N° 210
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2021
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) relatif aux crédits relatifs aux patrimoines du projet de loi de finances 2022,
Par Mme Sabine DREXLER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial, Mme Mélanie Vogel .
AVANT-PROPOS
La protection du patrimoine est devenue, au cours des dernières années, un véritable enjeu de politique publique . Loin de continuer à considérer le patrimoine comme une contrainte, les collectivités territoriales se montrent de plus en plus préoccupées par son entretien et sa restauration pour développer le potentiel économique et touristique des territoires, améliorer le cadre de vie des Français et renforcer la cohésion sociale.
Ces enjeux ont conduit le rapporteur à souhaiter concentrer son analyse sur les questions relatives à la protection du patrimoine.
Tout en constatant le niveau exceptionnel des crédits destinés au patrimoine monumental en 2022 et l'attention accrue portée par l'État à la préservation du « petit patrimoine » au cours des dernières années, le rapporteur regrette que l'État n'accompagne pas davantage, par le biais de l'assistance à maîtrise d'ouvrage, les collectivités territoriales et les propriétaires privés dans la conduite de leurs projets de restauration. Elle estime qu'il s'agirait d'un levier pour renforcer l'efficacité des crédits de l'État et améliorer l'état sanitaire du patrimoine.
Elle s'étonne que les grands chantiers financés par le plan de relance n'aient pas davantage donné lieu à des actions de promotion et de valorisation des métiers d'art , face à la crise des vocations qui menace la transmission des savoir-faire dans ces métiers.
Elle déplore enfin, que le projet de budget n'accorde aucun crédit en faveur de la transition énergétique du patrimoine bâti , quelques mois après l'adoption de la loi « Climat et Résilience », estimant que le ministère de la culture a un rôle primordial à jouer pour démontrer que la préservation du patrimoine s'inscrit dans une logique de développement durable.
I. UN SOUTIEN FINANCIER EXCEPTIONNELLEMENT ÉLEVÉ DANS LE CONTEXTE DE LA CRISE SANITAIRE
A. UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES ENJEUX FINANCIERS LIÉS À LA PRÉSERVATION DU PATRIMOINE
1. Un effort particulier en faveur du patrimoine protégé
Grâce à une progression continue des crédits destinés au patrimoine protégé au cours des trois derniers exercices, mais surtout à l'apport financier substantiel du plan de relance, le soutien de l'État au patrimoine protégé devrait atteindre, en 2022, un niveau inégalé depuis vingt ans. Il s'établit à 470 millions d'euros en crédits de paiement, dont 115 millions d'euros au titre du plan de relance.
Cet effort exceptionnel dépasse d'environ 50 millions d'euros le montant des crédits que les défenseurs du patrimoine jugent nécessaire pour répondre a minima chaque année aux besoins en termes de restauration.
Visant à soutenir l'emploi et la filière des patrimoines, il a d'ores et déjà permis aux entreprises de restauration des monuments historiques de surmonter les difficultés nées de la crise sanitaire . Celles-ci indiquent avoir bénéficié d'un surcroît d'activité qui leur a permis d'embaucher de nouveaux salariés et d'assurer ainsi la transmission des savoir-faire, ce qu'elles ne sont pas en mesure de faire lorsque les crédits se situent aux alentours de 300 millions d'euros. Se pose donc la question du maintien d'un tel niveau d'activité dans les années à venir, pour ne pas remettre en cause les débouchés ainsi créés.
Évolution des crédits consacrés
aux monuments historiques
au cours des douze dernières
années
Source : Commission de la culture, de
l'éducation et de la communication,
à partir des informations
transmises par le ministère de la culture
Les crédits supplémentaires apportés par le plan de relance ont également permis de combler les retards enregistrés au cours des dernières années en matière de restauration en raison de dotations insuffisantes . Outre la prise en charge des travaux du château de Villers-Cotterêts (60 millions d'euros), ces crédits contribuent au financement du plan « cathédrales » . Les besoins de restauration et d'entretien des 87 cathédrales appartenant à l'État ont été évalués en juin 2020 à 350 millions d'euros sur cinq ans. En 2022, les cathédrales devraient bénéficier de 92 millions d'euros de crédits : comme chaque année, 40 millions d'euros parmi les crédits ordinaires ; 40 millions d'euros au titre du plan de relance ; et 12 millions d'euros pour la mise en oeuvre du plan de sécurité des cathédrales. Ce plan, décidé à la suite de l'incendie de la cathédrale Notre-Dame, revêt un vrai caractère d'urgence : dix édifices, parmi lesquels Paris et Nantes, sont à un niveau insuffisant et six monuments font l'objet d'un avis défavorable à la poursuite de l'exploitation.
Le ministère de la culture fait par ailleurs valoir que dans la mesure où le plan de relance finance des opérations sur monuments publics qui, sans lui, auraient dû être financées sur la base des crédits ordinaires, il a libéré une partie des crédits ordinaires qui deviennent disponibles pour d'autres opérations, portant sur des monuments publics et privés.
2. Une préoccupation croissante de l'État à l'égard du patrimoine non protégé
Parallèlement, l'État a amorcé un réengagement dans la protection du petit patrimoine , dont il s'était progressivement éloigné à la suite de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales. L'exemple le plus emblématique en est sans doute la création du Loto du patrimoine par un amendement du Gouvernement à la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017, que le Parlement réclamait depuis près de vingt ans. Près de la moitié des projets sélectionnés depuis sa création concernent du patrimoine non protégé.
Même s'il n'est pas financé par l'État (celui-ci restitue seulement grâce aux dégels de crédits à la fin de chaque année un montant équivalent à celui des taxes perçues sur les jeux par abondement de la subvention qu'il verse aux propriétaires publics et privés de monuments historiques retenus dans le cadre du loto), la création de ce jeu a permis d'accroître considérablement les sommes destinées à la protection du petit patrimoine , avec 131 millions d'euros récoltés par la mission « Patrimoine en péril » depuis sa création. Il a également contribué à sensibiliser davantage le grand public à cet enjeu. La convention entre le ministère de la culture et la Fondation du patrimoine a été reconduite en février 2021 pour quatre nouvelles éditions.
Les projets sélectionnés par l'édition 2021 de la mission Patrimoine en péril
Source : Fondation du Patrimoine
Le réengagement de l'État en faveur du petit patrimoine s'explique par la volonté de s'appuyer sur le patrimoine comme levier de revitalisation des centres anciens et d'attractivité des territoires . Le programme « Action coeur de ville » mis en place en 2018, comme le plan « Petites villes de demain » annoncé fin 2020, font tous deux de la restauration et de la mise en valeur du patrimoine l'un des piliers de la redynamisation et du développement.
Ce réengagement s'est traduit directement par des crédits , dont le montant reste cependant modeste . Les crédits d'intervention déconcentrés de l'action 2 « Architecture et espaces protégés » ont ainsi bondi de plus de 30 % depuis 2017 pour s'établir à 15,8 millions d'euros en 2022. Ils financent les études et travaux dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables (SPR) et l'accompagnement des politiques de valorisation du patrimoine menées par les collectivités territoriales, à l'instar de celles titulaires du label « Villes et Pays d'art et d'histoire » (+2,9 millions d'euros en 2022).
Mais, c'est surtout par le biais de la fiscalité que l'État accompagne le petit patrimoine. Le code général des impôts comporte plusieurs dispositifs ouvrant droit à des déductions fiscales ou des réductions d'impôt : dispositifs en matière de mécénat pour les particuliers (article 200) ou les entreprises (article 238 bis ), label de la Fondation du patrimoine (article 156), dispositif « Malraux » (article 199 tervicies ).
Le rapporteur se félicite que le Gouvernement ait soutenu la proposition d'origine sénatoriale visant à étendre aux immeubles situés dans des communes pouvant aller jusqu'à 20 000 habitants le bénéfice du label de la Fondation du patrimoine . Cette extension, définitivement adoptée par la loi de finances rectificative pour 2020 du 30 juillet 2020, devrait contribuer à la préservation du patrimoine dans les territoires à dominante rurale et à la revitalisation des centres-bourgs. Compte tenu de sa mise en place récente, les potentialités de cette réforme n'ont pas encore été pleinement utilisées , mais les ministères chargés de la cohésion des territoires et de la culture et la Fondation du Patrimoine se sont engagés, par convention, à ce que 100 labels soient octroyés au sein des communes du programme « Petites villes de demain ».
Les effets de l'extension du label de la Fondation du patrimoine
Des 1 547 labels octroyés par la Fondation du patrimoine en 2020, 82 concernaient des immeubles qui n'étaient pas éligibles au label avant la réforme de 2020. |
Des 1 334 labels octroyés par la Fondation du patrimoine en 2021, 167 concernaient des immeubles qui n'étaient pas éligibles au label avant la réforme de 2020. |
Pour parachever la réforme du label, le rapporteur espère que le Gouvernement publiera dans les plus brefs délais le décret d'application rendant possible la délivrance du label de la Fondation du patrimoine au profit des parcs et jardins .
Dans l'optique de revitalisation des centres anciens, le rapporteur s'étonne qu'aucune suite n'ait été donnée au rapport d'évaluation de la fiscalité « Malraux » de décembre 2018 , réalisé conjointement par l'Inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires culturelles et le Conseil général de l'environnement et du développement durable. Ce rapport avait pourtant conclu à une perte d'efficacité et de lisibilité du dispositif « Malraux » et préconisait sa révision pour lui permettre de contribuer plus efficacement à la restauration des centres-villes.