OBSERVATIONS
Vu le titre XV de la Constitution,
Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en particulier les articles 26, 45, 49 à 55, 53, 56, 58, 63 à 66, 101 à 106 et 107 à 109,
Vu le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale (procédure accélérée),
La commission des affaires européennes fait les observations suivantes :
Sur la méthodologie retenue pour la transposition en droit français de directives en matière économique et financière, l'introduction des mesures d'application imposées par des règlements et des mesures de coordination nécessaires
Relève que le projet de loi comporte quelques mesures ciblées de transposition de directives mais renvoie très généralement à des ordonnances le soin de modifier le droit français ; qu'en outre il propose la ratification de plusieurs ordonnances de transposition publiées au cours des dernières années et dont le projet de loi de ratification n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour du Parlement ;
Observe que le Gouvernement justifie le recours généralisé à des ordonnances par la technicité des dispositions à transposer et des coordinations à mettre en oeuvre ;
Regrette toutefois que l'information du Parlement soit insuffisante dès lors que, le plus souvent, les habilitations ne mentionnent pas les options proposées par la directive qui seront retenues par le Gouvernement, ni pour quelles raisons d'autres options, favorables à la compétitivité des entreprises françaises, seront écartées, ni encore quelles dispositions existantes qui se surajoutent au droit européen seront abrogées ;
Sur la transposition partielle de la directive 2017/828/UE modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l'engagement à long terme des actionnaires
Observe tout d'abord que le projet de loi (art. 66) maintient les obligations des sociétés de gestion en matière de transparence de leur politique de vote prévues à l'article L. 533-22 du code monétaire et financier, dont les modalités sont détaillées par le règlement général de l'AMF et qui vont au-delà de ce qu'impose la directive ;
Relève ensuite que l'Assemblée nationale a considéré que le rapport sur le gouvernement d'entreprise devait comprendre un rapport d'équité présentant des informations sur le niveau de la rémunération de chaque mandataire social au regard de la rémunération moyenne et de la rémunération médiane des autres salariés, alors que la directive prévoit une information sur l'évolution annuelle de la rémunération des dirigeants et de la rémunération moyenne des autres salariés, présentée d'une manière qui en permette la comparaison ;
Rappelle que la directive prévoit une information sur les transactions avec les parties liées et que l'assemblée générale vote sur les transactions importantes qui ont été approuvées par l'organe d'administration ou de surveillance de la société ;
Observe que le projet de loi ne prévoit pas d'attestation d'équité en la matière alors que la directive ouvre aux États membres la faculté d'en imposer l'établissement ;
Rappelle que la directive comporte un ensemble de dispositions pour permettre aux émetteurs qui le souhaitent d'identifier leurs actionnaires ;
Observe que le droit français est très proche de la directive, en particulier s'agissant du seuil de 0,25% du capital à partir duquel l'identification des actionnaires peut être décidée par l'émetteur, soit un seuil inférieur au plafond de 0,5 % fixé par la directive ;
Relève en revanche que le projet de loi n'exploite pas une faculté ouverte par la directive pour permettre à l'émetteur de demander à un intermédiaire ou à un prestataire de services d'investissements de recueillir pour son compte les informations concernant l'identité des actionnaires ;
Constate enfin que l'Assemblée nationale a rétabli le droit des actionnaires à la communication des opérations courantes intra-groupes conclues à des conditions normales, supprimé en 2011 par le Sénat en raison de sa lourdeur administrative, et qui n'est pas prévu par le droit européen ;
Sur les mesures d'application du règlement 2017/1129 « Prospectus 3» concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé
Observe qu'une modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), homologuée par arrêté du 11 juillet 2018, a fait usage de l'option de dispense de publication d'un prospectus pour les offres au public de valeurs mobilières dont le montant total est inférieur à 8 millions d'euros, soit le seuil maximal fixé par le règlement Prospectus 3 ;
Relève que l'article 22 du projet de loi assortit toutefois cette dérogation, justifiée par l'objectif de compétitivité du droit financier français, de l'obligation de publier un document d'information destiné aux souscripteurs qui n'est pas prévu par le règlement européen, déposé auprès de l'AMF et dont le régime et le contenu seront précisés par le règlement général de l'AMF.
Sur l'habilitation à transposer la directive 2014/55/UE relative à la facturation électronique dans le cadre des marchés publics
Observe que l'habilitation prévue à l'article 63 du projet de loi ne précise pas s'il sera fait usage de la faculté prévue à l'article 11-2 de la directive qui permet de reporter jusqu'au 17 avril 2020, l'application des obligations d'interopérabilité par les collectivités territoriales et les établissements publics locaux pour lesquelles la mise en conformité pourrait être lourde et coûteuse ;
Sur l'habilitation à transposer la directive 2014/50/UE relative aux prescriptions minimales visant à accroître la mobilité des travailleurs entre les États membres en améliorant l'acquisition et la préservation des droits à pension complémentaire
Relève que l'exposé des motifs du projet de loi précise que le délai minimal d'acquisition des droits à retraite supplémentaire serait fixé à 3 ans par l'ordonnance, soit la durée maximale autorisée par la directive ;
Sur l'habilitation à transposer la directive 2016/2341/UE « IORP 2 » concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle
Constate que l'habilitation ne donne aucune indication quant à l'utilisation des options ouvertes par l'article 31 de la directive, par exemple en matière d'externalisation totale ou partielle de l'activité des institutions de retraites professionnelles, y compris des fonctions clés et de leur gestion, auprès de prestataires de services opérant pour le compte de celles-ci ;
Sur l'habilitation à transposer le « paquet marques »
Observe que l'étude d'impact indique que « les objectifs poursuivis par la transposition de la directive 2015/2436 dans le droit français correspondent aux objectifs visés par le « Paquet Marques » ;
Considère qu'il en résulte que, même lorsque la directive laisse aux États membres la liberté de maintenir leur dispositif national, l'ordonnance devrait aligner la procédure française sur le droit européen ;
Relève en particulier que tel sera le cas du système de dépôt monoclasse mis en place au niveau européen, qui s'accompagne du paiement forfaitaire d'une redevance par classe, dont le Gouvernement a annoncé qu'il sera repris en droit français afin de mieux répondre aux besoins des propriétaires de marques ;
Regrette que sur d'autres points, la visibilité offerte au législateur soit moindre, qu'il s'agisse des options ouvertes en matière de refus d'enregistrement ou de nullité de l'enregistrement ou de refus d'enregistrement de marques de garantie ou de certification ;
Estime que la transposition de la directive doit être précédée d'un examen attentif des facultés ouvertes en matière d'enregistrement de marques collectives qui sont particulièrement utiles pour le développement économique des territoires ;
Sur l'habilitation à transposer la future directive « Insolvabilité » relative aux cadres de restructuration préventifs, à la seconde chance et aux mesures à prendre pour augmenter l'efficience des procédures de restructuration, d'insolvabilité et d'apurement
Constate que le projet de loi anticipe pour partie la directive en introduisant dans les dispositions sur le rétablissement professionnel, qui permet l'effacement des dettes et la poursuite de l'activité, un délai de réhabilitation de trois ans en cohérence avec l'objectif de « seconde chance » de l'entrepreneur défaillant de bonne foi affiché par la proposition de directive ;
Observe que la transposition de la directive par voie d'ordonnance devrait emporter des modifications assez substantielles des procédures préventives françaises existantes (mandat ad hoc , conciliation et sauvegarde), motif pour lequel le projet de loi autorise le Gouvernement à mettre en cohérence le redressement judiciaire avec les modifications imposées par la directive, modifications dont il définit le périmètre de manière détaillée mais non limitative ;
Sur la transposition partielle de la directive « MiFID 2 » 2014/65/UE par l'ordonnance n° 2016-827 du 23 juin 2016 relative aux marchés d'instruments financiers apportant également les adaptations nécessaires au droit interne pour le rendre compatible avec le règlement « MiFIR » (UE) 600/2014 relatif aux marchés d'instruments financiers
Observe que l'ordonnance prévoit notamment la faculté, pour une entreprise d'investissement, de recourir aux agents liés et précise, en fonction des prescriptions de la directive, les conditions d'exercice de cette fonction ainsi que les critères à respecter pour y recourir mais qu'elle n'autorise pas les agents liés immatriculés sur le territoire français à détenir des fonds et/ou des instruments financiers de clients pour le compte de et sous l'entière responsabilité de l'entreprise d'investissement pour le compte de laquelle ils agissent, faculté ouverte par la directive ;
Constate que l'ordonnance exploite en revanche une autre faculté prévue par la directive en confiant à l'entreprise d'investissement le soin de vérifier l'honorabilité et les compétences de l'agent lié ;
Observe que l'ordonnance autorise par ailleurs les entreprises d'investissement de pays tiers bénéficiant d'une décision d'équivalence de la Commission européenne à fournir des investissements aux clients professionnels établis en France mais qu'elle les oblige à établir une succursale en France lorsqu'elles entendent fournir des services d'investissement à des clients non-professionnels, ainsi que l'autorise la directive ;
Relève que l'ordonnance n'exploite pas certaines des options ouvertes par la directive, notamment la reconnaissance comme contreparties éligibles des entités de pays tiers équivalentes à celles des États membres mais que le projet de loi propose par ailleurs de mettre en oeuvre cette faculté (art. 23) ;
Sur la transposition de la directive 2015/849/UE relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme par l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme
Constate que l'ordonnance n° 2016-1635 n'a pas fait usage de facultés prévues par la directive, en particulier la définition d'obligations de vigilance simplifiée à l'égard de la clientèle pour la monnaie électronique et les instruments de paiement répondant à des conditions d'atténuation du risque ou dans des domaines présentant un risque moins élevé et qu'elle n'a pas non plus exempté des obligations définies par la directive les prestataires de certains services de jeux d'argent ;
Observe que l'ordonnance a en revanche retenu la possibilité, prévue par la directive, d'assujettir aux obligations de vigilance des professions ou catégories d'entreprises autres que celles visées par la directive, en particulier les sociétés d'assurance et de réassurance, les agents sportifs, les antiquaires et les galeries d'art ou encore les syndics de copropriété ;
Observe par ailleurs que l'ordonnance étend les prérogatives et les obligations de Tracfin au-delà de ce qu'impose la directive, qui est d'harmonisation minimale sur ce point ;
Relève enfin que le décret d'application de l'ordonnance a fixé à 1 000 euros le plafond des paiements en espèces, soit très en deçà du plafond de 10 000 euros prévu par la directive, ce plafond étant toutefois relevé à 15 000 euros si le domicile fiscal du débiteur est à l'étranger, soit le plafond maximum autorisé en pareil cas par la directive ;
Sur l'articulation de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale avec la directive 2011/92 du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement
Constate que l'ordonnance n° 2017-80 prévoit un dispositif d'autorisation environnementale destiné à simplifier les procédures pour la réalisation de certains travaux et aménagement ;
Observe que ce dispositif n'est pas contraire au cadre européen, mais va au-delà de ses exigences, en particulier de celles qui résultent de la directive 2011/92 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ;
Sur la transposition de la directive 2015/2302/UE relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées par l'ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017
Relève que l'ordonnance n° 2017-1717 renforce la responsabilité de plein droit des détaillants dans l'exécution des voyages à forfait, comme l'y autorise une option ouverte par la directive et conformément à la résolution européenne du Sénat du 4 mars 2014 sur la proposition de directive qui avait estimé « indispensable, compte-tenu des caractéristiques fortement nationales du marché du voyage, de maintenir la règle actuelle d'une responsabilité du détaillant ou de l'organisateur », ce qui les oblige à souscrire une assurance de responsabilité professionnelle ;
Sur la mise en conformité de dispositions du droit national contraires au droit européen
Constate que le projet de loi procède à la mise en conformité de dispositions du droit national contraires au droit européen, en particulier en supprimant les OPCVM de cantonnement dans lesquels sont placés les actifs illiquides en contradiction avec la directive « OPCVM » 2009/65/CE qui prohibe la transformation d'OPCVM conformes à la directive en organismes non conformes, ou encore en prévoyant la récupération des bonus versés aux preneurs de risques conformément aux directives CRD IV (2013/36/UE), OPCVM (2009/65/CE) et AIFM (2011/61/UE) ;
Sur la suppression de sur-transpositions
Salue la poursuite, par le projet de loi, de la démarche engagée par le Gouvernement en matière de suppression de sur-transpositions portant atteinte à la compétitivité des entreprises ;
Relève en particulier l'harmonisation et le relèvement des seuils de contrôle légal des comptes par l'article 9 du projet de loi qui allègera les charges des petites entreprises ;
Observe toutefois qu'il n'est pas prévu de retenir les seuils les plus élevés de définition des petites entreprises, ce qui permettrait, comme l'a fait l'Allemagne, de soustraire un plus grand nombre d'entre elles à l'obligation de contrôle légal des comptes ;
Signale qu'un audit groupe est mis en place pour les ensembles dont le volume d'activité global et d'emploi salarié est supérieur aux seuils d'audit ;
Salue par ailleurs l'exercice d'options ouvertes par plusieurs directives pour renforcer l'attractivité de la Place financière de Paris ;
Relève en particulier le relèvement du seuil de dispense de prospectus en cas d'offre au public de titres au niveau le plus élevé autorisé par le règlement 2017/1129/UE dit « Prospectus 3 », s'accompagnera d'un obligation, prévue à l'article 22-I, de publier un document simplifié de présentation au public qui n'est pas prévu par le règlement ;
Relève que, pour faciliter les sorties de la cote de la Place de Paris, l'article 22 abaisse à 90% du capital et des droits de vote le seuil de retrait obligatoire, soit le seuil le moins élevé prévu par la directive « OPA » de 2004 ;
Rappelle toutefois que le droit national reste plus exigeant que le droit européen, le règlement général de l'AMF imposant une expertise indépendante des conditions financières de l'offre de retrait, qui fait l'objet d'une attestation d'équité motivée, obligation que la directive n'impose pas dès lors que le prix est celui de l'offre de retrait ;
Constate également que l'article 23 du projet de loi autorise, conformément à une faculté ouverte par la directive MiFID 2, les succursales d'entreprises d'investissement de pays tiers établies en France à fournir des services d'investissement à une clientèle professionnelle ou des contreparties éligibles françaises même si le pays tiers de leur siège ne bénéficie pas d'une décision d'équivalence de la Commission européenne ;
Relève que, pour assurer la sécurité juridique des paiements pour les opérations qui transitent par le système notifié par la Banque d'Angleterre après le Brexit, l'article 25 du projet de loi prévoit la reconnaissance des systèmes de pays tiers pour le règlement définitif des opérations sur titres, en transposant le considérant 7 de la directive « finalité » 98/26 du 19 mai 1998 ;
Constate en outre que l'ordonnance n° 2017-84 du 6 avril 2017, que l'article 71-IX du projet de loi soumet à ratification, exploite une faculté prévue par la directive 2003/41/CE concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle (IORP , pour autoriser la création de mutuelles et unions de retraite professionnelle supplémentaire et d'institutions de retraite professionnelle supplémentaire, permettant ainsi aux entreprises d'assurances de proposer des fonds de retraite professionnelle supplémentaire ;
Relève que ces organismes dédiés seront soumis à un régime prudentiel moins contraignant que celui des sociétés d'assurance et défini en conformité avec le cadre prévu par la directive 2003/41/CE du 3 juin 2003, qui reprend les exigences de gouvernance de la directive « Solvabilité II » applicables aux sociétés d'assurance (Piliers 2 et 3) mais pas les règles quantitatives du Pilier 1 ;
Sur la conformité au droit européen des dispositifs destinés à appuyer la modernisation des activités économiques en France
Relève que la conformité aux principes fondamentaux du marché intérieur des différents dispositifs prévus par le projet de loi pour appuyer la modernisation des activités économiques en France, a fait l'objet d'analyses précises et concluantes, au regard de la prohibition des aides d'État, des atteintes à la libre circulation des capitaux, à la liberté d'établissement, à la libre circulation des travailleurs ou encore à la concurrence ;
Observe plus particulièrement que le renforcement des pouvoirs de police et de sanction du ministre chargé de l'économie en matière de contrôle des investissements étrangers n'est pas contraire au principe de libre circulation des capitaux, ni incompatible avec la proposition de règlement du 13 septembre 2017 sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne susceptibles de faire peser un risque sur la sécurité ou l'ordre public dans les États membres ;
Rappelle enfin que, pour la mise en oeuvre de l'action spécifique dans les sociétés à participation d'État que le projet de loi propose de réformer, les mesures que l'État peut prendre doivent respecter les principes fixés par la Cour de justice de l'Union européenne, en particulier répondre à un intérêt général, être nécessaires et proportionnées au but poursuivi et ne pas être discriminatoires.