Michel Magras
Président de la Délégation
sénatoriale aux outre-mer
de 2014 à 2020
Monsieur le président, cher Jean-Pierre,
Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Stéphane,
Monsieur le président Patient, cher Georges,
Chers anciens collègues, cher Serge, cher Éric,
Mesdames et messieurs les élus qui nous faites l'honneur de votre présence en ce jour d'ouverture du Congrès des maires et de célébration du 10 ème anniversaire de la Délégation sénatoriale aux outre-mer,
J'ai eu l'insigne honneur et l'immense plaisir d'être le deuxième président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer pendant six années ; j'en ai éprouvé et en éprouve toujours une fierté non dissimulée.
Ayant quitté le Sénat il y a une année, j'avoue retrouver cette tribune avec joie et une profonde émotion.
La délégation avait déjà un beau palmarès à son actif lorsque j'en ai repris la présidence, mais la tâche était encore, et reste d'ailleurs toujours, à amplifier et renouveler.
Nous avons conservé un mode de fonctionnement fondé sur le double équilibre entre outre-mer et Hexagone et entre majorité et opposition, avec des équipes de rapporteurs généralement constituées à parité d'hommes et de femmes, ce qui a systématiquement permis des analyses et des conclusions consensuelles : la totalité des travaux réalisés dans un cadre collégial a été adoptée à l'unanimité, un atout, bien sûr, en termes de crédibilité, mais aussi pour faire prospérer nos propositions, notamment lors des débats dans l'hémicycle.
La délégation est indéniablement une structure entièrement dédiée à la recherche de l'intérêt des outre-mer, transversale par ses thématiques, apartisane dans ses orientations.
En ma qualité de président, j'ai du reste prolongé cet état d'esprit jusque dans l'hémicycle, votant les amendements qui me semblaient répondre aux besoins, qu'ils viennent de gauche, de droite ou du centre et même avec l'appui du président Bruno Retailleau. Qu'il soit ici remercié de m'avoir aidé à préserver cette cohérence, de même que le rapporteur général du budget autour duquel nous nous sommes réunis plusieurs fois par an pour évoquer les sujets budgétaires majeurs.
Le travail de la délégation est ainsi monté en puissance en conjuguant continuité et innovation.
Nous avons structuré notre démarche en conduisant des études au long cours sur la base d'une programmation annuelle et parfois pluriannuelle, afin d'approfondir des thématiques transversales intéressant l'ensemble des outre-mer, ou une grande partie d'entre eux. Il s'agissait de dégager des solutions concrètes à des problématiques bloquantes pour le développement des territoires.
Ainsi, une étude en trois volets a été menée pour dénouer l'imbroglio foncier résultant tantôt de régimes juridiques inaboutis ou impraticables, comme dans la zone des cinquante pas géométriques aux Antilles, tantôt de situations d'indivisions transgénérationnelles et tentaculaires eu égard au nombre de personnes concernées, comme en Polynésie française, ou résultant encore du choc de la confrontation entre le droit civil et les systèmes juridiques locaux, le droit musulman à Mayotte ou le droit coutumier en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna. Nous devons l'initiative de cette thématique transversale sur le foncier à Thani Mohamed Soilihi.
Nous nous sommes ainsi attaqués à des sujets éminemment complexes, complexité liée à leur technicité, mais aussi à la diversité des approches nécessaires pour prendre en compte les spécificités de chaque territoire.
La question des normes dans l'agriculture et le BTP a également été explorée afin de desserrer le carcan bridant ces activités dans les outre-mer et de les rendre plus compétitives, mieux en adéquation avec leur environnement. Comment imaginer que des traitements phytosanitaires autorisés pour l'Hexagone puissent être efficients sous des climats tropicaux ou équatoriaux ? Comment penser que des normes de prise au vent valables dans l'Hexagone puissent être adaptées aux bourrasques redoutables de Saint-Pierre-et-Miquelon ?
Une étude pluriannuelle sur les risques naturels majeurs s'est imposée à nous comme une évidence à la suite du cyclone Irma sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy, tant il est vrai que nos outre-mer y sont prioritairement exposés, notamment comme sentinelles du dérèglement climatique.
Parallèlement à ces travaux de longue haleine développés en plusieurs volets, de nombreuses études plus ponctuelles ont été réalisées sur des thèmes très divers et au gré, notamment, des sujets d'actualité à forts enjeux pour nos outre-mer : ainsi, la jeunesse ultramarine et le sport dans la perspective des Jeux olympiques en France, les outre-mer dans l'audiovisuel public lors de l'annonce de la suppression de France Ô, ou encore l'urgence économique outre-mer en lien avec la crise sanitaire.
Acclimatation, adaptation, déghettoïsation des outre-mer ont été le fil conducteur de nos travaux.
J'ajouterai là un sujet qui me tient particulièrement à coeur tant il est indissociable du respect des individualités territoriales et conditionne la refondation de la relation entre l'État et les territoires : la différenciation territoriale outre-mer. Clôturer le dernier triennat et mon mandat avec un rapport sur la différenciation a constitué le point d'orgue de cette réflexion et je sais gré à mes collègues de m'avoir confié ce travail.
J'ai présidé la délégation, motivé par la volonté de trouver les leviers du développement et de l'épanouissement de nos territoires dans la République. Je suis en effet profondément persuadé que la pertinence du cadre normatif est un levier vital pour nos outre-mer. Les travaux de la délégation l'ont montré, défendant des politiques publiques plus efficientes, surtout dans un contexte où l'État n'a pas une véritable culture des outre-mer, disons-le franchement.
Si l'idée du réflexe outre-mer qui a pu être développé part d'une bonne intention, il reste qu'un réflexe est une réponse involontaire à un stimulus extérieur. Sans stimulus, pas de réaction. Le principe de subsidiarité doit donc présider à la relation entre l'État et les outre-mer. En outre, partout, l'État doit accompagner les collectivités territoriales pour nourrir leur capacité propre d'expertise et leur garantir une véritable autonomie qu'elles peuvent mettre au service de leur développement endogène, comme le relevait le rapport de la délégation sur les normes dans le BTP.
J'ai aussi la certitude que les outre-mer sont des laboratoires en matière de biodiversité, mais aussi en matière institutionnelle. Je suis reconnaissant au Président Gérard Larcher de l'avoir rappelé en observant notamment que l'expérience des outre-mer sur l'octroi de mer pourrait nourrir la réflexion sur la fiscalité de l'ensemble des collectivités de la République.
Autre axe fort des travaux de la délégation : l'exercice d'une vigilance étroite sur les dossiers européens, en particulier l'impact de la politique commerciale européenne sur les économies des régions ultrapériphériques. Plusieurs résolutions ont été adoptées par le Sénat à l'initiative de notre délégation, dont une qui a pesé très directement dans les négociations d'un accord entre l'Union européenne et le Vietnam en 2016 afin de préserver la filière canne-sucre-rhum. À l'époque, l'Union européenne avait presque signé un accord de libre-échange et les Vietnamiens s'apprêtaient à envahir le marché européen en y déversant 20 000 tonnes de sucre roux par an, soit un cinquième de la production réunionnaise. La délégation sénatoriale a pris en charge ce dossier, amenant le Sénat à un débat public, puis à une résolution portée à Bruxelles qui a accepté de rouvrir le sujet. Les 20 000 tonnes de sucre roux sont devenues 20 000 tonnes de sucre, dont 400 tonnes de sucre roux, le reste étant du sucre raffiné dont la France est le premier producteur européen. Cette résolution n'a eu de poids que parce qu'elle avait été adoptée par l'ensemble du Sénat. La délégation n'a constitué qu'une étape, le poids du Sénat venant multiplier ses résultats de manière exponentielle.
Enfin, la délégation s'est attachée à servir de vitrine à nos outre-mer, à mettre en exergue leurs atouts et leur capacité d'innovation, au travers d'une série de colloques et de manifestations qui se sont tous tenus dans cette belle salle. Contribuer à une meilleure visibilité est un gage de meilleure prise en compte. La parole a ainsi été donnée à de très nombreux acteurs des outre-mer pour présenter les spécificités économiques des différents bassins océaniques, les initiatives prises outre-mer en matière de lutte contre le changement climatique ou en matière de tourisme vertueux, mais aussi pour illustrer le rôle joué par les femmes dans le développement de nos outre-mer, ou encore pour mettre en exergue les trésors de nos territoires en matière de biodiversité. Les comptes rendus annexés à chaque rapport constituent une source d'information d'une richesse rare, recueillant la parole de la quasi-totalité des acteurs du secteur objet de nos travaux.
C'est donc une activité foisonnante qui est celle de la délégation sénatoriale aux outre-mer, avec l'objectif de faire progresser la connaissance de ces territoires afin que leurs spécificités soient mieux prises en compte et leurs intérêts mieux défendus.
Mais une telle démarche ne peut être mise en oeuvre efficacement qu'avec la participation des acteurs locaux, au premier rang desquels figurent bien sûr les élus que vous êtes, et en unissant nos forces avec celles de partenaires également soucieux de valoriser nos outre-mer, tels que les relais de nos territoires à Paris, la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom) ou encore l'Office français de la biodiversité (OFB).
La délégation a été et doit rester un point de confluence. Permettez-moi de rappeler l'une des préconisations du rapport sur la différenciation encourageant les collectivités à mutualiser les problématiques juridiques et à échanger leurs bonnes pratiques. Les outre-mer doivent aussi mieux se connaître entre eux. En ce sens, la délégation a joué un rôle formidable. Au sein de la délégation, nous avons appris à nous connaître entre ultramarins, mais j'ai aussi été agréablement surpris et impressionné par l'engouement apparu progressivement chez nos collègues hexagonaux. Au début, les réunions sur les sujets ultramarins se limitaient dans l'hémicycle aux outre-mer parlant aux outre-mer. Lors du renouvellement des membres, l'engouement des hexagonaux pour faire partie de la délégation, la présence de nombreux sénateurs de tous bords dans l'hémicycle et les votes à l'unanimité des dispositions issues de nos rapports que nous avons pu faire passer démontrent que notre délégation a bien travaillé.
À ce titre, je me félicite de la création d'une chaire des outre-mer à l'Institut d'études politiques de Paris, qui sera à même de mener des actions complémentaires de celles de la délégation pour une meilleure connaissance et reconnaissance de nos territoires. J'avais en effet porté en ce sens un amendement devenu l'article 51 de la loi « Égalité réelle outre-mer » qui s'inscrivait dans la nécessité de construire une culture des outre-mer dans cette grande école dont la place de pépinière de hauts fonctionnaires et de talents n'est plus à démontrer.
Je ne saurais conclure sans adresser mes remerciements émus et amicaux au Président du Sénat Gérard Larcher, à mes anciens collègues sénateurs pour la confiance qu'ils m'ont témoignée tout au long de mes deux mandats et mon dernier mot sera pour le secrétariat de la délégation qui réalise un travail titanesque aux côtés des sénateurs ultramarins et de l'Hexagone. Qu'ils soient tous chaleureusement remerciés et félicités.