C. CONSTRUIRE ET AMÉNAGER POUR FAIRE FACE AUX VAGUES DE CHALEUR SÉVÈRES
1. Une problématique majeure dans un contexte de réchauffement du climat
La question de l'adaptation du bâti et de l'espace urbain à des conditions de chaleur sévère comme en connaîtra la France dans les décennies à venir constitue un élément central des politiques d'adaptation au changement climatique. Cet enjeu est particulièrement marqué en zones urbaines en raison du phénomène des « îlots de chaleur urbains » . L'expression désigne la différence de température entre les milieux urbains et les zones rurales environnantes 46 ( * ) . Les observations démontrent que les températures des centres urbains sont en moyenne supérieures de 4°C. À Paris, la différence peut parfois dépasser les 10°C à l'échelle journalière entre le centre de la ville et la campagne la plus froide. Outre ces écarts de chaleur diurnes, l'îlot de chaleur se caractérise également par un moindre rafraîchissement nocturne, ce qui empêche les organismes de récupérer après la forte chaleur journalière et accentue les effets sanitaires négatifs.
Source : Ademe, Guide de recommandation pour lutter contre l'effet d'îlot de chaleur urbain à destination des collectivités territoriales, 2012
2. Des solutions désormais bien identifiées mais trop peu utilisées
Si la préoccupation du confort thermique des logements par forte chaleur devrait aujourd'hui être centrale dans tout projet de construction, de rénovation et d'aménagement, on constate cependant que, hormis dans des projets pionniers, cet enjeu est insuffisamment pris en compte dans les pratiques professionnelles des architectes et des constructeurs. Il est également insuffisamment présent dans les politiques d'aménagement des collectivités. On peut constater par exemple que de nombreux projets de rénovation de centre-ville conduits ces dernières années ont abouti à une minéralisation accrue de l'espace urbain et n'ont laissé que peu de place à la végétalisation. On observe enfin que cet enjeu n'est pas non plus bien identifié par la population. Il arrive parfois que celle-ci s'oppose à des projets innovants d'adaptation portés par les élus pour végétaliser les villes. De même, on observe combien sont fortes les réticences des copropriétés devant tout projet de travaux de rénovation thermique ambitieux, alors même que l'isolation fait partie de la panoplie des solutions pour améliorer le confort thermique en été.
Pourtant les techniques de construction et d'aménagement pour adapter le bâti et la ville à un climat plus chaud existent et sont désormais bien identifiées . Elles font appel à la végétalisation des espaces urbains et la présence d'eau en ville : plantation d'arbres, végétalisation des toits et des façades, désartificialisation de certaines surfaces (exemple des cours d'école à Paris), développement d'espaces verts qui constituent autant de zones de fraîcheur. Pour les bâtiments proprement dits, ces techniques reposent sur l'optimisation de la ventilation naturelle, l'isolation de l'enveloppe du bâti ou encore le choix des matériaux.
Ces techniques font depuis plusieurs années l'objet d'un travail de diffusion porté par les services de l'État ou certains de ses opérateurs :
- l'ADEME a publié en 2012 un Guide de recommandation pour lutter contre l'effet d'îlot de chaleur urbain à destination des collectivités territoriales . Il comprend des préconisations précises concernant la ventilation naturelle des bâtiments et des espaces extérieurs, la végétalisation et la fraîcheur des espaces urbains, la perméabilité et la gestion alternative des eaux pluviales, ainsi que les matériaux et infrastructures à privilégier pour limiter la quantité de chaleur retenue par les bâtiments et l'espace urbain ;
- l'ADEME a également publié en 2017 un Guide pour le diagnostic de surchauffe urbaine , ainsi qu'un dossier de présentation de trente-trois actions exemplaires d'adaptation au changement climatique, actions parmi lesquelles plusieurs concernent la problématique du confort thermique du bâti. On retrouve par exemple les cas de la gare de Bellegarde, bâtiment dont la conception bioclimatique innovante assure un surcroit de fraîcheur en été, ou le projet d'aménagement urbain de l'éco-quartier de Clichy-Batignolles ;
- le Club PLUi a publié en 2016 un dossier sur le thème « PLU et changement climatique », qui collecte et analyse les expériences conduites par certaines collectivités pour faire du PLU un levier d'adaptation face au changement climatique ;
- la démarche Eco-quartier participe également à la promotion et à la diffusion de projets urbains exemplaires en matière de prise en compte des effets du changement climatique. Un des engagements de la charte Eco-quartier est ainsi de « produire un urbanisme permettant d'anticiper et de s'adapter aux risques et aux changements climatiques ».
3. Une urgence à changer d'échelle
L'enjeu est donc désormais de changer d'échelle et d'intégrer pleinement la question de l'adaptation aux chaleurs extrêmes dans la culture urbanistique et architecturale. Plus aucun projet de construction, d'aménagement ou de planification urbaine ne devrait aujourd'hui voir le jour sans que la question de la résilience en situation de canicule ait été posée et traitée.
La généralisation des PCAET intégrant un volet « adaptation » jouera assurément un rôle majeur dans cette acculturation des pratiques urbanistiques aux enjeux d'adaptation, puisque les PLU et les PLH devront respecter les orientations des PCAET. La première génération de PCAET obligatoires ne sera peut-être pas parfaite, mais la démarche du plan climat a une vertu de pédagogie qui favorisera une montée en compétence des collectivités en ce qui concerne les enjeux d'adaptation du bâti aux dérèglements climatiques, notamment sur la question des îlots de chaleur urbains.
Pour accélérer ce processus en cours, on peut formuler les propositions suivantes :
- mettre la question du confort thermique du bâti en période de forte chaleur au centre des réflexions sur la norme RT 2020 en cours d'élaboration ;
- mettre en place des actions de sensibilisation et de formation pour mieux intégrer les enjeux de la végétalisation et les solutions fondées sur la nature dans la culture professionnelle des acteurs de la filière du bâtiment, en particulier des architectes, sans oublier les architectes des bâtiments de France, car il faut éviter que la préservation de l'authenticité du bâti se confonde avec la minéralisation des espaces ;
- intégrer plus fortement les enjeux d'adaptation dans les documents d'urbanisme (SCOT et PLU). La notion d'adaptation est aujourd'hui énoncée uniquement dans l'article chapeau du code de l'urbanisme, dont la portée juridique et le caractère contraignant sont trop faibles pour impulser véritablement un urbanisme adapté aux effets du changement climatique. Les objectifs d'adaptation devraient être énoncés également dans les dispositions du code relatives au rapport de présentation et aux orientations d'aménagement et de programmation (OAP). Sur le fond, il faut encourager les PLU à prévoir une part de pleine terre et la plantation d'arbres dans les parcelles dans lesquelles doivent se dérouler des travaux. Il faut veiller aussi à maintenir un maximum d'espaces verts dans le domaine public et encourager la renaturation des places urbaines. Par ailleurs, l'objectif de densification urbaine qui est au centre des politiques urbanistiques depuis vingt ans, et qui tend à renforcer l'effet d'îlot de chaleur, limite la place qu'on peut donner aux espaces verts en ville. On est sans doute là devant un conflit d'objectifs des politiques publiques sur la ville ;
- sensibiliser les propriétaires sur l'importance de garder dans leurs parcelles du sol perméable, des arbres, des haies ;
- encourager davantage l'innovation dans la conception architecturale, les techniques de construction et les projets d'aménagement par des mécanismes de type « appel à projets », afin de faire émerger des solutions adaptatives nouvelles et de les diffuser plus largement ;
- procéder à une évaluation scientifique des effets des programmes de végétalisation des villes pour savoir ce que permettent précisément les solutions fondées sur la nature en matière de lutte contre les îlots de chaleur ;
- si ces solutions ne permettent de régler qu'une partie du problème, encourager le développement de techniques de production de froid durable (notamment production de froid par géothermie) pour éviter une prolifération anarchique des climatiseurs air/air, qui tendent à renforcer l'îlot de chaleur urbain.
* 46 L'effet d'îlot de chaleur s'explique par la conjonction de multiples facteurs : formes urbaines qui limitent la circulation de l'air et l'évacuation de la chaleur par rayonnement ; forte proportion de surfaces minéralisées et faiblesse de la couverture végétale ; forte concentration d'activités génératrices de chaleur qui s'ajoute à la chaleur naturelle ; utilisation de matériaux qui retiennent la chaleur ; etc.