ANNEXES

Annexe 1

Liste des personnes auditionnées

Annexe 2

Comptes rendus des auditions

1. LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Audition du 30 janvier 2020

- Mme Sylvie Pierre-Brossolette

Présidente de la commission Lutte contre les stéréotypes du Haut Conseil à l'égalité et présidente du Comité d'orientation de la Cité de l'égalité et des droits des femmes de la Fondation des femmes , ancienne membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)

Table ronde du 27 février 2020

- Mme Anne Chauveau

Directrice déléguée à la diffusion et à l'innovation de l'Institut national de l'audiovisuel (INA)

- M. David Doukhan

Ingénieur de recherche à l'INA

- Mme Laurence Bachman

Co-présidente de l' Association pour les femmes dans les médias (AFPM)

- Mme Bouchera Azzouz

Co-présidente de l'AFPM

- Mme Christine Kelly

Journaliste, ancienne membre du CSA

- Mme Léa Lejeune

Journaliste, présidente de l'association Prenons la Une !

- Mme Anne-Marie Bernard

Directrice de la responsabilité sociale et environnementale de France Télévisions

- M. Bruno Laforestrie

Président du Comité Diversité et égalité de Radio France et directeur de la radio Mouv'

- Mme Christelle Chiroux

Rédactrice en chef de 20h Le Mag au sein de la rédaction de TF1

- Mme Nathalie Lasnon

Directrice des affaires réglementaires et de la concurrence du groupe TF1

- Mme Sylvie Pierre-Brossolette

Présidente de la commission Lutte contre les stéréotypes du Haut Conseil à l'égalité et présidente du Comité d'orientation de la Cité de l'égalité et des droits des femmes de la Fondation des femmes , ancienne membre du CSA

Audition du 28 mai 2020

- Mme Carole Bienaimé-Besse

Membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)

Auditions du 2 juin 2020

- Mme Sylvie Pierre-Brossolette

Présidente de la commission Lutte contre les stéréotypes du Haut Conseil à l'égalité et présidente du Comité d'orientation de la Cité de l'égalité et des droits des femmes de la Fondation des femmes , ancienne membre du CSA

- Mme Agnès Saal

Haute fonctionnaire à l'égalité, à la diversité et à la prévention des discriminations du ministère de la culture.

Audition du 10 juin 2020

- M. Jean-Baptiste Gourdin

Directeur général des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture

- M. Ludovic Berthelot

Sous-directeur de l'audiovisuel à la DGMIC

Auditions du 15 juin 2020

- M. Olivier Henrard

Directeur général délégué du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC)

- Mme Marie-Christine Saragosse

Présidente-directrice générale de France Médias Monde

- M. Thomas Legrand-Hedel

Directeur de la communication et des relations institutionnelles de France Médias Monde

2. COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
Audition de Mme Sylvie Pierre-Brossolette

(30 janvier 2020)

Présidence de Mme Annick Billon, présidente

Annick Billon, présidente . - Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir ce matin Sylvie Pierre-Brossolette pour évoquer la place des femmes dans les médias audiovisuels.

La délégation, qui attache beaucoup d'importance à ce sujet, a décidé d'y consacrer un rapport d'information. Deux co-rapporteures mèneront ce travail : Marta de Cidrac, qui ne peut se joindre à nous aujourd'hui et vous prie de bien vouloir l'excuser, et Dominique Vérien.

Sylvie Pierre-Brossolette, vous avez été membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de 2013 à 2019. Vous y avez notamment présidé le groupe de travail « Droits des femmes ». À ce titre, vous avez beaucoup oeuvré pour renforcer la place des femmes dans l'audiovisuel et lutter contre les stéréotypes sexistes dans les programmes télévisés.

Vous étiez d'ailleurs venue nous présenter l'action du CSA pour la promotion de l'égalité femmes-hommes dans les médias en avril 2018. Cette audition avait beaucoup intéressé les membres de la délégation.

Nous vous remercions de votre engagement à nos côtés et nous nous réjouissons de vous entendre à nouveau sur ces questions, car votre expertise en ce domaine est incontournable.

Vous êtes aujourd'hui présidente de la commission Lutte contre les stéréotypes du Haut Conseil à l'égalité (HCE) et, pour la Fondation des femmes , du Comité d'orientation de la Cité de l'égalité et des droits des femmes.

Le HCE a publié le 2 décembre dernier un avis sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté à l'ère numérique. Cet avis appelle à saisir l'occasion de la refonte du cadre légal du paysage audiovisuel français pour augmenter la présence des femmes à l'antenne et lutter efficacement contre les stéréotypes de sexe qui imprègnent encore de trop nombreux programmes. Il présente un constat très documenté de la présence des femmes à la télévision et à la radio. Formulant des pistes d'action très concrètes, il appelle notamment à un renforcement du rôle du CSA en matière de lutte contre le sexisme dans les programmes audiovisuels et sur Internet. Vous allez nous en parler dans un instant.

Chère Sylvie Pierre-Brossolette, je vous remercie chaleureusement d'avoir accepté notre invitation et je vous laisse sans plus tarder la parole.

Sylvie Pierre-Brossolette, présidente de la commission « Lutte contre les stéréotypes » du Haut Conseil à l'égalité, présidente du Comité d'orientation de la Cité de l'égalité et des droits des femmes de la Fondation des femmes . - Merci, Madame la présidente. J'ai beaucoup travaillé, ces derniers mois, à la manière dont la future loi sur l'audiovisuel pourrait améliorer la situation. La commission du HCE compétente en matière de lutte contre les stéréotypes élabore le rapport annuel du HCE sur l'état du sexisme en France. Le rapport publié en 2020 présentera un état des lieux de la situation et proposera également trois focus : sur le sexisme en politique, le sexisme au travail et les émissions de divertissement, terme désignant notamment la téléréalité. Pour ce dernier sujet, nous avons auditionné des représentants de TF1 , M6 et NRJ , qui sont les chaînes les plus concernées.

Au titre de la Fondation des femmes, j'ai également l'occasion de travailler sur l'audiovisuel.

Rappelons que la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, portée par Najat Vallaud-Belkacem, a fait bouger les lignes. Les chaînes de télévision s'étaient plaintes à l'origine des contraintes imposées par cette loi, qui les a obligées à mettre en place des mécanismes d'évaluation et de suivi de leurs pratiques. Elles ont dû s'organiser et recruter des équipes en conséquence. L'exigence d'évaluation a constitué pour elles un effort considérable.

Au-delà de ce travail annuel d'évaluation, des sanctions peuvent être infligées en cas de dérapage à l'antenne : des émissions comme « Touche pas à mon poste » ou « C Cauet » en constituent des exemples. En revanche, la loi ne prévoit pas de sanction à l'encontre des chaînes qui ne réalisent pas de progrès en termes de représentation des femmes à l'antenne. Selon l'état actuel de la législation, ces chaînes peuvent, par exemple, continuer à afficher une part de 20 % seulement de femmes parmi les experts, ou persister à diffuser des programmes contenant des stéréotypes. En outre, certaines chaînes progressent sur le plan quantitatif, mais au détriment de critères qualitatifs. Ainsi, la représentation des femmes ne progresse pas aux heures de grande écoute, ou alors uniquement pour certaines thématiques ou dans certains types de rôle.

Pour la première fois l'année dernière, le rapport du CSA a montré que, même dans les fonctions où les femmes sont très présentes - elles représentent ainsi 48 % des journalistes à l'antenne - les indicateurs sont en baisse. Au-delà d'un suivi quantitatif, il importe donc de mettre en place des critères qualitatifs. En effet, force est de constater que certaines émissions restent entièrement masculines, que la parité n'est pas effective aux heures de grande écoute et que les femmes sont plus souvent interrogées sur le care que sur d'autres thématiques, etc.

À l'occasion de la future loi, il me semble donc souhaitable que les obligations des chaînes ne se limitent plus à l'évaluation de leurs pratiques, mais qu'elles s'étendent à la nécessité de réaliser des progrès. Il faudrait aussi que l'absence de progression de leur part appelle une sanction. Cette progression pourrait être minime, mais il faudrait qu'elle soit continue dans la durée.

Je souhaite également que les critères d'évaluation soient resserrés. Les indicateurs ne doivent pas se résumer à une moyenne retraçant la présence des femmes à l'antenne, toutes émissions et tous créneaux horaires confondus. Il faut au contraire affiner ces critères par tranche horaire, par type de rôle et par sujet. Cet approfondissement de l'analyse est possible si l'on paramètre les systèmes d'information des chaînes de manière à générer automatiquement des relevés.

Pour les stéréotypes, la même volonté devrait s'exprimer. À l'origine, il était demandé aux chaînes de lister les moins stéréotypés de leurs programmes dans trois domaines : fiction, dessins animés et téléréalité. Pour cela, il avait fallu élaborer avec les représentants des chaînes trois grilles d'évaluation. Il faudrait maintenant que les chaînes évaluent sur cette base tous leurs programmes et soient en mesure de montrer une progression dans les domaines concernés par les grilles. L'objectif doit être de parvenir à réduire le nombre de programmes stéréotypés.

J'espère que l'examen du projet de loi par le Parlement sera l'occasion d'adopter des amendements qui permettront de réelles avancées.

L'idée de demander une progression annuelle des chaînes me semble être un minimum, et ne pas aller dans cette direction reviendrait à une régression. Sans les bons résultats du service public, qui a fourni un réel effort, en particulier France Télévisions qui recense désormais 41 % d'expertes, la moyenne serait beaucoup plus basse. Pour les chaînes privées, un effort réel reste encore à porter, y compris dans les émissions de téléréalité. Je ne sais pas si certains d'entre vous les regardent, mais la représentation des femmes dans ces programmes reste très préoccupante. Selon les chaînes concernées, les émissions de téléréalité sont les seules que regardent les jeunes : sans ces émissions de téléréalité, elles ne comptabiliseraient plus de jeunes dans leurs moyennes. Elles estiment également que, si ces émissions n'étaient pas diffusées, ces publics se tourneraient vers le numérique... Ces arguments sont très contestables à mon avis. Ces chaînes affirment par ailleurs qu'elles font des efforts pour éviter des scènes problématiques. C'est probablement le cas, mais ces émissions restent néanmoins très stéréotypées, voire dégradantes pour les femmes. Je ne sais pas par quoi il faudrait remplacer ces émissions pour attirer les jeunes : les chaînes pourraient faire preuve d'imagination ! En France, nous avons une loi qui est l'une des plus avancées au monde : essayons donc de lui faire porter un niveau supérieur d'exigence en matière de droits des femmes.

Il me semble aussi que le débat parlementaire devrait être l'occasion, pour le législateur, de s'intéresser davantage au numérique, car les émissions proposées sur Internet peuvent être alarmantes. Or elles ne font aujourd'hui l'objet d'aucun contrôle. La transposition de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA), qui prévoit de confier au régulateur un rôle de contrôle des propos haineux sur Internet et un rôle de protection des mineurs, pourrait être l'occasion d'y ajouter une mention sur la protection de l'image des femmes. Dans le cadre de la transposition de cette directive, tout pays membre garde la possibilité d'ajouter un sujet. Dans l'hypothèse où le CSA pointerait des propos ou des images dégradants, c'est le pays où le siège social du responsable serait situé qui serait visé, c'est-à-dire l'Irlande pour YouTube par exemple. Ce pays prendra-t-il la décision d'une sanction ? C'est peu probable. Certes, une réunion de tous les régulateurs européens dans le domaine de l'audiovisuel reste envisageable afin de créer une dynamique. Cependant, nous savons aussi que certains pays, soucieux d'accueillir les sièges européens de Facebook ou de YouTube , ne seraient pas enclins aux sanctions.

Toutefois, comme elle l'a fait avec la taxe GAFA, la France peut montrer l'exemple en demandant au CSA d'exercer ce contrôle et demander des comptes au régulateur. La France montrerait ainsi l'exemple, elle pourrait même inciter d'autres pays à rejoindre le mouvement. Cette dynamique pourrait même aboutir à poser la question de la représentation de la femme auprès des instances européennes.

À mon avis, il n'est pas trop tard pour essayer d'élargir le champ de cette directive.

Une piste pourrait être de modifier l'article 63 du projet de loi « audiovisuel », qui porte sur l'article 15 de la loi de 1986 et précise que l'autorité de régulation doit s'assurer que les programmes mis à disposition du public ne contiennent pas d'incitations à la haine ou à la violence ou de provocations publiques. Pourquoi ne pas étendre cette disposition à l'absence de propos ou d'image dégradant ou discriminatoire envers les femmes ? On pourrait même aussi proposer que ces programmes reflètent une représentation paritaire ou véhiculent une image non stéréotypée de la femme. Au minimum, il pourrait être précisé que ces programmes ne contiennent aucun propos ou image dégradant ou discriminatoire envers les femmes. Je ne sais pas quel serait l'avis du Gouvernement, mais les parlementaires peuvent peut-être l'emporter sur ce point. Je pense, dans tous les cas, qu'il est très important de saisir cette occasion, car il n'y en aura pas beaucoup d'autres.

Je souhaite également rappeler que le CSA a publié à la fin de 2018 une étude sur l'image des femmes sur Internet. Cette publication s'appuyait sur les 250 images les plus vues en 2017 et 2018. Pour les trois-quarts, il s'agissait de clips musicaux de groupes et interprètes français téléchargés sur YouTube , dont les paroles et les images étaient particulièrement dégradantes pour les femmes. De surcroît, ces productions sont subventionnées par le CNC au titre de la création ! Cela semble difficile à concevoir. On ne peut pas faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité nationale et s'abstenir de prendre des mesures contre la violence de ces images.

La discussion sur le projet de loi commencera à l'Assemblée nationale en mars. Il pourrait être examiné par le Sénat avant l'été.

Dominique Vérien, co-rapporteure . - Êtes-vous certaine de ce calendrier ?

Sylvie Pierre-Brossolette . - Un report reste possible, mais la transposition de la directive SMA oblige à respecter certains délais.

Je voudrais insister sur le fait que, s'agissant de l'image des femmes à la télévision, nous faisons face à une stagnation, voire à une régression. Ce constat ne concerne pas le service public. La situation est très critique dans le numérique. Il faut donc à mon avis profiter de l'occasion de la discussion du projet de loi sur l'audiovisuel pour compléter la législation en vigueur. Celle-ci a été très utile afin d'aider à une prise de conscience. Le taux d'expertes est ainsi passé de 14,5 à 33,37 %. Cette évolution a été possible grâce à la détermination et à la pugnacité du CSA.

Je souhaite également ajouter quelques mots sur la Cité des femmes, qui est installée à côté du Sénat, au 9 rue Vaugirard, dans les locaux d'une ancienne école primaire. Cette cité vise à accueillir des associations féministes en leur proposant des locaux permanents ou des espaces de co-working . Il faut savoir que les associations féministes à Paris sont confrontées au coût très élevé de l'immobilier. Nous essaierons d'occuper au mieux ce bel espace pour faire rayonner les droits et les talents des femmes. Votre délégation y sera la bienvenue.

Annick Billon, présidente . - Merci beaucoup, chère Sylvie Pierre-Brossolette, pour cet exposé. Lorsque nous vous avions auditionnée en 2018, nous avions senti en vous une volonté affirmée de faire bouger les lignes. Je constate que vous exprimez aujourd'hui la même énergie ! Alors que l'égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause du quinquennat, je m'étonne que le projet de loi sur l'audiovisuel ne comporte pas de disposition spécifique pour faire progresser la présence des expertes dans les médias audiovisuels et ne se préoccupe pas de la question de l'image de la femme sur Internet. Je suis d'accord avec vous : il faut aller plus loin.

Sylvie Pierre-Brossolette . - Les choses ont bougé en trois ou quatre ans, mais nous arrivons actuellement à un palier. Par ailleurs, les progrès sont essentiellement le fait du service public qui a pris des engagements forts, d'abord pour la télévision, puis pour la radio. En revanche, on constate à mon avis une stagnation ailleurs. De plus, certaines émissions échappent au maillage en place, en particulier les émissions de téléréalité. On constate aussi la persistance de plateaux exclusivement masculins. Il faut parvenir à de nouveaux progrès, y compris dans le numérique.

Annick Billon, présidente . - Je m'étonne de cette différence entre service public et chaînes privées...

Sylvie Pierre-Brossolette . - Sur TF1 , le taux d'expertes a nettement augmenté, mais il y en a encore trop peu, et sur LCI , le taux d'expertes n'est encore que de 26%.

Annick Billon, présidente . - Cette absence de progression significative est-elle liée au fait que les contraintes ne sont pas assez fortes ou, à l'inverse, au fait que le vivier de femmes expertes n'est pas suffisamment important ?

Sylvie Pierre-Brossolette . - Rien ne justifie cette stagnation. Le plateau de l'émission Les Informés , sur France Info, réunit chaque soir depuis un an deux hommes et deux femmes. C'est donc possible ! Cette émission est pourtant diffusée entre 20 et 21 heures, à un horaire où l'on entend souvent dire que les femmes sont occupées à autre chose ! L'émission « C dans l'air », sur France 5 , affiche un taux de présence des femmes de 37-38 % alors que « L'info du vrai », sur Canal + , ne se distingue pas par un taux important d'expertes parmi ses intervenants... C'est donc une question de volonté ! À l'inverse, pour l'émission de David Pujadas sur LCI , j'ai le souvenir d'un plateau exclusivement masculin, jusqu'à ce que l'expert politique soit remplacé par une femme, Arlette Chabot, la chaîne ayant été interpellée sur le sujet. Les chaînes modifient difficilement leurs habitudes...

Il me semble par ailleurs que les chaînes, notamment celles des grands groupes privés, ne font pas assez d'efforts pour aller à la rencontre des femmes pouvant intervenir sur leurs plateaux en tant qu'expertes....

Annick Billon, présidente . - Les GAFA ont été un sujet de préoccupation, notamment au sein de la commission Culture du Sénat, dont certains d'entre font partie. Aujourd'hui, ne pensez-vous pas que le sujet du numérique devrait d'abord être traité par l'Europe, puis décliné au sein des législations nationales ?

Sylvie Pierre-Brossolette . - Cela aurait été une évolution positive. Malheureusement, lors de la discussion sur la directive SMA, les instances européennes n'ont pas souhaité aller plus loin. Par ailleurs, ce sont des hommes qui siègent dans ces commissions et à l'ERGA, le groupe des régulateurs européens des services des médias audiovisuels. La stratégie retenue pour la transposition de la directive a été de concentrer l'effort sur la lutte contre les propos haineux et la protection des mineurs.

Je pense que si le Parlement français évoquait la question de l'image des femmes dans le numérique, ce serait un signal fort pour Bruxelles, a fortiori si plusieurs pays faisaient la même démarche.

Dominique Vérien, co-rapporteure . - Concernant la loi sur l'audiovisuel, la question est de savoir comment nous pouvons aller plus loin que le simple constat par chaîne pour parvenir à un dispositif plus ciblé. Je pense résolument que des propositions peuvent être faites en la matière. La délégation doit pouvoir travailler dans cette perspective. Il convient de trouver le moyen de s'inspirer des progrès réalisés par le service public et la radio, où les femmes sont mieux représentées. Dans ce domaine, un vrai travail de plaidoyer est à mener.

J'ai entendu le responsable de la fiction de Canal + qui affirme refuser désormais certains scénarios plaçant systématiquement les femmes dans des situations dégradantes. Dans cette interview, il expliquait qu'il avait fallu qu'il change de regard sur la situation pour effectuer cette sélection.

Sylvie Pierre-Brossolette . - En effet, il y a une vraie prise de conscience à Canal + , même si c'est quand même ce groupe qui diffuse l'émission « Touche pas à mon poste ».

Maryvonne Blondin . - L'amende a été payée, mais l'émission continue ! J'y ai entendu récemment des propos extrêmement choquants dans la bouche d'un humoriste célèbre...

Sylvie Pierre-Brossolette . - Il n'y a pas eu de condamnation du CSA pour ces propos récents. Ceux-ci pouvaient, selon certains, s'apparenter à de l'humour ! Cet exemple ouvre un autre débat et pose la question des limites qu'il est possible de franchir sous ce prétexte. Ces propos, à mes yeux, allaient trop loin. Si tous les parlementaires exprimaient leur indignation à chaque fois qu'une telle situation se produit, le CSA serait plus fort. Cependant, force est de reconnaître que la tendance est plutôt de dire qu'il ne faut pas abuser du rôle de gendarme des chaînes. À chaque fois que le CSA pose des limites, on évoque la censure !

Dominique Vérien, co-rapporteure . - Que pensez-vous de la nomination de Roman Polanski aux César ? À titre personnel, je trouve difficile de dissocier l'artiste de sa vie privée.

Sylvie Pierre-Brossolette . - C'est une affaire très délicate. Pour ma part, je ne suis pas allée voir J'accuse . Je ne doute pas que ce soit un très bon film, mais mettre constamment en valeur son réalisateur me semble maladroit.

Dominique Vérien, co-rapporteure . - Je le comprends encore moins après l'affaire Matzneff. Le monde de l'édition a, semble-t-il, pris conscience de certaines choses, mais deux jours plus tard Roman Polanski est encensé et son film est cité douze fois aux César . Il me semble qu'il y a ici un double discours !

Sylvie Pierre-Brossolette . - Je suis d'accord.

Annick Billon, présidente . - Une partie de la société est prête à avancer et à parler de sujets dont on ne parlait pas auparavant tandis qu'une autre partie de la population reste bienveillante sur ces pratiques. Je suis du même avis que Dominique Vérien : un double discours perdure dans notre société avec, d'un côté, des personnes - et pas uniquement des militants - qui endossent ces combats et, de l'autre, ceux qui conservent un regard bienveillant et pour lesquels l'artiste prime avant toute chose.

Maryvonne Blondin . - En 2013, j'étais rapporteure pour avis, au nom de la commission de la Culture, de la future loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. De fait, en ce qui concerne l'audiovisuel, la place et l'image des femmes dans le service public se sont améliorées.

Sylvie Pierre-Brossolette . - La situation est nettement meilleure aujourd'hui.

Dominique Vérien, co-rapporteure . - Lorsque l'on évoque la question de la place des femmes avec des auditeurs ou téléspectateurs qui ne regardent que le service public, ceux-ci ne voient même pas où est le problème.

Maryvonne Blondin . - En ce qui concerne le projet de loi sur l'audiovisuel, nous constatons une fois de plus que les intentions - qui se concrétisent dans la mise en oeuvre de l'égalité comme grande cause nationale - ne se traduisent pas en actes.

Sylvie Pierre-Brossolette . - Un article du projet de loi prévoit déjà que les chaînes doivent déclarer quantitativement la présence des femmes dans leurs programmes. Cette disposition pourrait être complétée pour que cette déclaration soit effectuée par tranche horaire et par type d'émission.

Maryvonne Blondin . - Je m'étonne que le texte initial ne mentionne pas cette dimension qualitative.

Sylvie Pierre-Brossolette . - Cela vaut la peine d'essayer d'amender le texte en ce sens !

Maryvonne Blondin . - Pourrions-nous revenir sur les méthodes d'élaboration des grilles mises en place par le CSA en concertation avec les chaînes ?

Sylvie Pierre-Brossolette . - S'agissant des grilles, cette évaluation a été instaurée par la loi du 4 août 2014 grâce au soutien des parlementaires, au Sénat comme à l'Assemblée nationale et contre l'avis des chaînes, qui estimaient alors que la mise en place d'une telle évaluation serait impossible ou chronophage et qu'elle mobiliserait trop de personnel.

Quand ce principe a été acté, le CSA a été chargé de mettre en place le dispositif de contrôle, en concertation avec les chaînes, comme le prévoyait la loi. À cette fin, de nombreuses réunions ont été tenues avec les chaînes, les producteurs, les auteurs, etc. Il a été convenu que cette déclaration s'organiserait sur la base d'une grille quantitative qui recenserait le nombre de journalistes, présentateurs, experts, etc. Pour les stéréotypes, nous avons mis au point trois questionnaires, pour la téléréalité, les dessins animés et les fictions.

Brigitte Grésy, qui n'était pas encore présidente du HCE à l'époque, mais qui avait travaillé sur les stéréotypes dans la fiction, a apporté son expertise. Au terme de longues discussions avec les chaînes ont été élaborés ces questionnaires destinés à leur permettre d'évaluer leurs productions à l'aune des stéréotypes de genre. Selon le principe retenu, il incombait aux chaînes de déclarer uniquement les fictions non stéréotypées.

Depuis cette première étape, des progrès ont été constatés. La proportion d'expertes est passée de 17 à 34 % en moyenne. Dans les fictions, les héroïnes sont plus nombreuses et les scénarios caricaturaux moins fréquents. La téléréalité, quant à elle, est toujours aussi problématique du point de vue de l'image de la femme, mais des contrôles ont été mis en place pour éviter les séquences les plus contestables. Rappelons que le CSA peut intervenir pour imposer des sanctions si les propos ou les images sont dégradants pour les femmes. La loi lui confie cette mission. Cependant, le processus est lent : il faut d'abord une mise en garde, puis une première mise en demeure et, enfin, une seconde, pour qu'une procédure de sanction puisse être enclenchée. Il faut ensuite qu'un rapporteur indépendant instruise le dossier. De telles procédures peuvent se dérouler sur deux ou trois ans. Toutefois, le Conseil d'État a, en 2018, validé les deux sanctions proposées par le CSA en 2017, l'une à l'encontre de C8 pour l'émission « Touche pas à mon poste » et la seconde à l'encontre de radio NRJ pour l'émission « C Cauet ».

Maryvonne Blondin . - Quel était le niveau de ces sanctions ?

Sylvie Pierre-Brossolette . - À l'encontre de C8 , la sanction était la suppression de toute publicité pendant quinze jours. Contre NRJ , il s'agissait d'une amende de 1,5 million d'euros. La chaîne et la station ont contesté la décision, mais le Conseil d'État l'a confirmée. Ainsi, l'application de la loi par le CSA fait jurisprudence. Je trouve très encourageant que le Conseil d'État ait repris les motifs de la sanction, à savoir le fait de véhiculer des stéréotypes et de donner une image dégradante de la femme. C'est une avancée importante, car la France est le seul pays qui possède ce type d'arsenal. En revanche, le CSA ne peut pas, aujourd'hui, sanctionner une chaîne qui met à l'antenne des plateaux exclusivement masculins.

Maryvonne Blondin . - Des propos dégradants peuvent aussi être entendus dans d'autres cadres sans faire l'objet d'aucune sanction. Ainsi, lors d'un colloque organisé par le Conseil de l'ordre des gynécologues-obstétriciens, le texte suivant a été projeté par un intervenant : « Les femmes les plus grosses ne sont pas les plus agréables à monter mais ce sont celles qui mettent bas le plus facilement » . Cette phrase était reprise d'un ouvrage déjà ancien ; comme souvent, la première réaction de certains a été d'alléguer l'humour ! Le fait est d'autant plus choquant que cette citation faisait partie de l'exposé d'un universitaire en charge de la formation des médecins.

Sylvie Pierre-Brossolette . - Il faudrait que notre législation comporte un interdit clair concernant les propos dégradants et insultants à l'égard des femmes. La loi sur la liberté de la presse de 1881 proscrit les propos haineux. Il faudrait la compléter pour ajouter les propos dégradants et discriminatoires tenus en public - lors de colloques, par exemple, ou à la télévision.

Les propos dégradants à la télévision et la radio peuvent faire l'objet de sanctions grâce à la loi du 4 août 2014, mais ce principe ne vaut pas ailleurs. Il faudrait l'étendre à tous les propos tenus en public et, pourquoi pas, par une personne détentrice d'une autorité publique. Cela conforterait l'extension de ce principe au numérique.

Dominique Vérien, co-rapporteure . - Le projet de loi sur l'audiovisuel est-il le meilleur vecteur pour une telle mesure ? Je m'interroge. Pour ce qui concerne le numérique, la difficulté est aussi que l'on donne aux GAFA la possibilité de décider si les propos sont acceptables ou non. Le juge peut se prononcer en prenant en considération la liberté d'expression et la préservation de la liberté de chacun. Les GAFA ont une lecture plus restrictive et ne censurent les contenus que s'ils estiment courir un risque d'être attaqués.

Sylvie Pierre-Brossolette . - Je vous invite à visionner quelques clips musicaux pour vous rendre compte à quel point ces vidéos véhiculent une image dégradante, sans même parler des paroles des chansons.

Dominique Vérien, co-rapporteure . - Il faudrait aussi ne pas les financer. Il doit être possible de ne pas financer des créations qui véhiculent de tels stéréotypes.

Sylvie Pierre-Brossolette . - Tant qu'elles ne sont pas interdites, ces pratiques perdureront ! Dès lors que la loi n'interdit pas les propos insultants et dégradants envers les femmes, cela continuera. Ces « petites phrases » ont aussi cours dans nos assemblées politiques...

Maryvonne Blondin . - Les choses ont quand même évolué en mieux !

Sylvie Pierre-Brossolette . - Certes, mais la pratique continue. Encore récemment, un parlementaire a imité la poule lors de la prise de parole d'une collègue. Les sanctions devraient être d'autant plus lourdes que c'est un élu qui agit ainsi et que ces séquences sont systématiquement reprises par tous les médias. Cela donne une mauvaise image de la politique.

Il est vrai que les femmes ont aujourd'hui à peu près les mêmes droits que les hommes, mais la manière de parler des femmes dans la vie publique peut rester stéréotypée, voire insultante. Si les hommes peuvent continuer à dire que les femmes ne sont pas en mesure d'endosser certaines responsabilités ou qu'elles sont incapables, elles persisteront à s'autocensurer.

Dominique Vérien, co-rapporteure . - Pour en revenir à la téléréalité, comment est-il possible d'y lutter contre les stéréotypes ?

Sylvie Pierre-Brossolette . - L'évaluation des chaînes par type d'émission et par tranche horaire, dont j'ai parlé tout à l'heure, pourrait permettre des avancées. Il faudrait exiger un décompte spécifique sur la téléréalité et une amélioration de la note chaque année.

Maryvonne Blondin . - On sent actuellement dans notre société un risque réel de « backlash » de droits que l'on pourrait considérer comme acquis. Nous ne cessons de dire que rien n'est acquis définitivement et qu'il suffirait d'une difficulté pour que ces droits soient remis en cause.

Sylvie Pierre-Brossolette . - Il ne faut pas renoncer. La liberté d'expression ne doit pas permettre d'insulter les gens ! Si certaines réactions s'expriment, c'est aussi parce que nous sommes enfin un peu efficaces. Sur les violences faites aux femmes, nous sortons de siècles de silence. Face aux réactions que vous évoquez, il ne faut surtout pas lâcher.

Martine Filleul . - Peut-on espérer que l'arrivée des femmes dans l'audiovisuel permette de changer la donne ?

Sylvie Pierre-Brossolette . - Je pense que c'est le cas. Quatre femmes dirigent dans ce secteur des entreprises du service public. Les progrès y ont été plus nets qu'ailleurs. Dans les chaînes privées, où les avancées se font davantage attendre, ce sont des hommes qui sont à la manoeuvre.

C'est la raison pour laquelle je suis aussi favorable à l'instauration de quotas dans les COMEX et les CODIR, comme le propose Marlène Schiappa. Je sais que c'est plus difficile à réaliser que dans les conseils d'administration, mais la mesure serait vertueuse. Par ailleurs, il ne faudrait pas que les femmes des COMEX et CODIR soient confinées aux domaines des ressources humaines et de la communication, mais qu'elles investissent aussi des secteurs où les femmes sont moins présentes.

Je suis aussi frappée par les commentaires actuels sur Isabelle Kocher, seule femme à ce jour qui dirige une entreprise du CAC 40.Les articles qui paraissent sur elle dans la presse sont édifiants. Ils véhiculent tous les stéréotypes possibles mettant en cause l'aptitude des femmes au management et à l'exercice de responsabilités... Ces articles mériteraient une analyse détaillée. Je suis personnellement très choquée par cette affaire.

Une enquête publiée récemment dans Le Point montre combien la présence des femmes dans les COMEX et CODIR reste faible. La loi devrait à mon avis imposer une progression dans ces instances sur les cinq ou dix années à venir et prévoir des quotas pour l'accession des femmes aux responsabilités.

Il me semble par ailleurs, s'agissant du sexisme dans les entreprises, qui fait partie des thèmes abordés par le rapport annuel du HCE, que le système de recueil des plaintes devrait être extérieur. Les femmes oseraient ainsi davantage s'exprimer. Je constate également, s'agissant du monde politique, que les femmes qui étaient à l'origine opposées aux quotas y sont aujourd'hui favorables. Dans cette logique, je pense que des quotas devraient être mis en place dans les partis politiques et les commissions d'investiture : c'est indispensable pour progresser. Les quotas ont permis d'améliorer la situation dans les départements et les communes.

Annick Billon, présidente . - Nous sommes conscients que sans contraintes fortes, nous n'avancerons pas en matière de parité et d'accès aux responsabilités. Cependant, les partis préfèrent parfois payer une amende et s'affranchir des règles. La sanction devrait être suffisamment dissuasive. La grande cause nationale a permis à tous les responsables politiques de s'emparer de cette question. La société n'admet plus que les femmes soient écartées des mandats et des responsabilités. Dans l'entreprise toutefois, les pratiques sont différentes.

Je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré. Nous allons poursuivre ce travail avec les deux co-rapporteures et les membres de la délégation.

Table ronde sur la place des femmes dans les médias audiovisuels

(27 février 2020)

Présidence de Mme Annick Billon, présidente

Annick Billon, présidente . - Nous commençons cette semaine nos travaux sur la place et la représentation des femmes dans les médias audiovisuels. Ce sujet nous intéresse particulièrement dans la perspective de l'examen du projet de loi sur l'audiovisuel, qui devrait intervenir avant la fin de cette session.

Je salue la présence parmi nous de notre collègue Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. La délégation a en effet souhaité ouvrir ses travaux sur la place des femmes dans les médias audiovisuels à nos collègues de cette commission, qui sera saisie du projet de loi sur l'audiovisuel.

La délégation a désigné deux co-rapporteures pour conduire notre réflexion : Marta de Cidrac, du groupe Les Républicains, et Dominique Vérien, du groupe Union centriste.

Nous recevons aujourd'hui des journalistes et des représentants de groupes audiovisuels et d'associations de professionnels qui vont témoigner de leur engagement pour l'égalité et de la marge de progression qu'ils ont constatée dans ce domaine. Nous entendrons ensuite les partenaires institutionnels, parmi lesquels, naturellement, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Nous recevons donc :

- David Doukhan, ingénieur de recherche à l'Institut national de l'audiovisuel (INA), auteur d'une étude publiée dans la Revue des médias de l'institution et intitulée À la radio et à la télé, les femmes parlent deux fois moins que les hommes . Il est accompagné d'Agnès Chauveau, directrice déléguée à la diffusion et à l'innovation de l'INA. Nous attendons beaucoup de la présentation de cette étude qui va permettre de « planter le décor » et de contextualiser cette table ronde ;

- Laurence Bachman et Bouchera Azzouz, co-présidentes de l' Association Pour les femmes dans les médias (APFM) ;

- Christine Kelly, journaliste, à l'antenne sur CNews et C8 notamment ;

- Léa Lejeune, journaliste, présidente de l'association Prenons la Une , qui réunit des femmes journalistes engagées pour la représentation des femmes dans les médias et pour l'égalité professionnelle dans les rédactions ;

- Marie-Anne Bernard, directrice de la responsabilité sociale et environnementale de France Télévisions ;

- Bruno Laforestrie, président du comité « Diversité et égalité » de Radio France et directeur de la radio Mouv', accompagné de Catherine Doumid, directrice des relations extérieures de Radio France ;

- Christelle Chiroux, rédactrice en chef de 20 h Le Mag au sein de la rédaction de TF1 , et Nathalie Lasnon, directrice des affaires réglementaires et de la concurrence du groupe TF1 ;

- Sylvie Pierre-Brossolette, présidente de la commission « Lutte contre les stéréotypes » du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE).

Je souhaite tout d'abord rappeler brièvement les problématiques qui nous préoccupent aujourd'hui. S'agissant des constats : de quelles statistiques disposons-nous pour mesurer la visibilité et la place des femmes dans les médias audiovisuels en France ? Quels sont les efforts consentis par les différents médias, notamment depuis la loi du 4 août 2014 sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, et comment les mesurer ? Une politique volontariste a-t-elle été mise en place par les médias audiovisuels pour améliorer la place et la représentation des femmes ?

Je donne maintenant la parole à Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, puis nos deux co-rapporteures préciseront les attentes de la délégation à l'égard des différents intervenants, que je remercie d'être venus jusqu'à nous pour participer à cette réunion.

Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture . -Je vous remercie. J'étais membre de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes - je tiens au titre complet - lorsque j'ai rapporté la dernière loi en date sur l'audiovisuel, celle de 2009. La délégation est dans son rôle lorsqu'elle souhaite analyser les dispositions de la prochaine loi à l'aune de son coeur de métier, l'égalité femmes-hommes. Le texte sur l'audiovisuel devrait être présenté au Sénat au mois de juin.

En 2009, avec mon co-rapporteur Michel Thiollière, nous avions tenu à ce que le respect de la diversité, de la parité et de la représentativité soit mentionné à l'article 1 er de la loi. Notre collègue Valérie Létard, à l'époque secrétaire d'État chargée de la solidarité, avait installé une commission spéciale dédiée à l'image des femmes dans les médias, placée sous l'égide de Michèle Reiser et de Brigitte Grésy, alors inspectrice générale des affaires sociales.

Depuis, d'autres lois ont conforté la place des femmes dans l'entreprise en général, notamment la loi sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. L'audiovisuel public a montré l'exemple. Il présente cette singularité que les entreprises du secteur sont actuellement dirigées quasi exclusivement par des femmes : Marie-Christine Saragosse pour France Médias Monde , Véronique Cayla pour Arte , Delphine Ernotte pour France Télévisions, et plus récemment Sibylle Veil pour Radio France . Ne nous en plaignons pas, car nous partions de loin... Siégeant au conseil d'administration de France Télévisions , je puis témoigner de l'attention de sa présidente à cette problématique au sein de son groupe. Rémi Pfimlin, en application de la loi de 2009, avait mis en place un comité pour la diversité au sein de France Télévisions , présidé par le regretté Hervé Bourges, tout récemment décédé.

L'égalité hommes-femmes s'inscrivant dans le temps long, l'heure est venue de dresser un bilan à la faveur du texte qui nous arrive. Nous attendons de la délégation aux droits des femmes un diagnostic et des préconisations. Je devrai malheureusement quitter cette table ronde avant son terme, car notre commission entend ce matin la ministre des sports sur les cas très graves d'abus sexuels au sein de plusieurs fédérations sportives.

Annick Billon, présidente . - Il est toujours intéressant d'associer les commissions aux travaux des délégations. Notons aussi que la situation des femmes dans les outre-mer est un sujet important pour la délégation. Je salue la présence aujourd'hui de notre collègue Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, particulièrement active au sein de notre délégation.

Marta de Cidrac, co-rapporteure . - Permettez-moi de commencer par un rappel nécessaire : la place des femmes dans les médias audiovisuels s'apprécie à l'aune de plusieurs critères, quantitatifs, mais aussi et surtout qualitatifs. Parmi les premiers, on peut citer la présence et la visibilité des femmes à l'antenne : présentatrices et chroniqueuses d'un côté, expertes, invitées et femmes politiques en plateau de l'autre. Sont-elles présentes, mais surtout sont-elles visibles ? Le temps d'antenne et de parole dédié aux femmes est-il suffisant pour qu'elles soient entendues ?

Plus délicats à mesurer sont les critères qualitatifs.

Évoquons tout d'abord l'exposition horaire : quelle est la représentation des femmes aux heures de forte audience ? Dans quel registre d'expertise sont-elles sollicitées ? De quel « vivier » d'expertes dispose-t-on ?

Quelle est la nature des postes occupés par les femmes et leur niveau de responsabilité au sein des groupes audiovisuels ?

Quelle est la qualité de l'exposition des femmes à l'antenne : sont_elles le plus souvent en binôme avec des hommes ? Sont-elles régulièrement seules aux manettes d'une émission ? Je songe notamment aux émissions sportives.

Quelles sont l'image et la représentation de la femme à l'antenne dans les divers types de programmes : l'information, le divertissement, la fiction, les programmes jeunesse, les émissions de télé-réalité, voire la publicité ? Quels stéréotypes sont véhiculés ?

Enfin, quels progrès ont-ils été réalisés sur ces critères quantitatifs et qualitatifs au cours des dernières années ? Dans quels domaines les marges de progression sont-elles les plus importantes ?

Dans son avis sur le projet de loi sur l'audiovisuel, publié le 2 décembre 2019, le HCE recommande un « renforcement du rôle du CSA en matière de lutte contre le sexisme dans les programmes audiovisuels et sur Internet, et plus largement sur la question de la représentation et de la place des femmes dans les médias français ». Le HCE souhaite notamment que l'évaluation du CSA repose sur des critères plus qualitatifs et précis pour les chaînes de télévision et de radio. Qu'en pensez-vous ?

Dominique Vérien, co-rapporteure . - Après les constats et les critères d'évaluation, j'aborderai les perspectives d'évolution. Quelles sont les améliorations envisageables, à la fois en termes de bonnes pratiques et dans les textes, notamment dans la perspective du futur projet de loi sur l'audiovisuel ?

Dans son avis du 2 décembre 2019, le HCE préconise l'ajout, dans la loi, d'une disposition obligeant chaque chaîne de radio et de télévision à comptabiliser annuellement et de manière plus précise, par tranche horaire et par type d'émission, la présence des femmes à l'antenne, et à afficher chaque année une progression en matière de représentation et d'image des femmes. Qu'en pensez-vous ?

Quelles sont les sanctions prévues en cas de dérapage, de manifestation de sexisme ou de faible représentativité des femmes à l'antenne ? Des exemples récents de sanctions lourdes à l'encontre d'émissions très suivies ont été médiatisés : qu'en pensez-vous ? S'agit-il d'un levier efficace ?

Quelles seraient les mesures adéquates pour sanctionner les dérapages et encourager les bonnes pratiques et la progression de la présence, de la visibilité, mais aussi de l'image des femmes dans les médias audiovisuels ?

À votre connaissance, la France dispose-t-elle de l'outil le plus abouti de ce point de vue, notamment au regard du reste de l'Europe ?

Agnès Chauveau, directrice déléguée à la diffusion et à l'innovation de l'INA . - L'INA favorise activement l'égalité professionnelle femmes-hommes, comme employeur, mais aussi comme organisme de formation. Il est à ce titre signataire de la Charte pour les femmes dans les médias .

L'INA décrypte la place de l'image des femmes dans les médias en tant que média patrimonial, en tant que média distinctif et réflexif grâce à ses activités de recherche. Sur ce dernier point, je laisserai à David Doukhan le soin de vous présenter ses travaux.

En tant que média patrimonial, l'INA compte, sur l'ensemble de ses supports, plus de 700 millions de vidéos vues, soit une audience numérique proche de celle d' Arte . Nous avons un public assez jeune, et la question de la place des femmes figure au coeur de notre ligne éditoriale.

Il y a une vraie nécessité de mise en perspective historique pour comprendre les enjeux de l'égalité femmes-hommes. Nous le faisons de différentes manières .

Nous racontons l'histoire de femmes inspirantes, célèbres ou inconnues. Françoise Giroud, directrice de l'Express, « cloue le bec » du garde des sceaux Jean Foyer, en 1970 dans l'émission À armes égales . C'est la première fois qu'une femme participe à ce type de débat à la télévision. « Nous ne sommes pas à armes égales », lui assène-t-elle ! Nous mettons aussi à l'honneur des pionnières inconnues comme celle de cette femme forgeron -un métier plutôt associé aux hommes - interrogée par l' ORTF en 1964, ou celle de la première équipe de rugby féminine en 1968 à Cahors qui a osé jouer au rugby, monter une équipe, rêver d'un championnat.

Grâce à sa politique éditoriale, l'INA décrypte les stéréotypes et leur persistance. Il y a des sommets ; des reportages qui aujourd'hui font sourire ... ou qui font peur .... Les actualités françaises, en mars 1957, qui s'émerveillaient du « métier de femme au foyer ».

Nous donnons aussi la parole aux lanceuses d'alerte. Nous avons retrouvé la vidéo de Catherine Moyon de Baecque, championne de France du lancer de marteau, qui avait témoigné d'un viol dont elle avait été victime en 1991. Elle a dénoncé les violences sexuelles dans le sport. Nous l'avons de nouveau interrogée, et c'est affligeant, car elle nous a raconté sa mise à l'écart de l'équipe de France d'athlétisme, par sa fédération, à la suite de son témoignage.

Nous avons également mis en avant l'interview d'une directrice d'école catholique qui avait témoigné en 1974 de faits de pédophilie dans son école, ce qui avait donné lieu à un procès. Réinterviewée, elle raconte son licenciement. Les femmes ont dénoncé des violences depuis longtemps, mais à l'époque, elles n'étaient pas entendues...

Nous éclairons et contextualisons les débats contemporains via nos vidéos. Au moment du Grenelle des violences conjugales , nous avons retrouvé un micro-trottoir de 1975, dans lequel des hommes assumaient de battre leurs femmes. En lien avec #monpostpartum , nous avons également éditorialisé l'émission Aujourd'hui madame d' Antenne 2 . Et nous avons ressorti une vidéo de 1976 sur les femmes sans enfants, qui étaient perçues négativement. De plus, lors de l'affaire Matzneff, nous avons mis en avant la vidéo de son intervention lors de l'émission Apostrophes : cela a éclairé le public qui ne se souvenait pas de la violence de ses propos...

Prochainement, nous sortirons notre service de vidéo à la demande (SVoD) rééditorialisé, qui ne s'appellera plus INA Premium , mais Madelen -un clin d'oeil à Proust. Nous proposerons les programmes dans leur intégralité, en streaming illimité. Les femmes y tiendront une place importante. Ainsi, dans la rubrique « Debout les femmes ! », vous trouverez le documentaire Femmes précaires de Marcel Trillat, ou une série d'entretiens avec d'anciennes ministres - de gauche ou de droite -, Madame la ministre . Nous éditorialisons les épisodes de la série Madame le juge avec Simone Signoret, très novatrice à l'époque, qui a contribué à changer la perception que les Français avaient des femmes.

En tant que média distinctif, l'INA contextualise et resitue, sur le temps long, les évolutions des droits des femmes et de leur place dans la société, pour des publics spécifiques. Notre site Lumni , piloté avec France Télévisions , rassemble des contenus audiovisuels publics pour l'éducation. L'INA éditorialise les contenus à destination des enseignants, qu'ils peuvent utiliser en classe. Nous avons fait une place importante aux femmes, par exemple dans le parcours éducatif « Les femmes dans la société française depuis 1945 ». Les enseignants peuvent s'approprier ces contenus.

La Revue des médias , revue en ligne de l'INA, qui décrypte les phénomènes médiatiques, fait aussi une large place aux femmes. Nous y publions des études, et notamment des baromètres. Nous en avons publié un sur la représentation des femmes dans les matinales radios pendant dix ans, qui a montré un déséquilibre aux dépens des femmes.

L'INA porte les travaux de recherche de l'audiovisuel public, développe et encourage les études de genre. L'Inathèque a ainsi fourni un guide de recherche qui permet à des chercheurs de travailler sur la place des professionnelles au sein de la radio et de la télévision.

David Doukhan, ingénieur de recherche (Institut national de l'audiovisuel) (INA) . - Je vais donc vous présenter l'étude À la radio et à la télé, les femmes parlent deux fois moins que les hommes . Au préalable, je citerai d'abord les autres études quantitatives connues. Le rapport annuel du CSA publie depuis 2015 un baromètre sur la représentation des femmes et des hommes dans les programmes se fondant sur leur taux de présence, sur une base déclarative. Cette année, 50 000 programmes ont été déclarés. Mais cela ne dit pas de quoi, ni combien de temps parlent les gens... Le Global Media Monitoring Project mesure le taux de présence par catégorie d'intervenant et par sujet, en analysant un jour tous les cinq ans depuis 1995. La dernière étude s'appliquait à 114 pays. Le rapport L'image des femmes dans les médias , de Michèle Reiser et Brigitte Grésy, analysait les programmes de six chaînes de télévision et six stations radio diffusés le 15 mai 2008. Mais la durée des programmes analysés par chaîne varie de six minutes pour M6 à trois heures pour d'autres chaînes... Cette étude mesure le taux de présence, le taux d'expression - très long à mesurer manuellement - et le taux d'identification - le nombre de références orales à des hommes ou à des femmes. L'étude de 2014 du CSA belge, Les représentations femmes-hommes sont-elles influencées par les générations ? , compte pour sa part le temps de parole de chacun.

Faut-il un comptage manuel ou automatique ? Le comptage manuel prend du temps et représente un coût : souvent, il est abandonné. Le temps d'analyse est supérieur au temps de visionnage, mais l'analyse humaine permet de contextualiser des choses plus complexes. En revanche, elle présente l'inconvénient de sa subjectivité et d'un échantillonnage nécessairement restreint.

Une approche automatique permet de détecter des phénomènes simples, comme de distinguer des voix d'hommes ou de femmes. Exhaustive, elle permet d'analyser 100 % des flux, et donne des indicateurs numériques pour alimenter le débat citoyen. Elle permet d'interagir avec des approches manuelles.

À l'INA, nous détectons les voix masculines et féminines, tant pour la télévision que pour la radio. La machine détecte ce taux d'expression rapidement, au rythme d'une minute par heure d'émission. Mais les caractéristiques du genre dans la voix sont culturelles, et même un humain peut se tromper ! Nous analysons aussi le taux d'exposition visuelle, avec un temps de calcul modéré, de trente minutes par heure d'émission. Mais il est encore difficile de distinguer un vrai visage d'un poster ou d'un cadre photographique. Nous reconnaissons aussi la sémantique, malgré un taux d'erreur important. La figure projetée illustre un exemple d'analyse horaire fondée sur le temps de parole, correspondant aux diffusions du 15 octobre 2016 sur M6 . On y voit notamment une surreprésentation masculine entre minuit et deux heures du matin, et des variations selon les périodes de la journée.

S'agissant du temps de parole, les hommes parlent deux fois plus que les femmes à la télévision, et encore plus à la radio. Les femmes parlent davantage sur les chaînes qui ciblent un public féminin, mais même sur celles-ci, leur temps de parole, s'il est équivalent à celui des hommes, ne lui est pas supérieur. Les femmes parlent très peu sur les chaînes de sport, et un peu moins que les hommes sur les chaînes culturelles, notamment sur Arte . Un grand nombre de nos constatations sont en phase avec les conclusions du rapport de Michèle Reiser et Brigitte Grésy, ce qui conforte nos hypothèses.

Le pourcentage du temps de parole des femmes à la radio a évolué de 25 % à 35 % environ. La présence vocale des femmes sur les chaînes de télévision publiques ne présente pas de différences majeures aux heures de forte audience. En revanche, on enregistre huit points d'écart sur les chaînes privées où le pourcentage de parole des femmes décroît de 7,8 points aux heures de forte audience. Toutefois, cette méthodologie comporte une limite, dans la mesure où une forte audience ne revêt pas nécessairement la même réalité pour toutes les chaînes : les adolescents sont plus nombreux à écouter la radio le soir, tandis que les adultes sont plus présents le matin. Pour être plus rigoureux, il faudrait définir des heures de forte audience pour chaque chaîne.

Nous avons ensuite comparé le temps d'exposition visuelle des femmes par rapport à leur temps de parole, pour six chaînes de télévision, la semaine du 8 avril 2019, de dix heures à minuit. Le résultat est le suivant : on voit davantage les femmes qu'on ne les entend : la présence vocale moyenne des femmes est inférieure de cinq points à leur présence visuelle. Cette différence est moins importante sur Arte et France 3 .

Puis, nous avons analysé le lexique utilisé pour parler des hommes et des femmes en fonction des chaînes. Sur TF1 , le terme « mademoiselle » est beaucoup employé, alors qu'il n'existe plus à l'état civil... C'est sur Canal+ qu'on observe la plus forte utilisation du terme « meuf » et ses variantes. On utilise davantage « femme » sur Arte , et « fille » sur M6 . Cela étant, la réalité est la même pour les hommes : « mec » sur Canal+ , « homme » sur Arte et « garçon », sur M6 .

Le projet est désormais financé par l'Agence nationale de la recherche, pour une durée de trois ans et demi. Nous avons différents partenaires : l'INA, Deezer, le LIUM, le LIMSI, le CMW, le CARISM et le LERASS ; ainsi qu'un comité d'experts auquel appartient le CSA. Le but est d'aller plus loin et de trouver les bons compromis entre ce que peuvent faire les machines et ce qui a du sens pour décrypter la complexité de la présence des hommes et des femmes dans les médias.

Par ailleurs, nous avons participé à l'élaboration du rapport annuel du CSA, qui sera rendu public le 5 mars. Nous avons notamment analysé le temps de parole en plus des taux de présence, et avons aidé à détecter des erreurs de déclaration.

En outre, une étude sur les réalisatrices dans les programmes de fiction, qui devrait être prochainement publiée dans la Revue des médias , a mesuré les effets, sur le temps de parole des femmes, du fait que la fiction ait été réalisée par une femme.

Enfin, nous allons participer très prochainement au Global Media Monitoring Project , à partir de l'analyse d'une journée d'actualités en France en mars 2020.

Je conclurai en précisant que tous nos logiciels sont en open source et que nos données sont souvent diffusées en open data .

Agnès Chauveau. - L'étude sur les réalisatrices à la télévision a été menée en partenariat avec BFTM et sera rendue publique également le 5 mars.

Annick Billon, présidente . - Je vous remercie de cette présentation très détaillée.

Bouchera Azzouz, co-présidente de l' Association Pour les femmes dans les médias (APFM) . - Madame la présidente, je vous remercie de cette invitation, qui est à la fois un grand honneur et le signe de la reconnaissance du travail que nous menons au sein de notre association pour changer de paradigme et faire avancer la place des femmes dans l'audiovisuel.

L' Association Pour les femmes dans les médias a été fondée en 2012 par Françoise Laborde, avec un groupe de pionnières, des dirigeantes pour la plupart, dont Mercedes Erra, Simone Harari, Laurence Bachman qui en est co-présidente, Caroline Lang qui est la secrétaire générale, France Zobda, Laura Lemens Boy et quelques autres personnalités.

Nous nous sommes aperçues à ce moment-là qu'il n'existait aucune association de femmes des médias, alors qu'il y avait beaucoup à faire dans ce secteur, et sur tous les fronts. Chacune à son niveau, et compte tenu de son parcours, réalise à quel point il est difficile pour une femme de conquérir sa place. C'est pourquoi une double volonté nous anime : à la fois infléchir les inégalités, mais aussi soutenir les jeunes générations pour faire évoluer la place des femmes dans les médias et promouvoir les femmes devant et derrière la caméra, ainsi qu'à des postes de direction.

Nous félicitons l'INA pour l'étude remarquable que cet institut a réalisée. Disposer de chiffres d'une telle qualité est une première mondiale, mais il aura fallu attendre 2019 ! Pour revenir sur les propos de Mme la présidente, la conférence de Pékin de 1995 avait seulement permis de mettre en exergue les premiers chiffres sur les violences faites aux femmes. En 2005, Maryse Jaspard a dressé un état plus précis de la situation. L'avantage que présentent les chiffres, c'est de faciliter la mise en place des politiques publiques d'envergure pour tenter d'infléchir les inégalités, la violence, etc.

Notre démarche s'inscrit aujourd'hui dans la ligne de la conférence de Pékin pour augmenter le nombre des femmes aux postes de direction et lutter contre les stéréotypes. Notre volonté est très forte, vu le peu de femmes devant et derrière la caméra ainsi qu'aux postes de direction. Selon une étude menée dans une centaine de pays dans le monde, 73 % des dirigeants des médias sont des hommes. Les marges de manoeuvre sont donc importantes.

Lorsque j'étais secrétaire générale du mouvement Ni putes ni soumises , notre action, s'appuyant sur l'étude de Maryse Jaspard, portait sur les violences faites aux femmes. C'est ainsi que sont nés les observatoires des violences faites aux femmes, dont les travaux ont permis de « cranter » l'action des politiques publiques. Au sein de l'APFM, nous pensons que, sur la place des femmes, sur les stéréotypes ou les violences, nous devons fournir un travail colossal.

Nous appelons de nos voeux la création d'un observatoire afin de disposer d'une véritable analyse qualitative et quantitative de la représentation des femmes dans les médias, et sur l'ensemble des postes. On ignore par exemple combien il y a de femmes chefs op' ou directrices artistiques. Un rapport annuel permettrait de mesurer les évolutions et d'instaurer des mesures coercitives et incitatives.

Il existe une corrélation étroite, qu'il ne faut pas occulter, entre les violences et la place et la représentation des femmes dans la société en général. En effet, le sexisme est une arme de dissuasion qui, in fine , incite les femmes à intégrer soit qu'elles ne sont pas légitimes, soit qu'elles n'ont pas leur place. Après l'apparition du mouvement #MeToo , la parole des femmes s'est libérée dans les métiers de l'audiovisuel et du cinéma, car elles ont besoin d'une meilleure protection tout au long de leur progression dans des milieux professionnels qui sont pensés par et pour les hommes. À l'APFM, nous avons mis en oeuvre une action d'envergure dont on ne pensait pas qu'elle aurait un impact aussi important dans les médias. Notre charte s'appuie sur la loi du 6 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et sur la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, afin de lutter contre les harcèlements sexuels et les agissements sexistes dans les médias. La signature du premier adhérent de cette charte pour lutter contre le harcèlement sexuel et le sexisme dans les médias a eu lieu au ministère de la culture. Dix-sept autres signataires se sont joints à ce mouvement, dont TF1 , Canal+ , M6 , Radio France , etc. Le plus surprenant est la déferlante qui a suivi, avec en point d'orgue, le 21 janvier dernier, une soixantaine de nouveaux signataires de la presse écrite, de la musique, des festivals, de Facebook . Ce n'était pas seulement un effet d'annonce, car les lignes bougent dans le bon sens. Mais il faut continuer à se mobiliser fortement pour progresser sur ces questions.

Reste la question de la place des femmes, en particulier des réalisatrices, qui est un premier indicateur. Mais il faut prendre en compte la diversité des profils, des histoires, des parcours et des représentations, et non seulement la couleur de la peau, pour prendre un exemple caricatural. Il faut entamer une nouvelle réflexion depuis les premières signatures des chartes de la diversité, car la société a évolué.

Je conclurai par un slogan lancé par le collectif Sista : « il faut compter les femmes pour que les femmes comptent ». Et nous disons, à l'APFM, que, après avoir compté, il faut imposer des quotas !

Laurence Bachman, co-présidente de l' Association Pour les femmes dans les médias (APFM) . - J'ai consacré ma carrière à la télévision et à la fiction en particulier. Très rapidement, j'ai créé deux sociétés de production dont j'étais directrice générale, Alya Production et Barjac Production . Puis, j'ai été directrice de la fiction à France 2 entre 2000 et 2005. Depuis, je suis directrice générale de Barjac production et du groupe Telfrance .

Si l'expérience forge la conscience, c'est à la faveur de mes nombreuses années dans ce milieu que j'ai acquis la conviction que, sans mesures coercitives, hélas, la donne ne changera pas. Nous partons vraiment de trop loin ! Il suffit, pour s'en convaincre, de regarder ce qui se passe dans d'autres secteurs, comme la politique ou les entreprises privées, au sein desquels la parité, en dépit des sanctions financières, n'était pas effective. Il a fallu passer par les quotas pour infléchir ces inégalités.

Par ailleurs, l'expérience d'autres pays nous encourage dans cette voie.

Nous pensons, à l'APFM, que les choses doivent changer, de façon un peu radicale, grâce à des quotas temporaires sur cinq ans, avec un premier palier, par exemple, à 30 % de femmes réalisatrices, elles qui ne représentent aujourd'hui que 12 à 15 % en moyenne de ceux qui réalisent des fictions diffusées à la télévision.

Pire encore, aucune évolution probante n'est constatée depuis dix ans, ce qui nous conforte dans l'idée que, malheureusement, les choses ne peuvent pas changer d'elles-mêmes. Les habitudes et les réflexes sont bien ancrés, on ne peut pas compter sur la seule bonne volonté.

Aujourd'hui, les deux tiers des sociétés de production ayant produit au moins un épisode de fiction en 2018 n'ont pas fait appel à des réalisatrices. De plus, 88 % des auteurs-réalisateurs d'oeuvres inédites sont des hommes, selon les chiffres du CSA de 2018.

En novembre 2019, le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) a publié une étude relative à la diffusion à la télévision des oeuvres cinématographiques réalisées par les femmes : en 2018, les films réalisés par des femmes représentent 8 % de l'ensemble des diffusions par les chaînes historiques.

L'argument classique est de dire que les quotas empêcheraient la créativité et entraveraient la bonne marche artistique. C'est tout le contraire ! Nous pensons que la domination du regard masculin produit une uniformisation des oeuvres et une confiscation du point de vue féminin.

Du côté de la diffusion en avant-soirée, 23 % des épisodes de fictions audiovisuelles inédits sont réalisés par des femmes - c'est l'effet des trois feuilletons quotidiens en France depuis deux ans. Toutefois, la présence des femmes pour la réalisation des séries de 52 minutes, qui est le format dominant, reste très faible : moins de 10 % des épisodes diffusés.

Quant à l'argument selon lequel on ne trouverait pas de femmes réalisatrices, on peut répondre : « Elles sont là, mais vous ne les voyez pas ». Moi-même, en tant que productrice, j'ai dû me battre pour faire émerger ces talents. Les femmes sont aussi nombreuses à l'entrée qu'à la sortie de l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son (Fémis), mais 80 % d'entre elles deviennent scripts ou monteuses.

De plus, en 2019 et 2020, sur 42 téléfilms, six ont été réalisés par des femmes, et sur 87 épisodes de séries, douze l'ont été par des femmes. Nous avons encore beaucoup à faire, mais la question ne se résume pas à la présence des femmes réalisatrices. C'est pourquoi nous devons produire des études affinées pour étendre ce champ d'action aux monteuses, aux directrices photo, directrices de production, chefs déco, directrices artistiques, autrement dit, aux principaux chefs de postes. À ce jour, aucune enquête n'est susceptible de nous donner une vision d'ensemble de la présence des femmes à ce niveau.

Dans la perspective du débat sur la réforme de l'audiovisuel, il faut prévoir dans la loi des dispositions en vue de l'égalité réelle. Une disposition pourrait obliger à renseigner, pour les postes-clés, s'il s'agit d'un homme ou d'une femme, et inscrire la parité comme une condition d'obtention d'une partie des aides publiques.

Par ailleurs, nous serions favorables à la création d'un indice pour évaluer les bonnes pratiques des sociétés de production, dès lors qu'elles bénéficient d'aides publiques. Il pourrait s'agir, dans un premier temps, d'une moyenne globale sur leur production annuelle. Il faut être réaliste et composer avec les contraintes du secteur en matière de quotas.

Je profite de cette audition pour remercier l'INA avec lequel nous allons publier dans quelques jours une étude inédite portant sur dix ans de diffusion de fictions à la télévision. C'est la première étape de l'analyse de la place des femmes dans la fiction, que nous dévoilerons le 5 mars conjointement avec le CSA. Cette étude nous conforte dans la nécessité de créer un observatoire dédié pour appréhender avec précision l'état de la situation et définir nos engagements lors de la prochaine conférence « Pékin+25 ».

Annick Billon, présidente . - Merci, Mesdames, pour cette présentation à deux voix. Je retiens la formule : « il faut compter les femmes pour que les femmes comptent ».

Léa Lejeune, journaliste, présidente de l'association Prenons la Une . - Prenons la Une est une association qui regroupe exclusivement des femmes journalistes. Nous l'avons montée à deux en 2014, après une tribune dans Libération qui avait recueilli plus de 800 signatures dans le métier. L'idée était de dénoncer à la fois la sous-représentation des femmes dans les médias, les stéréotypes avec lesquels elles étaient décrites et le fait qu'il n'y avait, à l'époque, que 18 % de femmes expertes représentées dans les médias. Nous établissions alors un lien entre cette sous-représentation et le fait qu'il y ait très peu de femmes aux postes de direction : la Commission paritaire de la carte de presse indique en effet qu'en 2018, il n'y avait que 19 % de directrices de média en France et 34 % de rédactrices en chef. Nous adorons les chiffres : nous sommes d'ailleurs journalistes économiques. Nous pensons que compter est la meilleure des manières de dénoncer les faits.

Nous réalisons des études avec nos modestes moyens. Les matinales - la case la plus valorisée dans le monde de la radio - restent des « mati-mâles », comme l'indique le titre de l'étude que nous avons consacrée à ce sujet. Nous utilisons beaucoup les réseaux sociaux pour relayer notre message auprès des professionnels, et notamment des jeunes professionnels. Nous recueillons et portons des témoignages, en accompagnant notamment les femmes journalistes victimes de harcèlement sexuel, de sexisme ou d'agression sexuelle dans le cadre de leur travail, avec l'aide d'un avocat depuis que nous nous sommes constituées en association en 2018.

Nous avançons aussi des propositions concrètes. Selon la méthode grass roots , nous avons réuni 350 femmes journalistes à l'occasion des États généraux des femmes journalistes organisés à la Cité des sciences en mars dernier, avec l'appui du ministère de la culture et d'Agnès Saal, haute fonctionnaire à l'égalité. Nous avions demandé à chacune des femmes journalistes de raconter leur vécu afin qu'émergent des propositions concrètes. Tout a été rassemblé dans des « cahiers de doléances » que nous tiendrons à votre disposition.

Nous avions aussi mis en place il y a déjà trois ans des outils pratiques à destination des journalistes, consistant en une dizaine de recommandations pour mieux traiter des violences faites aux femmes dans les médias. Il s'agissait par exemple de bannir les termes stéréotypés comme « crime passionnel », qui ont tendance à minorer les faits, d'utiliser les chiffres et la mise en contexte, de parler de victimes déclarées, bref, de proscrire les titres sensationnels et d'éviter de faire de l'humour, ce que l'on constate parfois dans les JT ou dans la presse quotidienne régionale...

Enfin, nous formons les jeunes générations de journalistes, dans presque toutes les écoles reconnues, à déconstruire les stéréotypes et à avoir le réflexe de recourir à des expertes dans leurs contenus.

L'idée est toujours de compter, de mesurer, et d'essayer de sanctionner. Le fait d'avoir compté a permis de noter des progrès. En particulier, le rapport du CSA sur la représentation des femmes dans les médias nous paraît être un pilier. La mise en place de politiques volontaristes, comme celle que met en oeuvre Delphine Ernotte à France Télévisions , permet la progression de la part des femmes : dans les émissions de débat, les expertes sont désormais à 42 %.

Nous soutenons avant tout une petite mesure : il existe en ligne un guide des expertes, qui recense un certain nombre de professionnelles -femmes politiques, chercheuses, représentantes d'associations - en indiquant leurs coordonnées. C'est un outil très utile pour les journalistes, qui avait été initialement cofinancé par France Télévisions et Radio France . Ces financements ont été abandonnés, et le site ne peut plus être mis à jour. Peut-on envisager que la loi fasse obligation à l'audiovisuel public de reprendre ce financement ?

Il faudrait aussi étendre aux réalisatrices de documentaires et de magazines d'information, l'application de la proposition 40 du rapport sur l'audiovisuel tendant à renforcer les obligations de France Télévisions en matière de parité en ce qui concerne les réalisateurs, fait par Aurore Bergé en octobre 2018, au nom de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. L'objectif devrait être d'atteindre le plus vite possible les 40 %. Il serait bon aussi de mesurer la part des femmes dans les programmes aux heures de grande écoute, c'est-à-dire pendant les matinales et en prime time , mais aussi de procéder à une analyse plus qualitative : à propos de quels thèmes sont-elles représentées ? En général, il s'agit de sujets sur la culture, les thèmes de société ou les rôles de mère de famille. Ainsi, dans le JT de France 2 le soir de l'Épiphanie, les seules femmes présentes et qui prenaient la parole étaient les mères de famille qui parlaient de la galette des rois ! Dommage qu'on en soit encore là aujourd'hui... Certes, France 2 fait des efforts, mais il peut arriver que les journalistes oublient de porter cette attention systématique que nous devons avoir à propos de la représentation des femmes dans les médias.

Attention aussi à la proportion des femmes interviewées dans les reportages, qui n'est pas mesurée pour l'instant, alors que l'étude du Global Média Monitoring Project montre que c'est possible. Chaque chaîne doit prendre l'engagement d'augmenter la part des femmes dans les programmes, et notamment celle des expertes. Comment peut-on contraindre les chaînes privées à progresser sur ce point ? Les chaînes publiques font des efforts, mais pour les chaînes privées, la marge de progression reste importante.

L'idée serait aussi de croiser les données du rapport sur la représentation des genres avec celles du rapport sur la diversité, qui mesure la présence des personnes non blanches et blanches, et la représentation de l'orientation sexuelle et du handicap. Quand nous voyons des femmes à l'écran, quelles femmes voyons-nous ? Ces deux rapports existent chacun de leur côté, mais les données ne sont pas croisées. Il est vrai que la France n'est pas encore habituée aux démarches intersectionnelles... Dans le rapport sur la diversité, l'âge est mesuré, aussi. Nous nous rendons bien compte que cela demande beaucoup de travail. Il doit être possible d'utiliser des méthodes combinées, en recourant peut-être à l'intelligence artificielle. Il pourrait y avoir un rapport qui croiserait l'ensemble de ces données tous les deux ou trois ans.

Nous revendiquons depuis le tout début l'idée de conditionner les aides publiques au respect par les médias de la parité dans leur direction. Nous sommes même plutôt favorables aujourd'hui à un bonus, comme l'ont obtenu les femmes du collectif 50/50.

Enfin, il serait peut-être bon qu'une chaîne de télévision ou de radio fasse, une fois par an, une émission d'analyse critique de la place des femmes représentées dans les médias, en essayant d'étudier les chiffres ainsi que les stéréotypes sur la question des violences sexistes ou sur le type de rôles attribués aux femmes. Gare, toutefois, au Feminism Washing . Peut-être que les médiateurs de la télévision et de Radio France pourraient s'y atteler, ou encore des sites indépendants, comme Arrêt sur images .

Annick Billon, présidente . - Merci pour ces propositions, dont nous prenons bonne note.

Christine Kelly, journaliste . - Lorsque je pense à Anne Sinclair, Claire Chazal, Christine Ockrent et Michèle Cotta, je trouve qu'à elles seules, elles incarnent une belle page de l'histoire de la télévision. La femme a marqué la télévision et la télévision a marqué la femme. Pour autant, la visibilité des femmes ne garantit pas l'accès des femmes à l'exercice du pouvoir.

On s'attache beaucoup, au CSA, à compter - et c'est important. Mais il faut aussi prendre la mesure de la puissante vague de ces « femmes de l'ombre », qui ne sont pas forcément visibles. Certes, à la tête de France Inter ou de France Télévisions , sans parler de Canal+ , il y a des femmes. Cette « vague de l'ombre » est tout aussi importante que ce qui est plus visible. De plus en plus de femmes présentent le JT, mais ce n'est pas cela qui fait changer les choses. Pour cela, il faut des femmes aux postes à responsabilité. Nous ne voulons pas que la femme soit uniquement témoin, victime ou mère de famille, dans les reportages : elle doit être aussi experte sur les plateaux de télévision.

En ce moment, quand mes équipes appellent des femmes à venir dans mon émission, celles-ci leur répondent - ou me répondent - qu'elles ne sont pas du tout au niveau, alors que ce sont des professionnelles reconnues... Il faut prendre conscience de cela, convaincre les femmes de venir, les encourager. Les médias ont le devoir d'aller chercher des femmes pour les nommer à des postes à responsabilité. Le CSA exerce un rôle capital à cet égard.

La visibilité des femmes dans les médias va de pair avec tout ce qui se passe dans la société, où une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint, où elles ne sont pas suffisamment représentées dans la politique, etc. On a tendance à demander aux médias de faire ce que la société ne fait pas.

Annick Billon, présidente . - Vous évoquez ces femmes qui ne se disent pas compétentes : cela existe aussi dans certains métiers. La politique n'y échappe pas !

Marie-Anne Bernard, directrice de la responsabilité sociale et environnementale de France Télévisions . - Mme Morin-Desailly l'a rappelé, cela fait quelques années que le service public se préoccupe de la question de l'égalité entre les femmes et les hommes. C'est vrai, et nous avons vraiment pris le sujet à bras-le-corps en 2013. L'arrivée, en 2015, de Delphine Ernotte, a renforcé cet engagement. Nous avons commencé par mettre en place une méthodologie et par dresser un état des lieux afin de fixer des objectifs, pour ensuite construire les outils d'évaluation adéquats. Le rôle du CSA en la matière a été absolument capital, en particulier avec la délibération de 2015, qui nous a permis, à nous diffuseurs, de poser cette méthodologie très précise, et de pouvoir évaluer tous les ans les résultats.

La question de la place des femmes à France Télévisions , c'est évidemment d'abord la question de leur place à l'intérieur de l'entreprise. Nous avons une présidente, comme Radio France , Arte et France Médias Monde . Son premier geste a été de nommer un comité exécutif paritaire, ce qui change considérablement la physionomie d'un groupe. Cela permet de descendre dans les autres niveaux de direction. Actuellement, 45 % des salariés de France Télévisions sont des femmes. Parmi les journalistes, elles sont 40 %. Les comités de direction sont composés de 45 % de femmes. Les cadres supérieurs et dirigeants sont, pour 40 %, des femmes. Les chiffres ont beaucoup évolué, donc. Le chantier que nous ouvrons sur la question de l'espace numérique est collectif. Le développement numérique de France Télévisions est en marche, et il y a un réel problème de représentation des femmes dans ce monde-là. Nous devons donc être extrêmement vigilants.

La place des femmes à France Télévisions , c'est aussi leur place à l'antenne. Comme tous les diffuseurs, nous remplissons tous les ans les tableaux du CSA, ce qui nous permet de comptabiliser le nombre des femmes animatrices, journalistes, chroniqueuses, invitées, invitées politiques - et en particulier la catégorie des expertes, que nous comptons toute l'année, sur un certain nombre d'émissions choisies en accord avec le CSA. Sur l'ensemble de la représentation sur nos antennes, il y a des secteurs où nous avons une majorité de femmes. C'est notamment le cas dans la présentation de nos journaux télévisés. En particulier, l'arrivée d'Anne-Sophie Lapix à la tête de ce qui est encore le rendez-vous essentiel de l'information a été un symbole. L'une de nos préoccupations, lors de la création de la chaîne France Info - le canal 27 avec Radio France , l'INA et France Médias Monde , a été qu'il y ait à l'antenne une présentation paritaire des séquences de journaux.

Ce qui est important pour nous, c'est de voir dans quels domaines nos femmes journalistes exercent. La présentation d'un JT comme le 20 heures est déjà symboliquement importante. Il y a eu un autre symbole intéressant l'année dernière, quand François Lenglet, qui portait la parole économique de France 2 depuis un certain nombre d'années, a été remplacé par Alexandra Bensaïd, qui est désormais le « visage de l'économie » sur France 2. Même chose pour l'émission politique, longtemps présentée par David Pujadas, puis en duo avec Léa Salamé : au départ de David Pujadas, c'est Léa Salamé qui a repris les rênes de l'émission, avec à côté d'elle Thomas Sotto. Le rapport dans le duo s'est inversé, car c'est elle qui pilote l'émission.

La catégorie des experts est pour nous un indicateur fondamental, parce que l'expert dit la transmission du savoir et symbolise le recours à la compétence. Dès 2013, avec le concours de Brigitte Grésy, nous avons inscrit le premier avenant au contrat d'objectifs et de moyens, pour fixer un objectif de 30 % de femmes expertes en 2015. C'est en effet à partir de 30 % que la présence des femmes devient perceptible. Nous y sommes parvenus fin 2015. À son arrivée, Delphine Ernotte a fixé un nouvel objectif pour les cinq ans à venir, qui était tout simplement d'arriver à la parité pour les experts. C'est un objectif très ambitieux. Le CSA n'a pas encore validé nos chiffres, mais en 2018 nous étions à 42 % d'expertes, et je pense que nous n'avons pas progressé en un an - ce que Delphine Ernotte n'a pas manqué de nous faire remarquer. Ce sont les derniers kilomètres qui sont les plus difficiles ! Pour l'année en cours, l'objectif de 50/50 est toujours fixé.

Nous avons été les premiers partenaires, avec Radio France , du « guide des expertes », avant même sa version numérique. La version papier avait été lancée par Marie-Françoise Colombani. Nous avons beaucoup soutenu ce guide, car c'est un outil très utile, qui a bien montré qu'il y avait bel et bien des femmes expertes à peu près dans tous les domaines. Ainsi, l'argument de certains rédacteurs, selon lequel dans des domaines tels que la défense ou les relations internationales, il n'y avait que des hommes, ne tenait pas. Les problèmes budgétaires sont malheureusement une réalité dans le service public, et il n'est pas dit que l'interruption du financement de ce guide soit définitive. En fait, nos rédactions et les maisons de production avec lesquelles nous travaillons, comme celle qui produit C dans l'air , ont constitué chacune leur propre catalogue d'experts.

Le deuxième volet de notre démarche, c'est la question des stéréotypes. À partir du moment où nous créons des images, nous créons de la représentation et donc des stéréotypes. Nous avons donc beaucoup réfléchi, depuis sept ans, à ce que nous donnons à voir du masculin et du féminin, notamment dans les programmes pour enfants, dans l'animation. Tout part de ces stéréotypes, en effet, que nous faisons circuler sans même nous en rendre compte - sinon, ce ne serait plus des stéréotypes...

Prenez par exemple Petit Ours brun , qui est un classique de la littérature pour les enfants. Il y a quinze ans, Petit Ours avait un papa assis dans son fauteuil, en train de lire le journal et de fumer la pipe, et une maman vêtue d'un tablier, une cuillère en bois à la main, debout, en train de faire la cuisine. Aujourd'hui, Petit Ours brun existe toujours, mais papa n'est plus dans son fauteuil, il est occupé à des tâches ménagères, et maman, elle, a visiblement des activités extérieures. Surtout, il a une cousine qui est une héroïne extrêmement positive et très active. Cela dit des choses très sérieuses sur les modèles que nous donnons aux enfants. De même, nous devons faire évoluer les héroïnes que nous montrons sur nos antennes. Les personnages féminins, dans les séries, ont beaucoup changé depuis une dizaine d'années, en particulier dans le rapport au travail, à la vie sociale, et dans le rapport entre la vie privée et la vie professionnelle. Tout cela a été considérablement travaillé, et on arrive à des personnages non stéréotypés, comme Capitaine Marleau sur France 3 , assez loin de la représentation classique de la mère au foyer d'il y a quelques années !

Delphine Ernotte a pris l'engagement, l'an dernier, de faire des propositions concrètes sur la question, majeure, des réalisatrices. L'unité fiction de France Télévisions prépare actuellement un rapport extrêmement détaillé sur le nombre de réalisatrices qui ont tourné au cours de l'année 2019. C'est sur ce fondement que seront définis nos objectifs, chiffrés et progressifs.

Bruno Laforestrie, président du Comité « Diversité et égalité » de Radio France et directeur de la radio Mouv' . - Outre les éléments quantitatifs, savoir d'où les contenus sont émis et par qui est un élément important. Le comité exécutif de Radio France est en majorité féminin : 56 % de femmes. Outre le comité exécutif, un comité « diversité et égalité » a été créé dès 2016. Il représente à la fois toutes les antennes et toutes les fonctions de Radio France , afin de pouvoir appréhender ce sujet dans son ensemble, au sein d'une entreprise qui comptabilise plus de 4 500 salariés et un nombre au moins équivalent d'intermittents et d'artistes.

Le sujet de l'égalité, de la représentation des femmes et de la lutte contre les discriminations est essentiel. Je suis devenu président à la suite de deux femmes, qui étaient directrices d'antennes. Notre but n'est pas d'être exemplaires, mais avant-gardistes, dans le cadre de la loi, en posant des actes très forts aussi bien dans notre gestion interne que dans la représentation et la fonction d'émetteur. Les fonctions managériales, les fonctions de gestion, de communication, mais aussi les fonctions éditoriales, à la tête de radios importantes, sont toutes concernées. Le mouvement de féminisation de l'antenne porté depuis quatre ans est d'ailleurs un élément du succès de nos antennes : le gain d'auditeurs est un gain d'auditrices aussi ! Le fait que des femmes, excellentes dans leurs fonctions, soient très bien représentées dans toutes les stations, nous aide à fédérer un vaste public. C'est aussi l'une de nos missions de service public.

Nous pensons qu'il est essentiel que l'entreprise crée les conditions d'un épanouissement professionnel, et Radio France avait pris du retard sur ce point. L'index d'égalité professionnelle est désormais obligatoire dans les entreprises. Celui que Radio France publiera dans quelques jours sera de 93 sur 100. Sur toutes les fonctions, sur toutes les questions de rémunération, d'évolution, d'automatisation des promotions suite à une maternité, sur toutes les questions aussi de la part des femmes dans les dix meilleures rémunérations, une analyse statistique est menée par les ressources humaines. Cela permet d'objectiver la question de l'épanouissement et de l'évolution professionnelle au sein des entreprises de médias, publics comme privés.

Nous menons un travail interne considérable, notamment sur la question de la libération de la parole, et nous avons mis en place des campagnes, avec une cellule d'écoute sur le harcèlement, la discrimination, la parole sexiste. Cela mobilise trois personnes, dont un représentant syndical. Ainsi, à tout moment, la capacité existe de saisir la structure de sujets internes. Notre comité organise un pilotage quasiment hebdomadaire de ces sujets.

Nous lancerons dès le mois de mars des conférences théâtralisées qui vont mettre en scène des situations dans l'ensemble des entités de Radio France au niveau managérial, ainsi que dans toutes les stations locales et dans tous les services. L'ensemble des dirigeants et des services pourront assister à une conférence sur la banalisation de la parole sexiste ou sur la discrimination. Cela ne concerne pas que les rédactions, mais toute l'entreprise. Tous les dirigeants qui font l'objet d'une évaluation annuelle, c'est-à-dire près de 400 personnes, ont désormais une question obligatoire sur le respect de la charte Égalité et diversité.

Nous sommes dans une logique de sondages et d'évaluation de la parole des femmes sur nos antennes. Deux mois par an, nous sondons l'ensemble des programmes. Actuellement, 43 % de la parole à Radio France est une parole féminine : on est passé de 39 à 43 % en un an. L'objectif est de passer à 50 % en 2022. Nous avons pris à bras le corps la question des expertes, en sondant dix-sept rendez-vous : nous avions 40 % d'expertes en 2019. Là aussi, il faut encore progresser, et l'objectif est le même que celui de France Télévisions . Continuer à financer le guide des expertes ? Il a besoin de plus de moyens, et notamment de l'intervention du secteur extérieur à Radio France et France Télévisions .

En ce qui concerne le contrôle juridique, nous considérons qu'il y a deux types de contrôle : sur les questions internes, le rôle de la médiatrice est très important, car le contrôle se fait par les auditeurs, et tout ce qui est dit à la médiatrice nous remonte ; nous saluons aussi le rôle essentiel du CSA, notamment sur la question quantitative - mais aussi qualitative.

Christelle Chiroux, rédactrice en chef de 20 h Le Mag au sein de la rédaction de TF1 . - Le groupe TF1 a été souvent cité parmi les groupes privés peu actifs en la matière, pourtant TF1 mène une politique ambitieuse pour améliorer la représentation des femmes, tant en interne que dans ses contenus - aussi bien dans l'information que dans la fiction ou dans le sport.

La direction de l'information a engagé une vraie dynamique sur ce sujet. Avec l'aide de Brigitte Grésy, nous avons réalisé une étude, quantitative et qualitative, en 2016, sur le nombre de femmes présentes dans nos journaux télévisés. À l'issue de cette étude, nous avons mis en place un plan d'amélioration et d'action pluriannuel. Nous avons ainsi créé des ateliers de sensibilisation pour tous ceux qui participent à nos journaux : les monteurs, les documentalistes, les journalistes, etc. Brigitte Grésy nous a accompagnés pour développer la sensibilisation aux stéréotypes.

Nous avons également mis en place une série d'ateliers de media training avec les journées Expertes à la Une : deux journées ont déjà eu lieu, et une troisième sera organisée cette année. Nous invitons une centaine d'expertes à chaque fois et nous leur proposons des ateliers de media training , parce que, comme le disait Christine Kelly, les femmes sont beaucoup moins enclines que les hommes à intervenir dans nos reportages et sur nos plateaux de JT. Nous organisons aussi des séances de media training pour les lauréates du concours « Femmes En Vue » que nous organisons avec l'association Vox Femina , pour les aider à se sentir plus à l'aise dans les médias.

En ce qui concerne les expertes, nous utilisons l'annuaire expertes.eu. Toutefois les femmes qui y figurent sont plutôt des chercheuses ou des universitaires. Or nous avons aussi besoin de professionnelles de terrain pour répondre à des questions dans nos reportages télévisés. Nous avons donc développé notre propre carnet d'adresses d'expertes au sein des différentes rédactions de TF1 et LCI . Nous essayons de l'étoffer et de le faire évoluer régulièrement pour éviter d'inviter toujours les mêmes personnes.

Nous allons réaliser une nouvelle étude, aussi bien quantitative que qualitative, en 2020, comme nous en avons conduit en 2016, 2018, et 2019. Les chiffres s'améliorent : les femmes représentent 41 % des personnes interrogées dans nos reportages en 2016, soit huit points de plus qu'en 2016 ; la hausse a été de dix points pour les expertes et de dix-sept points pour les expertes en plateau. Le comité de direction de la direction de l'information est assez paritaire. Plusieurs émissions sont présentées par des femmes. C'est sur TF1 que dès 2008, le journal de 20 heures était présenté par une femme, Laurence Ferrari, pendant quatre ans. On note aussi une certaine parité au sein des rédacteurs en chef.

Rédactrice en chef de 20h Le Mag , je m'efforce de parvenir à la parité tous les soirs, et l'objectif est même légèrement dépassé. La semaine prochaine, nous réaliserons cinq portraits de femmes, sans associer cette présentation à la journée du 8 mars, signe de notre volonté d'être paritaire toute l'année ! Nous cherchons aussi à promouvoir la diversité. Vous avez raison, les femmes ne sont pas toutes des wonder women , des femmes politiques, ni des cheffes d'entreprise : il faut aussi s'intéresser aux femmes de tous les jours. De même, nous devons représenter les femmes de couleur, les femmes atteintes de handicap, etc. Comme France Télévisions , nous visons la parité parfaite le plus tôt possible. Chaque chef de service a un objectif en matière de parité qui influe sur la part variable de sa rémunération. Ainsi, chacun est mobilisé...

Nathalie Lasnon, directrice des affaires réglementaires et concurrence du groupe TF1 . - Nous avons mis l'accent sur l'information, parce que la représentation des femmes dans les émissions d'information constitue un enjeu important ; toutefois notre effort n'a pas porté uniquement sur les émissions d'information. Notre rôle est de refléter la société, mais aussi de faire évoluer les consciences collectives. Nos fictions et nos séries, comme Alice Nevers par exemple, comportent de nombreuses héroïnes féminines qui occupent des postes de responsabilité. Elles traitent aussi des sujets d'actualité. Nous nous sommes ainsi attaqués aux violences faites aux femmes avec le téléfilm L'Emprise , qui a secoué les mentalités et a eu un succès retentissant, de même que l'adaptation télévisée de l'affaire Jacqueline Sauvage. On peut donc interpeller la société sur des sujets contemporains, non seulement via les émissions d'information, mais aussi grâce à des programmes qui ont une portée plus vaste. Je pourrais également citer le succès de la série le Bazar de la Charité , qui relate l'émancipation de trois femmes à la suite de cet incendie...

On constate une vive appétence du public pour les destins de femmes et la vie des femmes puissantes. Le public jeune apprécie fortement les personnages féminins, comme le montre le succès monumental des aventures de Ladybug . Il y a donc une action à mener à destination des jeunes publics ; c'est pourquoi, en partenariat avec France Télévisions , Disney et M6 , nous sommes en train d'élaborer un petit module d'animation consacré aux stéréotypes.

Une autre tendance forte est l'émergence du sport féminin sur les antennes. Il y a cinq ans, nous avons acquis les droits de l'équipe de France féminine de football. Nous accompagnons aussi l'équipe de France féminine de handball. Nous avons été surpris et ravis de constater que l'Euro de football féminin puis la Coupe du monde féminine ont atteint la même audience que les matchs de l'équipe de France masculine. Cela en dit long sur l'évolution de notre société !

Cette évolution rejoint celle de notre entreprise. TF1 compte 56 % de salariées. Le comité de management de TF1 , qui regroupe les principaux managers, compte 40 % de femmes. Ces chiffres sont le fruit d'un travail très important pour accompagner les femmes dans l'entreprise : des programmes spéciaux de mentoring ont été mis en oeuvre pour accompagner les manageuses dans leur progression professionnelle. Les résultats sont tangibles, avec une note de 85 sur 100 dans l'index de l'égalité femmes-hommes des entreprises. Nous avons signé aussi une convention avec le CSA dans laquelle nous nous engageons à ce que la part des femmes en plateau tende vers la parité en matière d'information, y compris pour les femmes politiques, ce qui n'est pas toujours aisé.

Marta de Cidrac, co-rapporteure . - Il a été question de la représentation de la « diversité » féminine pour évoquer la représentation des femmes, ce qui se comprend. Je voudrais toutefois rappeler que les femmes constituent la majorité de l'humanité. Elles ne sont pas un élément de la diversité...

Sylvie Pierre-Brossolette, présidente de la Commission « Lutte contre les stéréotypes » du Haut Conseil à l'égalité (HCE) . - Je veux d'abord féliciter les chaînes qui ont fait des efforts. J'ai participé au CSA à la délibération du 4 février 2015 qui a défini les nouvelles obligations pour les chaînes de télévision en matière de parité. Cette délibération a accouché dans la douleur, au terme de dix-huit réunions de mise au point... De telles obligations étaient inédites. Les rapports annuels du CSA sont très importants. Les possibilités de sanction dont il dispose en cas de dérapages ou pour réagir à des images ou des propos dégradants ont aussi joué un rôle certain.

De grands progrès ont été réalisés, mais il reste encore beaucoup à faire. On ne compte que 42 % de femmes sur les antennes : la proportion de femmes s'élève à 39 % entre 18 heures et 20 heures, mais tombe à 29 % entre 21 heures et 23 heures, aux heures de grande écoute. Les expertes sont 37 %, en moyenne - si le service public dépasse l'objectif, cela signifie que certaines chaînes sont à la traîne... Le temps de parole des femmes n'est que de 33 %. Non seulement les femmes sont moins présentes à l'antenne, mais on leur donne moins la parole !

Le HCE a réfléchi à la manière d'améliorer la future loi sur l'audiovisuel. La discussion du projet de loi constitue une opportunité de compléter les dispositions actuelles et de viser aussi, outre le secteur hertzien, le numérique, qui est dépourvu pour l'instant de règles en matière d'égalité femmes-hommes.

Nous avons donc proposé d'ajouter dans la loi l'obligation, pour chaque chaîne de radio et de télévision, non seulement de comptabiliser annuellement et de manière plus précise la présence des femmes à l'antenne, mais aussi d'afficher une progression chaque année en matière de représentation et d'image des femmes. Les progrès diffèrent en effet selon les chaînes, les tranches horaires, les types d'émissions, etc. Il ne suffit pas d'afficher des moyennes satisfaisantes en demandant à des femmes de parler du Care à quatre heures de l'après-midi ou en fin de soirée, il faut que les femmes parlent de tout, à toutes les heures ! Et pas seulement de sujets associés aux femmes... Nous devons donc resserrer les mailles du filet, et exiger une progression annuelle, même minime, car les chaînes sont encore loin de la parité.

Au-delà des décomptes, il faut aussi veiller à la nature des programmes diffusés : certaines émissions, comme les émissions de téléréalité ou l'élection des Miss France, véhiculent souvent des stéréotypes qu'il convient de corriger. Les chaînes en ont conscience et essayent de faire des efforts, mais il faut agir sur la transmission des stéréotypes.

En ce qui concerne le numérique, le futur projet de loi relatif à la communication audiovisuelle donne l'occasion de transposer la directive relative aux services des médias audiovisuels (SMA). Cette directive donne le pouvoir au régulateur d'intervenir si des propos haineux ou préjudiciables à la jeunesse sont diffusés. Il serait souhaitable d'ajouter à cette liste les images ou propos dégradants pour les femmes, qui prolifèrent sur Internet. Les trois quarts des 200 séquences les plus regardées sur Youtube en 2017 et 2018 ont été des clips musicaux ; or ceux-ci donnent souvent aux hommes le rôle principal, tandis que les femmes occupent un rôle secondaire et passif, se voient traitées de tous les noms et apparaissent souvent dans des postures dégradantes. Le comble est que ces créations sont financées par le CNC ! Nous sommes donc tentés d'activer le principe d'éga-conditionnalité, qui permet de réserver les subventions publiques à des productions respectueuses de l'image des femmes. Nous espérons qu'un amendement pourra être déposé dans ce sens.

Nous souhaitons aussi que la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet s'étende aux images et propos dégradants pour les femmes. L'interdiction de diffuser des images et des propos dégradants pour les femmes ne concerne que l'audiovisuel, et non le numérique ni les propos tenus dans des lieux publics. Beaucoup de propos dégradants continuent ainsi à être diffusés.

En conclusion, nous plaidons pour qu'une progression annuelle doive obligatoirement être constatée pour les chaînes de radio et de télévision, avec des critères plus exigeants. Nous souhaitons aussi que la transposition de la directive SMA intègre les propos ou images dégradants pour les femmes.

Maryvonne Blondin . - En 2013-2014, j'étais rapporteure pour avis, au nom de la commission de la culture, du projet de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Nous avons amélioré la loi en ajoutant à l'article 56 la « juste représentation des femmes et des hommes dans les programmes des services de communication audiovisuelle » et avons confié au CSA le rôle de régulateur. Celui-ci s'est acquitté de cette mission délicate, mais nécessaire.

J'ai constaté quelques progrès durant ces six années. Vous évoquiez le travail que vous menez pour permettre aux femmes de franchir le plafond de verre. En matière de gestion des ressources humaines, par exemple, comment accompagnez-vous les femmes qui attendent un enfant et comment gérez-vous leur retour de congé maternité ? Vous avez évoqué les femmes réalisatrices de fiction, mais qu'en est-il, en particulier, des émissions sportives ?

Vous avez souligné l'importance des « femmes de l'ombre » : une mathématicienne de la NASA, Katherine Johnson, vient de décéder à l'âge de cent deux ans. Je ne connaissais pas du tout son histoire, et j'aurais voulu en entendre parler de manière précise. Il y a énormément de personnalités dans le même cas.

À propos des stéréotypes, vous savez sans doute que la nouvelle Miss Allemagne a 35 ans, un bébé, et n'a pas défilé en maillot. Nous observerons cette progression régulière annuelle, surtout ne baissez pas les bras !

Laure Darcos . - Quels sont aujourd'hui les critères pour l'audimat ? Je me souviens de l'expression selon moi détestable de « ménagère de plus de 50 ans »...

Christine Kelly. - On dit maintenant « femme responsable des achats ».

Laure Darcos . - Par ailleurs, comme je l'ai constaté dans mon entourage, aucun jeune ne regarde plus aujourd'hui la télévision. Il faut donc avoir le réflexe de penser en termes de numérique et, notamment, mettre à l'honneur les femmes exerçant des métiers scientifiques et travaillant dans le numérique. J'ai été contente, à cet égard, de voir le docteur Marina Carrère d'Encausse à l'écran à propos du coronavirus. Par le biais du numérique, on peut valoriser des métiers dans lesquels, malheureusement, la proportion des femmes baisse.

Chère Sylvie Pierre-Brossolette, je fais pour ma part une différence entre la téléréalité et Miss France. J'ai été choquée par cette polémique sur Miss France, qui intéresse de très nombreux téléspectateurs, et je considère que cette émission peut être valorisante pour nos territoires. En revanche, je suis d'accord avec vous : les images issues de la téléréalité sont tout simplement dégradantes. De même, lorsque l'on recherche un nom de femme sur Google , la première suggestion est systématiquement « nue », sans doute parce que les gens - les hommes, surtout - cherchent avant tout à trouver des photos de cette femme nue. Cela ne cesse pas, on n'a pas encore réussi à traiter ce problème...

Il me semble par ailleurs compliqué de resserrer les critères dans la future loi pour l'audiovisuel pour renforcer la place des femmes.

Annick Billon, présidente . - La meilleure promotion des territoires, c'est tout de même le Tour de France !

Victoire Jasmin . - Ce débat est très enrichissant. Ma question s'adresse à David Doukhan, qui a analysé des données issues de différentes chaînes. Avez-vous intégré la chaîne du réseau outre-mer La Première ?

Par ailleurs, notre délégation a publié en 2019 un rapport d'information sur la Coupe du monde féminine de football, qui nous a permis d'auditionner des journalistes sportifs. Cette rencontre nous a confirmé que les femmes, qui ne sont pas encore très nombreuses dans ce milieu, y avaient toute leur place.

J'ai beaucoup apprécié l'intervention concernant les clips. Outre-mer, il existe des bouquets contenant des chaînes qui ne diffusent que des clips dans lesquels l'image des femmes n'est résolument pas valorisée.

Enfin, la délégation aux outre-mer a produit un rapport sur les risques naturels majeurs. Je déplore que, sur vos chaînes, le travail du Sénat ne soit pas plus valorisé. Nous avons, heureusement, Public Sénat , mais les autres chaînes devraient prendre le relais, car nous représentons les territoires.

Sylvie Pierre-Brossolette . - S'agissant des chiffres des chaînes, on pourrait, par exemple, définir des tranches horaires puis vérifier la présence des femmes et les rôles qui leur sont impartis. On pourrait imaginer une grande étude présentée devant le Parlement tous les trois ans. Elle serait financée par l'État, car ce travail est lourd pour les chaînes.

Je ne mets pas Miss France dans le même sac que la téléréalité, des progrès ont été faits, mais cette émission est tout de même controversée. Tous les goûts, toutefois, sont dans la nature !

Laure Darcos . - Pour rebondir sur les propos de ma collègue Victoire Jasmin, je suggère que, parmi les critères à privilégier par les chaînes, on essaie d'interroger plus de sénatrices et moins de députés. Ce serait juste !

David Doukhan . - S'agissant de l'outre-mer, nous avons analysé France Ô - je ne sais pas si cela répond à votre question. Je ne sais pas si les chaînes que vous évoquez sont captées par l'INA vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La radio FIP ne l'était pas jusqu'à une date récente... Transmettez-nous la liste des chaînes dont vous parlez et nous verrons ce que nous pourrons faire.

Nathalie Lasnon . - Pour répondre à vos questions sur l'accompagnement des femmes enceintes dans la gestion des ressources humaines, souvent le congé maternité prive les femmes d'augmentation de salaire. Nous nous sommes attaqués à cela depuis longtemps. Nos collaboratrices sont accompagnées pendant leur grossesse et, dès leur retour, elles ont un entretien avec la DRH. Nous appliquons un système simple : si nous constatons que le congé maternité les a privées d'une augmentation, elles bénéficient de plein droit, automatiquement, d'une augmentation de 2 %. D'une manière plus générale, la féminisation du management conduit à une meilleure prise en compte de ces situations.

Christine Kelly . - L'outre-mer est définitivement à part, même dans la réponse, c'est regrettable. Les clips évoqués par Mme Jasmin sont en effet désastreux pour l'image de la femme dans les outre-mer. Sylvie Pierre-Brossolette évoquait la métropole, mais c'est dix fois plus grave en outre-mer. J'avais d'ailleurs alerté France Télévisions à ce sujet lorsque j'étais au CSA.

Je vous transmettrai une note écrite concernant les avancées mises en oeuvre par le groupe Canal+ pour faire progresser l'égalité femmes-hommes.

Enfin, je suis, quant à moi, une adepte du convaincre plus que du contraindre. Lorsque j'étais au CSA, j'avais créé une journée de visibilité du sport féminin, qui a donné lieu à un véritable pas en avant, sans aucune contrainte, mais seulement de la conviction. Je crois beaucoup à cet esprit. Parfois, bien sûr, il faut contraindre, mais on va parfois plus loin en convainquant.

Maryvonne Blondin . - S'agissant des émissions sportives, qu'en est-il des réalisatrices ?

Christine Kelly . - Les femmes journalistes sportives sont de plus en plus nombreuses et visibles, mais il n'y a pas encore assez de réalisatrices dans ce domaine, c'est vrai.

Marie-Anne Bernard . - Vous évoquiez, à propos de Katherine Johnson, l'importance des role models dans le domaine scientifique. Je vous informe que, dès la semaine prochaine, vous pourrez découvrir trente petits formats de trois minutes trente, qui sont des adaptations en animation des Culottées de Pénélope Bagieu. Il s'agit de trente portraits de femmes dont les réalisations sont étonnantes. Il y a, par exemple, celui de Hedy Lamarr, star d'Hollywood, sex-symbol et inventrice géniale, qui est à l'origine du wifi. Ces histoires disent beaucoup de l'invisibilité passée des femmes et de la nécessité contemporaine de les rendre visibles. Ils seront disponibles sur l'ensemble de nos plateformes.

Annick Billon, présidente . - Nous ne doutons pas de votre volonté de rendre les femmes visibles dans les médias. Madame Kelly, vous affirmez qu'il n'y a pas toujours besoin de contrainte, mais la réalité est que sans un minimum de contraintes, on n'avance pas. Nous l'avons vu en politique, et c'est vrai dans beaucoup de domaines : s'il n'y avait pas eu l'obligation de la parité, les femmes en politique seraient encore bien moins nombreuses. C'est vrai au Sénat, par exemple.

Vous évoquiez des quotas temporaires : c'est une idée, pour prendre de bonnes habitudes.

Je vous remercie pour ce débat.

Compléments apportés par Christine Kelly,
journaliste du Groupe Canal+

(28 février 2020)

Voilà maintenant un an que nous avons lancé en interne un Comité dédié au sujet de l'égalité entre femmes et hommes représentant tous les métiers du Groupe et présidé par Arielle Saracco, directrice de la Création Originale, Valérie Languille, DRH du Groupe Canal+ , et Marine Schenfele, directrice RSE.

Pour lutter contre le sexisme, les discriminations et le harcèlement, point central de la Charte, nous avons notamment :

- créé une nouvelle procédure d'alerte contre le harcèlement ;

- formé une centaine de nos managers et nos RH à réagir face aux situations de harcèlement et de sexisme ordinaire. L'enjeu en 2020 sera de former l'intégralité de nos managers ;

- mis les talents de l'antenne (ex : Monsieur Poulpe) au service de la cause en produisant des vidéos de sensibilisation au sexisme ordinaire. Les retours sont très positifs et de nouvelles vidéos seront produites en 2020 ;

- attribué une part significative de l'enveloppe dédiée aux augmentations annuelles de 2019 pour rattraper des inégalités salariales injustifiées entre femmes et hommes. Cela nous a déjà permis de réduire l'écart de deux points ;

- pris des engagements publics en signant la charte de l'association Pour les femmes dans les médias en mars 2019 et en rejoignant le collectif StOpE pour lutter contre le sexisme ordinaire en entreprise aux côtés de plus cinquante autres grandes entreprises

e deuxième sujet central sur lequel nous avons travaillé en 2019 est l'amélioration de la représentation des femmes dans nos contenus et nos métiers. Parmi les actions significatives entreprises, nous avons notamment :

- rédigé et diffusé une charte engageant les productions des Créations Originales pour l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, mais aussi la représentation des diversités sans stéréotype. En 2020 cette charte sera étendue à Studiocanal , aux préachats de cinéma français, aux émissions et à la Canal Brand Factory ;

- lancé un programme talent dédié aux femmes du Groupe : vingt femmes font partie des deux premières promotions, et une nouvelle promotion sera lancée en 2020 ;

- dédié une newsletter Abonnés par trimestre à la représentation des femmes sur nos antennes ;

- appliqué la parité sur les visuels myCANAL , et lancé des opérations éditoriales dédiées aux femmes.

Enfin nous sommes très fiers des avancées sur la mise en avant des femmes dans et « derrière » nos contenus : cinq séries Studiocanal produites en 2019 ont été réalisées par des femmes (dont Years and Years de Lisa Mulcahy, la création originale Mouche - écrite, produite et réalisée par des femmes, ou encore Les demoiselles du téléphone dont l'histoire fait plus qu'écho à nos problématiques)

En 2020, les femmes seront notamment à l'honneur dans les films Studiocanal Radioactive (film biographique sur Marie Curie) ou encore Gunpowder Milkshake (film sur un groupe de tueuses professionnelles - Lena Heady, Michelle Yeoh, Karen Gillan, Carla Gugino, etc.).

Studiocanal est plus qu'une référence dans la représentation des femmes, sur tous les métiers et à tous les niveaux hiérarchiques - nous sommes particulièrement fiers de la nomination d'Anna Marsh à la direction de Studiocanal , le premier studio cinéma européen.

Enfin, plusieurs actions ont été mises en oeuvre pour changer les mentalités au sein du Groupe :

- notre régie est en phase de tests avec les annonceurs pour créer des cibles de consommateurs non-genrées (fin de la « femme responsable des achats ») ;

- nous avons créé une newsletter mensuelle interne pour sensibiliser nos collaborateurs aux différents enjeux ;

- nous organisons des conférences de sensibilisation avec des intervenants extérieurs. Olivia Gazalé pour le Mythe de la virilité , Iris Brey pour la représentation des sexualités dans les séries, Nicole Abar pour la parité dans le sport. Des projections : Tout peut changer : et si les femmes comptaient à Hollywood ? sur la place des femmes à Hollywood, L'Afrique au féminin , des reportages sur des femmes d'exception en Afrique, et des ateliers de réalité virtuelle sur le sexisme destinés à nos salarié.es.

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