissantes de remontées d'information , sans que la finalité de ces procédures ne soit bien expliquée et comprise ni leurs bénéfices clairement démontrés.
Il en résulte à la fois une mobilisation excessive de ressources humaines administratives, médicales et soignantes, une pesanteur sur l'exercice professionnel et un sentiment de défaut de confiance et d'absence d'autonomie.
Une partie de ces contraintes peut être liée à l'organisation interne des établissements, et levée par une plus grande délégation de responsabilités aux équipes de terrain et des relations plus fluides entre les différentes entités de l'hôpital.
Elles résultent cependant largement du mode de relation entre les établissements et leur tutelle ou les organismes d'inspection et de contrôle. Dans ce domaine, un recentrage et une simplification sont nécessaires pour supprimer les procédures dont la pertinence n'est pas avérée et alléger la charge administrative pesant sur les établissements.
1. Débureaucratiser les relations avec les tutelles
Tous les témoignages reçus par la commission d'enquête concordent pour estimer que les établissements publics de santé font face à une inflation d'instructions, de normes, de demandes de remontée d'information .
Selon un syndicat de directeurs hospitaliers, « malgré une volonté réelle des professionnels des ARS d'aider et de préserver les acteurs hospitaliers [...] , sur 220 jours ouvrés annuels, les établissements de santé publics reçoivent plus de 200 demandes de reporting ou de consignes de la part de leur tutelle » 61 ( * ) .
Dans bien des cas, les instructions ou demandes que les ARS adressent aux établissements ne font que répercuter celles qu'elles-mêmes reçoivent de l'administration centrale via leur conseil national de pilotage, en nombre très important en dépit d'un réel effort mené ces dernières années pour le réduire 62 ( * ) . S'y ajoute l'intervention des différents opérateurs de l'État en matière de santé.
L' abondance des instructions conduit à des « injonctions non coordonnées quand elles ne sont pas contradictoires » 63 ( * ) , voire parfois à une certaine insécurité juridique, les établissements devant résoudre par eux-mêmes les difficultés soulevées par la conciliation problématique de cet ensemble foisonnant.
En matière médicale, il peut arriver que des référentiels différents soient édictés sur un même sujet, par la Haute autorité de santé (HAS) et les sociétés savantes.
Le « reporting » constitue également un sujet majeur de contrainte bureaucratique , mal vécu par les établissements et consommateur en personnel. L'enchaînement des enquêtes se traduit par des « demandes redondantes » et « de nombreux tableaux à remplir pour l'ARS ou le ministère avec un mode d'emploi inexistant ou partiel (donc des biais de recueil, identifiables aisément au niveau d'un GHT) » 64 ( * ) . Des indicateurs toujours plus nombreux et détaillés sont à renseigner sans que leur pertinence soit pleinement établie et leur recueil véritablement utile à la décision.
La capacité des tutelles à analyser et exploiter les multiples informations qu'elles sollicitent suscite de fortes interrogations de la part des acteurs hospitaliers , qui déplorent le peu de retours sur les enquêtes auxquels ils participent.
L'administration centrale leur paraît excessivement inquisitrice dans son désir de « tout savoir et tout contrôler », mais paradoxalement , la commission d'enquête a constaté à l'occsion de ses travaux qu'elle était en difficulté pour fournir des informations simples sur l'état du secteur hospitalier , telles que le nombre de postes vacants ou de lits fermés, l'évolution des flux de recrutement et de départ des personnels, les abandons en cours d'études dans les formations paramédicales, etc .
La description unanime par les professionnels hospitaliers de cette charge administrative et de ses effets irritants met en lumière le caractère proprement archaïque des modes de communication entre les établissements et leurs tutelles , alors que les nombreuses données figurant dans les systèmes d'information devraient permettre une plus large automatisation ce type de requêtes.
Les établissements disposent de leurs propres systèmes d'information, qui ne sont pas toujours interopérables avec ceux des tutelles. Mais ils renseignent également plusieurs bases de données nationales : le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) où sont retracées toutes les données liées à l'activité hospitalière ; la plateforme Ancre qui recueille les données financières des établissements de santé publics ou privés à but non lucratif, y compris avec des informations infra-annuelles ; le répertoire opérationnel des ressources (ROR), déjà cité, recensant les disponibilités en lits, en principe renseigné au jour le jour par les établissements. Au fil des années, ces bases de données ont été enrichies et leurs délais d'actualisation se sont améliorés.
Il paraît absolument indispensable de privilégier l'utilisation de données déjà renseignées à l'envoi de questionnaires ad hoc qui nécessitent de les ressaisir, alimentant le sentiment d'un travail redondant et d'une charge administrative injustifiée.
Or tel ne semble pas le réflexe premier, soit que les administrations requérantes ne disposent pas des compétences techniques pour pleinement utiliser les outils informatiques existants, soit que la conception de ces bases ne permettent pas de remontées automatiques (c'est le cas en particulier de la plateforme Ancre dont le fonctionnement entraîne de multiples ressaisies manuelles des budgets hospitaliers), soit que leur structure et les informations qui y figurent ne soient pas rigoureusement adaptées au besoin de renseignement ressenti par la tutelle. Dans ce cas, il est de la responsabilité de la tutelle de faire évoluer ces bases de données afin de pouvoir disposer de manière automatique d'une plus large gamme d'outils d'analyse.
Des tâches chronophages qui constituent des irritants du quotidien pourraient être allégées si la tutelle s'imposait d'utiliser en priorité les ressources disponibles au sein des bases nationales, en les améliorant et en renforçant la formation de leurs agents. Il est également nécessaire d'engager une mise en cohérence des systèmes d'information des établissements afin de favoriser le recueil de données déjà disponibles.
Recommandation : utiliser prioritairement les ressources disponibles au sein des bases de données nationales, en les faisant évoluer si nécessaire, afin d'automatiser les remontées d'information demandées par les tutelles.
Parmi les sources de lourdes charges administratives liées aux relations des établissements avec la tutelle figurent l'instruction et le suivi des autorisations sanitaires , en raison du degré élevé d'exigences normatives auxquelles elles sont subordonnées.
La simplification du régime des autorisations sanitaires est à l'ordre du jour depuis de nombreuses années, avec la publication successive de deux ordonnances, en 2018 puis en 2021 65 ( * ) . L'obligation de déposer un dossier identique à celui d'une première demande à chaque renouvellement a été remplacée par une simple demande, ce qui constitue un allègement notable. Mais en contrepartie ont été institués des indicateurs de vigilance précisément définis, pour les activités concernées, par arrêté du ministre chargé de la santé sur proposition de la Haute Autorité de santé (HAS), pouvant conduire au déclenchement d'une alerte enclenchant une procédure de concertation avec l'ARS. Il s'agit donc d'une simplification relative, loin de celle proposée par le rapport de la mission du professeur Olivier Claris qui préconisait de ne maintenir le régime d'autorisation que pour les activités de soins comportant un recours important à des soins critiques ou urgents, ces autorisations emportant automatiquement celle des activités de médecine et de chirurgie.
D'autres allègements paraissent nécessaires, par exemple en rendant automatiques les transferts géographiques d'autorisation d'activités de soins pour un même gestionnaire, et en allant plus loin dans la simplification de la constitution des dossiers.
Recommandation : poursuivre la simplification des dossiers d'autorisations sanitaires.
D'une manière générale, un fort consensus s'exprime en faveur en faveur d'un repositionnement des ARS sur un rôle de régulation et d'accompagnement des établissements .
L'organisation de la santé repose sur une logique descendante d'autorisation et de contrôle a priori , assortie de multiples prescriptions réglementaires édictées par l'échelon central, bien moins que sur le contrat, la confiance et l'évaluation a posteriori .
Ce constat n'est pas nouveau. La commission des affaires sociales du Sénat demandait déjà en 2014 de « revoir les modalités d'exercice des missions dans une logique d'accompagnement des acteurs plus que de contrôle » 66 ( * ) .
Le récent rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de l'Assemblée nationale estime, dans le même sens, que « la relation des ARS avec leurs partenaires sur le terrain doit être guidée par une plus grande subsidiarité, en allégeant certaines de leurs missions et en privilégiant dès que possible une logique de contrôle a posteriori plutôt que d'autorisation a priori » 67 ( * ) , signe que le sentiment des acteurs hospitaliers a peu évolué au cours des années récentes.
Devant la commission d'enquête, le président du collège des directeurs généraux d'agences régionales de santé, le docteur Jean-Yves Grall, a partagé cette orientation, estimant que « l'ARS doit veiller à conserver un positionnement de régulateur sans s'immiscer dans la gestion interne des établissements publics de santé » et que « son analyse doit avant tout porter sur l'offre de soins en réponse à un besoin de santé sur le territoire ». Il a également souhaité, dans l'optique d'un dialogue de confiance réciproque entre les établissements et l'ARS, « que les équipes des ARS puissent être pluriprofessionnelles et que ces dernières puissent notamment disposer de professionnels hospitaliers dans leurs effectifs, car le système de soins fonctionne largement sur une logique de pairs à pairs » 68 ( * ) .
Recommandation : repositionner les ARS sur un rôle de régulation et d'accompagnement des établissements et prévoir la présence de professionnels hospitaliers, notamment médicaux, au sein des agences.
2. Rationaliser les procédures de certification, d'accréditation et d'évaluation
Tous les établissements de santé publics et privés sont soumis à la procédure de certification placée sous la responsabilité de la HAS . Elle se juxtapose avec des procédures spécifiques relevant du Comité français d'accréditation (Cofrac) pour les laboratoires de biologie médicale et de l'Agence de la biomédecine pour la certification des coordinations hospitalières de prélèvement d'organes et de tissus. En outre, les CHU sont obligatoirement évalués par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres).
Ces processus de certification, d'accréditation et d'évaluation constituent une garantie importante de la qualité et de la sécurité des activités hospitalières. Ils représentent néanmoins pour les établissements une charge très consommatrice de temps et un coût indirect significatif compte tenu du personnel qu'ils mobilisent.
Sans remettre en cause la légitimité de ces différents exercices, qui ont leur pleine justification, il est souhaitable de les rationaliser et de les coordonner.
Premièrement, pour exercer auprès des établissements de santé la mission qui leur est confiée par la loi, il devrait être assigné aux organismes certificateurs ou évaluateurs l'obligation de se coordonner, afin de regrouper leur intervention auprès des établissements dans une seule démarche commune. Une telle coordination éviterait aux établissements les lourdeurs que représente l'intervention des évaluations en ordre dispersé.
Recommandation : assigner aux organismes de certification et d'accréditation l'obligation de se coordonner afin de regrouper leur intervention auprès des établissements dans une seule démarche commune.
Deuxièmement, une simplification des procédures doit être recherchée.
S'agissant par exemple des laboratoires de biologie, l'intervention du Cofrac pourrait être recentrée sur le contrôle des appareils de biologie en lien avec le soin.
La certification par la HAS , quant à elle, doit s'effectuer sur la base d'un nouveau référentiel (V2020) avec un objectif de simplification et de recentrage sur le soin.
Lors de son audition par la commission d'enquête, le professeur Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé, a précisé que la nouvelle certification, qui a été déployée de manière souple et très progressive compte tenu de la crise sanitaire, était davantage fondée sur les résultats pour le patient et la pratique des équipes de soins que sur l'évaluation des process et qu'elle avait été simplifiée, une partie de l'évaluation étant destinée aux établissements eux-mêmes sans obligation pour eux d'adresser les résultats à la HAS. Elle a précisé que les retours des établissements visités montraient que cette nouvelle certification « correspond beaucoup plus aux attentes des équipes et des patients », les équipes étant « extrêmement satisfaites du moment de certification, du contact avec les experts visiteurs - qui ont changé et ont été beaucoup médicalisés - et de la façon dont cette certification permet de faire remonter les difficultés, voire d'objectiver celles des équipes » 69 ( * ) .
Il est cependant prématuré d'apprécier la simplification induite par la nouvelle certification, dans la mesure où elle a jusqu'à présent concerné très peu d'établissements.
La lourdeur de certains indicateurs de qualité demeure un sujet de préoccupation. À titre d'exemple, dans la version 2014 de la certification, l'indicateur de qualité de la lettre de liaison remise au patient le jour de la sortie d'hospitalisation et adressée au médecin traitant était calculé à partir de 14 critères de qualité, dont 6 critères médicaux. La rapidité d'envoi de la lettre de liaison est l'un de ces critères, mais le niveau d'exigence en matière d'exhaustivité du courrier peut conduire dans les faits à rédiger une seconde lettre plus complète, ce qui alourdit la charge de travail. Dans la nouvelle certification, le nombre de critères de qualité est passé de 14 à 12 et un seul critère médical a été supprimé (risques liés à l'hospitalisation).
La simplification des indicateurs mérite donc d'être amplifiée et l'établissement d'un indicateur devrait systématiquement faire l'objet d'une étude préalable sur son impact en termes de charge administrative.
Dans toute la mesure du possible, les procédures d'accréditation et d'évaluation devraient faire appel aux données disponibles dans les systèmes d'information des établissements . La présidente de la HAS a souligné à cet égard la difficulté à exploiter les données médicales, figurant dans les dossiers des patients, autrement que par une intervention humaine, faute de plateforme informatique appropriée, les bases médico-administratives exploitables intégrant surtout des données de consommation de soins 70 ( * ) . Il sera donc nécessaire de faire évoluer les systèmes informatiques des établissements pour permettre la remontée des informations les plus pertinentes au regard du processus de certification.
Recommandation : simplifier les procédures de certification et d'accréditation en retenant des indicateurs moins complexes et en faisant appel aux données disponibles dans les systèmes d'information des établissements.
* 61 Témoignage du Syndicat des managers publics de santé cité par le rapport d'information de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale de l'Assemblée nationale sur les agences régionales de santé, présenté par Mme Agnès Firmin Le Bodo et M. Jean-Carles Grelier (document AN n° 4267, 15 ème législature, 16 juin 2021).
* 62 Selon le rapport précité de l'Assemblée nationale, le nombre de ces instructions a diminué de 21 % de 2017 à 2018 puis de 6 % entre 2018 et 2019.
* 63 Contribution du Syndicat national des cadres hospitaliers FO.
* 64 Contribution du Syndicat national des cadres hospitaliers FO.
* 65 Ordonnance n° 2018-4 du 3 janvier 2018 relative à la simplification et à la modernisation des régimes d'autorisation des activités de soins et d'équipements matériels lourds, prise en application de l'article 204 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ; ordonnance n° 2021-583 du 12 mai 2021 portant modification du régime des autorisations d'activités de soins et des équipements matériels lourds, prise en application de l'article 36 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé.
* 66 Les agences régionales de santé : une innovation majeure, un déficit de confiance , rapport d'information n° 400 (2013-2014) de MM. Jacky le Menn et Alain Milon, 26 février 2014.
* 67 Rapport d'information présenté par Mme Agnès Firmin Le Bodo et M. Jean-Carles Grelier (document AN n° 4267, 15 ème législature, 16 juin 2021).
* 68 Audition du 3 février 2022.
* 69 Audition du 3 février 2022.
* 70 Ibid.