B. ...MÊME SI LES OUVERTURES DE CRÉDITS PRÉVUES PAR LE DÉCRET D'AVANCE SONT NÉCESSAIRES POUR ALIMENTER LES DISPOSITIFS D'URGENCE
Malgré le caractère contestable des décisions ayant mené à la situation actuelle de l'exécution budgétaire, il apparaît désormais nécessaire d'ouvrir dans des délais rapprochés des crédits supplémentaires sur deux programmes du plan d'urgence, compte tenu des mesures restrictives prises par le Gouvernement depuis mars dernier et de la nécessité d'accompagner les secteurs économiques les plus touchés.
1. La nécessité de recharger les crédits du financement de l'activité partielle et certains dispositifs annexes résulte davantage d'une récente décision d'annulation de crédits que de besoins nouvellement identifiés
Le programme 356 « Prise en charge du chômage partiel et financement des aides d'urgence aux employeurs et aux actifs précaires à la suite de la crise sanitaire » a été créé par la première loi de finances rectificative du 23 mars 2020. Doté initialement de 5,5 milliards d'euros, il a été rechargé par chacune des trois lois de finances rectificatives suivantes pour atteindre un budget total de 22,6 milliards d'euros en 2020.
a) La poursuite de la crise sanitaire a entraîné une augmentation des besoins qui était difficilement prévisible
Sur ce total, 17,8 milliards d'euros ont été consommés en 2020 , le reliquat, soit 4,8 milliards d'euros , étant reporté sur 2021 11 ( * ) . Sur ce montant, comme il a été indiqué supra , 2,3 milliards d'euros ont été reportés sur le programme 357 « Fonds de solidarité pour les entreprises à la suite de la crise sanitaire » et les crédits ouverts sur 2021 ont donc été de 2,5 milliards d'euros, aucun crédit n'étant prévu par la loi de finances initiale.
Les crédits consommés au 6 mai 2021 sont de 1,8 milliard d'euros et les crédits disponibles ne sont donc plus que de 0,7 milliard d'euros .
Le présent projet de décret d'avance demande l'ouverture de 0,5 milliard d'euros nouveaux , ce qui porterait les crédits disponibles à 1,2 milliard d'euros.
Pour mémoire, les dépenses se répartissent sur trois dispositifs :
- le financement de l'activité partielle ;
- la prise en charge d'une fraction des congés payés des salariés pour les établissements dont l'activité a été fortement réduite, voire interrompue, en 2020 ;
- une aide exceptionnelle aux travailleurs précaires ou « permittents », qui prend la forme d'une allocation permettant d'assurer un revenu minimum mensuel garanti de 900 euros à des actifs alternant périodes d'emploi et de recherche d'emploi.
Consommation des crédits sur le programme 356
(en millions d'euros)
Source : commission des finances, à partir des restitutions Chorus (données retraitées)
Le pic de consommation de crédits du mois de février, concernant le financement de l'activité partielle, correspond en fait à l'allocation de crédits à l'Agence de services et de paiement, qui assure ensuite le versement aux bénéficiaires de ces aides.
D'une manière générale, la poursuite de la crise sanitaire et le renforcement des restrictions décidées depuis le mois de janvier permettraient de comprendre que les consommations de crédit soient supérieures à ce qui était anticipé au moment de la discussion du projet de loi de finances pour 2021.
Ainsi l'aide exceptionnelle aux travailleurs précaires, qui devait durer jusqu'au mois de février 2021 seulement 12 ( * ) , a été prolongée jusqu'au mois de mai 13 ( * ) . Cette aide a bénéficié à 400 000 personnes en février 2021 14 ( * ) et, selon les éléments apportés au rapporteur général, à 343 000 personnes au mois d'avril. Le coût global de cette mesure, au titre des mois de novembre 2020 à mai 2021, serait supérieur à 1 milliard d'euros.
De même, la prise en charge d'une fraction des congés payés des salariés d'entreprises dont l'activité principale nécessite l'accueil du public, qui était applicable initialement au titre des congés payés pris entre le 1 er et le 20 janvier 2021 15 ( * ) , a également fait l'objet d'une prolongation. Cette mesure a bénéficié à 459 000 salariés pour un coût de 0,2 milliard d'euros.
b) Toutefois, l'état de consommation des crédits résulte aussi de décisions du Gouvernement peu compréhensibles
Si l'augmentation des besoins résulte de la situation sanitaire, la nécessité d'ouverture de crédits dans le cadre du présent décret d'avance résulte aussi de choix contestables faits par le Gouvernement.
D'une part, le périmètre du programme a été étendu à l'indemnisation des congés payés et au financement de l'aide exceptionnelle aux « permittents » par un simple changement de son intitulé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021 en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale 16 ( * ) , sans abondement de crédits supplémentaires pour couvrir ces nouvelles missions.
D'autre part et plus directement encore, le Gouvernement , comme on l'a vu supra , a annulé 2,3 milliards d'euros de crédits sur ce programme par un arrêté pris le 18 mars dernier, malgré la poursuite des restrictions sanitaires. Autrement dit, sans cette décision, nul n'aurait été besoin d'ouvrir 500 millions d'euros de crédits dans le cadre du présent décret d'avance.
En outre, ces choix se placent dans le cadre d'une véritable confusion entre deux véhicules budgétaires , à savoir le présent programme 356 de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » et le programme 364 « Cohésion » de la mission « Plan de relance », à travers l'enveloppe « activité partielle » de son action 01 « Sauvegarde de l'emploi ».
Cette enveloppe, dotée par la loi de finances initiale pour 2021 de 4,4 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement 17 ( * ) , devait financer deux nouveaux dispositifs : l'activité partielle de longue durée (APLD) et l'activité partielle de droit commun (APDC).
Or, selon les réponses apportées par le Gouvernement au rapporteur général, ces deux dispositifs connaissent une forte sous-consommation en raison de la poursuite de la crise sanitaire, qui a entraîné la prolongation des dispositifs relevant du programme 356. Le Gouvernement a alors fait le choix d'imputer sur les crédits du programme 364, donc sur la mission « Plan de relance », des dépenses relevant en fait du présent programme, ce qui risque de conduire à l'épuisement de la dotation de 4,4 milliards d'euros dès le mois de juin 18 ( * ) .
Cette pratique est, là encore, particulièrement étonnante puisqu'elle constitue une utilisation des fonds de la mission « Plan de relance » non prévue par les documents budgétaires .
c) Le faible niveau des crédits disponibles oblige à une ouverture complémentaire
Afin de mesurer le niveau des crédits disponibles, il convient de rappeler que les crédits de l'État sont en fait transférés à l'Agence de services et de paiements (ASP), chargée du versement des aides relative à l'activité partielle aux bénéficiaires. La trésorerie disponible de l'ASP était à la fin avril de 1,5 milliard d'euros.
Le montant des crédits disponibles pour financer l'activité partielle et les autres dispositifs du programme 356 de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » sont donc d'environ 4,2 milliards d'euros , en ajoutant à la trésorerie de l'ASP le montant des crédits actuellement disponibles sur le programme 356 précité (0,7 milliard d'euros) et sur le programme 364 de la mission « Plan de relance » (2 milliards d'euros).
Or les dépenses prévues entre mai et juillet sont, selon les éléments fournis au rapporteur général, de 4 milliards d'euros pour l'activité partielle proprement dite et de 0,2 à 0,5 milliard d'euros pour l'aide destinée aux « permittents ».
En conséquence, et même s'il résulte partiellement de décisions malencontreuses, le besoin lui-même paraît établi et il est probable que les crédits actuellement ouverts sur le programme 356 ne suffiraient pas à le couvrir 19 ( * ) . Le montant de 500 millions d'euros paraît d'ailleurs limité et permettra seulement d'atteindre le mois de juillet.
La condition d'urgence se trouve donc formellement respectée pour l'ouverture de crédits relative à ce programme.
2. En revanche, le manque prévisible de crédits pour le fonds de solidarité pour les entreprises est dû à la poursuite de la crise sanitaire
Le fonds de solidarité a connu un parcours budgétaire très particulier, qui a suivi toutefois les évolutions de la crise sanitaire et leurs conséquences pour les entreprises :
- créé en quelques jours par la loi de finances rectificative du 23 mars 2020 et doté initialement de 750 millions d'euros, il a reçu des crédits supplémentaires dans chacune des trois lois de finances rectificatives ultérieures. Il a également bénéficié de mouvements réglementaires et de fonds de concours, pour atteindre un niveau de crédits total de 18,8 milliards d'euros en 2020 ;
- seuls 11,8 milliards d'euros ont été consommés en 2020 , les crédits restants, soit 7,9 milliards d'euros, étant reportés sur 2021 20 ( * ) ;
- en outre, le programme a reçu 5,6 milliards d'euros de crédits de la loi de finances initiale et 6,6 milliards d'euros par report depuis les programmes 356 et 360 (voir supra ), amenant ses crédits à un niveau de 20,2 milliards d'euros en 2021 .
Comme pour le financement de l'activité partielle, la poursuite de la crise sanitaire et l'apparition d'une « troisième vague » de l'épidémie en France, entraînant de nouvelles fermetures d'entreprises, ont conduit à des besoins nouveaux en termes de soutien financier des pouvoirs publics.
Le Gouvernement a ainsi pris plusieurs mesures de renforcement du fonds de solidarité, mois après mois. Pour mémoire, les principales règles en vigueur, au titre du mois d'avril 2021, sont les suivantes 21 ( * ) :
- pour les entreprises ayant fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public durant tout le mois d'avril 2021, l'aide est égale au montant de la perte de chiffre d'affaires enregistrée au cours du mois par rapport à leur chiffre d'affaires de référence dans la limite de 10 000 euros ou à 20 % du chiffre d'affaires de référence dans la limite de 200 000 euros. L'aide est moins élevée si la fermeture administrative n'a porté que sur une partie du mois ;
- pour les entreprises appartenant aux secteurs les plus atteints par la crise ayant enregistré plus de 50 % de pertes de chiffre d'affaires, l'aide est plafonnée à 10 000 euros ou à 15 % (voire 20 % pour une perte supérieure à 70 %) de leur chiffre d'affaires de référence. L'aide est moins élevée pour les entreprises relevant des secteurs moins atteints par la crise ;
- des dispositions spécifiques visent les stations de ski, les entreprises des centres commerciaux interdits d'accueil au public et celles situées dans certaines régions et collectivités ultramarines ;
- enfin, une aide plafonnée à 1 500 euros peut être versée aux entreprises ayant enregistré plus de 50 % de pertes de chiffres d'affaires et ne relevant d'aucun autre régime.
Depuis mars et la mise en oeuvre des nouvelles règles restrictives, le montant des crédits consommés est d'environ 4 milliards d'euros en rythme mensuel , de sorte que le niveau des crédits encore disponibles est, au début du mois de mai, de 6,9 milliards d'euros.
Consommation des crédits sur le programme 357
(en millions d'euros)
Note : la diminution des montants versés en février et l'augmentation en mars s'expliquent en partie par des décalages dans les dates de mise en ligne des formulaires de demande d'aide.
Source : commission des finances, à partir des restitutions Chorus
Or certaines dépenses pourraient encore augmenter dans les semaines et mois à venir avec la mise en oeuvre et la montée en puissance de certaines composantes du fonds de solidarité, notamment la prise en charge des coûts fixes des entreprises .
Cette aide vise des entreprises réalisant un chiffre d'affaires annuel supérieur à 12 millions d'euros, éligibles au fonds de solidarité et dont l'excédent brut d'exploitation (EBE) est négatif sur la période janvier-février 2021. Des dispositions spécifiques sont retenues pour certains secteurs. Le dispositif est prévu pour couvrir 70 % des pertes d'exploitation pour les entreprises de plus de 50 salariés et 90 % des pertes d'exploitation pour les autres entreprises, dans la limite de 10 millions d'euros au niveau du groupe, sur le premier semestre de l'année 2021 22 ( * ) .
De même, une aide spécifique aux commerçants de l'habillement affectés par la problématique des stocks saisonniers devrait être versée à compter du 25 mai 23 ( * ) .
Enfin, la levée partielle des mesures de restriction , annoncée pour le courant des mois de mai et de juin, n'aura qu'un effet à la baisse très progressif sur le coût budgétaire du fonds de solidarité .
La vitesse de reprise de l'activité est en effet soumise à des grandes incertitudes, dépendant de l'évolution de la situation sanitaire et du rythme de la campagne de vaccination, mais aussi des comportements des entreprises et des consommateurs lors de la réouverture des commerces et des lieux accueillant le public. En tout état de cause, le délai de versement des aides dépend du dépôt des demandes par les entreprises, elles-mêmes soumises au délai de mise au point des formulaires par l'administration : le formulaire relatif aux aides du mois d'avril a ainsi été mis en ligne le 7 mai, suite à la publication le 5 mai du décret précisant les conditions d'éligibilité.
Au total, selon les éléments apportés au rapporteur général, le manque de crédits pourrait entraîner une rupture des paiements dès le début du mois de juin si le décret d'avance n'était pas pris. Les prévisions de consommation s'élèvent en effet à 5,9 milliards d'euros pour le mois de mai, 4,9 milliards d'euros pour le mois de juin et 2,7 milliards d'euros pour le mois de juillet, alors que les crédits disponibles, comme on l'a vu supra , sont inférieurs à 7 milliards d'euros.
En conséquence, de même que pour le programme 356, le besoin d'une nouvelle ouverture de crédits paraît établi et il est probable que les crédits actuellement ouverts sur le programme 357 ne suffiraient pas à couvrir les besoins du fonds de solidarité, à une échéance relativement brève.
La condition d'urgence se trouve donc respectée pour l'ouverture de crédits relative à ce programme.
* 11 Le projet de loi de règlement pour 2020 prévoit toutefois l'annulation de 5 centimes d'euros sur les crédits du programme 356, car l'arrêté de report a arrondi les montants à l'euro inférieur.
* 12 Décret n° 2020-1785 du 30 décembre 2020 instituant une prime exceptionnelle à destination de certains demandeurs d'emploi, version initiale.
* 13 Décret n° 2020-1785 du 30 décembre 2020 précité, modifié par le décret n° 2021-222 du 26 février 2021.
* 14 Gouvernement, L'aide aux travailleurs précaires prolongée de trois mois , communiqué du 15 janvier 2021.
* 15 Décret n° 2020-1787 du 30 décembre 2020 relatif à l'aide exceptionnelle accordée aux entreprises accueillant du public au titre des congés payés pris par leurs salariés entre le 1 er et le 20 janvier 2021, version initiale.
* 16 Voir le rapport n ° 247 (2020-2021) de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur l'examen en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2021.
* 17 Les crédits de l'action 01 du programme 364 ont été au total de 5,0 milliards d'euros, incluant 0,6 milliard d'euros consacrés aux dépenses du Fonds national de l'emploi (FNE)-Formation.
* 18 Le niveau de consommation actuel sur cette enveloppe était de 0,2 milliard d'euros à la fin février, 1,4 milliard d'euros à la fin mars et 2,4 milliards d'euros à la fin d'avril (source : Chorus) : une poursuite de ce rythme de consommation au même niveau conduit en effet à un épuisement des crédits au mois de juin.
* 19 Dans la mesure où, comme il a été indiqué supra , le Gouvernement utilise désormais les crédits du programme 364 « Cohésion » de la mission « Plan de relance » pour financer l'activité partielle relevant du plan d'urgence, il pourrait techniquement utiliser l'intégralité des crédits restants sur ce programme, soit 7 milliards d'euros environ ; mais cela nécessiterait de toute manière de « recharger » les crédits du programme 364 par une loi de finances rectificative afin de permettre de réaliser les autres dépenses prévues par ce programme.
* 20 Le projet de loi de règlement pour 2020 prévoit toutefois l'annulation de 56 centimes d'euros sur les crédits du programme 357, car l'arrêté de report, comme pour le programme 356, a arrondi les montants à l'euro inférieur.
* 21 Ministère de l'économie, des finances et de la relance, Coronavirus COVID-19 : soutien aux entreprises .
* 22 Ministère de l'économie, des finances et de la relance, Prise en charge des coûts fixes des entreprises .
* 23 Ministère de l'économie, des finances et de la relance, L'aide aux stocks sera versée dès le 25 mai , communiqué du 4 mai 2021.