Marie-Laure Phinéra-Horth
Sénatrice de Guyane
Co-rapporteure de
l'étude sur la place des outre-mer
dans la stratégie maritime
nationale
Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le président de la délégation,
Mesdames, messieurs les élus
Mes chers collègues,
Pêche, aquaculture, activité portuaire, transport maritime, tourisme maritime, exploration des fonds marins : le champ de l'économie bleue en outre-mer est presque infini. Pourtant, malgré ces nombreuses potentialités, les activités maritimes ne représenteraient en outre-mer qu'un peu plus de 2 % de l'emploi marchand et un peu moins de 4 % du tissu entrepreneurial marchand. Face à ce paradoxe, il nous faut apporter des réponses. Sans viser l'exhaustivité, je me concentrerai sur trois points : la situation du secteur portuaire et du transport maritime ; celle de la pêche et de l'aquaculture ; et enfin les enjeux d'exploration et d'exploitation des fonds marins.
Le commerce maritime représente aujourd'hui près de 90 % du commerce mondial. Avec leur situation privilégiée, qui les met à proximité des grandes routes maritimes, les ports ultramarins peuvent jouer un rôle essentiel et en tirer des opportunités pour l'emploi et le développement des territoires. Dans la diversité de leur statut (grands ports maritimes, ports autonomes, port d'intérêt national...), ces ports restent cependant encore trop tournés vers le seul trafic Hexagone - outre-mer, au détriment du réseau régional et international. L'enjeu pour nos ports ultramarins est d'en faire de véritables hubs régionaux.
Un exemple à suivre en la matière est celui de Port Réunion, qui a su investir pour devenir le hub du sud de l'océan Indien. Notre étude devra s'attacher à analyser ce succès et à en comprendre les ressorts pour s'en inspirer pour les autres bassins maritimes. Une des clés de cette réussite est probablement à trouver dans la modernisation des infrastructures portuaires, qui doivent s'adapter à l'explosion du trafic par conteneurs, appelé à tripler d'ici 2035. Le port de demain ne sera probablement plus seulement un site logistique, mais gagnera à mobiliser son foncier pour regrouper une pépinière d'entreprises maritimes.
Notre étude devra par ailleurs veiller à la déclinaison concrète pour les outre-mer des objectifs de numérisation et de verdissement des ports, fixés par la stratégie nationale portuaire de 2021. Je n'oublie pas non plus un sujet brûlant d'actualité : celui de l'explosion du coût du fret maritime, sur lequel il nous faudra apporter des solutions.
J'en viens maintenant aux enjeux de l'aquaculture et de la pêche. Notre production aquacole est encore trop limitée outre-mer : elle s'établit autour de 2 000 tonnes, constituée à 80 % par l'élevage de crevettes en Nouvelle-Calédonie. Ce secteur attire peu de nouveaux producteurs et manque de structuration, tout particulièrement en matière de formation. S'agissant de la pêche, vous le savez, un des enjeux majeurs concerne les aides européennes à la modernisation et au renouvellement de la flotte. En principe, l'Union européenne interdit les subventions à l'augmentation des capacités de pêche. Mais une exception a été prévue pour les régions ultrapériphériques (RUP). Les conditions sont cependant telles que ces fonds n'ont pas pu être mis en oeuvre. Il y a là un chantier à poursuivre, qui avait déjà été mis en avant par l'étude de la délégation sur les enjeux européens pour les outre-mer en 2020.
Au-delà de la préservation de nos activités traditionnelles, il nous faut également préparer les filières de demain et encourager la diversification des activités et les innovations. La tenue des premières Assises économiques des outre-mer, début décembre, devrait participer à ce travail prospectif.
J'en termine avec le défi de l'exploration des fonds marins. Grâce au programme Extraplac, la France a étendu depuis 2015 son domaine maritime de plus de 700 000 km² supplémentaires. Que faire de cette extension et, plus particulièrement, que faire des ressources des fonds marins dont nous disposons dans les eaux ultramarines ? À quelles conditions et à quelle échéance pourra-t-on passer de l'exploration à l'exploitation ?
Avec le Plan France 2030, les ambitions sur l'exploration des fonds marins ont été réaffirmées et des investissements sont prévus pour une meilleure compréhension du vivant dans ces zones. Comme l'a rappelé Annick Petrus, les innovations pouvant être tirées des fonds marins sont nombreuses, en termes de recherche médicale ou d'application technologique. Je pense notamment aux nodules métalliques, aux encroûtements cobaltifères, aux amas sulfurés qui sont des ressources riches en minéraux, qui peuvent pallier l'épuisement des terres rares. La France a la chance de disposer d'opérateurs historiques en la matière, que peu de pays détiennent, le premier d'entre eux étant l'Ifremer.
Il faudra nécessairement rester prudent et attendre la fin des campagnes de recherche qui doivent mesurer les impacts des programmes d'exploration sur les possibles déstabilisations du milieu marin. Nous ne pouvons cependant pas faire l'impasse sur ces ressources et il nous faut anticiper en préparant l'écosystème économique de nos outre-mer à ces potentialités, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Voilà, monsieur le Président, mesdames, messieurs, de nombreux sujets de réflexion, dessinés en quelques rapides perspectives de notre étude en cours et que nous souhaitions partager avec vous.
Échanges sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale
Stéphane Artano, président . - Merci mes chers collègues. Vous aurez compris que le sujet qui nous intéresse est très large et embrasse de très nombreuses activités. Il sera évidemment difficile de tout couvrir dans cette étude. Je vais maintenant donner la parole à la salle pour recueillir vos retours et votre sentiment sur l'intérêt que peut représenter ce sujet, ainsi que votre perspective en tant qu'élu local.
Claude Plenet, maire de Rémire-Montjoly (Guyane) . - Je suis maire d'une commune de Guyane, Rémire-Montjoly. Je sais très bien que vous ne pouviez pas aborder tous les sujets. Cependant, je suis étonné que vous n'ayez pas évoqué la problématique de la pêche illégale.
Stéphane Artano, président . - Je vous rassure, ce sujet est pleinement abordé dans le rapport d'information. Si nous avions voulu en faire une présentation exhaustive, il nous aurait fallu plus du quart d'heure que nous venons de lui consacrer.
Claude Plenet . - Il s'agit quand même d'un point clé quand on parle de la pêche sur nos territoires, surtout sur le territoire de la Guyane. Évoquer la formation, les perspectives sans évoquer la pêche illégale est difficile à entendre.
Philippe Folliot sénateur du Tarn . - Je ne me suis peut-être pas montré assez clair dans mes propos. Je pense l'avoir au moins mentionné. Il s'agit effectivement d'un enjeu qui concerne la Guyane au premier chef, mais aussi d'autres territoires ultramarins. Des progrès ont été accomplis dans les Terres australes françaises. Autour de la Guyane, en revanche, l'enjeu reste important.
Marie Garon, adjointe au maire de Schoelcher (Martinique) . - Je souhaitais renforcer le propos de Madame Phinéra-Horth concernant les subventions européennes. Actuellement, nous réalisons un aménagement portuaire d'intérêt territorial (APIT) au niveau de notre commune. Pour développer un peu la pêche, nous avons sollicité des fonds européens et notre demande de subventions a été rejetée. Je voudrais insister sur le fait que la pêche dans les outre-mer n'a rien à voir avec la pêche au niveau de l'Europe. Les enjeux sont tout à fait différents. Il faudrait vraiment que l'Europe puisse entendre que nous avons des besoins spécifiques. Nous ne sommes pas autosuffisants en poisson et il importe de développer de petites zones de pêche et de petits aménagements pour faciliter la vie des pêcheurs. Je vous demande une attention particulière sur les relations vis-à-vis des fonds européens pour le développement de ces secteurs.
Stéphane Artano, président . - Il n'y a pas de petits aménagements. Dans certains territoires, nous parlons de micro-activités, micro-économie sur des filières spécifiques, voire à haute valeur ajoutée. À l'échelle de nos territoires, chaque aménagement, même petit, reste un maillon essentiel à nos économies ultramarines et présente un intérêt majeur pour le territoire dans lequel il s'inscrit. Je n'ai aucun doute sur le fait que nos rapporteurs l'ont également à l'esprit.
André Atallah, maire de Basse-Terre (Guadeloupe) . - Le sujet dépend peut-être du plan Chlordécone en cours. Il faut savoir qu'une grande partie des zones de pêche de Capesterre à Vieux-Fort est totalement interdite pour la pêche, ce qui soulève une problématique de reconversion des pêcheurs. Dans d'autres zones, seules certaines espèces peuvent être pêchées. Le sujet interfère peut-être avec le dossier de la chlordécone qui concerne plus les bananeraies. Néanmoins, cette zone compte de nombreux pêcheurs.
Ahmed Selemani, directeur général des services, Bouéni (Mayotte) . - Je viens de Bouéni, petite commune de 6 200 habitants, à Mayotte. Comme vous le savez, les problématiques environnementales de Mayotte n'ont pas trouvé de solution, notamment s'agissant du diméthoate, un puissant insecticide qui, à certains taux, peut s'avérer très dangereux et s'attaquer au système nerveux. Aujourd'hui, à Mayotte, la filière agricole n'est pas suffisamment structurée et ce produit, qui n'est pas interdit dans les îles voisines, est importé de manière massive compte tenu de la porosité des frontières, ce qui pose une vraie question de santé publique. Une solution peut-elle être trouvée pour la santé des Mahorais ? Pour l'instant, aucune étude sérieuse n'est menée sur cette problématique identifiée depuis deux ou trois ans.
Philippe Folliot . - Le sujet que vous abordez n'entre pas dans le périmètre de notre rapport. L'importation illégale par le biais de la mer qui frappe Mayotte fera partie des points que nous essaierons d'aborder.
Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte . - Je remercie le directeur général des services (DGS) de Bouéni d'avoir posé cette question. Même si le rapporteur émet des réserves sur le périmètre, il a précisé qu'un endroit pouvait être trouvé pour insérer ce sujet. Il était important, devant cette assemblée, de poser cette problématique très particulière à Mayotte. Le fait de l'avoir annoncé ici constitue un début de solution. Je ne doute pas que le rapport à venir en parlera et émettra des préconisations.
Nous entendons souvent dans nos territoires : encore un rapport ! C'est le travail des parlementaires. Nous rédigeons des rapports, nous formulons des propositions. Nous profitons du moindre véhicule législatif pour proposer des amendements, mais nous ne sommes pas les seuls concernés. Le Gouvernement a lui aussi son mot à dire. Pour connaître la qualité des travaux menés ici depuis toujours, le sujet que vous venez d'évoquer fera certainement partie du prochain rapport.
Victoire Jasmin, sénatrice de Guadeloupe . - La problématique du chlordécone présente d'autres conséquences. Les pêcheurs qui continuent leur activité sont obligés d'aller de plus en plus loin pour dépasser les zones d'interdiction, se retrouvant dans des zones territoriales qui ne sont plus les nôtres. Des pêcheurs ont vu se dégrader les relations avec les autres îles de la Caraïbe. Leur matériel a été séquestré et il leur a été demandé des sommes colossales pour le restituer, engendrant des surcoûts et des médiations à faire par la France. Tout ceci constitue des freins au développement de la pêche. À cela s'ajoute la situation sanitaire qui a entraîné un arrêt de l'activité. Les conséquences sont graves.
Alors que nous pourrions former et développer ces activités, ces freins conduisent les jeunes à ne pas s'engager dans cette voie. Il existe pourtant un projet de formation avec le lycée de la mer pour permettre à nos jeunes de travailler davantage dans ce secteur. Annick Petrus a évoqué ce volet dans son intervention. Je pense que nous devons y travailler davantage en termes de perspectives.
Stéphane Artano, président . - Je vous propose de clôturer cette séquence en remerciant les co-rapporteurs. Je ne doute pas de leur motivation et de leur perspicacité dans la poursuite de leurs travaux afin que nous adoptions ce rapport avant la suspension des travaux parlementaires, début 2022.
Il est vrai que le travail parlementaire est fait de rapports d'information. Ces rapports d'information ont vocation à déboucher sur des véhicules législatifs proposés à l'initiative du Parlement ou du Gouvernement. Lorsque ces rapports n'ont pas de traduction législative, nous effectuons un travail de suivi et nous interpellons régulièrement le Gouvernement sur les suites qui leur sont données. Nous l'avons fait sur l'audiovisuel public dans les outre-mer et d'autres thématiques ultramarines. Ces rapports ne servent pas seulement à nourrir une réflexion ; ils impulsent une dynamique quand les parlementaires s'en emparent.
Nous allons passer à la dernière séquence de cet après-midi, consacrée au 30 ème anniversaire de la disparition du président Gaston Monnerville qui a présidé cette belle institution pendant 22 ans. Il est décédé le 7 novembre 1991 à Paris. Les actes de la table ronde que nous avons organisée ensemble le 7 octobre dernier, avec la participation d'une douzaine d'intervenants, sont publiés à l'occasion de l'hommage d'aujourd'hui. Nous espérons ainsi mieux faire connaître ce grand homme qui mérite, comme l'a dit le Président du Sénat lors de cette conférence, de rejoindre au Panthéon Victor Schoelcher et Félix Eboué.
Pour cette dernière séquence vont se succéder à mes côtés le vice-président du Sénat, Georges Patient, en sa qualité de président de la Société des amis de Gaston Monnerville, puis Madame Sylvie Derridj, nièce du président Gaston Monnerville qui, avec sa soeur Irène Trémolières que je salue également dans la salle, ont contribué par leur don à alimenter le Fonds Monnerville du Sénat. Je me retournerai ensuite vers mon collègue Olivier Serva, président de la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale qui nous fera part d'une initiative concernant la mémoire de Gaston Monnerville. Enfin, je donnerai la parole à Madame Derridj qui nous lira un extrait de « L'appel à la jeunesse », un discours prononcé par le président Gaston Monnerville à l'occasion d'une réunion de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, ancêtre de la LICRA, le 30 octobre 1960.