LE DMA : UNE RÉGULATION EX ANTE ASYMÉTRIQUE
DES CONTRÔLEURS D'ACCÈS

Fondée sur l'article 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) relatif au marché intérieur, la proposition de règlement sur les marchés numériques, dite DMA, cible les grandes plateformes pour leur imposer d'emblée des obligations adaptées aux principaux services qu'elles offrent sur ce marché. Elle n'est pas une variation autour du droit de la concurrence car elle a pour objet, sans préjudice de celui-ci, de protéger un intérêt juridique différent la contestabilité et l'équité du fonctionnement du marché intérieur numérique , en particulier en matière de partage de la valeur.

Le texte vise à rééquilibrer à cet effet les relations entre les grandes plateformes et les entreprises utilisatrices afin de favoriser l'innovation, la croissance et la compétitivité , et de faciliter le développement de plateformes de taille plus modeste, de petites et moyennes entreprises et de start-up .

Il définit un ensemble d'obligations et d'interdictions spécifiques auxquelles seraient soumises de plein droit les seules grandes plateformes structurantes, qu'il qualifie de « contrôleurs d'accès », sous la supervision de la Commission européenne .

Il encadre ainsi des pratiques particulièrement nuisibles au bon fonctionnement du marché intérieur, notamment les modalités contractuelles que ces plateformes imposent aux entreprises utilisatrices, comme les clauses limitant la vente des biens ou services à un prix inférieur sur des plateformes concurrentes ou sur le site de l'offrant. Il vise en outre à assurer une interopérabilité effective et à permettre aux fournisseurs de services complémentaires d'opérer en partageant des données avec les contrôleurs d'accès.

UNE PREMIÈRE ÉTAPE TRÈS ATTENDUE
MAIS UN DISPOSITIF À PRÉCISER, COMPLÉTER ET RENFORCER

Le cadre de régulation proposé, très attendu, en particulier par la France 3 ( * ) , apporte une première réponse aux pratiques déloyales les plus graves auxquelles il est urgent de porter remède. Il doit toutefois être précisé, affiné et renforcé sur un certain nombre de points cruciaux.

• Mieux prendre en compte les écosystèmes des plateformes pour désigner les contrôleurs d'accès

Huit services de plateforme essentiels sont identifiés mais la qualification de contrôleur d'accès ne tient pas compte de la dimension écosystémique des plateformes structurantes (art. 2). En outre, certains services sont laissés de côté comme les navigateurs, dont la neutralité n'est pourtant pas assurée, les assistants vocaux, qui tendent de plus en plus à se distinguer des moteurs de recherche, et les services de messagerie en ligne.

Ø Prendre en compte les services secondaires ( cloud , publicité en ligne, navigateurs, assistants vocaux) pour appréhender les écosystèmes des plateformes, une plateforme ne pouvant être qualifiée de contrôleur d'accès que si elle propose au moins deux services essentiels ou un service essentiel et un service secondaire .

Ø Distinguer en outre , au sein des services d'intermédiation, les places de marché ( marketplaces ) et les magasins d'applications ( app store ), qui font d'ailleurs chacun l'objet de dispositions spécifiques dans le texte.

• Préciser les modalités de calcul des seuils permettant une qualification de plein droit de contrôleur d'accès

La Commission européenne propose que soient considérés de plein droit comme des contrôleurs d'accès les acteurs qui répondent à trois critères cumulatifs : un poids important dans le marché intérieur, la gestion d'un service de plateforme essentiel qui constitue un point d'accès majeur des entreprises utilisatrices aux utilisateurs finaux et une position solide et durable actuelle ou dans un avenir proche (art. 3).

Seraient considérés comme remplissant ces critères, sauf s'ils présentent des éléments probants contraires, les acteurs qui franchissent des seuils de chiffre d'affaires annuel dans l'Espace Économique Européen (EEE), ou de capitalisation boursière, et dont le service de plateforme essentiel a eu plus d'un certain nombre d'utilisateurs finaux actifs au sein de l'Union Européenne au cours des trois derniers exercices.

Ø Annexer au règlement la définition des modalités de calcul des seuils de présomption de la qualité de contrôleur d'accès, plutôt que de renvoyer à des actes délégués, en particulier le décompte des utilisateurs actifs, ce qui donnerait plus de visibilité aux opérateurs concernés et permettrait une mise en oeuvre plus rapide.

• Revoir les délais de déclaration et de mise en conformité pour une application rapide du règlement

Ø Réduire de trois à un mois le délai de déclaration de l'atteinte des seuils par les fournisseurs de services de plateforme essentiels et l'assortir d'une sanction en cas de retard ou d'absence de déclaration.

Ø Diviser par deux le délai (60 jours) donné à la Commission pour désigner les contrôleurs d'accès qui déclarent atteindre ces seuils et ne fournissent pas d'éléments probants pour contester cette qualification.

Ø Réduire à trois mois le délai de mise en conformité du contrôleur d'accès avec les obligations figurant aux articles 5 et 6.

• Préciser les obligations des contrôleurs d'accès

Sept obligations ou interdictions horizontales sont applicables de plein droit (art. 5), tandis que onze obligations et interdictions sont « susceptibles d'être précisées », ce qui permettra de les adapter aux caractéristiques des contrôleurs d'accès concernés (art. 6).

La proposition de règlement ne prétend pas à l'exhaustivité mais constitue indéniablement une avancée , sous réserve de précisions et de compléments, pour rééquilibrer à tout le moins les relations entre les contrôleurs d'accès et les utilisateurs de leurs services de plateformes essentiels. Pour autant, il est proposé d' aller plus loin sur un certain nombre de points.

Ø Renforcer la portée effective de l'interdiction d'utiliser les données sans le consentement préalable de l'utilisateur (5a) :

o en interdisant au contrôleur d'accès de proposer une offre dégradée en cas de refus de consentement ;

o en prohibant expressément le recours à des subterfuges (dark patterns) pour recueillir ces données .

Ø Étendre l'interdiction des clauses de parité aux services commerciaux hors ligne proposés par les entreprises utilisatrices, afin de laisser aux entreprises utilisatrices plus de liberté pour proposer des prix inférieurs tant sur leur propre site que hors ligne (5b).

Ø Étendre à tous les services accessoires (en particulier les services de paiement) l'interdiction faite au contrôleur d'accès d'obliger l'entreprise utilisatrice et donc le consommateur à recourir à ses services accessoires (5e).

Ø Garantir la liberté de choix des applications logicielles par l'utilisateur, en précisant que la désinstallation de toute application logicielle préinstallée dans un service de plateforme essentiel doit être techniquement facile (6§1b).

Ø Étendre le champ de la prohibition de l'autopréférence à toute technique permettant d'influencer les utilisateurs finaux pour les diriger prioritairement vers les services ou produits du contrôleur d'accès ou d'une entreprise liée à celui-ci (art. 6§1d).

Ø Renforcer l'effectivité des droits à l'interopérabilité et à la portabilité des données en prévoyant que l' accès doit être techniquement simple et que les informations nécessaires pour leur mise en oeuvre doivent être disponibles à tout moment (6§1f et h).

Ø Prévoir la nullité de plein droit des clauses contraires aux interdictions et prescriptions du règlement.

Ø Encadrer la portée des actes délégués de mise à jour des obligations et interdictions pour qu'ils ne puissent que préciser ces obligations, les modalités de leur mise en oeuvre ou élargir leur champ d'application (art. 10).

Ø Renforcer les dispositions anticontournement pour interdire tout comportement qui aurait en pratique le même objet ou un effet équivalent à celui des pratiques prohibées visées aux articles 5 et 6 (art. 11).


* 3 Le Sénat a d'ailleurs d'ores et déjà adopté le 19 février 2020, sur le rapport n° 301 (2019-2020) de M. Franck Montaugé et Mme Sylviane Noël, une proposition de loi n° 48 (2019 -2020) visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues.

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