N° 466
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 février 2022
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur le
suivi
des
recommandations
du rapport «
Algues vertes
en
Bretagne
, de la
nécessité
d'une
ambition
plus
forte
»,
Par M. Bernard DELCROS,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .
L'ESSENTIEL
Le sénateur Bernard Delcros, rapporteur spécial des programmes 112 et 162 de la mission « Cohésion des territoires », a mené au premier semestre 2021 un contrôle budgétaire portant sur le financement de la politique de lutte contre les algues vertes en Bretagne, intitulé Algues vertes en Bretagne, de la nécessité d'une ambition plus forte 1 ( * ) . Il formulait 23 recommandations afin d'améliorer l'efficience de la politique de lutte contre la prolifération des algues vertes.
Près de dix mois après la publication de ce rapport, le constat demeure nuancé : des avancées ont été obtenues, mais elles ne sont pas suffisantes.
Des améliorations rapides ont été favorisées par les publications rapprochées et convergentes des rapports du Sénat et de la Cour des comptes sur le financement de la politique de lutte contre les algues vertes d'une part et par l'arrêt du tribunal administratif de Rennes en juin 2022 enjoignant à l'État de prendre des mesures supplémentaires d'autre part. En revanche, malgré ces avancées, on constate toujours une inadéquation entre les moyens consacrés à la lutte contre la prolifération des algues vertes et les enjeux, ainsi qu'un déséquilibre entre les volumes de crédits du PLAV et ceux du droit commun de la politique agricole commune (PAC) . D'autre part, la mise en place d'une réglementation, limitée pour l'instant aux seuls agriculteurs volontaires, restreint l'ampleur du renforcement réglementaire à la fois nécessaire et souhaité par de nombreux acteurs.
Application des recommandations du rapport Algues vertes en Bretagne
Recommandations dont la mise en oeuvre est en cours ou achevée |
Recommandations dont la mise en oeuvre est partielle |
Recommandations non mises en oeuvre à ce jour |
I. DES PROGRÈS NOTABLES AU COURS DES DERNIERS MOIS
La mise en oeuvre d'un PLAV 2022-2027 est désormais officialisée dans le contrat de plan État-région 2021-2027. Plusieurs nouveaux outils vont être déployés, notamment une nouvelle « mesure agroenvironnementale et climatique » (MAEC) qui devrait être spécifiquement centrée sur les algues vertes.
D'autre part, le dispositif de paiements pour services environnementaux (PSE) , dont l'expérimentation financée par l'Agence de l'eau Loire-Bretagne est en cours sur trois baies algues vertes, devrait être complété par un dispositif analogue financé par l'État au travers du programme des interventions territoriales de l'État (PITE). Il devrait être doté de 4 millions d'euros par an à partir de 2022. L'objectif est que 40 % des agriculteurs des baies algues vertes soient engagés dans une forme de contractualisation visant à la lutte contre la pollution par les nitrates d'ici 2024. Cet objectif est ambitieux, mais il n'est pas certain qu'il soit réellement atteignable sur la base du seul volontariat.
Dans sa décision du 4 juin 2021, le tribunal administratif de Rennes considère qu'un « renforcement des actions mises en oeuvre demeure nécessaire afin de restaurer durablement la qualité de l'eau en Bretagne » et enjoint à l'État d'y procéder dans les quatre mois . En outre, la décision du tribunal rend obligatoire « la définition précise d'un mécanisme de mise en oeuvre de mesures réglementaires contraignantes supplémentaires ». Le préfet de Bretagne a donc signé un nouvel arrêté en novembre 2021 modifiant le programme d'actions régional de lutte contre la pollution par les nitrates (PAR 6). La principale innovation est la création au plus tard en juillet 2022 de programmes d'actions spécifiques à chaque baie « algues vertes », sous la forme de zones soumises à contraintes environnementales (ZSCE).
II. MAIS DES AVANCÉES QUI DEMEURENT INSUFFISANTES POUR UN RÉEL RECUL DU PHÉNOMÈNE DES MARÉES VERTES
Au-delà du ramassage des algues qui ne traite pas le problème en amont, les actions préventives restent lacunaires dans les vasières du Morbihan , grandes oubliées du PAR 6 révisé. Par ailleurs, si la mise en place des ZSCE peut constituer un outil intéressant, les nouvelles mesures réglementaires qui y seront déployées ne seront pas contraignantes avant 2025 au plus tôt . D'ici là, seuls les exploitants volontaires seront concernés. Il n'est donc pas certain que cela permette à court terme de progresser efficacement en matière de lutte contre les pollutions par les nitrates.
Le rapporteur spécial approuve la hausse de 6 millions d'euros (soit un doublement des crédits) qui devrait être accordée après 2022 à la lutte contre les algues vertes au travers du PITE, dont 2 millions dédiés au renforcement de l'accompagnement des agriculteurs. En revanche, les montants consacrés à la lutte contre la pollution par les nitrates sont sans commune mesure par rapport aux aides de droit commun de la PAC, accordées pour l'essentiel en l'absence de toute conditionnalité environnementale, qui pourraient s'élever en Bretagne à 426 millions d'euros en 2022. Seule une réorientation des crédits de la PAC vers davantage d'aides conditionnées au respect de pratiques agricoles prenant en compte le contexte environnemental spécifique de ces territoires permettrait d'agir efficacement et durablement contre la pollution par les nitrates. De plus, le rapporteur spécial regrette que les moyens consacrés aux effectifs de contrôle ne soient pas augmentés , alors qu'un renforcement des contrôles doit constituer une priorité pour accompagner les évolutions réglementaires.
Le sénateur Bernard Delcros, rapporteur spécial des programmes 112 et 162 de la mission « Cohésion des territoires », a mené au premier semestre 2021 un contrôle budgétaire portant sur le financement de la politique de lutte contre les algues vertes en Bretagne, intitulé Algues vertes en Bretagne, de la nécessité d'une ambition plus forte 2 ( * ) .
Il formulait 23 recommandations afin d'améliorer l'efficience de la politique de lutte contre les marées vertes, en particulier au travers du plan de lutte contre les algues vertes (PLAV). Dix jours après la parution de ce rapport au nom de la commission des finances du Sénat, le tribunal administratif de Rennes enjoignait au préfet de la région Bretagne de renforcer les mesures règlementaires de lutte contre les algues en modifiant le sixième programme régional d'actions de lutte contre les nitrates (PAR 6). Enfin, la Cour des comptes et la chambre régionale des comptes de Bretagne publiaient en juillet 2021 un rapport thématique sur le même sujet 3 ( * ) , aux conclusions convergentes avec celles du rapporteur spécial.
Cette conjonction a permis la mise en oeuvre rapide de certaines des mesures recommandées par le rapport de contrôle budgétaire . Près de dix mois après la publication de ce dernier, il était nécessaire de dresser un panorama des évolutions concernant la politique de lutte contre les algues vertes ainsi que des changements restant à mettre en oeuvre .
I. DES PROGRÈS DANS LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES MARÉES VERTES GRÂCE À UNE CONJONCTURE RENDANT INDISPENSABLE UNE ACTION RAPIDE DE L'ÉTAT
A. LE CONSTAT PARTAGÉ D'UNE POLITIQUE LACUNAIRE DE L'ÉTAT DANS LA LUTTE CONTRE LES ALGUES VERTES EN BRETAGNE
1. Une révision réglementaire rendue obligatoire par la décision du tribunal administratif de Rennes
L'association Eau et rivières de Bretagne avait attaqué devant le tribunal administratif de Rennes l'arrêté du 2 août 2018 portant sixième programme d'actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole (PAR 6). Elle estimait notamment que le PAR 6 ne comportait aucune mesure spécifique relative à la lutte contre les algues vertes.
Dans sa décision du 4 juin 2021 4 ( * ) , le tribunal administratif a considéré que « si des mesures contraignantes ont effectivement été mises en oeuvre dans le sixième programme d'actions [...], un renforcement des actions mises en oeuvre demeure nécessaire afin de restaurer durablement la qualité de l'eau en Bretagne , de limiter les fuites de nitrates à un niveau compatible avec les objectifs de restauration et de préservation de la qualité des eaux et, de prévenir au maximum le phénomène des marées vertes ».
En conséquence, le tribunal a annulé le PAR 6 en enjoignant au représentant de l'État de le modifier et de le compléter dans les quatre mois suivant le jugement. Le PAR 6 modifié devrait désormais prévoir « toute mesure supplémentaire utile de maîtrise de la fertilisation azotée et de gestion adaptée des terres agricoles dans les bassins versants situés en amont des sites littoraux concernés par les problématiques d'algues vertes » .
En outre, le tribunal a rendu obligatoire « la définition précise d'un mécanisme de mise en oeuvre de mesures réglementaires contraignantes supplémentaires en cas de constat d'échec des mesures encouragées par le PLAV », rejoignant ainsi la recommandation 19 du rapporteur spécial , suggérant de mettre en oeuvre rapidement une réglementation renforcée et spécifique aux baies algues vertes, ciblée sur les exploitants non engagés dans une démarche de réduction des fuites de nitrates et allant de pair avec un accompagnement des agriculteurs dans le cadre du PLAV.
2. Un constat d'insuffisance partagé par les rapports de la commission des finances du Sénat et de la Cour des comptes et la chambre régionale de Bretagne
La Cour des comptes a publié en juillet 2021 les résultats de ses travaux menés avec la chambre régionale des comptes de Bretagne 5 ( * ) sur les effets de la politique publique de lutte contre les algues vertes. Ses constats, convergents avec ceux du rapporteur spécial, sont ceux d'une insuffisance générale, la Cour relevant ainsi « une politique de lutte aux objectifs mal définis et aux effets incertains sur la qualité des eaux », « des actions sur les pratiques, les systèmes et les milieux aux effets encore limités » ou encore « des améliorations de pratiques culturales réelles mais inférieures aux objectifs des PLAV ».
Tout comme le relevait le rapporteur spécial, la Cour des comptes insistait sur la faiblesse des montants consacrés au PLAV , très faibles par rapport aux aides de la politique agricole commune (PAC), pour l'essentiel accordées sans spécificités liées aux territoires algues vertes. La Cour souligne ainsi que « des évolutions de système plus ambitieuses [sont] entravées par l'insuffisance des aides de droit commun ». L'absence d'amélioration suffisante de la qualité de l'eau pourrait notamment conduire au lancement d'une procédure d'infraction à l'encontre de la France. Plus inquiétant, la Cour indique que « l'ambition [des PLAV] s'est même réduite entre 2010 et 2017 ».
S'agissant plus spécifiquement du volet financier des PLAV, elle indique que les montants « relèvent en partie de l'affichage », faute notamment de bilan financier consolidé des PLAV, rejoignant ainsi la recommandation n° 23 du rapporteur spécial.
La Cour des comptes a analysé en détail l'exécution des plans de lutte contre les algues vertes, et en a déduit que, sur les 95 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 73 millions d'euros en crédits de paiement (CP) consacrés officiellement à la lutte contre les algues vertes, « seuls 13,7 millions d'euros constituent la spécificité du PLAV et correspondent à des dépenses destinées à prévenir les fuites d'azote d'origine agricole sur les territoires ».
La Cour des comptes a rédigé 11 recommandations 6 ( * ) , selon cinq orientations :
- étendre la lutte contre la prolifération des algues vertes au-delà des huit baies bretonnes concernées par les plans de lutte ;
- définir des objectifs évaluables et en suivre la réalisation à l'échelle des bassins versants ;
- redéfinir les leviers incitatifs au changement des pratiques et des systèmes agricoles ;
- mobiliser les leviers du foncier agricole et des filières agroalimentaires ;
- adapter et faire respecter la réglementation.
* 1 Rapport d'information de M. Bernard Delcros, fait au nom de la commission des finances du Sénat. N° 633 (2020-2021) - 26 mai 2021. https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-633-notice.html .
* 2 Rapport d'information de M. Bernard Delcros, fait au nom de la commission des finances du Sénat. N° 633 (2020-2021) - 26 mai 2021. https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-633-notice.html .
* 3 La politique publique de lutte contre la prolifération des algues vertes en Bretagne - Cour des comptes - juillet 2021.
* 4 Tribunal administratif de Rennes, Eau et rivières de Bretagne, n° 1806391, 4 juin 2021.
* 5 La politique publique de lutte contre la prolifération des algues vertes en Bretagne - Cour des comptes - juillet 2021.
* 6 Cf. annexe 2.