C. QUELLES CONSÉQUENCES POUR L'ENVIRONNEMENT ET LA SANTÉ HUMAINE ?
1. Des impacts délétères sur l'environnement déjà mesurables
a) La contribution au réchauffement climatique
La fabrication des plastiques contribue au réchauffement climatique. Selon un chiffrage effectué par le CIEL 137 ( * ) en tenant compte des différentes étapes du cycle des plastiques : (extraction, transport, fabrication, gestion de la fin de vie des déchets), le bilan carbone des plastiques représenterait 860 millions de tonnes de CO 2 par an, soit l'équivalent du fonctionnement de 189 centrales à charbon de 500 mégawatts.
En 2050, l'industrie plastique pourrait représenter 10 à 15 % des émissions mondiales de CO 2 en raison du report de l'utilisation des hydrocarbures pour le transport vers la production de plastiques.
Le développement de la voiture électrique fait craindre des pertes de débouchés à l'industrie pétrolière. De nombreux intervenants ont souligné que cette dernière envisageait un basculement stratégique vers la production de plastique, qui ne semble donc pas amorcer une trajectoire de réduction de sa production dans les prochaines années.
b) Un facteur de risque non négligeable pour la biodiversité
Une méta-analyse récente a estimé à 2 249 le nombre de plantes, d'animaux et de microbes affectés par la pollution plastique à l'échelle mondiale.
Comme évoqué précédemment, plus de 300 espèces sont concernées par les enchevêtrements, les étranglements ou l'ingestion de plastiques. Or, 15 % des mammifères marins, vulnérables aux déchets plastiques, figurent déjà sur la liste rouge des espèces menacées.
Le transport d'espèces invasives sur des milliers de kilomètres constitue également un risque d'atteinte à la biodiversité.
L'étude précitée sur la pollution des coraux par les plastiques montre une modification de leur holobiote par transfert des bactéries présentes sur les plastiques.
2. La difficulté d'évaluer les risques que fait peser la pollution plastique sur l'environnement et la santé humaine
Un risque résulte de la combinaison d'un danger et d'une exposition ; il traduit la probabilité qu'une personne ou que l'environnement soit atteint par un effet négatif produit par la source de danger.
Pour quantifier le risque que la pollution plastique fait peser sur l'environnement et sur la santé humaine, il faut donc être en capacité d'évaluer le danger que représente la pollution plastique, de quantifier l'exposition de l'environnement et de l'homme à ce danger et de fixer des seuils au-delà desquels le risque devient significatif.
L'état actuel des connaissances ne permet pas d'apporter d'informations précises à ces conditions d'évaluation du risque.
Comme il a été indiqué précédemment, la toxicité liée à la pollution plastique est une toxicité chronique, qui doit être analysée sur le long terme en considérant ses effets sur plusieurs générations. La prise de conscience des éventuels dangers liés à la pollution plastique étant relativement récente, les outils scientifiques pour étudier les répercussions à long terme des plastiques sur l'environnement et la santé humaine (cohortes, réseaux de surveillance, observatoires, etc.) n'ont pas encore été mis en place.
En dépit du dynamisme des recherches sur le sujet, de nombreux progrès doivent encore être accomplis en matière de recueil des données et de compréhension des phénomènes (sources de la pollution plastique, quantification, devenir des plastiques dans l'environnement, processus de fragmentation, écotoxicologie des nanoplastiques, etc.).
Par ailleurs, la connaissance des impacts de la pollution plastique nécessite la capacité à distinguer les effets des contaminants associés aux plastiques des effets des autres contaminants présents dans l'environnement ; objectif qui s'avère particulièrement complexe.
L'analyse de la toxicité des plastiques se heurte également à des obstacles métrologiques.
La plupart des substances contenues dans les plastiques sont inconnues. Comme le rappelait Remy Slama 138 ( * ) lors de son audition : « dans la toxicologie classique, on arrive à caractériser les effets d'une molécule, mais pas d'un plastique en général. » La variété quasi-infinie des plastiques complique également la recherche de substances toxiques. Rémy Slama le résume ainsi : « quand on sait quelle molécule on cherche, on risque de la trouver. Si on s'intéresse aux plastiques, c'est compliqué car on ne sait pas quelle molécule chercher . »
Pour cette raison, de nombreuses personnes interrogées ont insisté sur la nécessité d'imposer une information détaillée sur la composition des plastiques, une réduction du nombre des formulations et une standardisation des plastiques en fonction des usages.
La réglementation actuelle n'exige pas l'évaluation du risque chimique de certaines substances lorsqu'elles ne sont pas utilisées pour le contact alimentaire : c'est le cas pour certains stabilisateurs de polymères, ainsi que pour les oligomères. La réglementation doit donc évoluer dans le sens d'une meilleure appréhension du risque chimique lié aux plastiques.
Les deux voies principales d'exposition aux plastiques sont l'ingestion et l'inhalation.
Les quantités de microplastiques ingérées sont actuellement inconnues , comme la manière dont ces particules interagissent dans le corps et l'impact physique comme chimique du transit des microplastiques à travers le tractus gastro-intestinal n'est pas connu. Les connaissances actuelles montrent que les temps de séjour des microplastiques dans les organismes sont assez courts (excrétion en quelques jours chez les poissons et les crevettes). Les concentrations dans les coquillages en revanche, peuvent être plus élevées (mais il s'agit d'organismes filtreurs).
Il est possible que les microplastiques soient l'objet d'une bioamplification dans la chaîne trophique (transfert au prédateur des microplastiques contenus dans des proies). Des exemples de bioamplification ont été documentés (cf infra ).
Exemple de bioamplification chez le goéland argenté
Source : RC2C / Têtes chercheuses.
Un facteur potentiellement limitant pour le transfert des microplastiques des poissons vers l'Homme est leur tendance à être présents dans leurs organes digestifs (parties des poissons qui ne sont généralement pas consommées). La présence de microplastiques dans les poissons au-delà du tractus gastro-intestinal (par exemple dans les tissus) reste à étudier en détail. Cependant, des microplastiques ont également été découverts dans les moules consommées par l'Homme. Selon une étude de 2014 139 ( * ) , jusqu'à 90 particules de plastique pourraient être ingérées lors d'un repas contenant ces fruits de mer. Toutefois, elles sont quasiment toutes excrétées par le corps humain 140 ( * ) .
Des microplastiques ont également été détectés dans d'autres aliments, comme le miel, la bière, l'eau minérale et le sel de table, mais les chercheurs ayant travaillé sur ces sujets considèrent comme négligeables les risques sanitaires résultant de cette exposition.
En ce qui concerne l'ingestion de nanoplastiques, compte tenu de leur taille, leur translocation vers les organes peut être envisagée , entraînant une augmentation du temps de rétention des plastiques par les organismes, voire une bioaccumulation. Selon les informations obtenues par vos rapporteurs, les particules inférieures à 300 nm peuvent passer à travers les parois des vaisseaux capillaires et gagner ainsi la grande circulation et les organes. Toutefois, il n'existe à ce jour par d'étude sur l'Homme sur ce sujet.
L'Homme peut être également exposé aux plastiques par inhalation. Lors de son audition, le docteur Bertrand Dautzendberg a expliqué que les particules de plastique de 10 um rentraient dans les voies respiratoires. Toutefois, il convient de distinguer parmi les particules inhalées (qui entrent dans les voies respiratoires hautes) celles qui vont pénétrer dans les poumons. En ce qui concerne les fibres, plus le diamètre des fibres est réduit, plus celles-ci sont susceptibles de pénétrer profondément dans les poumons. Leur présence peut entraîner des irritations. L'absorption des plus petites particules par les macrophages est une voie possible d'entrée dans l'organisme.
A l'heure actuelle, les connaissances sur les fibres en plastique susceptibles d'être inhalées par l'homme sont émergentes. Les sources commencent à mieux être connues (cigarettes, fibres textiles, poussières urbaines), mais il n'existe encore aucune donnée sur leur quantification, leur caractérisation et leur impact sur la santé humaine.
Les informations sur l'impact des microplastiques sur les humains sont donc très parcellaires.
3. Un faisceau d'indices laisse penser à un risque réel lié à l'exposition aux microplastiques
a) De très nombreuses espèces sont contaminées
Le projet Plastic-Seine, réalisé entre 2016 et 2020, vise à déterminer les flux et les impacts des microplastiques dans l'estuaire de la Seine. Parmi les objectifs figure une meilleure connaissance de la contamination du réseau trophique par les microplastiques.
Pour réaliser cette étude, huit espèces de l'estuaire de la Seine ont été étudiées (invertébrés -vers de vase-, crustacés -moule bleue- et poissons). Un échantillon de 960 organismes aquatiques a été prélevé.
Toutes les espèces analysées sont contaminées, principalement par des fibres. La prévalence des fibres varie d'une espèce à l'autre (40 % pour le bar contre 100 % pour la moule bleue) et d'un individu à l'autre (notamment en fonction de leur âge et des sites de prélèvement).
Les auditions montrent que de très nombreuses autres espèces étaient également contaminées. L'exposition des milieux marins aux plastiques est la mieux documentée, contrairement aux recherches naissantes sur les organismes vivants dans les sols.
b) L'exposition aux contaminants des plastiques est permanente et va en s'accroissant
Les résultats de la cohorte Elfe présentés précédemment montrent la contamination générale de la population française par les perturbateurs endocriniens . D'autres études confirment ces chiffres. Ainsi, une étude de 2007 a montré que sur un échantillon de 2 084 Américains, 98 % étaient contaminés aux perfluorés (PFOS et PFOA). De nombreuses espèces animales sont également concernées, comme les ours polaires, les pandas, les mammifères marins, les poissons, les oiseaux.
Selon la Fondation Ellen Mac Arthur, parmi les 150 millions de tonnes de plastiques actuellement dans l'environnement, 23 millions de tonnes seraient des additifs (15 % du poids total des déchets plastiques présents dans les milieux naturels).
Selon d'autres études, 225 000 tonnes d'additifs seraient déversées chaque année dans les océans. Ce chiffre pourrait atteindre 1,2 million de tonnes en 2050.
La forte croissance de la production de plastiques s'accompagne donc d'une exposition toujours plus forte aux contaminants chimiques que sont leurs additifs. Non seulement elle touche tous les compartiments environnementaux, mais elle semble incontrôlable.
c) Leur accumulation lors des transferts trophiques
Trois processus définissent le devenir des contaminants dans les différents compartiments de l'environnement.
• La bioconcentration
C'est le processus par lequel une substance se trouve présente dans un organisme vivant à une concentration supérieure à celle de son milieu aquatique environnant (accroissement de la concentration d'un contaminant lorsqu'il passe de l'eau à un organisme aquatique).
La bioconcentration des phtalates dans le plancton est 5 000 fois plus importante que la concentration des phtalates dans l'eau.
• La bioamplification
Elle correspond à l'augmentation progressive de la concentration d'un contaminant le long d'un réseau trophique, à l'intérieur des biocénoses contaminées. Elle correspond au transfert d'un contaminant de la proie à son prédateur (concentration plus forte dans le prédateur que dans sa proie).
La bioamplification dans la chaîne alimentaire est évaluée à 100 entre le phytoplancton et le poisson carnassier.
• La bioaccumulation
C'est le processus par lequel un organisme vivant absorbe une substance à une vitesse plus grande que celle avec laquelle il l'excrète ou la métabolise. Elle désigne la capacité des organismes à concentrer dans leurs tissus des contaminants quel que soit leur toxicité pour l'organisme.
Ainsi, le taux de PCB est 30 fois plus élevé dans les poissons carnassiers adultes qu'il ne l'est chez leurs juvéniles. Une forte bioaccumulation est constatée dans les poissons qui consomment les mollusques benthiques. Les phtalates les plus lourds sont présents dans le foie, la bile et, pour les plus légers, dans les reins et les branchies.
Quant aux esters organophosphorés, leur accumulation a été constatée chez les dauphins dans le cerveau, la graisse, les reins, les muscles et le foie ; laissant à penser que ces substances se métabolisent.
d) Les plastiques sont des sources de contaminants persistants
Dans le cadre de son audition, Yann Aminot a insisté sur le rôle des déchets en polystyrène comme source d'hexabromocyclododécane (HBCC) dans l'environnement marin. LE HBCC a été l'un des principaux retardateurs de flammes bromés utilisés jusqu'en 2013 avant d'être inscrits dans la liste des polluants organiques persistants de la convention de Stockholm. 97 % de sa consommation était destinée aux panneaux d'isolation en polystyrène expansé pour les bâtiments. En raison de sa persistance, il a vocation à contaminer l'environnement pendant des décennies, en s'y accumulant ainsi que dans les organismes vivants.
Les plastiques peuvent également être la source de contaminants persistants en raison de leur propriété hydrophobe. Il a été déjà mentionné la présence de nombreuses substances persistantes adsorbées sur des microplastiques (cf. supra ). Parmi eux figurent plusieurs contaminants interdits depuis des décennies.
Les plastiques présents dans l'environnement apparaissent donc comme une vraie menace pour les écosystèmes et la santé humaine.
La convention de Stockholm vise à garantir l'élimination des polluants organiques persistants ainsi qu'à en réduire la production et l'utilisation. Les polluants organiques persistants doivent remplir quatre critères pour être reconnus comme tels : la persistance, la bioaccumulation, le transfert sur de longues distances, les effets néfastes. Les microplastiques remplissent ces quatre critères. C'est la raison pour laquelle certaines associations environnementales souhaiteraient les faire reconnaître comme polluants organiques persistants.
L'ECHA juge également qu'il faudrait traiter les microplastiques de la même manière que les produits chimiques persistants, bioaccumulables et toxiques. Elle a ainsi proposé l'interdiction des microplastiques intentionnellement ajoutés dans un grand nombre de produits de consommation courante.
Le risque associé à l'utilisation de ces microplastiques n'est pas qualifié mais la permanence de leurs émissions a été considérée comme nécessitant un passage à l'action. Selon l'ECHA : « il n'est pas possible aujourd'hui de conclure avec une certitude raisonnable que des effets nocifs ne se produisent pas actuellement dans l'environnement, ou ne se produiront pas à l'avenir ».
Les risques associés aux plastiques conduisent donc à faire jouer le principe de précaution. Comme le faisait remarquer l'une des personnes auditionnées : « Est-ce que le seul fait d'avoir dans notre corps des particules qui n'ont rien à y faire ne devrait pas nous pousser à agir ? Il faut analyser le niveau de risque et soutenir toutes les mesures qui réduisent la source d'exposition au risque . »
Dans son rapport rendu en janvier 2019 141 ( * ) , le consortium SAPEA indique que des risques écologiques liés aux microplastiques existent peut-être déjà, du moins dans certaines zones côtières et sédimentaires. Le SAPEA conclut également que, si aucune mesure n'est prise pour réduire la pollution par les microplastiques, leurs concentrations pourraient fortement augmenter dans un avenir proche et un risque généralisé pourrait apparaître d'ici un siècle.
Compte tenu des prévisions de croissance de la production de plastiques dans les prochaines décennies, du faisceau d'indices démontrant les dangers d'une pollution incontrôlée par les microplastiques, de leur persistance irréversible à long terme, il apparaît urgent de prendre dès maintenant des mesures adaptées pour lutter contre la présence dans l'environnement des microplastiques primaires et secondaires.
* 137 Centre for international environment law.
* 138 Directeur de recherche à l'Inserm.
* 139 Lisbeth Van Cauwenberghe, Collin Janssen: Microplastics in bivalves cultured for human consumption; Environmental Pollution, 193 (2014).
* 140 60 particules resteraient dans le corps par an.
* 141 Science Advice for Policy by European Academies: A scientific perspective on microplastics in nature and society, janvier 2019.