Serge Larcher
Président de la Délégation
sénatoriale aux outre-mer
de 2011 à 2014
Monsieur le président, cher Jean-Pierre,
Monsieur le président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Stéphane,
Monsieur le président Patient, cher Georges,
Chers anciens collègues, cher Éric, cher Michel,
Mesdames et messieurs les élus qui honorez aujourd'hui la Haute assemblée de votre présence,
C'est avec une intense émotion que je m'exprime ici aujourd'hui devant vous, tant sont encore vifs à mon esprit les souvenirs liés à la naissance de la Délégation sénatoriale aux outre-mer et au lancement de ses travaux.
Effectivement, la décision du Bureau portait la création d'une délégation à l'outre-mer, mais de nombreux intervenants guyanais nous ont fait remarquer que la Guyane n'avait rien de commun avec les Antilles, les îles du Pacifique, que ce département était beaucoup plus grand que la Martinique ou la Guadeloupe et qu'il n'était donc pas convenable d'appeler l'outre-mer cet ensemble diverse et complexe. Prenant en compte cette remarque pertinente, le Sénat, comme la République qui a institué un ministère des outre-mer, a choisi de créer la délégation aux outre-mer.
En pleine adéquation avec la mission spécifique confiée au Sénat par notre Constitution - la représentation des collectivités territoriales - l'émergence d'une structure dédiée aux questions propres à nos outre-mer ne doit rien au hasard : elle procède à la fois d'une prise de conscience et d'une volonté politique.
La création de la délégation constitue la concrétisation institutionnelle de ce que Jean-Pierre Bel, fraîchement élu Président du Sénat à l'automne 2011, affirmait dès sa première allocution à la tribune : « les outre-mer sont une des grandes richesses de notre République, ils seront un enjeu fort pour le Sénat et leur prise en compte sera une exigence absolue ».
Encore fallait-il, pour rendre cette prise en compte effective, qu'une structure dédiée fasse avancer la connaissance et la reconnaissance des spécificités, des atouts et des contraintes propres de nos territoires : ce fut fait avec la création de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, instance paritaire constituée de 21 sénateurs ultramarins et de 21 sénateurs de l'Hexagone. Cette instance de réflexion et d'impulsion était chargée d'éclairer la Haute assemblée pour intégrer les réalités ultramarines dans les travaux législatifs et de contrôle et pour s'emparer des problématiques propres aux outre-mer. Quelques mois plus tard, cette initiative devait d'ailleurs inspirer l'Assemblée nationale qui créait à son tour une délégation aux outre-mer.
Mais au Sénat, cette innovation résulte d'une profonde prise de conscience, d'un véritable processus de maturation qui trouve sa source dans une mission d'information de 2009 initiée par le Président du Sénat de l'époque, un certain Gérard Larcher, auquel je me dois de rendre hommage également.
Explosait alors dans les quatre départements d'outre-mer - la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion, puisque Mayotte n'était pas encore un département - une crise profonde que le pouvoir politique avait du mal à comprendre et expliquer. Sous l'impulsion de son président, le Sénat décidait la mise en place d'une mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer, que j'ai eu l'honneur de présider grâce au soutien de mon groupe parlementaire et de son président Jean-Pierre Bel.
Éric Doligé en était le rapporteur. Il vous a parlé de mes connaissances en matière de rhum. La Guadeloupe s'est spécialisée dans le sucre, la Martinique dans le rhum. Il appartient à tout défenseur du rhum de savoir de quoi il parle. Nous avons donc quelques avancées par rapport à nos collègues de Guyane et de La Réunion. Dans ces territoires, je peux apparaître comme un grand clerc, mais je ne suis qu'un Martiniquais qui connaît bien son pays et les produits de son pays. Bien sûr, chacun défend son rhum. J'ai eu de nombreuses discussions avec mes collègues de Guadeloupe sur le sujet. Tous les rhums sont bons, dans les Antilles. En tout cas, tout le monde progresse, mais il n'en demeure pas moins que le meilleur rhum vient de Martinique ! Sur le rhum blanc, je peux concéder que nous éprouvons quelques difficultés. Sur le rhum vieux, en revanche, ne cherchez pas ! La Guadeloupe a connu un accident dans son histoire. Les experts qui savaient faire le rhum sont partis dans toute la Caraïbe et ailleurs. En Martinique, nous avons continué de progresser pour atteindre l'excellence. Concrètement, aujourd'hui, notre rhum vieux est excellent.
Quand Éric Doligé est arrivé à la délégation, il n'était pas tellement convaincu. Chemin faisant, il a vu les réalités sur le terrain, puis je l'ai mis en relation avec Bernard Pons, une personne qui faisait autorité en matière de connaissance des outre-mer. En peu de temps, le « nouveau Éric » est devenu un fervent défenseur des outre-mer. Je tiens à l'en féliciter. Être convaincu est important, mais dire aux autres qu'ils ont des idées préconçues ou des images d'Épinal sur les outre-mer l'est encore plus. En cela, il a rendu un grand service à la cause outre-mer au Sénat.
Ayant rendu ses conclusions dès juillet alors que le Comité interministériel des outre-mer, le premier CIOM, ne devait aboutir qu'à l'automne, la mission sénatoriale d'information sur la situation des départements d'outre-mer a produit une analyse approfondie et formulé 100 propositions, si bien que les membres de la mission ont souhaité poursuivre ce travail et ne pas en rester à la production d'un rapport.
Le président Gérard Larcher a ainsi accepté, par dérogation aux usages, qu'une structure soit installée à cet effet. Un Comité de suivi des conclusions et propositions de la mission fut alors mis en place, constitué du président et du rapporteur de la mission, Éric Doligé et moi-même, ainsi que de l'ensemble des présidents des groupes politiques du Sénat... une composition lourde de sens donc ! Telle fut la préfiguration de la délégation aux outre-mer.
Voici donc la genèse de la délégation dont nous célébrons ce jour la première décennie d'existence. Vous constaterez que c'est une construction collective mûrement réfléchie, placée sous le signe de l'équilibre et du consensus. Et ces principes sont restés les maîtres mots de l'organisation et du fonctionnement de la délégation.
Ma première initiative, en tant que président de la délégation, a consisté à rencontrer tous les présidents des commissions permanentes pour leur expliquer l'esprit dans lequel nous travaillions pour qu'ils ne pensent pas que nous voulions marcher sur leurs plates-bandes. Nous venions en complément. C'est donc en bonne intelligence que nous avons oeuvré.
J'ai eu l'honneur et le plaisir d'être le premier président de cette délégation de 2011 à 2014, et j'ai eu à coeur, avec l'ensemble de mes collègues qui en étaient membres, issus ou non des outre-mer et toutes tendances politiques confondues, d'en faire un lieu d'écoute, d'échanges, de partage, de regards croisés, de réflexion approfondie, mais aussi d'impulsion en direction du Gouvernement ou, en interne, des commissions permanentes en charge du processus législatif.
Nous avons ainsi travaillé sur de nombreux sujets pour mieux porter à la connaissance de tous la situation de nos territoires, pour identifier les décalages appelant des politiques publiques volontaristes et pour valoriser les atouts de nos outre-mer, par trop méconnus.
Les travaux effectués ont couvert un large éventail, mais ont aussi commencé par un enracinement dans la mémoire : plusieurs rencontres ont ainsi été organisées sur les mémoires de l'esclavage et des abolitions, sur la part prise par les ultramarins sur les champs de bataille lors des grands conflits mondiaux du XX e siècle. Une autre rencontre a célébré le centenaire de la naissance d'Aimé Césaire.
Les travaux réalisés au cours de la première période triennale ont également abordé des sujets aussi divers que les niveaux de vie dans les outre-mer, le développement humain et la cohésion sociale, l'aide fiscale à l'investissement comme levier incontournable du développement, ou encore les enjeux des zones économiques exclusives alors que les outre-mer hissent la France au 2 ème rang mondial des puissances maritimes derrière les États-Unis. Quand on sait que l'avenir de l'humanité est lié directement aux océans, ce n'est pas rien ! Nous avons épuisé les terres émergées, mais il reste les terres immergées. Or tout est là. Je vous invite à lire notre rapport sur ces zones économiques exclusives et vous constaterez que les richesses de l'humanité se trouvent dans les océans et je suis heureux, Monsieur le Président, que vous vous saisissiez également de ce sujet.
Les sujets européens ont également été investis avec pas moins de quatre résolutions, toutes votées à l'unanimité en plénière, traitant respectivement de sujets cruciaux pour nos outre-mer : la politique commerciale, la pêche, le régime fiscal pour le rhum traditionnel, mais aussi la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques.
Ainsi, selon un des axes fixés par le rapport de la mission d'information fondatrice de 2009, la délégation s'est attelée dès sa création à une meilleure prise en compte des spécificités et de la diversité de nos outre-mer.
La mission de 2009 s'était fixé comme ambition de « combattre les idées fausses et les clichés dévastateurs, de réduire les incompréhensions mutuelles par la connaissance et d'avancer les pistes d'une refondation des relations entre les départements d'outre-mer et l'Hexagone par des propositions concrètes, inspirées par les témoignages recueillis sur le terrain » : nous pouvons dire que la délégation en est la digne héritière et a fait sienne cette feuille de route pour l'ensemble des outre-mer.
Je ne peux terminer mon propos sans rendre hommage à la cheville ouvrière de notre délégation, ce personnel qui s'est donné sans compter, qui a fait preuve de dévouement, d'implication et de talent, et qui nous a accompagnés pendant toute la durée de notre mandat. Je salue en particulier la marraine de cette délégation, Agnès Moulin, responsable administrative de celle-ci pendant toutes ces années.
Je vous remercie de votre attention.