B. METTRE EN RÉSEAU TOUTES LES COMPÉTENCES DISPONIBLES SUR LE TERRAIN
Il est apparu au cours des auditions un constat quasi unanime : pour le maire, la mise en réseau de l'expertise et de l'ingénierie disponible sur son territoire constitue un vrai défi. En pratique, il faudrait qu'il puisse bénéficier des services d'une « task force » dédiée au patrimoine.
1. Solliciter plus systématiquement les Architectes conseils de l'État (ACE), en particulier pour le patrimoine contemporain
On dénombre aujourd'hui 130 ACE rattachés aux ministères de l'Environnement et de la Culture. Cependant, selon Éric Wirth, « Les petites communes ne sollicitent pas suffisamment les architectes conseils de l'État ». Ceux-ci assurent pourtant une bonne couverture du territoire, avec un ACE par département et environ un à deux ACE par DRAC. Chaque ACE est un expert disposant de sa propre agence, appelé deux jours par mois dans son département d'affectation, différent du territoire où il exerce sa mission privée afin de préserver son indépendance. Cette présence leur permet de suivre les sujets et d'apporter un appui aux collectivités territoriales en manque d'ingénierie. Pour Isabelle Manescau, ACE dans les Pyrénées-Atlantiques et présidente de l'association nationale des ACE : « Ils apportent un regard extérieur ouvert sur les territoires et sur les projets envisagés ».
Leur expertise peut être particulièrement profitable aux petites communes qui n'ont pas l'ingénierie suffisante pour réaliser leurs projets, au contraire des communes de taille plus importante, qui disposent souvent de leur propre architecte conseil et ont donc moins besoin de recourir à leurs services. Surtout, ce recours n'entraine pas de coût supplémentaire pour la commune qui fait appel à eux, l'État assurant la charge de leur mission.
En pratique, le maire peut recourir à l'ACE sur n'importe quel sujet, qu'il s'agisse du patrimoine classé ou non classé, mais ce recours n'est pas une obligation légale. Mais, souligne Jean-Luc Hesters, ACE en Bourgogne-Franche-Comté : « La difficulté tient à ce que les maires ne savent pas toujours qu'il existe des ACE. Et surtout ils ne peuvent pas faire directement appel à eux mais doivent passer par la DDT compétente, la DRAC ou la Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) 23 ( * ) ». Sur la question du patrimoine, « Le réflexe est de faire appel directement à l'ABF ou à la DRAC ».
Dans les DRAC, les ACE interviennent sur le patrimoine en relation avec les ABF, mais surtout sur le patrimoine contemporain et non classé. Le patrimoine ancien étant plutôt bien maîtrisé par les ABF, l'ACE apporte son expertise et fournit des solutions par exemple en matière de rénovation énergétique du patrimoine ancien ou de revitalisation des centres-bourgs. Son rôle est donc complémentaire de celui de l'ABF, avec « un regard qui porte sur la forme urbaine, sur l'ensemble du périmètre ou sur le rapport au paysage », selon Jean-Luc Hesters, pour qui les ACE « s'orientent davantage vers une logique urbaine globale ».
Cette analyse est partagée par Isabelle Manescau : « Ils fournissent un travail de réflexion, en collaboration avec les ABF, ce qui peut rassurer les collectivités qui s'inquiètent parfois du regard conservateur des ABF. Pour éviter les blocages avec ces derniers, l'ACE peut proposer un compromis et apporter un regard nouveau. Les maires sont très en demande sur les moyens de `'fabriquer'' la ville en intégrant dans les projets la dimension durable et la question de la qualité de vie, comme le montre l'exemple de l'Euro métropole de Strasbourg » .
L'ACE peut donc avoir un véritable rôle de médiateur en fluidifiant les relations entre les élus et les ABF. Pour Isabelle Manescau : « L'ACE peut débloquer une situation en offrant une perspective d'ensemble. Comme dans le centre-ville de Pau, où un projet d'installation d'une galerie d'antiquaires impliquait de démolir une ancienne gendarmerie. Grâce à l'intervention de l'ACE, un compromis a été trouvé avec l'ABF, qui souhaitait conserver tout l'existant, à travers un projet de démolition partielle et de conservation d'un bâtiment de façade à l'architecture intéressante ».
Les élus locaux peuvent encourager l'articulation du travail entre ABF et ACE dans la conduite de leur projet, et ne doivent pas hésiter à solliciter les ACE pour mieux appréhender l'intérêt d'une rénovation ou d'une réhabilitation du patrimoine. Alors que le sujet de l'artificialisation des sols, par exemple, est problématique dans de nombreux territoires, le regard de l'ACE peut permettre de répondre à une contradiction en suggérant aux maires un travail sur le patrimoine bâti plutôt qu'une démolition, et en favorisant des projets de réhabilitation (friches, par exemple) plutôt que de nouvelles constructions. Jean-Luc Hesters résume : « Il vaut mieux convertir l'existant plutôt que de construire du neuf » .
Recommandation n° 20 : Encourager les maires à solliciter plus systématiquement les Architectes conseils de l'État (ACE) en particulier : dans leur mission d'information et de conseil ; d'accompagnement et de médiation avec les ABF ; lors de l'élaboration des documents d'urbanisme ; et sur les projets concernant le patrimoine contemporain.
2. S'appuyer sur l'expertise des Conseils en architecture, urbanisme et environnement (CAUE), notamment pour inventorier et valoriser le patrimoine non classé de demain
Les CAUE constituent une ressource précieuse et gratuite vers laquelle les maires peuvent se tourner. Au niveau départemental, ils ont pour objectif de « promouvoir la qualité de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement dans le territoire », en vertu de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture.
Ils sont investis de diverses missions visant à accompagner les élus locaux dans la gestion et la valorisation de leur patrimoine : formation des maîtres d'ouvrage, des professionnels et des agents des administrations et collectivités qui interviennent dans le domaine de la construction ; conseil relatif à la qualité architectural des bâtiments ; consultation sur tout projet d'urbanisme ou d'architecture (études de faisabilité, aide au recrutement, premier chiffrage des travaux, etc.). Surtout, les conseils en maîtrise d'oeuvre sont fournis gratuitement par les CAUE aux collectivités qui en font la demande.
Dans leur mission de formation, ils bénéficient d'ailleurs de l'agrément du Conseil national de la formation des élus locaux (CNFEL). Ils développent dans les territoires de courts modules de formations d'un ou deux jours, basés sur les besoins des élus, ce qui mérite d'être salué. Selon Hubert Courseaux, président du CAUE du Calvados : « La formation est un bon moyen pour anticiper et alerter les élus, ce qui est un enjeu majeur des questions de patrimoine ».
Recommandation n° 21 : Inciter les maires, en début de mandat, à suivre les formations courtes dispensées dans les territoires par les CAUE en matière de protection et de valorisation du patrimoine.
Charlotte Hubert, présidente de la Compagnie des architectes en chef des monuments historiques, déclare : « Ils peuvent être extrêmement utiles aux communes. Malheureusement, des CAUE ont été supprimés dans certains territoires alors qu'ils ont un rôle important d'information auprès des maires ».
Hubert Courseaux, pour la FNCAUE, confirme : « Selon les moyens à disposition des CAUE, l'accompagnement est plus ou moins efficace. Certains départements ont supprimé leur CAUE et absorbé la compétence dans l'ingénierie départementale en l'intégrant dans les services départementaux internes. On s'aperçoit que cela ne fonctionne pas. Il faut que les CAUE conservent leur autonomie ».
On compte actuellement 93 CAUE, qu'il convient de préserver, notamment à l'heure où les régions récupèrent progressivement la compétence d'aménagement du territoire. Hubert Courseaux prévient : « Dans ce cadre, des unions régionales de CAUE ont été créées pour être des acteurs de dialogue avec les régions. Ces unions régionales n'ont pas forcément été bien utilisées et ont été dévoyées pour faire les choses en lieu et place des CAUE départementaux. C'est un paradoxe, face au besoin de proximité exprimé par les élus locaux. La proximité est un élément de l'efficacité des CAUE et, actuellement, l'échelon le plus pertinent demeure le département » . La FNCAUE met en garde : « Il ne faut pas créer de `'supers CAUE'' à l'échelle régionale » .
Les CAUE n'interviennent pas sur le patrimoine classé ou inscrit, mais sont extrêmement précieux dans l'identification du patrimoine vernaculaire non inscrit (pigeonniers, granges, lavoirs, etc.), qui nécessite aujourd'hui d'être davantage pris en compte. Grâce aux outils numériques, des cartographies plus fines du patrimoine peuvent d'ailleurs être utilisées par les maires pour sensibiliser les citoyens autour de ces enjeux.
Valérie Charollais soulignait la contribution favorable au tourisme de certaines actions développées par les CAUE grâce au recueil des données, à travers l'exemple de l'application « Archistoire 24 ( * ) », créée en 2017 dans le Var pour permettre aux utilisateurs de visiter et de s'informer sur le patrimoine toulonnais à l'aide d'une technologie de réalité augmentée. « Cette application a permis d'associer le CAUE et une collectivité qui était en quête de réponse sur la question de la valorisation de son patrimoine. Elle est pour le CAUE un moyen original de remplir sa mission d'information et d'éducation concernant le patrimoine local, tout en mettant en avant auprès des élus locaux son travail d'aide à la conservation. Depuis, d'autres collectivités ont demandé la même application pour faire découvrir leur patrimoine propre. Au niveau national, la FNCAUE cherche à proposer cette application à d'autres CAUE ».
Recommandation n° 22 : Préserver les CAUE au niveau départemental et inciter les maires à recourir à leurs services en matière de connaissance et d'identification du patrimoine, notamment à travers l'élaboration de cartographies patrimoniales s'appuyant sur les outils numériques.
Selon Hubert Courseaux : « Les CAUE, à travers leur mission de sensibilisation et d'aide à la réflexion, peuvent faire des diagnostics pour les monuments qui ne sont pas classés, et permettent de manière générale d'apporter une réflexion nouvelle sur les projets concernant le patrimoine. Le travail actuel des CAUE est d'aider à faire évoluer le patrimoine » . Ils peuvent en effet aider les maires, notamment dans le cadre des communes nouvelles, à envisager le patrimoine de demain ainsi que sa protection.
La France peut s'enorgueillir d'un patrimoine très riche, mais des difficultés pratiques existent. C'est le cas en particulier pour les églises. Hubert Courseaux explique : « Dans le Calvados, par exemple, il y a 900 églises dont 600 n'ouvrent jamais, 150 ouvrent pour les cérémonies et 150 ouvrent uniquement pour les journées du patrimoine. Les communes nouvelles ne pourront pas gérer ce patrimoine dans sa totalité. Les églises qui ne sont ni classées ni inscrites risquent alors d'être démolies. Pourtant, quantité d'idées sont à mettre en place, et il faut que les évêchés soient prêts à faire évoluer l'affectation des églises ». Valérie Charollais, directrice de la FNCAUE, souligne que « cela est possible », à l'instar d'une église à Bourges « transformée en hôtel mais avec conservation de certains aspects architecturaux du lieu ». Compte tenu de la charge symbolique très importante de ce type d'édifice, ces transformations d'usage ne doivent être envisagées qu'après une intense concertation avec les fidèles.
Si le bâti actuel mérite d'être conservé, se pose immanquablement la question de la transition des usages. La problématique de la modification de destination concerne d'autres bâtiments, pour lesquels il convient de privilégier la transformation et la valorisation plutôt qu'une construction neuve. Il faut rappeler aux élus locaux que les CAUE peuvent les aider dans cette tâche ; ils peuvent décrypter la complexité réglementaire et institutionnelle, notamment dans les petites communes n'ayant pas les compétences d'ingénierie (élaborer un cahier des charges, choisir le maître d'oeuvre, etc.). Selon Hubert Courseaux, président du CAUE du Calvados : « Le CAUE demeure celui qui accompagne le mieux, et gratuitement, dans la réflexion sur les projets de conservation du patrimoine ». En Indre-et-Loire, le CAUE propose même une assistance à maîtrise d'ouvrage pour les collectivités qui en font la demande.
Recommandation n° 23 : Inciter les maires, notamment des petites communes rurales, à recourir plus systématiquement aux services des CAUE, en particulier pour envisager les transformations d'usage du patrimoine bâti existant.
3. La réalisation des travaux de restauration du patrimoine nécessite le concours d'entreprises et de professionnels compétents
Au stade de l'exécution des projets, les élus locaux nécessitent l'assistance de professionnels compétents pour les accompagner.
Ainsi en est-il d'abord des architectes, dont la présence sur le territoire offre un maillage plutôt satisfaisant. Éric Wirth, vice-président du Conseil national de l'ordre des architectes, souligne : « Il existe dans notre pays un bon maillage territorial des architectes, qui sont environ 30 000, bien formés et qui peuvent accompagner les maires en jouant un rôle de conseil » et « notamment être un relais auprès de l'ABF, avec qui il partage la même formation et la même culture ». Il reconnaît toutefois qu'il peut y avoir des visions différentes : « L'architecte est davantage concerné par la nécessité de construire et d'aménager, tandis que l'ABF est préoccupé par la conservation du patrimoine ».
Les architectes peuvent aider les élus, par exemple pour la réalisation d'un diagnostic global, en effectuant l'inventaire patrimonial de l'ensemble d'une commune. Cela permet de faire redécouvrir aux élus leur territoire en prenant mieux conscience de l'intérêt architectural des bâtiments, et de déterminer où réaliser les interventions.
Les architectes sont également en mesure de réunir toutes les compétences nécessaires à la rénovation ou à la réhabilitation du patrimoine : paysagistes, acousticiens, etc.
Recommandation n° 24 : Encourager les maires à recourir aux architectes pour réaliser un inventaire patrimonial de l'ensemble de la commune et pour réunir les compétences nécessaires aux interventions sur le patrimoine bâti.
Depuis l'ordonnance du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés, les communes maîtres d'ouvrage sont libres du choix de leur maître d'oeuvre pour tous les types de monuments, sous réserve du respect du droit de la commande publique. Cependant, des exceptions existent afin d'assurer la protection du patrimoine classé et inscrit :
- lorsque le maire assure la maîtrise d'ouvrage des travaux sur un monument classé et bénéficie de subventions de l'État, il doit recourir à l'ACMH territorialement compétent ;
- lorsque le maire assure la maîtrise d'ouvrage des travaux sur un monument classé mais ne bénéficie pas de subventions étatiques, le choix du maître d'oeuvre est soumis à autorisation du préfet de région, qui peut recueillir l'avis de l'ACMH et de l'ABF avant de donner son accord ;
- lorsque le maire est maître d'ouvrage pour des travaux sur un monument inscrit, il est en principe libre de choisir son maître d'oeuvre, mais le ministère de la Culture recommande fortement le recours à un architecte ayant une formation à la conservation du patrimoine. Par ailleurs, l'ABF veille à la conformité des travaux réalisés.
L'Association des architectes du patrimoine dispose de délégations régionales ayant vocation à la représenter au sein d'instances locales et ainsi se mettre à disposition des élus locaux qui souhaitent faire appel à un architecte spécialisé pour leur maîtrise d'oeuvre.
Le ministère de la Culture recommande de façon constante, notamment pour le bâti protégé, que le maître d'ouvrage fasse appel à des entreprises présentant les garanties techniques et références adéquates pour exécuter les travaux de restauration et d'entretien. À nouveau, le choix des entreprises pour la réalisation des travaux doit se faire dans le respect du droit de la commande publique.
Afin d'être orienté vers les bons professionnels, le maire peut demander conseil à des groupements ou associations spécialisées dans les monuments historiques et le patrimoine. À ce titre, on peut mentionner :
- le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), syndicat professionnel affilié à la Fédération française du bâtiment a vocation à informer et conseiller les collectivités territoriales et à les orienter suivant leurs besoins vers les entreprises qu'il représente ;
- les Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), présentes dans chaque département, peuvent orienter les élus vers des professionnels de proximité afin de favoriser l'artisanat local ;
- Ateliers d'art de France, syndicat professionnel des métiers d'art, peut informer les élus locaux sur les artisans qualifiés dans des domaines très spécifiques, notamment pour la restauration des églises communales.
Au stade du choix des artisans et entreprises, les maires peuvent à nouveau être accompagnés par des services de proximités tels que le CAUE départemental. En 2019, la mission des CAUE auprès des collectivités a d'ailleurs consisté pour 22 % de son activité en une aide à l'organisation de la commande publique 25 ( * ) . De même, les élus locaux peuvent faire appel à l'ABF territorialement compétent pour solliciter un accompagnement dans le choix des prestataires compétents pour réaliser des travaux de restauration d'immeubles du patrimoine communal.
S'agissant des compétences en matière de patrimoine, de nombreuses personnes auditionnées ont évoqué l'enjeu, crucial dans les années à venir, de la préservation de certains métiers très spécialisés. Certains de ces métiers étant en effet susceptibles de disparaître, il est impératif de se préoccuper de la formation. Que ce soient les maçons, les couvreurs, les verriers, les charpentiers ou les tailleurs de pierre, notre pays doit d'ores et déjà faire face à une pénurie de main-d'oeuvre. La crise économique de 2008 a eu des effets dévastateurs : faillites nombreuses, fermetures d'entreprises, non réouvertures par les compagnons de nouvelles sessions de formation, etc. Les maires sont donc de plus en plus confrontés à un déficit de ressources humaines.
Charlotte Hubert, présidente de la Compagnie des Architectes en chef des monuments historiques, formule le constant suivant : « Pour de nombreux appels d'offres, les maires ne trouvent pas les compétences, et dans certains territoires on se retrouve avec des quasi-monopoles sur les chantiers » . La perte d'artisans est également pointée par les associations de protection du patrimoine. Éric Chalhoub, représentant de l'association Maisons paysannes de France, l'affirme : « On ne forme pas suffisamment d'artisans en France. Il faut revaloriser l'artisanat et l'État a un rôle à jouer dans la préservation des savoir-faire ». Son collègue Jean-Michel Gelly juge : « Nous avons perdu de vue que le bâtiment est un métier noble ». Guy Sallavuard, directeur des relations institutionnelles de la Fondation du patrimoine, considère toutefois que « le drame de l'incendie de Notre-Dame a permis d'attirer l'attention sur la disparation de certains métiers, par exemple les tailleurs de pierre ».
Le GMH, par la voix de son co-président Gilles de Laâge, confirme : « Les métiers de la restauration historiques sont en péril. Pour qu'ils perdurent, encore faut-il qu'il y ait des chantiers, donc de l'activité. Les marchés publics représentent 50 % des activités des entreprises concernées. Il n'y a pas suffisamment d'activité » . Il explique : « Le savoir-faire des artisans n'est pas en cause, ce qui pose problème aujourd'hui c'est le recrutement, en particulier auprès des jeunes . Nous devons persuader les familles qu'il y a de l'avenir dans ces métiers manuels, et il faut pour cela mobiliser l'Éducation nationale ».
La crise sanitaire que nous traversons risque d'amplifier le danger de péril de ces professions. « Architectes, conservateurs, restaurateurs, et bien d'autres métiers sont frappés de plein fouet » s'alarme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la Culture. Notre délégation est en particulier très attentive à la situation des apprentis, car si des entreprises font faillite, toute la chaîne sera pénalisée, des fournisseurs aux artisans en passant par les apprentis. C'est pourquoi elle attend un engagement fort de la part du Gouvernement afin d'éviter la disparition de ces métiers rares. Stéphane Bern, entendu par la délégation, déclare : « Ces métiers d'art, c'est de l'or entre nos mains. Nous avons des savoir-faire que le monde entier nous envie. C'est un art de vivre à la française, qu'il faut transmettre avec passion. L'État doit aider les maires à le faire en relançant les chantiers localement. Le patrimoine est une chance pour la France, c'est notre gisement de pétrole ».
Enfin, il y a bien sûr un enjeu de formation à ces métiers très spécialisés, qui n'attirent malheureusement plus les jeunes. L'orientation vers les filières artisanales et professionnelles est trop souvent faite par l'échec dans notre pays. Il faut en finir avec cette conception. Il convient de travailler à long terme auprès de la jeunesse pour valoriser les métiers du patrimoine et susciter des vocations. C'est en encourageant la formation professionnelle et l'apprentissage que nous serons en capacité de « recréer tout un écosystème dédié au patrimoine », juge Olivier Lenoir, délégué général du réseau Rempart.
De même, alors que de nombreux ingénieurs vont partir à la retraite, il convient de se prémunir contre le risque de perte des compétences techniques. Pour Henry Masson, président du collège des monuments historiques : « Il faut envisager le passage de témoin si on ne veut pas perdre ce savoir-faire qui est nécessaire dans l'assistance à maîtrise d'ouvrage. Or les corps d'ingénieurs et de techniciens sont en voie d'extinction car il n'y a pas assez de concours ouverts » .
De même, Gilles de Laâge, co-président du GMH, déplore : « Ces dix dernières années, on a fermé la moitié des centres de formation sur l'ensemble du champ de compétences dédiées au patrimoine par manque de jeunes candidats ». Il conclut : « En France, ce n'est pas un problème de moyens dédiés au patrimoine, mais un problème de compétence et d'ingénierie pour répondre aux besoins ».
La Direction générale des patrimoines du ministère de la Culture le reconnaît : « Les métiers liés à la restauration du patrimoine, malgré leur excellence, ne sont pas suffisamment valorisés » et ajoute qu'il faut « les rendre plus attractifs ». Elle précise : « Des contacts ont été pris à l'été et au début de l'automne 2019 avec les ministères du Travail et de l'Éducation nationale pour étudier des pistes de valorisation, auprès du public et des apprentis, des filières qui concourent à la préservation et à la restauration des monuments historiques ».
Le ministère de la Culture indique qu'il va d'ores et déjà « poursuivre et amplifier la valorisation des chantiers de restauration menés par les DRAC, essentiellement sur les cathédrales et les établissements publics, en les rendant plus visibles pour le public. Ainsi, il sera demandé aux DRAC de renforcer les dispositions des cahiers des charges concernant les actions de valorisation des chantiers dont elles ont la responsabilité afin de renforcer la visibilité des métiers du patrimoine auprès des scolaires, lycéens, centres de formation, mais également auprès du grand public ».
Recommandation n° 25 : Lutter contre la perte des compétences dédiées au patrimoine en missionnant le ministère de l'Éducation nationale, en partenariat avec celui du Travail et celui de la Culture, pour :
- conduire une campagne de sensibilisation auprès des étudiants afin de les encourager à s'orienter vers les métiers des filières techniques et artisanales ;
- augmenter le nombre de places ouvertes dans les concours d'accès à ces filières ;
- créer une filière spécialisée sur le patrimoine et la restauration.
4. Envisager la création, au niveau départemental, d'une agence d'ingénierie « patrimoine » au service des maires
Si les acteurs potentiellement mobilisables sont donc multiples, les maires insistent néanmoins sur la difficulté du dialogue entre ces acteurs. Il n'est pas aisé de démêler la nébuleuse de l'expertise disponible sur le terrain en raison de l'interpénétration de ces acteurs, qu'il conviendrait, pour améliorer la coordination des projets, de réunir de façon plus formelle et institutionnalisée.
Pour répondre au déficit d'ingénierie et mobiliser les compétences, il serait donc pertinent de mettre en réseau les différents acteurs du patrimoine à même de créer une « culture commune » dans un territoire donné. Pour Bruno Monnier, président de Culturespaces : « Le préfet ou le sous-préfet est à mobiliser sur le sujet du patrimoine car il peut avoir une vision globale et est proche des collectivités, constituant ainsi un bon niveau d'intervention. Il faudrait envisager une commission départementale qui rassemblerait le demandeur du projet et les différents acteurs » .
Cette « task force » pourrait réunir les acteurs identifiés : ABF, ACE, CAUE, agences d'urbanisme, conservateurs du patrimoine, DREAL, associations de protection du patrimoine. Le niveau départemental (déconcentré) est jugé, par l'immense majorité des acteurs auditionnés, comme l'échelon pertinent pour structurer l'ingénierie, au contraire du niveau régional, qui apparaît comme trop lointain. Le « faire », autrement dit « l'exécution des projets », nécessite une « proximité et un maillage territorial satisfaisant », souligne Philippe Barbat, directeur général des patrimoines au ministère de la Culture, qui insiste sur le rôle-clé des UDAP.
Une telle mission d'appui aux communes doit pouvoir être intégrée au sein des compétences de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), dont les missions sont précisément de faciliter l'accès des collectivités territoriales à l'ingénierie technique et financière, ainsi qu'aux partenariats et subventions, pour concrétiser les projets. Les questions de patrimoine ne font pas explicitement partie des missions de l'agence, alors qu'il y aurait pourtant une certaine logique à les inclure dans son périmètre d'intervention, le patrimoine étant un outil majeur pour le développement économique d'un territoire. En outre, les missions de l'ANCT couvrent notamment l'attractivité économique et la revitalisation des territoires, ce que ne manque pas de rappeler Philippe Barbat, directeur général des patrimoines au ministère de la Culture : « Le ministère de la Culture est présent dans le plan national Action Coeur de ville porté par le ministère de la Cohésion des territoires ».
L'ANCT prévoit déjà de fournir plusieurs types de prestations aux collectivités territoriales, parmi lesquelles : l'accompagnement à la définition d'un projet de territoire associant l'ensemble des partenaires locaux ; l'assistance à maîtrise d'ouvrage public (montage, instruction, financement des projets) ; la capitalisation des bonnes pratiques ; le soutien en ingénierie de projets (mise à disposition d'experts de haut niveau pour faciliter la définition et la réalisation des projets locaux). Un volet « patrimoine » pourrait donc être explicitement prévu dans les missions de l'agence, reposant sur une coordination, sous l'autorité du préfet de département, de l'ensemble de l'ingénierie disponible localement.
Recommandation n° 26 : Prévoir un volet « patrimoine » dans les missions de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).
Cette réunion dédiée au sein de l'ANCT disposerait d'un référent administratif en charge du secrétariat, qui pourrait être un fonctionnaire de la DRAC agissant comme « guichet unique » pour les demandes des maires. Un cofinancement État-collectivités territoriales pourrait être envisagé.
Recommandation n° 27 : Mettre en place, auprès du préfet de département, une réunion « patrimoine » dédiée au sein de l'ANCT associant tous les acteurs de la protection et de la valorisation du patrimoine, réunie à la demande du maire pour fournir l'ingénierie nécessaire aux projets, et disposant d'un référent administratif désigné au sein de la DRAC.
Cette réunion pourrait aussi être un moment-clé pour établir une programmation pluriannuelle des investissements en matière de dépenses de patrimoine. Une telle programmation, établie sur un diagnostic réel et mise à jour chaque année, prévoirait notamment une ventilation entre les dépenses d'entretien et celles de restauration.
Recommandation n° 28 : Missionner cette réunion « patrimoine » dédiée de l'ANCT pour établir une programmation pluriannuelle des investissements de l'État et des communes en matière patrimoniale distinguant bien les dépenses d'entretien et celles de restauration.
* 23 La procédure est alors directement gérée par les services compétents. L'appel aux services départementaux ou régionaux est indifférent.
* 24 En partenariat avec l'agence de valorisation du capital immatériel des marques et territoires 9b+ et la ville de Toulon, le CAUE du Var a su capitaliser sur ses données récoltées au cours des projets de préservation du patrimoine local. Cette application, à destination des habitants et des touristes, a vocation à faire découvrir de manière interactive le patrimoine de la ville de Toulon. Grâce à la géolocalisation, l'utilisateur peut scanner environ trente points d'intérêt du coeur de ville et en observer les constructions et parfois certains espaces interdits d'accès au public.
* 25 Source : CAUE, Repères & Chiffres-clés, Panorama de l'action des CAUE, Édition 2019.