LA LISTE
DES RECOMMANDATIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION
LE VOTE À L'URNE
Pilier de notre tradition démocratique, la primauté du vote à l'urne doit être réaffirmée.
L'ouverture anticipée des bureaux de vote créerait plus de difficultés qu'elle n'en résoudrait.
LES PROCURATIONS
La mission propose d'étendre la « double procuration » et les procurations à domicile dès les élections régionales et départementales de 2021, notamment pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer jusqu'au bureau de vote.
Cette facilitation du vote par procuration peut être mise en oeuvre de manière pérenne, en modifiant le code électoral à cet effet.
LE VOTE PAR CORRESPONDANCE « PAPIER »
Le vote par correspondance « papier » ne peut pas être mis en place dès les élections régionales et départementales de 2021 , en raison du manque de consensus politique, des contraintes organisationnelles et des obstacles techniques.
À moyen terme, des expérimentations pourraient être menées, en commençant par des consultations locales, avec la collaboration de l'État, des collectivités territoriales et des acteurs de la chaîne logistique.
Ces expérimentations devront mettre en oeuvre des moyens techniques destinés à surmonter les difficultés pratiques du vote postal et garantir la sincérité du scrutin (acheminement des plis, sécurisation du dispositif, refonte du calendrier électoral, réorganisation des bureaux de vote et du dépouillement).
Elles devront également permettre de mesurer l'impact du vote postal sur la participation .
LE VOTE PAR INTERNET
Le vote par Internet ne peut pas être mis en oeuvre pour les élections régionales et départementales de 2021 , les prérequis techniques ne pouvant pas être satisfaits dans ces délais.
La réflexion sur les développements techniques doit se poursuivre pour sécuriser le vote par Internet et garantir la sincérité du vote afin d'envisager, à moyen terme, son utilisation au-delà des élections des Français de l'étranger.
I. I. LE VOTE À L'URNE, PILIER DE NOTRE RITUEL RÉPUBLICAIN, DOIT RESTER LA PRIORITÉ
A. UN RITUEL RÉPUBLICAIN, ANCRÉ DANS NOTRE TRADITION DÉMOCRATIQUE
Dans son discours devant l'Assemblée législative le 21 mai 1850, Victor Hugo traduit l'ancrage du vote dans notre pacte républicain : « il y a dans l'année un jour où le plus imperceptible citoyen participe à la vie immense du pays tout entier, où la plus étroite poitrine se dilate à l'air des grandes affaires publiques. Il y a, dis-je, dans l'année un jour où le plus faible sent en lui la grandeur de la souveraineté nationale, où le plus humble sent en lui l'âme de la patrie ! Regardez l'ouvrier qui va au scrutin ; il y entre avec le front triste du prolétaire accablé, il en sort avec le regard d'un souverain » 10 ( * ) .
Inhérent à notre souveraineté nationale, le caractère « universel, égal et secret » du vote est aujourd'hui garanti par l'article 3 de la Constitution.
Cet idéal se traduit par un rituel républicain , que les électeurs pratiquent en cheminant au sein du bureau de vote.
Pour le professeur Alain Garrigou, le passage dans l'isoloir , obligatoire depuis la loi du 29 juillet 1913 11 ( * ) , symbolise l'émergence « d'une autre conception de l'électeur, non celle des défilés et de la réalité des groupes sociaux, mais celle d'un individu ». L'isoloir place ainsi le citoyen « devant son devoir d'opinion, incompatible avec tout aliénation subie ou consentie du vote » 12 ( * ) .
L'article L. 63 du code électoral garantit sobrement que « l'urne électorale est transparente », remplaçant ainsi la boîte en bois scellée du début du XX ème siècle.
La mission d'information tient à saluer le rôle des bénévoles 13 ( * ) qui participent à la vie démocratique , en remplissant les fonctions de président du bureau de vote, d'assesseurs (à raison d'au moins deux assesseurs par bureau) et de secrétaire.
L'attachement légitime au vote à l'urne doit donc être réaffirmé, le vote à distance ne pouvant être qu'une modalité d'expression subsidiaire . Cette approche a d'ailleurs été partagée par l'ensemble des personnes entendues par la mission d'information.
Pour garantir son plein exercice dans le contexte épidémique que nous connaissons depuis mars 2020, un protocole sanitaire très strict a été mis en place pour le second tour des élections municipales du 28 juin 2020, sur la base des préconisations du « conseil scientifique COVID-19 » 14 ( * ) .
Principales mesures sanitaires prescrites
dans les
bureaux de vote
15
(
*
)
- Organisation de files d'attente en extérieur, avec une priorité d'accès pour les personnes vulnérables ;
- Limitation à trois du nombre de votants présents simultanément dans le bureau de vote ;
- Port du masque obligatoire et mise à disposition d'une solution hydro-alcoolique ;
- Marquage au sol pour matérialiser la distanciation physique entre deux votants ;
- Nettoyage régulier du bureau de vote ;
- Orientation spécifique des isoloirs (par exemple en direction d'un mur) pour garantir le secret du vote tout en évitant la manipulation des rideaux ;
- Modification possible, en lien avec le préfet, des lieux de vote ;
- Limitation du nombre de personnes présentes au dépouillement.
Lors de son audition par la mission d'information, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) a confirmé que le protocole sanitaire avait été scrupuleusement respecté lors du second tour des élections municipales , des règles encore plus strictes ayant été mises en place dans certaines communes. À Paris, par exemple, chacun des 900 bureaux de vote a été équipé de trois plaques en plexiglas pour éviter tout contact physique entre les membres du bureau de vote et les électeurs.
Sous réserve des éventuelles adaptations rendues nécessaires par l'évolution de l'épidémie, ce protocole sanitaire doit donc être maintenu pour les élections régionales et départementales de 2021 .
Les efforts doivent également être poursuivis pour lutter contre la « mal-inscription », qui touche les électeurs dont le rattachement à un bureau de vote ne correspond pas à leur lieu de vie effectif .
Selon Cécile Braconnier, politologue, 7,6 millions de Français se trouveraient dans cette situation, sur un total de 48 millions d'électeurs inscrits 16 ( * ) . Ils ont une propension trois fois plus importante à l'abstention que les citoyens dont le bureau de vote se situe à proximité de leur domicile.
Il s'agit, dans la plupart des cas, d'étudiants ou de jeunes actifs déménageant à mesure que leur foyer s'élargit. Sur le plan statistique, La Poste rappelle que, chaque année, 12 % des Français changent de domicile, sans toujours penser à modifier leur commune d'inscription sur les listes électorales.
Opérationnel depuis le 1 er janvier 2019, le Répertoire électoral unique (REU) apporte une première réponse : chaque électeur peut désormais vérifier l'adresse de son bureau de vote et s'inscrire, en ligne, sur les listes électorales jusqu'au sixième vendredi précédant le scrutin.
Enfin, la question des machines à voter a été évoquée lors des travaux de la mission d'information, les communes utilisatrices craignant de ne pas pouvoir renouveler leurs équipements.
La mission ne peut que renvoyer aux travaux antérieurs de la commission des lois, qui invitaient à « mettre un terme au moratoire de 2008 pour sécuriser la situation des communes qui utilisent les machines à voter et agréer une nouvelle génération d'appareils » 17 ( * ) .
* 10 Ce discours est consultable à l'adresse suivante : http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/victor-hugo-21-mai-1850 .
* 11 Loi ayant pour objet d'assurer le secret et la liberté de vote, ainsi que la sincérité des opérations électorales.
* 12 « Le secret de l'isoloir », Actes de la recherche en sciences sociales, volume 71-72, mars 1988.
* 13 Contrairement au canton de Genève où les « jurés de dépouillement » peuvent être indemnisés.
* 14 « Modalités sanitaires du processus électoral à la sortie du confinement », avis du 18 mai 2020.
* 15 Circulaire du 18 juin 2020 relative à l'organisation du second tour des élections municipales en période de coronavirus covid-19.
* 16 Source : audition devant la mission d'information.
* 17 « Réconcilier le vote et les nouvelles technologies », rapport d'information n° 73 (2018-2019) fait par Jacky Deromedi et Yves Détraigne au nom de la commission des lois du Sénat.